RHYS
Je suis entré dans le café, comme d'habitude, et je m'installe au comptoir. Isabela est derrière, occupée à préparer un café pour un client, et comme d'habitude, elle a cet air espiègle. Dès que mes yeux se sont posés sur elle, je sais que je vais encore passer un moment intéressant.
Elle dépose une tasse devant moi, et je remarque tout de suite que la mousse a pris une forme un peu... particulière. Un pingouin. Un putain de pingouin.
-Ah, le zoo est de retour ? je lance, levant un sourcil tout en attrapant la tasse.
Elle se penche un peu, un sourire malicieux sur le visage.
-Ouais, le zoo est en grève aujourd'hui,dit-elle avec un ton faussement sérieux. Le pingouin est en charge des revendications. Il réclame plus de sardines dans son café.
Je la fixe, sans comprendre.
-La grève des pingouins, sérieusement ?
Elle hausse les épaules, un air un peu trop sérieux pour ce qu'elle raconte.
-Eh bien, c'est une question de droits des animaux. Les éléphants, les lions... tous en grève, tu sais. Il fallait bien qu'on trouve une solution, et le pingouin s'est porté volontaire.
Je secoue la tête, mais ça me fait sourire malgré moi.
-Et toi, tu prends ça au sérieux ?
Elle éclate de rire.
-Bien sûr ! Le zoo a besoin de réformes, Rhys. Les animaux ne sont pas traités avec respect. D'ailleurs, c'est pour ça que j'ai aussi fait un chat en mousse aujourd'hui. Un petit chat. Parce qu'il faut bien un peu de douceur au milieu de tout ça.
Je prends une gorgée de mon café, observant le pingouin dans ma tasse, un sourire en coin qui menace de se dessiner sur mon visage.
-Un chat maintenant, vraiment ? C'est un vrai cirque ici.
Elle acquiesce, tout en essuyant une cuillère.
-Exactement. C'est un véritable cirque... et moi, je suis la directrice de tout ça. Le zoo est en grève, donc aujourd'hui, j'ai fait un chat, mais le pingouin reste le chef.
Je souris enfin, lâchant un petit rire.
-Donc, le pingouin est le leader des revendications ? C'est... un peu particulier.
Elle s'appuie contre le comptoir et, d'un air nonchalant, ajoute :
-Ben, tu sais, c'est le dernier animal que j'ai fait quand tu es revenu de ton voyage. C'était le symbole de la lutte pour la justice animale. Il fallait bien qu'il prenne la tête du mouvement.
Je fronce les sourcils, un peu surpris.
-C'est pour ça que t'as fait un pingouin alors... Je me demande si c'est vraiment une question de sardines ou juste un message caché.
-Peut-être un peu des deux, qui sait ? Dit-t-elle en me lançant un regard malicieux.
Un silence s'installe un instant. Je suis là, avec mon café, en train de rire intérieurement. Elle est étrange, mais c'est ce qui me plaît un peu plus à chaque fois. Cette fille, avec ses histoires absurdes, son regard léger sur le monde... C'est comme si elle m'enlevait un peu de ma routine et de mon sérieux.
Je la regarde, un peu moins sur la défensive cette fois.
-Tu sais, t'es vraiment mystérieuse, Isabela. Même avec ton zoo en grève.
Elle sourit, sa tête légèrement inclinée.
-Tout le monde a ses secrets, Rhys. Peut-être que le zoo n'est qu'une partie des miens.
Je hoche la tête, sans vraiment répondre, mais je me rends compte que je commence à baisser mes gardes, petit à petit. Elle ne me donne pas tout, mais elle me donne juste assez pour m'intriguer. Et ça, c'est suffisant pour me faire baisser la voix, sans sarcasme cette fois.
-Je suppose qu'on n'a pas besoin de tout savoir sur l'autre, je dis, presque pensif. On peut juste... apprécier le moment.
-C'est exactement ça, dit-elle en me regardant , un éclat de complicité dans les yeux.
Et pour la première fois depuis longtemps, je ne ressens pas le besoin de savoir tout sur elle. Peut-être que c'est ça, la véritable connexion. Pas le besoin de tout analyser, mais juste de partager ce qui compte.
★★★
Je suis rentré dans le bureau, mais au lieu de me concentrer sur le travail, mes pensées sont ailleurs. Un café, une conversation absurde avec Isabela, un pingouin en mousse. Un putain de pingouin. Je n'arrive pas à effacer son sourire, cette manière qu'elle a d'avoir l'air totalement à côté de la plaque tout en étant pourtant terriblement sérieuse. Elle me fait rire, mais elle m'intrigue aussi plus que je ne veux l'admettre. Ce n'est pas le genre de distraction à laquelle je m'attendais.
Je regarde les papiers sur mon bureau, mais ils ne me disent rien. Aucune des négociations en cours ne semble aussi importante que la manière dont elle m'a parlé de ses "animaux en grève" ce matin. Ça me fait me demander si je suis vraiment concentré sur ce que je fais. Ben n'a pas tort sur un point. Je n'arrive pas à évacuer l'image de son regard, son petit sourire en coin quand elle m'a dit qu'elle allait être "la directrice du zoo en grève". Merde, je suis encore en train de penser à ça.
La porte s'ouvre brusquement, brisant ma concentration. Ben entre dans le bureau avec cette démarche décontractée, les bras croisés, toujours aussi insupportablement confiant.
— Rhys, tu m'écoutes ? Il se penche sur le dossier devant moi.
Je soupire, essayant de chasser les pensées inutiles.
— Oui, je t'écoute. Je prends une gorgée de mon café, ne sachant pas vraiment quoi dire pour masquer ma distraction.
— Tu sembles un peu... ailleurs, non ? Ben me jette un regard appuyé.
Je lâche un petit rire nerveux, posant la tasse.
— Non, je gère. C'est juste que... Je me mords la lèvre, hésitant. Est-ce que je vais vraiment lui avouer que je ne peux pas arrêter de penser à une femme que je viens de rencontrer ? À un café, et à un putain de pingouin en mousse ?
Ben attend. Il me scrute, comme toujours, mais je vois dans son regard qu'il ne lâchera pas le morceau. Il a cette manière de comprendre que tout n'est pas aussi simple que ce que je laisse paraître.
— Tu sais... si tu veux en parler... Il hésite un instant, mais je le vois déjà venir.
— On parle boulot, ok ? Je change immédiatement de sujet.
— T'es sûr ? Parce que si ça continue comme ça, ça va pas bien se passer, hein. Il se laisse tomber dans un fauteuil.
— Ben, tu veux vraiment qu'on parle de ma vie privée ? Je fronce les sourcils.
— Je sais pas, Rhys. Mais je suis là pour ça. Il se penche en avant, taquin. Tu sembles un peu préoccupé par quelque chose... ou plutôt par quelqu'un. Tu m'as l'air d'un gamin avec un crush, c'est flippant.
Je le fixe avec insistance, mais mon esprit divague de nouveau vers le café. Isabela. Merde, il va pas m'aider à me concentrer là-dessus.
— T'as pas autre chose à faire, Ben ? Je lui jette un regard noir.
Il ne dit rien, mais il me sourit.
— Ok, ok, j'arrête. On parle de la cargaison d'armement, alors.
Il reprend son sérieux ,s'installe devant mon bureau en prenant une posture droite:
— C'est pas la première fois qu'on a des merdes avec cette cargaison, mais cette fois, c'est trop. Sa voix trahit une certaine frustration. Il pose une tablette devant moi, où s'affichent les informations concernant le vol de la cargaison. Les images du convoi attaqué me frappent comme un coup de poing.
Je regarde fixement l'écran, analysant les images avec une froideur clinique. Je sais ce que c'est. Je prends une grande inspiration et repose mes yeux sur Ben. Ce vol, il est mal passé, je ne peux pas le nier. Mais il faut voir au-delà de ça. Ce vol n'est pas juste une erreur logistique. C'est un message.
Ben me lance un regard perçant, attendant que je continue.
— Tu te souviens des dernières discussions qu'on a eues avec nos "partenaires" dans cette histoire ? Je passe une main dans mes cheveux, irrité. Ce vol, ce n'est pas juste un coup de chance. Il y a quelqu'un derrière tout ça, quelqu'un qui connaît nos moindres failles. Ils savent exactement où frapper, et ils l'ont fait.
Je serre les poings sur le bureau. Et ça me fait chier. Ce genre de merde, ce n'est pas acceptable. Je me lève et commence à marcher lentement, en repensant à toutes les étapes de cette transaction. Tu sais, Ben, il n'y a pas juste des armes dans cette cargaison. Il y a des technologies. Des merdes de haute technologie que j'ai développées moi-même. Je marque une pause, mes yeux se posant sur lui. Et tu sais ce que ça veut dire si elles tombent entre de mauvaises mains, non ?
Ben ne répond pas tout de suite. Il sait déjà. Il le sait mieux que moi.
— Des armes, des systèmes de surveillance... On parle de trucs qui ne devraient jamais sortir d'ici. Il laisse échapper un soupir. Mais il y a autre chose, Rhys. La question, c'est qui, dans nos alliés, peut avoir mis la main dessus ?
Je me fige. Je sais exactement de quoi tu parles.
Je ne suis pas du genre à me faire avoir. Pas avec la quantité d'infos que je contrôle. Mais ce vol... c'est trop risqué. Cela pourrait tout effondrer, et je dois garder mes arrières parfaitement couverts.
— Écoute, Ben, je reprends calmement, mais avec un ton plus glacial. Le problème, c'est pas juste cette cargaison volée. C'est tout ce qu'on a mis en place autour. Ce trafic d'armes... tout ça alimente des projets qui, je te rappelle, ne sont pas seulement une source de profit. Je me rapproche du tableau de bord, où les diagrammes et les chiffres sont visibles. Certains de mes projets de développement avancent grâce à cette vente. Tu crois vraiment que je vais laisser une cargaison voler en éclats sans conséquences ?
Je le regarde fixement, ma voix plus basse, plus menaçante maintenant.
— J'ai mis trop d'efforts dans ces technologies. Si quelqu'un tente de saboter ce que j'ai mis en place... Je laisse la phrase en suspens. Il sait très bien où je veux en venir.
Ben hoche la tête, comprenant que ce n'est pas juste une question de marchandise volée. C'est un problème bien plus vaste, bien plus grave.
— Donc on doit jouer dans l'ombre, comme d'habitude. C'est ça ?
Je souris, un sourire calculé. Pas juste dans l'ombre. On doit les faire sortir de leur cachette. Mais cette fois, on ne joue pas sur le même terrain qu'eux. Je pose mes mains sur le bureau, le regard déterminé. On les attire, et on les écrase. Si ça doit devenir un bain de sang, tant pis. Mais tu sais ce que ça veut dire, Ben ? C'est risqué. Et je ne peux pas me permettre d'être pris de court.
Ben m'observe un moment avant de répondre. Il sait que je n'aime pas me répéter.
— Et les gars, tu vas leur dire quoi ? Il parle des contacts avec nos autres partenaires, les fournisseurs. Ils ne doivent pas savoir que quelque chose ne va pas. Cela pourrait tout faire imploser.
Je souris à nouveau, mais cette fois, il n'y a rien de bienveillant dans ce sourire.
— On leur dit ce qu'ils veulent entendre. Je gère. Ma voix se fait plus ferme. Mais il faut qu'on le fasse vite.
Je me dirige vers le dossier de la cargaison volée, le faisant défiler sur l'écran. Trouve-moi cette putain de trace. Et je veux les noms. Ceux qui ont permis à cette merde de se produire. Et quand tu les as, tu me les amènes directement. Je m'occupe du reste.
Ben hoche la tête, l'air plus résolu. Compris. Je m'en occupe. Il se lève et s'apprête à sortir. Je reste là, seul avec mes pensées. Une pression sourde me ronge, un souci qui ne veut pas disparaître. Mais
je ne peux pas me permettre de faiblir.
Je crois que tout ça va me coûter plus cher que prévu
ISABELA
— J'te jure, Isa, si ce mec me regarde encore avec ses yeux de Husky croisé ours en peluche, je vais fondre comme un brownie au micro-ondes.
Je manque d'éclater de rire en remplissant la salière. Chaol, à mes côtés, se penche légèrement pour mieux voir Maël à travers la vitre du passe-plat. Et moi je fais mine de ne rien voir. Rien du tout.
— Il ma regardé ?
— Évidemment qu'il m'a re-regardé. C'est son sport du matin. "Fixer Chaol discrètement pendant qu'il range les viennoiseries."
Je cligne innocemment des yeux.
— T'es sûr que c'est pas toi qui le fixe en premier, histoire qu'il te fixe en retour ?
— Tu me blesses. Il pose dramatiquement la main sur son cœur. « Je suis une victime ici. Une proie. Un cœur en danger. »
Je roule des yeux en riant. Puis, mine de rien, je glisse :
— N'empêche... il est plutôt pas mal, hein ?
— « Pas mal »?! Isabela. C'est Maël. Il est le croisement divin entre un garde du corps, un nounours géant et un mec qui sait plier du linge comme personne. »
Je lève les mains, faussement impressionnée.
— Okaaay. Donc c'est ton type.
— Plutôt, ouais. Et toi, d'ailleurs ? C'est pas ton voisin milliardaire, là... ?
Je le foudroie du regard, les joues qui chauffent un peu.
— Tu veux mourir maintenant ou après la fermeture ?
Il pouffe et me donne un coup d'épaule complice.
Mais moi, je vois autre chose.
Je vois Maël, qui revient vers le comptoir, concentré, professionnel... mais avec une micro-expression à la seconde où il aperçoit Chaol.
Un petit sourire. Juste un coin de lèvres.
Et là, bingo.
Je tends à Maël une assiette à apporter en salle.
— C'est pour la table du fond. Tu peux y aller ?
Il hoche la tête, la prend, et s'éloigne.
Moi, je donne un coup de coude à Chaol.
— Tu comptes le fixer comme ça encore longtemps ou tu vas enfin lui proposer d'aller boire un verre ?
Il ouvre la bouche. Puis la referme.
— ...J'ai le droit d'avoir peur, non ?
Je le regarde, attendrie. Puis, doucement :
— Oui. Mais t'as aussi le droit d'être heureux.