Loading...
Link copied
Loading...
Loading...
Mark all as read
You have no notification
Original
Fanfiction
Trending tags

Log In

or
@
Petitefleur707
Share the book

CHAPITRE XIV

RHYS

Le cri traverse la salle comme une lame.
Instantanément, tous les regards convergent vers le corps effondré près du buffet.
Un homme d'âge moyen, costume sombre, les traits crispés, gît à même le sol.

Je m'avance, entraînant malgré moi Isabela derrière moi, son bras serré autour du mien. Elle s'immobilise à ma hauteur, droite, les yeux grands ouverts, un peu pâle, mais incroyablement calme.

Autour, ça s'agite.
Des serveurs paniquent.
Un médecin, apparemment invité aussi, se précipite et tente de ranimer l'homme.
Bruits de voix, de téléphones qu'on dégaine, de talons qui claquent contre le marbre du sol.

— Il a fait un malaise cardiaque, souffle une femme derrière moi.

— Ou un AVC... murmure un autre.

Je plisse les yeux. C'est brutal, rapide. Trop rapide. Mais je ne suis pas médecin, et je ne suis pas venu ici pour jouer les enquêteurs.

Déjà, un responsable de la sécurité appelle les secours, et je capte au loin les mots "ambulance" et "police" dans la même phrase.
Je serre la mâchoire.

— On devrait pas traîner ici, soufflé-je à Isabela à voix basse.

Elle acquiesce immédiatement, comme si elle avait attendu que je le propose.
Toujours aussi parfaite, même dans l'imprévu.
Pas une crise, pas une plainte. Juste cette discrétion maîtrisée, un frisson léger sur ses épaules nues.

— Viens.

Je l'attrape doucement par la main pour la guider hors de la pièce, longeant les colonnes massives sans attirer l'attention.

En quelques minutes, on est dehors.

★★★

Je passe nerveusement ma main sur mon visage.
La soirée a viré au bordel en quelques secondes.
Je jette un regard vers Isabela, assise à côté de moi, droite, les yeux perdus à travers la vitre.

Elle semble si petite dans cette grande limousine, vulnérable presque.

Et putain, je déteste ça.

— Je suis désolé, lâché-je enfin, la voix un peu plus rauque que je ne l'aurais voulu.

Elle tourne la tête vers moi, ses traits doucement tirés, sans pourtant paraître complètement paniquée.
Juste... troublée.

— Désolé ? répète-t-elle doucement, comme si elle n'était pas sûre d'avoir bien entendu.

Je serre les dents.

— Ouais. C'était censé être un truc tranquille.
Je voulais pas que tu te retrouves au milieu de... ça.

Je fais un vague geste de la main, incapable de trouver un mot assez précis pour désigner la scène à laquelle on vient d'assister.

Elle esquisse un sourire fragile, presque timide.

— Ce n'est pas ta faute, Rhys.
Ce genre de choses... ça arrive, non ?

Sa voix est douce, parfaitement dosée entre la surprise et l'effort de se rassurer elle-même.

Je la fixe quelques secondes.

— Si tu veux, je peux appeler James pour qu'il te raccompagne, proposé-je, un peu maladroitement.

Elle secoue aussitôt la tête, une mèche retombant sur son front.

— Non, reste...
Elle baisse les yeux avant d'ajouter, dans un souffle :
— Je préfère rester avec toi.

Un truc dans ma poitrine se serre sans prévenir.
Putain.

Je me racle discrètement la gorge et détourne les yeux, fixant à nouveau la route noire qui défile à travers les vitres teintées.

Elle me préfère à quelqu'un d'autre.
Et pour une raison qui m'échappe totalement, ça me frappe en plein ventre.

On roule ainsi quelques minutes en silence, chacun perdu dans ses pensées.
Mais je sens sa présence à côté de moi.
Chaleureuse.
Fragile.
Et étrangement, malgré tout ce qui vient d'arriver, je me surprends à penser que je ne voudrais être nulle part ailleurs.

La limousine ralentit devant l'entrée de notre immeuble. Le portier de nuit, Monsieur Coleman, s'empresse de sortir pour nous ouvrir. Costume impeccable, sourire professionnel vissé sur le visage malgré l'heure tardive.

Je descends en premier, jetant un regard automatique aux alentours — vieille habitude — puis je tends la main à Isabela.
Elle la prend sans hésiter, et je la sens frissonner légèrement au contact du froid nocturne.

— Bonsoir, Monsieur Coleman ! lance-t-elle joyeusement.

Le vieux Coleman, pourtant toujours aussi impassible qu'une statue de musée, s'adoucit instantanément en la voyant.

— Mademoiselle Fox ! Vous avez passé une bonne soirée ? demande-t-il avec un sourire sincère, presque paternel.

Je hausse intérieurement un sourcil.
Depuis quand elle connaît le personnel au point qu'ils lui parlent comme à une gamine qu'on aurait envie de protéger ?
Et surtout... depuis quand Coleman sourit-il ?

À côté d'elle, moi, je me contente d'un bref "Bonsoir" rauque, beaucoup moins gracieux.
La question de Coleman me heurte de plein fouet.

A-t-on passé une bonne soirée ?

Je croise brièvement le regard d'Isabela, et je comprends qu'elle est aussi un peu troublée que moi par les événements de la nuit.
On se contente donc d'un échange de regards un peu fuyant avant de répondre à l'unisson, pas du tout convaincants :

— Oui, oui, ça va.

— Parfait, parfait, répond Coleman avec un hochement de tête chaleureux, visiblement ravi.

Il appuie sur le bouton automatique de la porte pour nous laisser entrer.
Pendant que nous traversons le hall, mon regard dérive vers Isabela.

Elle parle naturellement aux gens, sans minauder, sans posture fausse.
Elle n'est pas comme ces créatures plastifiées qui peuplent mes soirées d'affaires.
Elle est vraie.
Et c'est terrifiant.

On entre dans l'ascenseur. Les portes se referment dans un léger chuintement métallique, nous isolant du reste du monde.
Je sens son parfum quelque chose de doux, discret, qui ne vous saute pas à la gorge mais qui vous poursuit sans que vous sachiez pourquoi.

Elle appuie sur le bouton de notre étage, et pendant une seconde, on reste là, dans le silence.

— T'as assuré avec Coleman, je marmonne, le ton volontairement moqueur.

Elle me jette un regard en coin, amusé.

— Que veux-tu, je suis irrésistible, murmure-t-elle, faussement prétentieuse.

Un rire bref m'échappe. Sec, mais réel.

— Méfie-toi. T'es en train de te bâtir une réputation ici. Bientôt, tu deviendras une légende locale, "la fille qui fait sourire Coleman".

Elle éclate d'un rire léger, comme une bulle qui éclate dans l'air tendu de l'ascenseur.
Et moi, je reste là, la main dans la poche, le dos droit, luttant contre cette stupide sensation d'être... bien.

Comme si, malgré tout, malgré la mort que nous avons frôlée ce soir, malgré tout ce que je sais être vrai et sale dans ce monde,
cette fille parvenait encore à me faire croire que certaines choses sont... simples.

Et bordel, je déteste ça.

L'ascenseur grimpe lentement, dans ce silence suspendu que seul le bourdonnement discret du moteur vient troubler.
Isabela regarde ses chaussures, joue avec une boucle de ses cheveux, puis relève doucement les yeux vers moi.

— Merci pour la soirée, Rhys, dit-elle, un sourire sincère aux lèvres. Même si, bon... la fin était un peu... catastrophique.

Elle ponctue sa phrase d'un rire léger, comme pour chasser la tension de la nuit.

Je hoche la tête, un peu raide.

— Ouais. J'aurais préféré que ça se termine autrement.

— Mais... j'ai quand même passé un bon moment, insiste-t-elle doucement, comme si elle voulait s'assurer que je le sache.

Je tourne brièvement la tête vers elle.
Elle est là, droite, un peu fatiguée mais toujours lumineuse.
Et pour une raison que je ne m'explique pas, ses mots font quelque chose dans ma poitrine.

— Tant mieux, je marmonne, un peu plus sec que je ne le voudrais.

Elle laisse retomber sa tête contre la paroi de l'ascenseur dans un soupir faussement dramatique.

— Par contre... va falloir que je passe un petit coup d'arrosage...

Je fronce les sourcils, surpris par le changement de sujet.

— De l'arrosage ?

— Oui. J'ai un peu oublié... Victoria doit être en train de me faire la gueule.

Je hausse un sourcil.

— C'est qui, Victoria ?

Elle éclate de rire, celui qui me fait toujours l'effet d'un foutu rayon de soleil.

— Ma plante carnivore.

Je la fixe, incrédule.

— Attends. Après ton serpent, maintenant t'as une plante carnivore ?

Elle rit encore plus fort.

— Oui. J'adore les plantes... surtout les originales. Et Victoria est une Dionée, une attrape-mouches. Elle est très mignonne, je te jure !

Je secoue la tête, amusé malgré moi.

— Franchement, Fox... tu m'étonneras toujours.

Elle hausse les épaules, avec un air innocent qui ne trompe personne.

— C'est pour la biodiversité. Faut bien que quelqu'un s'en occupe.

L'ascenseur ralentit, puis s'ouvre sur notre étage.
Je l'accompagne jusqu'à sa porte, mes mains dans les poches pour ne pas faire quelque chose d'idiot... genre la retenir.

Elle sort sa carte, mais se retourne vers moi avant de l'utiliser.

— Merci encore, Rhys. Vraiment. C'était... spécial.

Elle hésite une seconde, un éclat de malice dans les yeux.

— Même si je n'ai pas encore décidé si tu étais un gentleman ou juste un type bizarre avec une fascination les cafés.

Je laisse échapper un rire bref, sec.

— Un peu des deux, sûrement.

On reste là, dans le couloir, un peu plus proches que nécessaire.
L'air est chargé de cette tension silencieuse, de cette possibilité suspendue dans l'espace entre nous.

Elle baisse les yeux, un sourire timide sur les lèvres, puis murmure :

— Bonne nuit, Rhys.

Je me penche légèrement vers elle, assez pour sentir son parfum, mais pas assez pour franchir la ligne.
Pas encore.

— Bonne nuit, Isabela.

Elle l'insère dans boîtier , me lance un dernier regard par-dessus son épaule... puis disparaît à l'intérieur, me laissant seul, avec juste le bruit du verrou qui claque et le vide qu'elle laisse derrière elle.

Je reste encore une seconde immobile, avant de secouer la tête et de retourner vers mon appartement.
Un sourire en coin naît sur mes lèvres malgré moi.

Victoria, hein ?
Sacrée Fox.

★★★

La porte se referme derrière moi dans un claquement sourd.
J'appuie mon front contre le bois froid pendant une seconde, avant de pousser un soupir exaspéré.
Ridicule. Complètement ridicule.

Je traverse mon loft plongé dans la pénombre, allume distraitement une lampe près du bureau.
L'heure tourne. Il est presque minuit passé, et pourtant... le sommeil est un concept aussi lointain que Mars.

Pas que ce soit une surprise.
J'ai toujours eu du mal à dormir.
Depuis l'enfance.
Depuis... la nuit où tout a basculé.

J'attrape machinalement la boîte de somnifères dans le tiroir.
Je la fais rouler entre mes doigts sans l'ouvrir.
Inutile.
Je pourrais en avaler une poignée que ça ne changerait rien ce soir.

Je ne suis pas agité à cause de l'insomnie habituelle.
Non.
C'est elle.
Isabela.

Son rire qui me hante encore les oreilles.
Son regard pétillant quand elle parlait de sa plante carnivore.
Son sourire timide devant sa porte.
La façon dont elle a prononcé mon prénom, comme une promesse, comme une foutue ancre à laquelle je n'avais jamais su m'accrocher.

Je grogne et repousse brutalement la boîte sur le bureau.

Pas question de passer la nuit à tourner en rond.
Je m'assois devant mon ordinateur, ouvre le dossier du projet qui devait être rendu dans trois jours.
Un contrat de sécurité pour une chaîne d'hôtels de luxe.

Normalement, rien qu'en lisant les premières lignes, je devrais plonger dedans, m'y noyer pour oublier.
Mais ce soir, les mots dansent sur l'écran, flous, sans consistance.

Mon cerveau refuse de coopérer.
Il ne voit qu'elle.

Isabela, en robe de soirée, sa main accrochée à mon bras.
Isabela, les yeux brillants devant un tableau.
Isabela, son parfum léger, sa chaleur contre moi dans l'ascenseur.

Je me passe une main sur le visage, grognant dans ma barbe.

— T'es foutu, Volkov.

Je tente de me convaincre que c'est rien.
Une soirée.
Un moment d'égarement.

Mais au fond de moi, je sais que c'est plus.
Que c'est dangereux.
Parce qu'elle n'est pas comme les autres.

Elle est... différente.
Réelle.
Et c'est peut-être ça le problème.

Je referme brutalement l'ordinateur, résigné.
Travailler est impossible.
Dormir aussi.

Alors je reste là, dans l'obscurité du salon, à fixer l'horizon invisible par la baie vitrée, avec pour seule compagne la silhouette fantôme d'Isabela gravée derrière mes paupières.

ISABELA

Quelques jours plus tard

Je suis debout derrière le comptoir, une tasse de café à moitié vide devant moi, en train de tenter de terminer quelques pages de mon livre. Il est encore tôt, personne n'est arrivé, sauf quelques habitués qui ne traînent jamais trop. Mais tout dans cet endroit me semble... calme. Trop calme. Comme si le monde se mouvait à une vitesse différente de la mienne.

Je repousse une mèche de cheveux derrière mon oreille, puis je lève les yeux vers la porte. Ce matin-là, je n'avais pas encore entendu les bruits familiers de ses pas. Pas que ça me rende nerveuse... Non, bien sûr. J'essaie de me convaincre que je n'ai pas le cœur qui fait un bond dès que je l'entends entrer. C'est absurde. Je le connais à peine. À peine.

Je souris en repensant à notre dernière rencontre. La soirée, les éclats de rires et ces moments suspendus où, sans vraiment y penser, j'avais été... bien. Détendue. Quelque chose d'inattendu, surtout avec un homme comme lui. Quelqu'un comme Rhys, qui est tellement... mystérieux et réservé. J'ai toujours eu du mal avec ce genre de personnes, mais lui... je n'arrive pas à expliquer ce que ça fait.

Et pourtant, c'est un peu ça. C'est... cette question qui m'envahit à chaque minute où il n'est pas là. Pourquoi ça me fait ça ? Pourquoi lui ? Pourquoi aujourd'hui ? Pourquoi suis-je ici, à attendre que l'un des hommes les plus puissants de la ville entre dans ce café pour discuter comme si c'était naturel ?

C'est sûrement ça, la raison. La véritable raison. Parce que je le connais à peine et que ça me perturbe. Ce qu'il fait, ce qu'il est. Je veux comprendre ce qui m'attire chez lui, ce qui le rend... différent. Un mélange de... défi et d'intérêt. Mais je n'arrive pas à en parler clairement. Je veux juste être là, à côté de lui, à voir où tout ça va me mener.

Un bruit de la porte me tire de mes pensées et je lève les yeux, le cœur accélérant de façon incontrôlable en le voyant entrer. Il y a cette allure, ce truc qui est à la fois intimidant et fascinant. Rhys Volkov, tout en contrôle, dans un monde où il n'y a que des règles qu'il suit — ou qu'il brise.

Je me ressaisis et, en un instant, je lui adresse un sourire amusé.

— « Bonjour, monsieur Ourson grognon. »

Il me regarde, l'air totalement incrédule, avant de lever un sourcil. Je le connais, je sais qu'il n'a pas l'habitude de ce genre de surnom, mais je trouve ça amusant. Après tout, il a un visage qui mérite un peu de légèreté. Il prend son cappuccino, l'observe un instant, puis le boit d'un air distant.

Je tends le petit koala en mousse, avec un peu de fierté. Si quelqu'un pouvait apprécier l'absurde dans tout ça, c'était bien lui.

Chaol, derrière le comptoir, essaie de retenir son rire.

— « Tu sais qu'un jour, il va vraiment grogner, genre façon grizzly. »

Je laisse échapper un petit rire. Rhys me lance un regard qui semble dire qu'il aimerait ne pas avoir à participer à ce genre de conversation, puis il se tourne pour partir. Mais avant de franchir la porte, il laisse un pourboire. Sur la serviette, il y a écrit :

— « Un ourson qui code des algorithmes. Original. »

Je souris en lisant ces mots, en me sentant un peu plus connectée à cet homme qui, jusqu'à ce jour, me semblait à la fois distant et inaccessibile. Je garde la serviette. C'est peut-être une banalité pour lui, mais pour moi, c'est un petit souvenir. Un de ces détails que je conserve comme un petit trésor.

Chaol, toujours en arrière, me lance un sourire complice. Il doit bien se douter que quelque chose se passe, mais il préfère ne rien dire.

— « Eh bien, il ne te laisse jamais sans réaction, hein ? »

Je hoche la tête sans rien répondre, me concentrant sur la serviette que je cache discrètement dans mon tiroir. Peut-être que c'est juste moi, mais il y a quelque chose en lui... quelque chose que je n'arrive pas encore à comprendre, mais qui me fait sourire à chaque fois qu'il quitte cet endroit.

Comment this paragraph

Comment

No comment yet