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Petitefleur707
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CHAPITRE XVI

RHYS

Le silence règne dans l'appartement. Un silence trop propre, aseptisé, presque clinique. Tout est à sa place, comme toujours : les dossiers bien empilés sur le bureau, les lumières encastrées diffusant une chaleur douce, presque artificielle. Le cuir du fauteuil craque à peine sous mon poids. Rien ne dépasse. Et pourtant, quelque chose cloche.

Je fixe la ville qui dort de l'autre côté des baies vitrées. Un verre de whisky foncé repose intact sur la table basse. Je n'y ai pas touché. Pas envie.

Le téléphone vibre contre le bois. Je décroche d'un geste lent.

— Volkov.

— C'est Delacroix. J'ai ce que tu voulais sur la mort du député.

Je me redresse à peine, attentif. Le bal caritatif avait été... étrange. Pas à cause de lui. À cause de l'ambiance. De cette impression que tout le monde jouait un rôle. Même ceux qui ne le savaient pas.

— Et alors ? Crise cardiaque ?

— C'est ce qu'ils ont noté dans le pré-rapport. Arrêt cardiaque soudain. Mais ça s'arrête là. Rien de clair, rien de net. Les artères sont dégagées. Pas de lésion. Le cœur est "propre".

Je fronce les sourcils, l'œil toujours rivé sur les immeubles illuminés.

— Et le reste ? Substances ? Médocs ? Alcool ?

— Rien. Pas de surdose. Rien de détectable. Il fumait, c'est tout ce qu'ils ont noté d'un peu notable. Un bon cigare avant de s'effondrer dans la salle de réception.

— Et les poumons ?

— Sains. Pas de trace de toxique inhalée. Mais voilà le truc : l'arrêt cardiaque est réel. Juste... sans cause visible. Ils pensent à un phénomène électrique. Peut-être génétique. Peut-être pas.

Il marque une pause.

— Honnêtement, ça pue l'intoxication subtile. Peut-être une plante. Un alcaloïde naturel. C'est rare, mais possible.

Je me fige.

— Mais vous n'avez rien trouvé.

— Pas encore. Les tests basiques ne montrent rien. Il faut faire une recherche ciblée, spectrométrie de masse ou chromatographie en phase gazeuse. Tu sais ce que ça implique.

— Et personne ne va vouloir lancer ça sur un mec comme lui sans preuve.

— Exactement. Trop de ramifications. Trop de gens qu'il a arrosés.

Je soupire, passe une main sur ma nuque. Une tension que je ne m'explique pas persiste, comme une note dissonante dans une mélodie trop bien orchestrée.

— Tu crois à l'empoisonnement ?

— J'en suis pas sûr. Mais je vais voir avec mon contact à la morgue. S'il peut lancer quelque chose discrètement, je te rappelle.

— Tu fais vite.

— Toujours.

Je raccroche. Le clic final résonne comme un point d'interrogation suspendu. Je reste immobile un instant. Mes pensées tentent de faire le lien, il n'y en a pas.

Je repose le téléphone, le regard fixe sur la ville. Les tours vitrées, les lueurs pâles, les ombres qui rampent dans les ruelles.

Je m'adosse au dossier du canapé, le cuir gémit sous mes épaules tendues.

La vérité, c'est que ce député n'était pas qu'un invité de gala.

Il faisait partie de ces fantômes qu'on préfère garder hors des lumières. L'un de nos investisseurs anonymes. Planqué derrière une société offshore chypriote, elle-même financée par une holding canadienne. Tout ça pour injecter de l'argent proprement dans AegisTech... et blanchir les siennes au passage.

On n'a jamais parlé directement. On passe tous par des intermédiaires. Mais sa disparition pourrait déclencher des vérifications. Réveiller des auditeurs. Éveiller la presse. Et surtout... faire peur aux autres. Ceux qui financent en silence pour mieux rester intouchables.

Je serre les mâchoires. Ce n'est pas juste une mort. C'est un trou dans la fondation. Un point faible.

Et le problème avec les points faibles, c'est qu'ils attirent les fauves.

Je repense à Isabela. À sa robe, à son rire un peu trop lumineux pour ce genre d'endroit. Elle détonnait. Comme une tache de lumière dans un monde trop bien poli.

Elle était allée aux toilettes, puis revenue quelques minutes plus tard, comme si de rien n'était. On ne s'est pas quittés de toute la soirée après ça. Elle a ri de mes remarques sèches. Elle a tenté de me faire danser, sans succès. Elle a bu une gorgée de vin, puis s'est contentée de m'observer.

Et maintenant, quand je repense à tout ça... je me dis qu'elle a eu la malchance de tomber sur ce genre d'accident. Par ma faute.

Parce que c'est moi qui l'ai traînée là-bas. Moi qui ai accepté de l'avoir à mon bras, pensant que ce serait simple. Un masque pour les photographes, une compagnie supportable pour quelques heures. Je n'avais pas prévu... ça.

Une mort.

Une ombre.

Et ce foutu malaise que je n'arrive pas à nommer.

Je rouvre mon téléphone, mais l'écran reste vide. Delacroix ne m'a pas rappelé. Pas encore. Le verre de whisky attend toujours. Intact.

Je tourne autour, comme autour d'un piège que j'aurais posé moi-même.

Ce député... ce n'était pas un homme net. Tout le monde le savait. Mais il fallait qu'il crève là, cette nuit-là, au milieu de tout le monde. Sous mes yeux. Sous les siens.

J'essaie de me convaincre qu'il n'y a aucun lien.

Qu'elle n'a rien vu.

Qu'elle va bien.

Mais une partie de moi, celle que je garde enterrée, sait que les choses ne tombent jamais vraiment du ciel. Il y a toujours des signes. Des erreurs. Des choix.

Et je déteste ne pas savoir lesquels sont les miens.

★★★

Le silence du salon est trop propre. Trop net. Même la lumière chaude des lampes, tamisée avec soin, m'agace ce soir.

J'attrape mon téléphone, compose le numéro de Ben. Il décroche au deuxième bip.

— Dis-moi que c'est pas pour me traîner à un brunch d'actionnaires, grogne-t-il.

— Ce n'est pas pour un brunch. C'est sérieux.

Un soupir à l'autre bout du fil. Il sent le whisky et la méfiance.

— Tu veux parler de Marchand, hein ? Le député qui a claqué au bal comme un amateur ?

— Exactement. Il faut qu'on voie Lyse. Rapidement.

— Pourquoi elle ?

— Parce qu'elle s'occupe de la structure offshore derrière Synergon Corp. Et que Synergon, c'était lui.

Un silence. Plus pesant.

— Tu penses que ça va remonter ?

— Je pense que c'est une possibilité. Et je ne prends pas ce genre de risque.

J'avance vers la baie vitrée. Dehors, la ville brille comme un mensonge bien emballé.

— Il faut qu'on s'assure que toutes les traces sont effacées. Que personne ne fasse le lien. Et si Lyse sait quelque chose que je ne sais pas, je veux l'entendre maintenant. Pas quand un procureur viendra sonner à la porte.

— Très bien. Je l'appelle. On se retrouve dans deux heures à Blackwell.

— Parfait.

Je raccroche. Mon reflet me fixe dans la vitre. Impeccable, sans faille. Froid.

Mais ce soir, je sens quelque chose bouger sous la surface.

Quelque chose de trouble. D'inattendu.

Et je déteste ça.

ISABELA

Le bar est petit, presque vide. Un jazz moelleux glisse entre les murs en briques. Les verres tintent doucement. Une lumière orangée fait briller le liquide ambré dans nos verres. Chaol parle beaucoup. Il a ce rire facile, ce charme un peu brouillon qui met les gens à l'aise.

Je l'écoute, je ris à ses anecdotes absurdes sur les clients du café, sur les vieilles dames accro à l'espresso ou les mecs qui viennent juste pour les muffins aux myrtilles.

— Et toi ? me demande-t-il en reposant son verre. C'est quoi ton histoire, Isa ?

Je lève un sourcil. Il rit.

— Non mais sérieusement. Tu débarques comme ça, tu vis dans l'immeuble le plus chic du quartier, tu bosses dans un café qui paie à peine le loyer, et t'as jamais vraiment raconté d'où tu viens.

Je prends une gorgée. Je sais ce que je vais dire. Je l'ai répété. Je l'ai rôdé. C'est devenu presque vrai, à force.

— Je viens d'un peu partout, je dis avec un sourire. Ma mère a déménagé souvent. Pas mal de villes. Pas de racines.

— Et ton père ?

Je hausse les épaules.

— Parti tôt. Pas grand-chose à raconter.

Un silence. Il me regarde, un peu désolé. Je déteste ce regard.

— Et maintenant ?

Je joue avec mon verre. Le liquide danse.

— Maintenant je cherche à me poser. Trouver ce que je veux vraiment faire. Peut-être écrire un livre. Peut-être juste... trouver une routine qui me plaît.

Il sourit.

— C'est déjà pas mal, comme plan.

Je hoche la tête.

— Et toi ? Tu veux rester coincé à faire des cœurs dans la mousse ou t'as un plan secret pour conquérir le monde ?

Il rit, et je ris avec lui. La conversation reprend, légère, fluide. Il me parle d'un groupe avec lequel il joue parfois. D'un road trip qu'il rêve de faire.

Puis, il se lève pour aller aux toilettes.

Je reste seule à la table. Mon sourire s'efface lentement. Je sors discrètement mon téléphone.

Un seul message.
Il est revenu. T'en est où ?

Je le lis. Une fois. Deux fois.
Puis je l'efface.

Je repose le téléphone, reprends mon verre. Quand Chaol revient, je souris à nouveau.

— J'ai commandé une autre tournée, je dis.

Il sourit.

Et moi, je redeviens cette fille lumineuse, douce, un peu perdue.

Je lève mon verre vers Chaol en plissant les yeux, un sourire en coin aux lèvres.

— Tu sais que t'es pas très discret, hein ?

Il arque un sourcil, faussement innocent.

— Moi ? Je suis le roi de la discrétion.

— T'as regardé Maël comme s'il était un latte bien mousseux avec du caramel dessus, mec.

Il éclate de rire, un peu gêné, et secoue la tête.

— T'exagères.

— Pas du tout. Tu fais cette tête de chiot amoureux chaque fois qu'il pose une main sur ton épaule. Et t'as même rougi quand il t'a offert le cookie en rab' hier.

— C'était un cookie au beurre de cacahuète. Personne résiste à ça.

— Mmmh... ou à lui, apparemment.

Je le vois lever les yeux au ciel, mais il ne nie rien. Ça, c'est la partie que je préfère. Il prend une gorgée de son cocktail, l'air nonchalant.

— T'es pas censée me soutenir, toi ? Être une bonne collègue et garder mes petits secrets ?

— Si, si. Et je le fais. Je les garde, je les protège... mais je les taquine un peu avant, c'est la clause cachée du contrat d'amitié.

Je me penche un peu, un brin conspiratrice :

— Tu veux mon avis ? Tu devrais lui demander de t'apprendre à faire ses fameux latte art. Il adore expliquer des trucs. Tu pourrais passer une demi-heure à le regarder manier la buse vapeur, tu serais au paradis.

Chaol secoue la tête, hilare.

— Tu me fatigues, Isa.

— Et pourtant, tu m'adores.

Il tente de prendre un air blasé, mais je vois bien le petit sourire qui traîne encore sur ses lèvres. C'est toujours comme ça entre nous. Taquineries, piques, faux sarcasmes qui cachent une vraie tendresse. Un terrain de jeu sans prise de tête. Et ce soir, ça fait du bien.

Il reprend, plus sérieux :

— Et toi alors ? Toujours pas de crush sur le proprio du café ? T'as pas remarqué ses bras ? Ou ses chemises retroussées ? C'est criminel de rester indifférente.

Je ris.

— Je suis pas indifférente. Je suis concentrée.

— Sur quoi ?

Je hausse les épaules.

— À garder mes secrets bien mieux que toi.

Il me fixe, amusé. Puis, doucement, il reprend son verre et me regarde par-dessus le bord, plus attentif, plus curieux.

— Tu fais ce bruit silencieux... comme quand l'orage gronde au loin.

Je m'arrête un instant, mon sourire se faisant plus fin. Cette phrase. Elle me perce un peu. Juste là, sous la cage thoracique.

— Je préfère les orages que je contrôle, je réponds.

Il m'observe un moment, sans rien dire. Et pour une seconde, je me demande s'il n'a pas vu un peu plus loin que je ne le voulais.

Mais il détourne les yeux, et tout redevient simple.

Je peux respirer à nouveau.

Je fais tourner mon verre entre mes doigts, puis, d'un ton plus léger :

— Alors... ce fameux rencard avec Maël ? Tu comptes me faire le récit ou tu veux que je l'interroge directement en salle demain matin ?

Il cligne des yeux, surpris, avant d'éclater de rire.

— Wow. Changement de sujet digne d'un pro. Tu devrais bosser pour les services secrets.

— Peut-être que c'est déjà le cas, je réplique en haussant un sourcil.

Il sourit, secoue la tête, puis se cale un peu mieux dans son fauteuil.

Il repose son verre et croise les bras, faussement sérieux.

— Bon. Tu veux la version censurée ou le rapport complet ?

— Oh, rapport complet. Et n'oublie aucun détail gênant, sinon je me plains au comité des collègues curieux.

Il sourit, puis regarde un instant son verre avant de reprendre.

— On est allés dans ce petit bar à vin, pas loin du vieux port. Un endroit calme, assez classe, mais sans chichi. Il a aimé le lieu. Il a parlé de ses parents, de comment il a racheté le café après la mort de son oncle. Et puis...

Il marque une pause, le sourire un peu plus doux.

— Et puis on a parlé de trucs qu'on dit pas souvent. De pourquoi il garde toujours une distance avec les gens. De son envie de partir parfois, mais de ne jamais vraiment réussir.

Je l'écoute en silence. Ce genre de confidences, venant de Maël, ça veut dire quelque chose. Je le sais. Chaol aussi, visiblement.

— Et après ? je demande doucement.

Il hausse les épaules, mais ses yeux brillent un peu.

— On a marché. On n'avait pas vraiment envie de rentrer. Alors on a longé les quais, puis remonté vers le vieux théâtre. Il m'a montré une maison qu'il rêve de rénover. Il a dit qu'il s'imagine y vivre un jour. J'ai dit que ça lui irait bien. Et... il m'a souri.

Un silence s'installe. Léger, mais chargé.

— T'as pas tenté de l'embrasser ? je souffle avec un demi-sourire.

Il éclate de rire.

— Non. Trop tôt. Trop... vrai, peut-être. J'avais pas envie de gâcher.

Je le regarde un instant, un peu attendrie.

— T'as l'air heureux.

— Je sais pas encore. Mais j'ai eu un bout de paix, cette nuit-là. Et ça... ça fait du bien.

Je lève mon verre, doucement.

— À cette paix-là, alors.

— Et à toi, mystérieuse coloc de secrets.

Nos verres s'entrechoquent doucement, et pour un instant, tout est suspendu.

Mais au fond de ma poche, mon téléphone vibre une seconde.

Je l'ignore.

Je souris.

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