ISABELA
Mission du jour : aujourd'hui, je commence au « Café du Rêve », mon nouveau lieu de travail. Maël, mon supérieur, est en train de m'expliquer les différentes tâches que je devrai accomplir tout au long de mon service.
— C'est bon, Maël. Je crois que ça va le faire.
— OK. N'hésite pas, d'accord ? Aujourd'hui, tu t'occupes de la caisse et des commandes avec Chaol, dit-il en désignant l'intéressé du doigt. Les cornets de crème glacée sont en vitrine, ajoute le brun avec un grand sourire.
— Bien ! réponds-je avec enthousiasme.
L'endroit est plutôt chaleureux. À l'intérieur, les murs sont ornés de peintures modernes qui ajoutent une touche artistique à l'atmosphère. Les tables en bois foncé sont joliment dressées, et des lumières tamisées créent une ambiance accueillante.
L'odeur du café torréfié se mélange à celle des pâtisseries maison jusqu'à mes narines, rendant l'endroit encore plus attrayant.
L'endroit est tout simplement sublime.
Et le meilleur dans tout ça ? Les pourboires !
J'hoche la tête, déterminée, et me dirige d'un pas ferme, la tête haute, jusqu'au comptoir. Maël me lance un grand sourire et se dirige vers la vitrine pour retourner la pancarte.
Je tourne la tête vers mon collègue et le salue. Il me répond d'un geste de la tête et me fait une place à ses côtés.
— Salut, moi c'est Chaol, me salue-t-il d'une voix grave.
— Enchantée, Isabela, dis-je en acceptant sa poignée de main.
— Tu stresses ?
— Un peu à vrai dire, mais ce n'est pas la première fois que je travaille dans ce genre d'endroit, donc ça va aller...
Chaol est un beau jeune homme. Il n'est pas mon genre de mec, mais je ne peux pas nier qu'il est plutôt attirant physiquement : grand, tatoué, musclé, cheveux noirs corbeau et yeux cristallins... Il est clair qu'il doit faire tourner des têtes.
Je reprends mes esprits à l'arrivée des premiers clients, et nous nous activons immédiatement.
Les heures passent, et j'apprends à mieux connaître mon nouveau coéquipier. Je découvre que nous avons pas mal de points communs. Chaol habite ici depuis toujours et est guitariste dans un groupe de musique. Il est aussi tatoueur le week-end dans un petit salon, ce qui explique sans doute les nombreux symboles complexes qui recouvrent sa peau.
Nous papotons dès que nous en avons l'occasion, et le temps passe plus vite grâce à ça.
Quand l'aiguille de l'horloge atteint sa destination, il est temps pour moi de ranger mon tablier et de rentrer chez moi. Je salue Maël, qui s'occupe de la fermeture, et accompagne Chaol jusqu'à la sortie.
— Alors, pas trop dur comme première journée ?
— Franchement, je m'attendais à pire... Et je te fais remarquer que je n'ai rien cassé ! dis-je, triomphante.
— Oh, quel miracle miraculeux, ma chère Isabela, glousse-t-il.
— Ahahaha... moque-toi ! Non, sérieusement, la journée s'est bien passée, et les clients étaient adorables.
— Vraiment ? Même la grand-mère qui a mis une demi-heure à passer sa commande ?
— Bon, d'accord... La journée s'est presque bien passée. Non, sérieux, je ne comprends pas comment on peut mettre autant de temps...
— T'inquiète, chérie, tu t'y habitueras, se moque-t-il en pouffant.
★★★
J'ai quitté Chaol au métro et me voici sur le chemin du retour. Je suis complètement lessivée, mais je n'ai qu'une hâte : rentrer chez moi et commencer mon nouveau chapitre.
Je sors mon portable de la poche de mon jean et commence à faire défiler mes mails.
Je marche d'un pas lent, intentionnellement, un pied après l'autre.
Alors que j'approche de l'immeuble, un sourire se dessine instinctivement sur mon visage. Malgré la fatigue qui alourdit mes épaules, je me sens bien. Une première journée réussie, un collègue sympa, et maintenant, il ne me reste plus qu'à rentrer et me plonger dans mon nouveau chapitre.
En franchissant les portes vitrées, mon regard tombe sur Monsieur Coleman, notre portier. Cela ne fait que trois jours que je suis ici mais je suis déjà devenu meilleur ami avec lui!
— Bonsoiiiir, Monsieur Coleman! lancé-je avec entrain en m'approchant.
Il relève les yeux, un sourire chaleureux aux lèvres.
— Ah, Mademoiselle Fox ! Alors, cette première journée ?
Je me rapproche un grand sourire, comme une gamine prête à raconter un potin.
— Géniale ! J'ai survécu à la machine à café, personne ne m'a lancé de muffin à la tête, et en prime, j'ai rencontré un collègue super cool. Bref, mission réussie !
Il laisse échapper un petit rire.
— Voilà qui me semble être une belle victoire.
J'acquiesce d'un air solennel avant de plisser les yeux, faussement suspicieuse.
— Et vous, alors ? Rien de bien trépidant aujourd'hui ?
Il secoue la tête en soupirant.
— Oh, vous savez... Monsieur Brown s'est encore plaint des pigeons, et Madame Smith a perdu ses clés.
J'ouvre grand les yeux, horrifiée.
— Encore ?! Il va falloir que je lance une pétition anti-pigeon dans cet immeuble, ils sont devenus une véritable menace pour la tranquillité publique !
Monsieur Coleman éclate de rire, et moi avec.
— Vous apportez une belle énergie ici, Mademoiselle Fox.
Je bats des cils d'un air faussement modeste.
— Et je compte bien continuer !
Je me redresse et lui adresse un dernier sourire.
— Bon, je file, ma précieuse couette m'attend avec impatience. Passez une belle soirée, Monsieur Coleman !
— Bonne soirée Mademoiselle Fox.
D'un geste enjoué, il m'ouvre la porte et je lui fais un petit signe avant de me diriger vers la cage d'ascenseur (qui ne boude plus), le cœur léger et le sourire toujours vissé aux lèvres.
RHYS
La porte se referme derrière moi sur un léger « clic ».
Je traverse la pièce d'une allure lente, observant ou Ben s'est installé confortablement une cigarette à la main, dans mon salon ,recraché une fumée épaisse.
Un muscle pulse dans ma mâchoire. Si nous n'étions pas unis par les liens du sang, et s'il ne mettait pas tant utile, sa tête serait déjà éclatée sur la table du comptoir près de l'îlot.
Il écrase sa cigarette dans le cendrier avec une lenteur exaspérante, levant à peine les yeux vers moi.
— T'en as mis du temps, lâche-t-il avec ce foutu sourire en coin.
Je l'ignore et m'appuie contre le comptoir, bras croisés.
— Je suppose que ce n'est pas juste pour le plaisir de me voir. Parle.
Ben soupire et secoue la tête avant de me jeter un regard plus sérieux.
— On a un problème. Une de nos cargaisons a disparu.
Un silence pesant s'installe. Je le fixe, attendant qu'il continue.
— Le type qui s'occupait du transport ? Mort. Une balle dans la tête, style exécution. Et nos jolies petites caisses de marchandises ? Évaporées.
Mon dos se tend. La fatigue du matin, la réunion inutile, tout ça disparaît d'un coup sous une vague de colère froide.
— Tu te fous de moi ?
— J'aimerais bien, cousin. Mais non. Et le plus beau, c'est que nos amis de tu sais où, étaient curieusement proches du lieu de la livraison.
Ces connards nous bouffaient déjà des clients, et maintenant ils auraient le culot de nous voler directement ?
— Tu as des preuves ?
— Pas encore. Mais j'ai un type qui dit avoir vu des visages familiers rôder près de l'entrepôt.
Je serre les dents. Si c'est eux, ça veut dire qu'ils ne se contentent plus de la compétition honnête. Ils veulent la guerre.
— On va récupérer ce qui est à nous, dis-je d'un ton glacial.
Ben sourit, amusé.
— C'est exactement ce que j'espérais entendre.
★★★
Je raccompagne mon cousin jusqu'à l'ascenseur, et nous nous serrons la main.
— T'inquiète pas, on est sur le coup, cousin.
J'hoche la tête, un geste sec mais poli.
— Il y a intérêt...
Ben s'apprête à se retourner quand un grondement métallique annonce l'ouverture des portes. Une silhouette familière apparaît.
Isabela Fox.
Elle a emménagé ce week-end, juste à côté de chez moi. Évidemment, j'ai voulu en savoir plus rien de personnel, (comme tout le reste des résidents). Mais après plusieurs recherches, toujours rien. Rien sur sa famille, sa vie amoureuse, ses amis. Pas la moindre information sur ce qui l'a amenée ici ou sur un éventuel travail en ville. En y regardant de plus près, cette fille n'a rien à voir avec les autres résidents de l'immeuble. Elle a l'air... ordinaire. Vu sa manière de s'habiller et de parler, difficile de l'imaginer issue d'un milieu aisé. Pourtant, elle vit ici, alors soit je me trompe, soit elle a trouvé un moyen de se payer ce loyer hors de prix.
Un véritable mystère.
Et ça m'agace. Parce que d'habitude, rien ne m'échappe. Internet conserve tout, même ce qu'on tente de faire disparaître. Pourtant, dans son cas... le néant.
— Mademoiselle Fox, dis-je en inclinant légèrement la tête.
Elle relève les yeux et m'offre un large sourire.
— Monsieur Volkov, me salue-t-elle.
Elle sort de l'ascenseur avec une aisance agaçante et repère aussitôt Ben. Bien sûr, ce crétin ne manque pas l'occasion de lui adresser un sourire charmeur.
— Oh, bonsoir, monsieur, dit-elle poliment.
— Enchantée, mademoiselle.
Ben me jette un regard furtif avant de se recentrer sur elle, totalement absorbé.
— Je ne savais pas que Rhys connaissait une aussi belle femme que vous.
Je serre les dents tandis qu'Isabela vire instantanément au cramoisi.
— En fait, on ne se connaît pas vraiment... tente-t-elle de se justifier.
Elle n'a même pas le temps de finir que Ben attrape sa main et y dépose un baiser, jouant au parfait gentleman.
— Moi, c'est Morozov, mais tu peux m'appeler Ben, roucoule-t-il comme un imbécile.
J'ai un millier de façons de lui faire ravaler son sourire. Et croyez-moi, je suis tenté.
— En... Enchantée, balbutie Isabela, visiblement mal à l'aise.
Mais Ben, fidèle à lui-même, ne s'arrête pas là.
— Dites-moi, Mademoiselle Fox...
— Vous pouvez m'appeler Isabela, corrige-t-elle rapidement.
— Un magnifique prénom. Et bien, Isabela, comment une femme comme vous a-t-elle rencontré cette brute épaisse ?
Il accompagne sa moquerie d'un geste en direction de mon visage.
— Eh bien... Je...
— C'est une longue histoire, et je suis certain que tu as mieux à faire, Ben, dis-je en insistant sur son prénom.
Il est plus que temps de mettre fin à cette mascarade. Cet abruti a assez traîné.
Ben se dirige vers la cage de métal de l'ascenseur, jetant un dernier regard sur Isabela avec un sourire satisfait.
— À bientôt, peut-être, dit-il d'une voix mielleuse, accompagné d'un clin d'œil particulièrement insupportable.
Puis il disparaît derrière les portes de l'ascenseur, laissant le couloir se refermer derrière lui, laissant une étrange tension dans l'air.
Isabela reste figée un instant, visiblement déstabilisée par la scène. De mon côté, je la fixe, l'agacement encore palpable.
— Eu... je...
Elle hésite, cherche ses mots.
— Désolé pour ça... Mon cousin est... spécial, soufflé-je, plus pour moi-même que pour elle.
— Oh, ne t'inquiète pas, je l'ai trouvé plutôt drôle.
Drôle. Évidemment. Mes mâchoires se crispent et mes poings se serrent. Ben a toujours ce talent pour s'attirer la sympathie des autres, même quand il se comporte comme un imbécile.
Un silence s'installe. Trop long. Trop pesant.
— Bonne journée ? demandai-je, sans vraiment savoir pourquoi.
Elle réfléchit une seconde avant de répondre :
— Hmm, je dirais que pour une première journée au boulot, oui, ça s'est bien passé.
Un boulot. Ici. Je devrais lui demander lequel. Creuser un peu. C'est ce que je fais d'habitude. Mais je ne pose pas la question.
— Bien.
Elle hoche légèrement la tête, hésite, puis tortille nerveusement la lanière de son sac. Comme si elle voulait dire quelque chose. Poser une question.
Je la fixe. Trop longtemps.
Je devrais détourner les yeux.
Au lieu de ça, une autre pensée s'impose. Une pensée que je n'ai pas invitée. Une pensée que je refuse.
J'ai envie de la toucher.
Ça suffit.
— Bonne soirée Mademoiselle Fox.
Je me détourne et marche vers ma porte. Coupure nette. Fin de la conversation. Retour à la normale.
Puis sa voix me rattrape, claire, insistante.
— Isabela ! Pas Fox. Tu peux m'appeler Isabela, répète-t-elle avec un grand sourire.
Isabela.
Je marque un temps d'arrêt. Juste une seconde.
— Bien. Bonne soirée, Isabela.
Je referme la porte derrière moi, mais quelque chose ne s'est pas refermé avec.