ISABELA
La musique vibrait jusque dans mes os, qui faisait battre le sol sous mes pieds. Les lumières pulsaient en rythme, bleues, violet, puis noires, comme un cœur qui hésite. La foule ondulait autour de moi, silhouettes floues et désinhibées, mais moi, je n'arrivais à voir que lui.
Rhys.
Il ne dansait pas vraiment. Pas comme les autres. Il était là, immobile d'abord, dans cet espace que la foule semblait respecter comme par instinct. Son regard était ancré au mien, comme une promesse ou un défi. Je n'avais pas bu assez pour ignorer l'impact de ce regard-là. Pas assez pour ne pas sentir mon ventre se contracter quand il s'avança.
Il ne dit rien. Il n'avait pas besoin. Sa main trouva ma taille avec une aisance presque arrogante, comme si elle y appartenait. Et je le laissai faire.
Je bougeai en premier. Lentement, au rythme du beat, mes hanches cherchant les siennes, mon souffle légèrement court. Il suivit. Ou plutôt, il guida sans me brusquer, sans prétention. Il dansait comme il marchait, comme il parlait : avec une maîtrise tranquille, une intensité silencieuse.
Nos corps n'étaient pas collés, pas encore. Il y avait juste assez d'espace pour qu'on sente la tension, le magnétisme. Sa main glissa un peu plus bas, frôlant le creux de mes reins. Je levai les yeux vers lui, prête à rire, à le provoquer. Mais il me regardait comme si rien d'autre n'existait. Comme si j'étais sa seule distraction dans cet univers de néons et de sueur.
Et là, j'oubliai que c'était Rhys Volkov, le type froid, cynique et toujours sur la réserve.
Là, il n'y avait que ses doigts sur moi, son regard planté dans le mien, et cette danse qui n'avait plus rien d'innocent.
— Tu ne danses jamais? murmurais-je en me penchant vers lui, assez proche pour qu'il m'entende malgré la musique.
Il eut un petit rictus, à peine visible, mais je le sentis plus que je ne le vis.
— Et toi, tu parles toujours autant ?
Sa voix, grave, me traversa la peau comme une décharge douce. J'aurais pu rire, mais il y avait quelque chose de trop sérieux dans la façon dont ses doigts restaient sur moi. Comme s'il pesait chaque geste, chaque mot.
— T'as pas l'air dans ton élément , lançai-je, pour le provoquer, juste un peu.
Il haussa un sourcil, pencha légèrement la tête. Son visage était tout près maintenant. Ses yeux brillaient, entre amusement et danger.
— C'est toi qui m'as traîné ici, Fox. Tu comptes m'en vouloir de t'avoir suivie ?
Je sentis ma gorge se nouer. Je voulais répondre. Vraiment. Mais son souffle effleurait maintenant ma joue, et le monde autour sembla ralentir. Plus de musique. Plus de lumière. Juste lui. Moi. Et cet espace minuscule entre nos lèvres.
Il ne bougeait plus. Et moi non plus. Ses doigts s'étaient resserrés sur ma taille, légèrement. Juste assez pour me faire comprendre qu'il y pensait aussi. Qu'il pouvait. Qu'il voulait peut-être.
Mon cœur battait trop fort. J'aurais pu l'embrasser. Juste tendre un peu plus les lèvres. Fermer les yeux.
Mais il ne fit rien. Il resta là, à une respiration de moi. Assez proche pour me brûler, assez loin pour me frustrer.
— Tu joues à quoi ? soufflai-je, incapable de cacher le trouble dans ma voix.
Un silence. Un sourire en coin. Et cette réponse, typiquement Rhys :
— À rien du tout. Je ne joue jamais.
Puis il recula d'un pas. Un seul. Comme si de rien n'était. Et mon corps, privé de sa chaleur, ressentit aussitôt le manque.
Je restai figée, incapable de le suivre.
Il venait de me voler un baiser... en ne le prenant pas.
RHYS
J'ai failli l'embrasser.
Putain de merde.
Sur cette foutue piste de danse, avec ces lumières de boîte débiles, cette musique trop forte et cette chaleur insupportable... j'ai failli l'embrasser.
J'avais sa peau sous mes doigts. Son regard planté dans le mien. Ses lèvres à portée.
Et j'ai reculé.
Je me suis freiné. Rétabli. Comme un con.
Elle bougeait contre moi avec cette légèreté inconsciente qui me rend dingue. Elle me regardait comme si j'étais autre chose qu'un connard en costard. Comme si elle voyait... je sais pas. Moi
Et bordel, j'avais tellement envie d'elle.
De la toucher pour de vrai. De la sentir contre moi, sans musique, sans foule.
De savoir son goût. La douceur de sa bouche. Le bruit qu'elle fait quand on la fait frissonner.
Mais j'ai rien fait.
Je suis parti comme un lâche. Non. Pas un lâche, un homme qui sait trop bien ce que ça lui coûterait s'il cédait.
Parce que si je commence... je ne sais pas si je pourrais m'arrêter.
Et elle mérite mieux qu'un type comme moi, qui ne sait rien donner sans tout foutre en l'air après
★★★
Je tourne en rond comme un lion en cage.
J'ai retiré ma veste, défait ma chemise jusqu'au deuxième bouton. J'ai ouvert la baie vitrée pour respirer, comme si l'air de la ville allait calmer ce bordel dans ma tête. Spoiler : non.
Je suis censé dormir. Me foutre la soirée derrière la tête, comme je le fais toujours. Froid. Contrôlé.
Mais non. Je pense à elle. Encore.
À ses cheveux. À ses yeux. À cette putain de robe violette qui m'a fait bander des que je l'ai vue sur elle. À cette façon qu'elle a de me regarder, comme si je n'étais pas aussi compliqué, pas aussi foutu que je le suis.
Et merde. J'en ai marre.
Je prends mon téléphone. Hésite. L'écran me renvoie mon reflet : cernes, mâchoire crispée, air d'un type qui ne sait plus très bien ce qu'il fout.
Je tape. Efface. Recommence. Puis j'envoie.
[Rhys]:
Merci pour ce soir. C'était... moins pire que ce que j'avais imaginé.
Il vibre plus vite que prévu.
[Isabela]:
Wow. De toi, je suppose que c'est l'équivalent d'un « J'ai passé une super soirée » ?
Je soupire. Elle me connaît déjà trop bien.
[Rhys]:
Ne t'emballe pas. Tu es juste la première personne à me traîner dans une boîte sans que je finisse par envisager l'exil fiscal.
[Isabela]:
Je le prends comme un compliment. Même si tu danses comme un agent secret en mission de reconnaissance.
Je souris malgré moi. Elle est insolente. Adorablement insolente.
[Rhys]
Je note. Prochaine mission : te prouver que je sais aussi danser sans objectif stratégique.
Elle met plus de temps à répondre cette fois. Je me dis que j'ai peut-être été trop direct. Mais le message arrive enfin.
[Isabela]:
Hâte de voir ça, Monsieur Volkov. Mais je préviens : si tu m'écrases les pieds, je te fais virer de ta propre entreprise.
Je ris. Un vrai rire, rare, presque douloureux.
Elle ne le saura pas, mais ce genre de message... j'en avais besoin plus que je ne veux l'admettre.
Je regarde l'écran encore un instant, avant de le verrouiller doucement.
Et pour la première fois depuis longtemps, je vais peut-être réussir à dormir avec un sourire.
ISABELA
-Et voilà, je t'ai tout raconté. Je souffle d'un air dramatique à Red.
-T'y crois ça? Franchement il abuse dis-je en boudent.
Est-ce que je suis vraiment en train de raconter mon presque-date à mon pythons de compagnie?
Peut-être bien que oui.
Je me roule sur le ventre et saisis mon portable sur ma table de chevet. Il est actuellement 3h18 du matin, mais je tenais particulièrement à raconter ma soirée à ma princesse.
Red me fixe depuis son terrarium, sa tête légèrement inclinée comme si elle comprenait tout. Et peut-être qu'elle comprend, à sa manière. Elle ne parle pas, elle ne juge pas. Elle écoute avec ses yeux de marbre, et c'est parfois tout ce dont j'ai besoin.
— Il m'a regardée, Red. Vraiment regardée. Comme si j'étais pas juste... une distraction. Ou une voisine envahissante.
Elle ne bouge pas. Elle reste là, immobile, mais sa présence suffit.
— Et moi, évidemment, j'ai fait genre que j'étais cool. Que j'étais pas en train de fondre comme une idiote. Mais à l'intérieur ? Je hurlais. Littéralement.
Un silence, doux. Le genre qui fait du bien.
Je laisse tomber ma tête dans mon oreiller et murmure presque pour moi-même :
— C'est dangereux, pas vrai ? Ce genre de mec. Celui qui ne promet rien, mais qui arrive à te faire espérer quand même.
Je ferme les yeux. J'ai encore son regard imprimé dans le crâne. Son parfum, quelque part sur ma robe. Et cette absence de baiser qui me brûle plus qu'un vrai.
Je tends la main vers Red, effleure doucement la vitre.
— Si je me fais mal... tu seras là pour me juger, hein ?
Évidemment, aucune réponse. Mais quelque part, je crois qu'elle le sera quand même.
Je pousse un soupir long, fatigué.
Demain, il faudra redevenir sérieuse. Faire semblant que tout ça ne m'a pas retournée.
Je reste là, immobile, le visage dans l'oreiller, le cœur trop plein pour dormir et le corps trop fatigué pour bouger.
Dehors, la ville murmure encore. Quelques klaxons, des rires lointains, une sirène quelque part. Même à cette heure, elle ne dort jamais vraiment. Comme moi.
Je me redresse un peu, les draps froissés autour de moi, et j'observe les ombres danser sur les murs, découpées par les réverbères. Tout semble plus vrai la nuit. Ou peut-être plus fragile.
Je pense à ses mains. À ses silences. À sa retenue qui m'a serré plus fort que n'importe quelle étreinte.
Il aurait pu m'embrasser. Il ne l'a pas fait.
Et c'est peut-être ça qui me bouleverse le plus.
Parce que Rhys Volkov, ce n'est pas juste un mec séduisant en costard. C'est un paradoxe ambulant. Un mystère avec des yeux trop lucides. Il est ce genre de personne qu'on croit détester au début... avant de se rendre compte qu'il vous hante la nuit, même sans avoir touché votre peau.
Je devrais avoir peur. Ou au moins être prudente.
Mais tout ce que je ressens, c'est cette chaleur sourde, ce besoin irrationnel de le revoir. De comprendre ce qu'il fuit. Ce qu'il cache. Et pourquoi il me laisse l'approcher, moi.
Je passe une main sur mon ventre, comme pour calmer ce feu qui n'a rien de physique. C'est pire. C'est ce genre d'envie qui commence dans le cœur, s'infiltre dans les pensées et transforme chaque respiration en manque.
Red s'est lovée au fond de son coin chaud, ses écailles immobiles sous la lumière tamisée. Elle dort, elle. Ou du moins, elle m'ignore royalement.
Je souris, les yeux embués de fatigue.
— Bonne nuit, ma belle. Garde mes secrets, d'accord ?
Et dans le silence complice de la nuit, je m'endors enfin. Avec Rhys dans la tête. Et un presque-baiser sur les lèvres.