ISABELA
FLASHBACK
La vie.
C'est étrange vous ne trouvez pas? Comment on façonne un être.. une nouvelle âme naît. C'est magnifique, fascinant Pourtant, comment se fait-il qu'une chose si ingénieuse puisse se briser si vite? Il suffit d'un souffle, une simple seconde, d'un geste, quelle qu'elle soit, et tout peut s'éteindre, qu'importe sa taille, sa
force ou encore sa place dans la chaîne alimentaire.
L'une des plus grandes questions de ce monde que je me suis posée est: Qu'est-ce qui nous accueille après la mort? Que se passe-t-il pour nous, être de chair, une fois que tout naus à quitté ?
Certains disent qu'on devient des anges, qu'on monte au ciel.
D'autres pensent qu'on devient des fleurs, ou qu'on dort pour toujours. Et puis certains disent qu'on se décompose. Que le corps retourne à la tente.
Moi... j'aime bien l'idée qu'on deviennent des fleurs.
Si je devais en devenir une, j'aimerais être un lys. On m'a dit que c'est près d'un bouquet de lys qu'on m'a retrouvé bébé.
Et puis, le lys...
Çveut dire beaucoup de choses, je crois. Il paraît que c'est la fleur de la pureté, et parfois... du retour à la paix. C'est peut-être pour ça que je les aime. Parce qu'elles sont silencieuses, mais qu'elles racontent des histoires sans avoir besoin de parler.
Je me demande si mes parents aimaient les lys.
Peut-être que ma maman en mettait dans un vase, juste à côté de son lit. Ou peut-être qu'elle m'a laissée là exprès, près de cette fleur, pour que je sois entourée de douceur.
Je ne sais pas.
La nature m'a toujours fascinée. Particulièrement les fleurs. Même celles qu'on dit mauvaises, même celle qui piquent. J'ai un petit livre, je l'ai caché sous mon matelas, et dedans, je glisse des petites fleurs séchées entre les pages. Je les cueille quand personne ne regarde.
Comme ça, elles restent avec moi, même quand elles fanent.
Là, en ce moment, je suis assise sur le bord de la fenêtre, les genoux repliés contre mon menton. Il fait un peu frais, mais je m'en fiche. Devant moi, une fleur a poussé dans un pot fissuré, et dessus... il y a une mante religieuse. Je la regarde depuis longtemps. Elle est toute fine, toute verte. On dirait une fée en prière.
Elle bouge à peine, comme si elle réfléchissait.
Je la trouve fascinante.
Elle a l'air calme, comme si elle savait des choses que moi je ne saurais jamais. Je pense que si elle pouvait parler, elle me dirait un secret. Un vrai.
Peut-être même celui de la vie. Ou de la mort.
Mais elle ne dit rien. Elle reste juste là, tranquille sur sa petite tige.
-Isabela?
La voix de Madame Thérèse résonne doucement depuis le couloir.
-C'est bientôt l'heure de la classe, ma chérie.
Je jette un dernier regard à la mante religieuse. Elle ne bouge toujours pas, elle est comme figée dans le temps.
-Au revoir, petite dame, je murmure en me relevant,à tout à l'heure. peut-être.
Je referme doucement la fenêtre, comme on referme un livre qu'on aime trop pour finir d'un coup.
PRÉSENT
Je me laisse bercer par la musique qui se glisse dans mes oreilles. Mes gestes sont lents, presque cérémonieux, alors que je change l'eau de Victoria (ma Dionaea muscipula). Concentrée, je fais attention à ne pas abîmer ses délicates mâchoires vertes, fascinées par leur mécanisme silencieux.
Perdue dans mes pensées, je reste un moment immobile, fixant l'eau claire comme si elle allait me souffler des réponses que je n'ose formuler à voix haute.
Un léger mouvement dans mon dos me rappelle que j'ai une autre responsabilité.
Je retire mes écouteurs et me dirige vers le grand terrarium, où Red m'attend tranquillement, lové sous sa lampe chauffante.
Avec douceur, je prépare son repas, un sourire attendri aux lèvres.
Red lève la tête d'un mouvement paresseux, ses yeux rouges étincelant sous la lumière chaude.
Je dépose délicatement la proie dans son espace, puis je m'accroupis devant le terrarium, le menton appuyé sur mes bras croisés, à l'observer.
Red n'est jamais pressé. Elle avance lentement, ondulant comme un courant tranquille, puis capture son repas d'un mouvement si précis qu'on pourrait presque le manquer.
Je trouve quelque chose de rassurant dans sa patience.
Red ne se précipite jamais. Elle attend son moment. Elle fait ce qu'elle doit faire, sans se soucier du reste.
Parfois, j'aimerais être un peu plus comme elle.
Être capable d'écouter le silence. D'écouter mes propres instincts sans laisser la peur ou le doute me dévorer de l'intérieur.
Je reste là un moment, le regard perdu entre les reflets du verre et les arabesques de son corps clair.
Mon appartement est silencieux, bercé uniquement par la musique douce qui s'échappe encore de mes écouteurs posés à côté de moi.
Ici, entourée de mes plantes, de mes créatures étranges, je me sens... à ma place.
Pas tout à fait normale, pas tout à fait sauvage.
Un peu entre les deux.
Comme un lys poussé dans une fissure.
Comme une mante religieuse posée sur une tige, oubliée du monde.
Je me relève doucement et fais le tour de la pièce, vérifiant l'état de mes plantes, rangeant un livre qui traînait, ajustant un coussin.
Des gestes simples. Des gestes qui, parfois, tiennent le monde debout.
Mon regard glisse vers la fenêtre.
Dehors, le soir commence à tomber.
Je murmure, presque sans m'en rendre compte :
— Peut-être qu'on est tous un peu comme Red, finalement... En attente d'un moment où tout aura enfin un sens.
Je souris à ma propre pensée, secoue légèrement la tête, et retourne vers mon bureau.
Mon carnet m'attend, ouvert à une page blanche.
Il est temps d'écrire.
★★★
Je m'assois à mon bureau, allume mon ordinateur, et ouvre une nouvelle page. Mes doigts flottent au-dessus du clavier, hésitants, comme s'ils attendaient l'inspiration divine pour se poser dessus.
Mais... rien.
Pas un mot, pas une idée. Je laisse défiler les pensées dans ma tête, mais elles semblent toutes aussi fuyantes qu'une ombre.
Mon esprit ne part ABSOLUMENT PAS sur un homme sexy, russe, milliardaire et aigri.
Bien sûr que non. Non, non, non.
Mais bien sûr qu'il occupe toutes mes pensées, cet idiot. Et ce, malgré moi.
Je me mords la lèvre, un soupir échappé entre mes dents.
Là, au fond de ma tête, je revois cette soirée, ses yeux perçants, son sarcasme, sa manière de... me regarder.
Je suis presque certaine qu'il allait m'embrasser, franchement.
Genre, juste au moment où je me tenais devant ma porte d'entrée, il aurait fait un pas, puis un autre, et BAM, nos lèvres se seraient rencontrées. C'était écrit, non ?
Je secoue la tête, frustrée.
C'est... exaspérant. Pourquoi est-ce qu'il doit me hanter autant ? C'est juste un homme, bon sang ! Un milliardaire grincheux qui parle de sécurité et de contrats de façon plus excitante que n'importe quel film d'action.
Je tape sur le clavier, mais rien ne vient. Rien d'autre que des images de lui.
Peut-être que je vais finir par m'enfermer dans un placard avec mes plantes carnivores et tout oublier.
Un autre soupir m'échappe.
Bon, se mec me plaît clairement. Faut que j'arrête de me voiler la face.
C'est pas comme si j'avais le choix, hein ? L'attirance, c'est un peu comme un soleil brûlant qui vous déteste et vous réchauffe à la fois.
Je prends une grande inspiration, laisse mes doigts s'enfoncer un peu plus dans le clavier, et me force à me concentrer.
Il faut que j'écrive quelque chose. N'importe quoi.
Mais tout ce que je peux entendre dans ma tête, c'est son sourire en coin. Ses yeux. La façon dont il marche comme s'il avait décidé que le monde devait s'écarter de son chemin.
Raaaah.
Je me laisse retomber en arrière dans ma chaise, frustrée. Mon esprit n'arrête pas de tourner en boucle sur ce moment, juste avant qu'il ne parte. La porte de mon appartement. Lui, debout là, juste devant, son regard sombre, presque menaçant, mais je pouvais sentir cette tension électrique entre nous.
Et puis... il s'est presque approché. J'ai vu son visage se rapprocher du mien, son souffle chaud effleurant ma peau, et je me suis presque attendue à ce qu'il m'embrasse.
Mais non. Bien sûr que non. Pas lui. Il est trop occupé à être un milliardaire aigri pour savoir comment gérer un moment aussi... humain.
Je secoue la tête avec un petit rire nerveux.
— Super, Isabela. Tu viens de tomber dans le piège d'un milliardaire à la tête de la plus grosse boîte de sécurité de la ville. Qui aurait cru que tu finirais là, hein ?
Je crois que ce qui me frustre le plus, c'est que j'étais prête. Peut-être même plus que prête. Il n'aurait fallu qu'un petit geste, et voilà, je serais tombée tête la première dans le piège. Mais il n'a pas bougé. Il a juste hoché la tête comme s'il avait décidé que ce n'était pas le bon moment.
Et là, je suis en train de m'en vouloir pour une chose que je ne peux même pas contrôler.
Mon cœur bat un peu plus vite quand je pense à son regard, à son sourire en coin, à la façon dont il est parti sans un mot, laissant derrière lui l'air qui semblait brûler encore de son absence.
Je ferme les yeux, comme pour me concentrer sur autre chose. Je n'arrive même pas à imaginer quoi écrire. J'écris toujours des histoires de gens normaux. Pas de milliardaires grincheux et insupportablement sexy qui me perturbent à chaque coin de rue. Mais tout ce que j'arrive à imaginer, c'est lui. Lui, là, dans le couloir. Lui, me regardant avec cette expression étrange, à la fois distante et... intrigante.
Je tape quelques mots sur l'écran, mais ça n'a aucun sens. Rien qui vaille la peine d'être écrit.
Je laisse tomber. Je me lève de ma chaise en grognant.
— Ok, faut vraiment que je me concentre sur autre chose. Ça suffit maintenant.
Je me passe une main dans les cheveux, un peu agacée, mais une petite voix dans ma tête, la plus honnête, me chuchote :
— Peut-être que ça ne te ferait pas de mal de juste l'admettre... Il te plaît. Et peut-être que, juste peut-être, il ressent la même chose.
Mais je l'ignore, bien sûr.
Parce qu'Isabela Fox ne va pas tomber dans le piège. Pas de milliardaire, pas d'homme sexy et encore moins de type qui semble aussi perturbé qu'un lion dans un salon de thé. Non.
J'ai mieux à faire. Beaucoup mieux!
★★★
L'air frais de Chicago me fouette le visage alors que je déambule dans les rues, les mains enfoncées dans les poches de mon manteau.
Je n'ai pas vraiment de destination en tête. Juste l'envie d'échapper un peu aux murs familiers de mon appartement, à mes pensées parfois trop bruyantes.
À un coin de rue, une petite enseigne attire mon regard.
« Fleur de Lune »des lettres blanches peintes à la main, légèrement effacées par le temps, trônent sur une vitrine fleurie.
À travers les carreaux légèrement embués par le froid, j'aperçois des gerbes de fleurs éclatantes, des feuillages retombants, un chaos maîtrisé qui appelle irrésistiblement.
Poussée par une impulsion, j'entre.
Une petite clochette tinte au-dessus de la porte, un son doux et discret.
L'intérieur est un cocon chaleureux, saturé du parfum sucré et enivrant des fleurs fraîches.
Des rangées de plantes s'entassent sur de vieilles étagères en bois peint en vert sauge.
Le sol est pavé de carreaux blancs ébréchés par endroits, témoins silencieux des années passées.
Des guirlandes lumineuses serpentent entre les bouquets suspendus au plafond, diffusant une lumière tamisée, presque féerique.
Au fond de la boutique, une vieille radio grésille doucement une musique jazzy, ajoutant à l'atmosphère un charme rétro.
Je m'avance, mes doigts frôlant distraitement les pétales soyeux.
Des pivoines, des roses anciennes, des brassées d'eucalyptus... Mais ce sont les lys, immaculés, presque irréels dans leur blancheur éclatante, qui attirent mon regard.
Une fleuriste, une femme aux cheveux argentés rassemblés en un chignon désordonné, émerge de l'arrière-boutique. Son tablier est couvert de taches de terre et de poudre de pollen.
Elle m'adresse un sourire bienveillant.
— Bonjour, que puis-je faire pour vous ?
Je réponds sans hésiter :
— Je voudrais... un bouquet de lys, s'il vous plaît. Seulement des lys blancs.
Ses yeux s'illuminent comme si elle partageait silencieusement mon choix.
Sans un mot, elle se met au travail, maniant les tiges avec une délicatesse infinie.
Je la regarde assembler les fleurs, ajouter quelques brins de gypsophile pour aérer la composition, puis enrouler le tout dans un papier kraft noué d'une fine ficelle de chanvre.
Quelques minutes plus tard, elle me tend le bouquet, l'air presque solennel.
Les lys dégagent un parfum discret mais entêtant, pur et mystérieux à la fois.
Je serre doucement le bouquet contre moi, remerciant la fleuriste d'un sourire avant de ressortir dans le froid mordant de la ville.
Le papier crisse sous mes doigts, et pour la première fois depuis longtemps, une étrange paix s'installe en moi.