Une voiture violette aux vitres teintées les attendait à la sortie de l’aéroport. La vitre se baissa sur une femme blonde aux cheveux courts, cigarette à la bouche. Elle accueillit l’archange déchu d’un enjoué : — Salut Haziel ! — Puis, avisant Lucifer, elle retira un chapeau imaginaire, le baissant bien bas. — Votre Infernale Majesté. — Le Diable ne lui rendit pas son enthousiasme, se contentant d’un froid. — Doctoresse Faust. — Apparemment, il ne lui avait toujours pas pardonné d’avoir emporté son ancien intendant avec elle. Les humains avaient écrit toutes sortes d’histoires fantaisistes sur Faust – perpétuant une longue tradition d’effacement des femmes savantes dans l’Histoire – et Méphistophélès. La vraie était sans doute trop banale.
Il était une fois un démon ennuyé, appelé Méphistophélès. Avant de chuter, ce démon avait été un ange au Paradis, et le serviteur le plus fidèle du Porteur de lumière. Lorsque celui-ci était devenu Satan, il avait continué de le servir en tant qu’intendant. Comme tous les démons, Méphistophélès donnait dans le commerce des âmes humaines. Et en tant qu’ancien ange de la Connaissance, il était souvent invoqué par des savants. Un jour, ce fut la doctoresse Faust qui fit appel à lui. Faust avait consacré son existence à l’alchimie, mais jusqu’au bout, le secret de la Pierre Philosophale lui avait échappé. Et à l’aube de sa vie, elle n’avait qu’amertume de l’avoir gâché à courir après une chimère. En échange de son âme, elle demanda à Méphistophélès une nouvelle jeunesse. Le démon pourrait s’emparer de son gain lorsqu’elle serait heureuse. Pour Méphistophélès, ce n’était l’affaire que de quelques dizaines d’années, il pouvait attendre. À l’époque, Méphistos était un démon très déprimé, qui faisait des déclarations grandiloquentes telles que celle-ci, rapportée par Goethe : "Je suis l’esprit qui toujours nie ; et c’est avec justice : car tout ce qui existe mérite d’être détruit, il serait donc mieux que rien n’existât." Pourtant, Faust, qui dévorait sa nouvelle vie à pleines dents, ralluma quelque chose en lui, la lumière qu’On lui avait arrachée. Avec elle, il se rappela l’ange qu’il avait été. Méphistophélès passait de plus en plus de temps sur Terre, délaissant ses devoirs infernaux. Jusqu’à ce qu’un jour, Faust lui déclara son amour et son bonheur de l’avoir à ses côtés. Se faisant, elle savait qu’elle se condamnait, mais avoir son âme dévorée par l’être aimé, n’était-ce pas la plus belle mort que l’on pouvait avoir ? Mais Méphistos ne voulait plus se contenter de son âme. Il utilisa ses pouvoirs pour faire d’elle un démon et ensemble, ils rejoignirent le palais de Satan.
Cependant, ce n’était plus comme avant. Méphistosphélès ne pouvait ignorer la lumière qui s’était allumée en lui et Faust ne pouvait rester dans cet endroit figé, pas quand la Terre était en perpétuelle évolution. Alors, main dans la main, tremblants, ils demandèrent à Satan le droit de rejoindre Haziel et ses déchus. Lucifer n’avait pas oublié l’époque où son serviteur était encore Celui qui aime la Lumière, et non Celui qui aime son absence. Il les laissa partir, sachant qu’avec Haziel, il serait entre de bonnes mains. Haziel, dont le projet d’un club pour réunir les déchus, les accueillit avec plaisir. Phistophélès reprit son nom d’ange, et d’intendant du Palais de l’Enfer, devint l’intendant du club des déchus. Quant à la doctoresse Faust, elle était libre de parcourir le monde comme il lui plairait, devenant au fil des siècles le lien entre Florence et les déchus éparpillés dans le monde entier. Une fin beaucoup moins vendeuse qu’un opéra où la moitié des personnages meurent.
Haziel n’était pas non plus enchanté de la voir, mais pour une autre raison.
— Phistophélès n’a pas su tenir sa langue à ce que je vois. Que fais-tu ici ?
— J’ai sauté dans le premier avion quand j’ai vu ce qui s’était passé aux infos. J’ai à peine posé mes valises au Purgatorio qu’il m’a renvoyé vous chercher.
Elle tendit la main pour toucher la pommette blessée de son ami.
— Voyage mouvementé ?
— Ce n’est rien.
Les deux grimpent à l’arrière. Le voyage dura une trentaine de minutes, Haziel dormit pendant les deux tiers, sa tête posée contre l’épaule de Lucifer. Ce n’était pas l’envie qui manque à Faust de faire quelque remarque spirituelle, mais en croisant le regard du Diable dans le rétro, elle choisit plutôt de mettre un album de Beyoncé.
***
Lorsque le trio pénétra dans le Purgatorio, le club n’était pas très rempli. Ce qui était normal pour un soir de semaine, minuit était dépassé depuis très longtemps. Sacha assurait le service au bar. Ou plutôt, il nettoyait sans conviction un verre en écoutant un beau garçon néphilim, un des enfants nés de l’union des premières créatures de Sa Divinité et de son Humanité, faire son joli cœur. Le dhampire pouvait disparaître pendant des jours, ce qui ne l’empêchait pas de donner un coup de main de temps en temps quand lui en prenait l’envie. Il était en bien meilleure forme qu’à sa première rencontre avec Lucifer. Il n’avait plus aucune trace de coup ou de blessure et ses cheveux s’étaient paré d’une belle teinte bleu roi. Haziel s’arrangeait toujours pour qu’il y ait des poches d’hémoglobines fraîches dans son réfrigérateur. Celui-ci s’avança jusqu’au bar, Lucifer à ses côtés, tandis que Faust disparut dans la partie réservée au personnel. Le néphilim recula respectueusement devant l’archange déchu, leur laissant la place pour parler.
— Bonsoir, Sacha. Comment te sens-tu ?
— Ça va. Merci pour le sang. Y a Phistos qui t’attend avec lui dans la salle de la Trêve avec, euh, les premières femmes de l’humanité.
Presque un an que le jeune Russe était ici, mais il avait toujours du mal à se faire à l’idée qu’il côtoyait des êtres mythiques tout droit sortis de la Bible. S’il répondait à Haziel, c’est ‘Lulu’ qu’il fixait d’un œil noir, n’ayant pas digéré l’humiliation de la veille. Le Diable soutenait son regard avec un insupportable rictus suffisant. Haziel soupira, avant de se forcer à sourire. Il essayait de le cacher, mais c’était visible pour tout le monde que la seule chose qu’il voulait vraiment voir à cet instant son lit.
— Viens nous chercher si tu as besoin d’aide.
Dans la petite salle qui avait accueilli les retrouvailles de Haziel et Lucifer, il y a seulement trois jours de ça, se trouvaient Ève et la Petite Lilith. Elles étaient attablées au bar comme les vieilles amies qu’elles n’avaient pas toujours été. C’était au Purgatorio qu’elles s’étaient rencontrées.
La première épouse d’Adam y venait lorsque la vie en Enfer se faisait trop pesante. Quant à la seconde, c’était la curiosité qui lui avait fait franchir les portes du club des déchus. Les humains morts ne pouvaient normalement pas se rendre sur Terre, mais Ève, en tant que première femme à être créée – les hommes avaient rapidement évacué Lilith de ce titre – avait quelques passe-droits. Lilith s’était attendue à ce qu’Ève lui en veuille. Après tout, ne se racontait-il pas qu’elle avait poussé Samaël à tenter le couple du Jardin d’Éden, pour se venger de la façon dont On l’avait traité, quand elle avait seulement voulu libérer une sœur d’une cage aux barreaux dorés ? Mais Ève l’avait invité à boire un verre avec elle. Depuis qu’elle avait goûté au fruit de la Connaissance, elle ne voulait plus se contenter de croire tout ce qu’on lui disait. Elles avaient parlé toute la nuit. De Adam et de l’Éden, bien sûr, mais pas que. Chacune avait trouvé en l’autre une amie pour l’éternité. Il faut dire qu’Ève n’avait pas regretté d’avoir croqué cette pomme. Le libre-arbitre valait mieux que l’ignorance, même bienheureuse. Ou, comme l’avait écrit un humain, Aldous Huxley : "Je réclame le droit d’être malheureux."
Elles badinaient avec forts éclats de rire, sous l’œil blasé de Phistophélès qui se tenait derrière le bar.
— Nooon ? Tu n’as pas fait ça ? Tu es vraiment la pire !
— Je sais Ève, je sais ! Adam ne te l’a jamais dit ?
Elles se retournèrent toutes les deux en entendant la porte se refermer. Ève se leva pour accueillir le propriétaire des lieux d’une accolade. Elle était solaire, bien plus qu’aucun autre humain sur Terre.
— Haziel !
— Mesdames.
Lilith, plus réservée, le salua d’un hochement de tête. Lucifer et elle se fixèrent, mais ils ne pouvaient rien se dire, pas devant une habitante du Paradis. Ève posa sa main sur la joue de l’archange déchu.
— Oh non, Haziel, ton joli visage ! Que t’est-il arrivé ?
— Rien que notre doctoresse ne puisse réparer.
— Je l’espère. Si je descends ici, c’est bien parce que ce club a les plus beaux bartenders de toute la Création !
Les deux rirent et elle le lâcha. Elle sentait qu’elle était de trop ici. Elle n’était restée aussi tard que parce qu’elle avait eu le plaisir de tomber sur Lilith. Elle claqua sur la joue de son amie une bise sonore.
— Ça m’a fait plaisir de te voir. On se remet ça dans un mois, même heure, même endroit ?
— Avec plaisir, ma sœur.
Lilith embrassa son front, la serrant dans ses bras avant de la laisser partir. La doctoresse entra à ce moment-là, une trousse de premier secours entre les mains. Ève fondit sur elle.
— Faust, il faut absolument que tu te joignes à nous la prochaine fois !
— Je vais essayer.
Imperméable au manque d’empressement flagrant de la réponse, Ève se tourna une dernière fois vers Lilith.
— Au revoir, ma chérie. Embrasse ton tentateur de Samaël pour moi.
— Je n’y manquerai pas. Dis à Adam qu’il ne te mérite pas.
— Huuum, non, je ne vais toujours pas faire ça, désolée.
Elle envoya un baiser à toute la pièce, avant de refermer la porte sur un clin d’œil.
— Au revoir tout le monde ! Ne faites rien que je ne ferais pas !
La pièce fut très calme d’un coup. Lucifer rompit le silence qui s’installait d’un rire :
— Voilà donc la mère de l’humanité. Cela lui a réussi de manger des pommes.
Haziel et Faust prirent les places nouvellement libérées au bar. La doctoresse entreprit de désinfecter la plaie sur sa pommette et de lui mettre un pansement. Au cours du siècle dernier, elle avait obtenu son diplôme de médecin, entre d’autres doctorats. La petite Lilith s’inclina devant son monarque.
— Satan, ta présence est requise en Enfer.
— Pour quelle raison ?
— Bélial te demande, en tant que général des armées. Il est sur le point d’aller te chercher directement à la Maison des Jeux.
Lucifer croisa les bras, agacé. Tout le monde dans cette pièce savait ce que ça voulait dire. S’il ne retournait pas rapidement en Enfer, son absence serait découverte, et sa présence sur Terre ne serait plus un secret pour personne.
— Je me suis absenté pendant deux jours seulement.
— Je pourrais en profiter aussi pour renforcer ta protection. De ce que j’ai entendu, elle n’est pas encore assez forte.
Haziel se leva pour s’approcher de Lucifer. Sa joue était maintenant décorée d’un joli pansement pailleté.
— Je sais où aller maintenant. Je peux m’y rendre. Retourne en Enfer.
— Je ne te laisserai pas y aller seul. Belzébuth veut mon trône. Tu serais un moyen de pression parfait pour y arriver.
Est-ce que le Diable venait d’admettre devant témoins que Haziel était sa faiblesse ? Les trois démons se regardèrent sans rien dire, ayant plus ou moins peur d’être réduits en cendres si Satan se rappelait de leur présence. Haziel secoua la tête.
— Elle bougera bientôt, et tout sera à recommencer. Je doute que Herr Jäger soit encore très coopératif. Nous ne pouvons pas nous permettre de perdre plus de temps que nécessaire.
L’agacement grimpait des deux côtés. Le Diable et le Prince déchu se toisèrent.
— Tu attendras mon retour, et si je dois faire rôtir cette enflure pour qu’elle nous assiste à nouveau, j’allumerai les géhennes infernales avec plaisir, gronda l’un.
— Je ne suis pas un de tes sujets, par conséquent, je n’ai pas à t’obéir, ton Infernale Majesté. Et je n’ai pas besoin de ta protection, maintint froidement l’autre.
— Je peux l’accompagner.
— Sacha !
Les cinq se retournèrent vers la voix tranquille qui les avait interrompues. Dans le coin le moins éclairé de la pièce se tenait le dhampire. Il sortit de l’ombre dans laquelle il était apparu il y a déjà quelques minutes. Il savait que l’ami de Haziel l’avait senti arriver, il l’avait vu tiquer.
— Ne t’a-t-on donc jamais appris qu’il ne faut pas se mêler aux conversations des grandes personnes ? demanda ‘Lulu’.
Contrairement à Haziel qui paraissait purement indigné, il ne semblait pas dérangé par sa présence. Sacha lui trouvait surtout l’air calculateur. Le garçon haussa les épaules.
— Je voulais juste demander la composition d’un cocktail, moi, pas ma faute si vous réglez vos problèmes autour d’une barre de pole-dance.
En effet, la barre était installée. Petite Lilith et Ève s’étaient bien amusées en les attendant.
— Problèmes qui ne sont pas les tiens, rétorqua Haziel.
— Écoute, je ne suis pas stupide, je sais que t’occupes de moi parce que ma tutrice te l’a demandé. — Sacha détourna les yeux, marmonnant la fin. — Mais tu le fais super bien. Je veux t’être utile aussi.
— Sais-tu te battre ? Parce que ça n’a pas été très glorieux la dernière fois.
— Lucif... Lulu !
— Lulu ?!
S’en était trop pour les trois témoins involontaires, qui hésitaient entre de s’enfuir pour éviter de devenir des dommages collatéraux d’une dispute de couple, ou de sortir les bouteilles du bar pour en profiter à fond. Ils optèrent pour la deuxième option. Lucifer et Sacha partageaient le même sourire provocateur.
— Tu veux réessayer, Lulu ?
Toutes les ombres de la pièce s’agrandirent, en recouvrant les deux tiers. Sacha bondit dans l’une d’entre elles, se laissant absorber en une demi-seconde. Il surgit d’une autre au plafond, atterrissant juste derrière le Diable. Il donna un petit coup de poing entre ses omoplates.
— Hé, pas de bagarre dans le bar !
Personne n’écouta Phistophélès râler. Lucifer pouffa en tournant sur lui-même, trop vif pour l’œil humain. Sacha ne s’y attendait pas et finit balayé au sol.
— Pas mal pour un bâtard de Mammon.
Le Diable tendit la main pour aider Sacha à se relever, mais le garçon l’attira avec force contre lui, ses crocs découverts se retrouvant bien près de son cou. Il s’arrêta à la dernière seconde pour répondre avec un rictus insolent.
— Pas mal pour un monarque de l’Enfer.
— Assez.
Haziel les sépara d’un geste sec ne souffrant d’aucune contradiction. Les deux remirent de l’ordre dans leurs vêtements et leurs cheveux, pendant que l’archange déchu soupirait.
— Quand as-tu deviné ?
— Tu es nul pour mentir.
— Je sais, on me l’a déjà fait remarquer.
Haziel fixait Lucifer en disant cela. Il était toujours aussi répugné à l’idée de mettre Sacha en danger. Faust les rappela à leur présence en toussant. Phistophélès lissa sa jupe crayon du doigt.
— Nous pouvons t’accompagner aussi.
Haziel eut un sourire touché pour les deux déchus.
— J’apprécie. Mais non. S’il m’arrive quelque chose, j’ai besoin de vous deux en bon état pour me remplacer.
Lucifer s’approcha dans le dos de Haziel. Il posa ses mains sur ses avant-bras, le faisant se tourner vers lui. Lilith faillit en recracher le vin qu’elle dégustait.
— Haziel. Cet enfant a…
— Oh, j’ai dix-huit ans ! protesta le concerné.
— Très impressionnant. Je disais donc, cet enfant malpoli a la rage dans le sang. Et il sait voyager entre les Limbes. Il pourra nous prévenir si tu es en danger. Emmène-le avec toi.
Haziel les examina. Le sourire enjôleur de Lucifer, en train de masser doucement la chair qu’il avait sous les doigts, le regard crevant d’envie de Sacha de se battre pour lui, l’inquiétude sur les visages de Faust et Phistos à l’idée de le voir partir seul, l’impatience sur celui de la petite Lilith qui attendait de pouvoir ramener son monarque dans son palais.
— Bien, puisque vous êtes tous ligués contre moi.
Il se dégagea des mains du monarque infernal pour se planter devant le garçon.
— Mais tu devras m’obéir, Sacha. J’ai promis à ta tutrice de te protéger, pas de te mettre en danger. Si je te demande de m’abandonner, tu le feras.
— Pfff, OK.
— Sacha, ce n’est pas un jeu.
Le dhampire devina l’appréhension sous la sévérité du patron du Purgatorio. Mais il n’avait pas besoin d’être couvé.
— D’accord. Promis Haziel. Croix de bois, croix de fer, si je mens, je vais en Enfer.
L’ironie suintant de ses mots ne devait pas échapper à l’archange déchu, car il se pinça l’arête du nez entre ses doigts. En tout cas, elle n’échappa pas au Diable, dont le visage prit un air de prédateur.
Tout étant arrangé, la petite Lilith intervint en se levant, avant qu’un autre problème ne les retienne ici plus longtemps.
— Pouvons-nous y aller, Satan ?
— Oui.
Lilith fit un cercle de ses doigts. Une déchirure ronde se fit dans l’espace, en plein milieu de la pièce. De l’autre côté, tous reconnurent le trône de Satan. Tous sauf Sacha. Cependant, il comprit immédiatement ce qu’était ce bloc de pierre saignant. Il aurait voulu se boucher les oreilles et fermer les yeux, il aurait voulu s’enfuir loin ou se laisser absorber par les ombres, mais il ne pouvait que rester planté là, l’Enfer était en lui et il était à l’Enfer, et dans les pleurs des damnés, il entendait son nom, et dans la flaque de sang, il vit son visage, et dans… Ses yeux se révulsèrent et il s’évanouit. Lucifer et Haziel rattrapèrent le garçon avant qu’il ne tombât au sol. Aidé du Diable, Haziel le souleva pour le porter dans ses bras, telle une de ces princesses de contes de fée. Pourtant, il fut bien vite oublié, car l’heure des adieux était venue.
Les deux êtres se regardèrent. Quand Lucifer reviendrait, Haziel aurait peut-être le flacon de larmes en sa possession. Le pacte aurait été respecté, il n’aurait plus de raison de rester sur Terre, à ses côtés. Lilith avait franchi le portail et attendait son monarque de l’autre côté. Phistophélès avait glissé sa main dans celle de Faustine, qui lui souriait gentiment. Lucifer parla le premier.
— Dès que j’en aurai fini avec mes obligations royales, je reviendrai.
— J’espère pouvoir te recevoir avec ce que tu désires.
De simples paroles formelles, guindées. Que dire, après ces trois jours qui n’auraient pas dû exister ? Que dire, que l’autre ne sache pas déjà ? Lucifer se tourna et franchit le portail, qui se referma derrière lui. Pour cette fois, c’était à Haziel de le voir partir. Ce n’était pas aussi douloureux qu’il ne l’aurait cru. Ce n’était qu’un au revoir de quelques heures, quelques jours tout au plus. Ce n’était rien, essayait-il de se convaincre. Rien, comparé à ce qui l’attendait lorsque Lucifer retournerait en Enfer pour de bon. Il se tourna vers les deux déchus. Sacha était un poids mort et froid dans ses bras, mais il respirait et n’était pas bien lourd.
— Bien. Une journée chargée nous attend demain. Phistophélès, à qui d’autres as-tu raconté que le Diable se balade sur Terre ?
— Seulement à Faust. Et je ne m’en excuserai pas.
Soupir, encore, de Haziel. Il avait beaucoup soupiré et s’était bien plus pincé l’arête du nez que d’habitude, ces dernières soixante-douze heures.
— Je ne te le demande pas. Peux-tu me faire affréter un jet en fin d’après-midi, s’il te plaît ? Nous partons pour l’île du Stromboli. — Ça le désolait, ça s’entendait, de devoir peser autant sur les épaules de son ami. — Je vais encore devoir te confier mes affaires pendant une journée ou deux. Si les anges mettent leur nez dans nos affaires, tu collabores autant que tu peux, mais tu ne sais rien.
— À propos de quoi ?
Haziel eut un maigre sourire devant cette tentative de l’égayer un peu.
— Faust, j’ai laissé ma voiture à Vienne, à L’Amauris. Je les ai déjà prévenus que quelqu’un viendrait la récupérer pour moi. Pourrais-tu me la ramener ?
— Je peux m’autoriser des extras ?
— Envoie la note au Purgatorio, mais évite de nous ruiner, je te prie.
— Je prends le premier vol pour Vienne !
Tant d’enthousiasme faisait chaud au cœur. Pourtant, Haziel se rembrunit un peu plus.
— Ça me fait penser : le magicien Herr Adrian Jäger a interdiction de pénétrer dans Florence jusqu’à nouvel ordre. Que tous les déchus soient mis au courant et que l’on me prévienne immédiatement s’il est aperçu en ville. S’il entre dans le Purgatorio, retenez-le jusqu’à mon retour. S’il essaie de pénétrer chez moi en mon absence, tuez-le. Interdiction que quiconque se mette en danger à cause de lui, cependant.
— Je m’occupe de faire passer le message aux déchus et vampires de Toscane, déclara gravement Phistophélès.
— Je suppose qu’il n’est pas étranger à la marque sur ta joue, questionna à mi-mot Faust. Elle brûlait clairement d’envie d’en savoir plus, surtout la raison pour laquelle Satan l’avait laissé en vie après cet affront. Haziel se contenta d’acquiescer. Il passa Sacha sur son épaule comme un sac à patates. Ce serait plus facile pour monter les escaliers ainsi, et peut-être moins humiliant pour l’ego du garçon s’il se réveillait.
— C’est le problème lorsqu’on gère un club : on doit parfois nous occuper de nuisibles. Si vous le croisez, assommez-le d’abord et posez les questions ensuite, d’accord ? Maintenant, si vous voulez bien m’excuser, je vais me coucher, avant que Michel ne décide à s’inviter aussi.