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1 - Prologue
2 - Chapitre Un : Purgatoire & retrouvailles
3 - Chapitre Deux : Vieux couple & jeunes chats
4 - Il y a longtemps : Entre la Chute & Florence
5 - Chapitre Trois : Insomnie & sorcière
6 - Chapitre Quatre : Ciel & Dhampire
7 - Chapitre Cinq : Roadtrip & baignoire
8 - Il y a longtemps : Le Neuvième Jour
9 - Chapitre Six : Bal & jet privé
10 - Chapitre Sept : Humaines & départ
11 - Chapitre Huit : Mouches & désappointement
12 - Chapitre Neuf : Archidémon & archange
13 - Il y a longtemps : La Chute
14 - Chapitre Dix : Inquiétudes & plan
15 - Chapitre Onze : Haziel & Lucifer
16 - Chapitre Douze : Astre & Las Vegas
17 - Chapitre Treize : Cage & damnés
18 - Il y a longtemps : Quelque part après le Neuvième Jour
19 - Chapitre Quatorze : Confrontation & bazooka
20 - Chapitre Quinze : Pâquerettes & trous noirs
21 - Chapitre Seize : Jugement & couronne
22 - Chapitre Dix-Sept : Epée & larmes
23 - Il y a longtemps : Avant le Huitième Jour
24 - Chapitre Dix-Huit : Trompette & révélation
25 - Chapitre Dix-neuf : Au revoir & faveur
26 - Epilogue
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Il y a longtemps : Le Neuvième Jour

Au début, l’Enfer n’était guère plus qu’un terrain vague sans fin, sec et poussiéreux, dont les seuls reliefs étaient les lits des rivières boueuses et les noirs pics effilés saignant de la lave. Pas de ciel en Enfer, juste une voûte qui montait jusqu’à on ne savait où, aussi rouge que le paradis était bleu. Ils s’étaient tous écrasés ici et là, une pluie de météores qui se trouvaient être des anges aux ailes embrasées. Haziel et Lucifer ne s’étaient pas lâchés. Ils s’étaient révoltés ensemble, ils tomberaient ensemble, que leur chute dure une seconde ou une éternité. Ils avaient fini au beau milieu de ce désert sinistre, Haziel trop faible pour ne serait-ce que se lever, Lucifer à peine en meilleur état.

Les débuts de ce Neuvième Jour avaient été un temps de guérison, physique du moins. De rassemblement aussi. De tout l’Enfer convergeaient les autres anges, ou désormais démons, pour en rejoindre le centre. Lilith et Asmodée, Samaël, Méphistophélès, Bélial, Belzébuth, Léviathan, Azazel, puis tant d’autres encore. Tout naturellement, ils se regroupèrent autour des deux anciens archanges, des deux meneurs. Brisés, mais encore debout, maintenus par leur haine ou par leurs espoirs déçus, mais pas morts. Haziel ne pouvait pas les regarder dans les yeux. Alors, dès qu’il avait pu, il s’était envolé, à la recherche d’une sortie. Sur son chemin, il avait rencontré d’autres démons, guère en meilleur état. À chaque fois, il leur avait indiqué la direction du centre, avant de repartir. Il refusait de croire qu’il était prisonnier dans cet endroit macabre. Il n’avait pas rêvé de liberté pour se retrouver privé de ciel. On ne pouvait pas être aussi cruel.

Le Prince tombé avait eu raison d’y croire. Il finit par trouver une porte, au bord de ce qui était un cauchemar de mer. Une simple voûte de bois calciné, qui ne donnait sur rien d’autre que l’eau noirâtre s’étendant derrière elle à perte de vue, était posée parmi les galets tranchants d’une plage léchée par une écume glauque.

Haziel sut immédiatement que c’était ce qu’il cherchait. La mer infernale sentait le croupi et la maladie, quand de l’ouverture s’échappait un vent frais, apportant avec lui une délicieuse odeur d’embruns et le cri des goélands. Il n’y avait en Enfer ni animaux ni plantes.

Assise au pied de la porte se trouvait une femme. À l’époque, il n’y en avait qu’une. À l’époque, elle n’avait pas encore ce troisième œil noir sur son front. À l’époque, elle avait juste sa longue chevelure brune bouclée et sa peau rouge constellée d’éphélides. Tout comme Adam, Lilith avait été façonnée à partir de la poussière d’une terre d’argile. Elle se leva en le voyant voleter vers elle. Haziel ne lui posa pas de questions. Il tendit la main vers elle, elle la saisit, et ensemble, ils s’envolèrent jusqu’au centre de l’Enfer.

Ce qui était un camp de fortune lorsqu’il avait pris son envol avait déjà pris des airs de cité en devenir. D’autres tentes avaient rejoint la leur, tâches de couleur dans la morne étendue, et les fondements de bâtiments en dur se dessinaient ici et là. Le campement, futur capitale de l’Enfer, fourmillait d’activité. En le survolant, Haziel reconnut d’ailleurs quelques-uns des démons qu’il avait dirigés vers ici.

Au milieu de tout ça, comme toujours, se tenait Lucifer. Il parlait avec Méphistophélès et Samaël. Ils s’interrompirent en le voyant arriver et s’écartèrent pour lui laisser la place d’atterrir. Le deuxième ange créé tendit les mains pour aider la première humaine à descendre des bras de Haziel. Les pieds de celui-ci avaient à peine touché le sol que Lucifer le prenait déjà dans ses bras.

— Tu es de retour.

Haziel s’y glissa volontiers, enfouissant son nez dans le creux de son cou. Il sentit ses mains se glisser sous ses ailes au repos, tâtonnant là où une épée de feu l’avait transpercé. L’avantage d’être transpercé par ce genre d’armes est que la plaie se cautisait d’elle-même, ce qui lui avait sans doute sauvé la vie. L’étreinte tournant à l’examen médical, Haziel s’écarta de lui. Eux non plus n’avaient pas encore l’apparence qu’ils auraient dans quelques milliers d’années. Juste deux archanges qui, pour la première fois de leur existence, goûtaient aux affres de la faim et de la soif, de la fatigue et de la douleur, dont la lumière de Sa Déité les avait toujours protégés. Deux êtres aux traits tirés, aux ailes calcinées, aux plumes grisâtres et effilochées, dont la corruption n’avait pas encore atteint les corps. Tendant le bras, Haziel invita Lilith à venir à ses côtés.

— Lilith, voici Lucifer. Lucifer, je te présente Lilith. Elle a quitté le Jardin d’Éden.

— Pourquoi donc ?

Il l’avait reconnu avant même qu’il ne la lui présente. La création d’Adam et de Lilith avait été son point de rupture. Elle était bien la dernière personne qu’il s’attendait à voir ici. La femme rejeta sa chevelure en arrière. Elle s’exprimait d’une voix claire, sans crainte. Si le reste de l’Humanité naissait à son image, elle serait forte et fière.

— On attendait de moi que je passe ma vie enfermée avec un mâle qui me voulait belle et soumise. On m’a créé dans ce but, qui n’est pas le mien. Et puis, je vous ai vu vous battre, vous tous, je vous ai vu enflammer le Ciel de votre soif de liberté. Votre ardeur était si forte que le sable est devenu verre. Si vous ne vous êtes pas soumis, je ne me soumettrai pas non plus. Laissez-moi vous rejoindre.

— Est-ce un ordre ?

— Le premier que je donne. Je crois que je pourrais m’y habituer.

Les deux se jaugèrent du regard, souriant, reconnaissant l’un dans l’autre un allié certain. Lucifer finit par éclater de rire. Un rire joyeux, triomphant qui pourtant fit frissonner Haziel.

— Première femme, tu as été nommée d’après le premier ange. Tu seras maintenant connu pour être la première humaine à être devenue un démon de l’Enfer. — Il lui tendit la main. — Je suis Satan, ton Monarque. Je n’attendrais pas de toi ta complète soumission, seulement ton obéissance.

— Je devrais en être capable.

Elle la lui serra, d’une poigne ferme et d’un sourire malicieux. Lucifer se tourna vers Samaël, totalement subjugué par Lilith. Haziel remarqua que depuis son départ, les yeux azurins du deuxième ange créé étaient devenus deux billes jaunes parées de deux fentes noires.

— Samaël, occupe-toi de cette petite Lilith. Elle est des nôtres désormais.

D’un signe de tête, il indiqua au deuxième archange de le suivre jusqu’à leur tente. Elle aussi avait connu quelques petits changements depuis son départ. Leur paillasse avait disparu, remplacée par un vrai lit en or. Quelques meubles s’étaient rajoutés, dont une table qui trônait au milieu. En passant devant, Haziel vit qu’il s’agissait de plans pour l’établissement d’une ville. Tout ça prenait un tour sérieux qui ne lui plaisait pas du tout. Lucifer s’assied sur les draps rouges. Il se planta devant lui, bras croisés.

— Satan, Monarque de l’Enfer, donc.

— Je sens de la désapprobation, mon cristallin archange. Je ne peux plus être appelé Porteur de Lumière, n’est-ce pas ? Mais détends-toi, tu dois être fatigué après ton voyage. Comment se portent tes ailes ?

Il leva le bras en une invitation à le rejoindre. Haziel se lova contre lui. Il posa sa tête sur son épaule, sa main dans la sienne. Lucifer le couvrit de son aile malmenée. Se partageant ainsi le peu de chaleur qu’ils avaient. Peu importe ce qu’On leur envoyait dans la gueule, tant qu’ils étaient ensemble, ils tiendraient.

— Je vais bien, Luci. Cesse de t’inquiéter pour moi.

Il tourna la tête, juste assez pour l’embrasser dans la nuque. Lucifer serra sa main avec plus de force. Les mêmes souvenirs traversèrent leurs esprits.

Les larmes de Haziel avaient sauvé tous ceux qu’il avait pu, sauf lui-même. La douleur du feu divin lui avait arraché d’autres gouttes d’or de ses yeux. Elles avaient coulé jusqu’à ce qu’il n’y ait plus rien à pleurer sur l’autre archange rebelle qui l’avait gardé contre lui, s’infiltrant dans ses plaies, les refermant. Ainsi, Lucifer avait eu la force de se dresser parmi la poussière, son amour mourant dans ses bras. Il avait bandé ses blessures, le peu d’eau clair qu’il avait trouvé, il l’avait glissé entre ses lèvres craquelées. Surtout, il l’avait veillé, ne sachant plus à qui adresser ses suppliques. Il avait donc prié Haziel, agenouillé à son chevet, prié dans la lumière rougeoyante et l’obscurité incandescente. Haziel s’en souvenait par flash, des sensations floues parmi la douleur : une voix qui l’exhortait de se battre ; une eau tiède et sans goût dans sa gorge ; une main inquiète sur son front. Et à un moment, il avait trouvé la force de se redresser sur la paille amassée à la va-vite. Lucifer était là, effondré de fatigue sur ses cuisses, les mains toujours jointes. Il avait passé sa dextre dans ses cheveux qui avaient été si soyeux, et qui étaient à cet instant aussi rêches que la paillasse sur laquelle il l’avait installé. Lucifer avait levé des yeux rougis par les larmes vers lui. Et dans ses iris, Haziel vit les rigoles indélébiles que les siennes avaient tracées sur ses joues désormais grises. Leurs ailes, la fierté de tous les enfants du Paradis, n’étaient plus qu’une laide parodie d’elles-mêmes. On avait éteint la lumière en eux. Il avait froid, si froid, sans, il ne savait pas que c’était possible d’avoir aussi froid avant. Et ce n’était plus ce qui restait de ces plumes qui pourraient le réchauffer. Les deux éclatants Princes du Paradis qu’ils avaient été étaient tombés bien bas. Mais ensemble. Il lui avait souri, et Lucifer avait murmuré quelque chose, si bas que Haziel l’avait plus lu sur ses lèvres qu’entendu. "Merci."

Un ange passa. Haziel se redressa pour lui demander.

— Qu’ai-je raté ?

— Nous avons fini de nous rassembler. En comptant les morts des deux camps, près de la moitié du Paradis est tombée avec nous, dont sept séraphins.

— Et ce sont eux qui t’ont couronné Monarque ?

Lucifer balaya de la main la moquerie sous-jacente de la question.

— Il fallait bien que quelqu’un pour diriger. Tous ne nous ont pas suivi par loyauté, amitié ou amour de la liberté. Les dissensions ont d’ores et déjà débuté. Bélial et Belzébuth se disputaient le commandement. Mais ils n’ont pas la puissance pour tenir tête au Paradis. Moi, je l’ai. Nous l’avons. Te rends-tu compte ? La moitié du Paradis a chuté. Si nous arrivons à les réunir... On tremblera devant nous.

La férocité dans la voix de l’autoproclamé maître de l’Enfer figea Haziel. Il s’en doutait, mais il réalisa que le convaincre de partir serait encore plus difficile que prévu. Il se lança précautionneusement, choisissant ses mots au fur et à mesure qu’ils lui venaient.

— J’ai trouvé la Porte de l’Enfer. Elle est au bord de cette mer sombre et glacée. Nous pouvons partir. Aller autre part, sur Terre. Vivre comme nous l’entendons. Parmi la faune et la flore, sous le vent et la pluie, le soleil et les étoiles. Nous ne sommes pas enfermés ici.

Lucifer éclata de rire, incrédule. Il regarda Haziel, cherchant la blague, ne la trouvant pas. Il retira sa main, son aile. Mettant fin au dernier moment de tendresse qu’ils auraient avant des millénaires.

— Partir ? Mais pour quoi faire, Haziel ? Jouer aux humains dans leur jardin d’Éden ? Ne vois-tu donc pas tout ce que nous pouvons faire ici, ensemble ?

Pris de frénésie, il bondit du lit. Bras écartés, il tourne sur lui-même, bras ouverts, montrant toutes ces choses que son amout ne voyait pas.

— La moitié du Paradis a chuté en Enfer avec nous, sept séraphins n’attendent que de devenir les sept Péchés qui pervertiront Sa misérable Humanité. Nous avons déjà commencé, Haziel, toi et moi ! Nous avons pris à Sa Déité ses premiers anges, et maintenant sa première humaine ! On nous a brûlé les ailes pour nous punir, mais cela ne nous a pas empêchés d’embraser le Ciel ! Et ce n’est que le premier Jour de notre Chute. Imagine tout ce que nous pourrons faire dans ceux à venir ! Nous lui prendrons ses humains, un par un, tous, jusqu’au dernier, jusqu’à ce que Sa lumière disparaisse de la Terre. Ne vois-tu pas ? Nous serons la nouvelle Gloire de ce qui a été, de ce qui est, et de ce qui sera.

Chaque mot était un clou dans le cercueil des espoirs de Haziel. Chaque exclamation le faisait se prostrer un peu plus. Mais il continua :

— L’Humanité ne nous a rien fait. Ce n’est pas pour me venger d’elle, ou même de Sa Déité, que je t’ai suivi. C’est pour être libre.

Il se leva aussi. Il y avait un nœud dans sa gorge qui la lui écrasait, une lourdeur dans sa poitrine qui la lui oppressait. Son nez le piquait, le coin de ses yeux l’irritait. C’était une sensation nouvelle, étrange et désagréable, qu’il ne chercha pas à identifier pas tout de suite, trop occupé par les enjeux primordiaux de ce qui se jouait à cet instant. Ça ne l’empêchait pas de hausser la voix, de frustration, qu’il refusait de voir ce que lui voyait :

— Où est la liberté dans tout ça, Luci ? Où est la liberté ? Tu vas juste causer plus de souffrance, encore et toujours plus. Nous nous sommes entre-tués, tant de nos adelphes sont morts, les survivants pansent encore leurs blessures, et toi, tu me parles de Gloire ? Tu me parles d’entraîner toute la Création dans notre Chute ? Je refuse. Si c’est ce qu’est destiné à devenir l’Enfer, je refuse d’y prendre part.

— Mais de quelle liberté me parles-tu ? De celle de crever comme des moins que rien ? Sous les yeux emplis de pitié et de mépris de nos soi-disant adelphes, avec Sa Déité qui se rie de nous, de nos rêves et de nos souffrances ? Nous ne serons jamais libres, pas tant qu’On tiendra une épée enflammée au-dessus de nos têtes ! Nous méritions mieux que cela. Je mérite mieux que cela ! Et On paiera !

Une par une, Haziel vit mourir les étoiles dans les yeux de Lucifer, ses veines noircir sous sa peau. Il sut. La haine avait gagné, l’amour avait été défait. S’il y avait des victoires qui avaient des goûts de défaites et des défaites qui avaient des goûts de victoire, il y avait aussi des défaites qui avaient simplement des goûts de défaites. Il comprit enfin ce qu’était cette sensation. Il voudrait pleurer, mais les larmes ne venaient pas.

Il sut, mais il ne pouvait pas l’accepter, il n’arrivait pas à abandonner. Il se serait tranché ce qui restait de ses ailes, il l’aurait supplié en rampant à ses pieds, s’il avait pensé qu’il avait une chance de le convaincre ainsi. À la place, il l’implora, une dernière fois, avec tout l’amour qu’il avait pour lui, car même défait, son amour était la seule chose qui lui restait.

— Viens avec moi, Lucifer. Toute cette haine, ce n’est pas toi, ce n’est pas l’Étoile qui a éclairé ma vie depuis que je l’ai rencontré. Ce n’est pas l’archange dont l’amour pour la Création brillait si fort, sur la Terre et dans le Ciel.

Lucifer leva le menton, le toisant, comme jamais il n’aurait ne serait-ce qu’imaginer le faire avant. Oui, il se rappelait, il avait été cette étoile pleine de curiosité, cet archange plein de passion. Il n’y a que ceux qui ont aimé intensément qui peuvent haïr avec la même force. Et c’est tout ce qu’il ressentait à présent. Une haine bouillonnante, qui ne demandait qu’à déborder, à tout éclabousser autour de lui. Même l’être si précieux en face de lui, qui osait maintenant refuser de se tenir à ses côtés, comme il l’avait pourtant toujours fait. Il gronda.

— C’est Satan maintenant. Plus Lucifer.

— C’est Lucifer que j’aime. Pas Satan.

— Lucifer n’existe plus. Il est mort au moment où il a heurté le sol.

Il y avait tant de dureté dans sa voix, qu’elle transperça Haziel aussi sûrement que ne l’avait fait l’épée enflammée dans son flanc. Mais ce n’était pas le pire, le pire était cette haine qui rentrait en résonance avec la sienne. Toute cette souffrance pour rien. Il n’avait rien gagné, et il allait tout perdre. Il ne savait pas qui il haïssait, si c’était Sa Déité, ses adelphes adorés qui L’avait préféré à eux, ou bien lui-même, mais il se sentit submergé. Sa tête lui donnait l’impression d’éclater, alors que de son crâne pointèrent des cornes aux sombres couleurs étincelantes. Il avait si mal qu’il aurait pu s’effondrer, et pourquoi pas, en profiter pour ramasser les morceaux de cœur brisé. Dans la douleur, en plus de savoir, il comprit. Non seulement, il ne pouvait pas sauver Lucifer, mais en plus, s’il restait, il serait lui aussi noyé dans sa haine. Cette révélation le calma d’un coup. La croissance des cornes s’arrêta.

— Je ne te crois pas. Ta lumière était si intense, On ne peut pas l’avoir éteinte aussi facilement. Mais si c’est vrai, alors… Je n’ai plus rien à faire ici, je suppose. Je ne te regarderai pas te consumer. C’est au-delà de mes forces.

Lucifer réalisa à son tour. Il risquait réellement de perdre Haziel. Lui qui l’avait toujours pris pour acquis, ce fut une véritable gifle. Pourquoi, pourquoi ne comprenait-il pas ? C’était tellement limpide pour l’ancien archange de la Connaissance. Ils s’étaient révoltés contre Sa Déité, ils devaient aller jusqu’au bout maintenant. Faire tomber et tout prendre à cet Être qui s’était arrogé tous les droits sur eux sous prétexte d’être à l’origine de leur Création. Cet Être qu’ils n’avaient jamais vu, cet Être qui restait loin d’eux, enfermé dans la plus profonde salle de Son Saint des Saints. Il prit ses mains dans les siennes, cherchant désespérément son regard.

— Haziel, ta place est sur un trône, à mes côtés, avec l’Humanité à nos pieds, le Paradis qui nous supplie, et l’Enfer qui nous glorifie. Elle n’est pas à pourrir sur Terre.

— Et pourtant, plutôt pourrir sur Terre une éternité que de régner sur l’Enfer une seule journée.

L’ultime bravade de celui qui allait définitivement tout perdre. Haziel retira sèchement ses mains, serrant ses bras contre lui. Lucifer sut, mais il n’arrivait pas à croire ce qui était en train de se passer. Haziel le quittait. Ça n’avait pas de sens.

— Ta décision est prise.

— Oui, tout comme la tienne.

Abandonnant toute dignité, pour la seule fois de sa vie, Satan supplia.

— Haziel, mon archange. Reste.

Une dernière fois, Haziel prit Lucifer dans ses bras et posa ses lèvres sur les siennes. C’était un baiser d’adieu, Lucifer le devina. Ils s’embrassèrent, leurs corps se pressant comme pour emporter avec eux la mémoire de l’autre. Leurs ailes se touchèrent, leurs souffles se mélangèrent. Ce baiser avait le goût de tous les moments passés ensemble, les bons et les mauvais, les banals et les incroyables. Il avait aussi le goût de tous les moments qui auraient dû être, et qui ne vivront jamais. Il avait le goût d’un amour tel que la Création n’en avait jamais connu. Il avait le goût d’une amertume telle qu’elle n’aurait pas dû exister.

C’est Haziel qui l’a initié, et c’est Haziel qui le rompit, pour ne pas suffoquer. Il le contempla, il voulait graver en lui chaque morceau de son être, jusqu’à la moindre barbule. Il n’en revenait pas, d’avoir été créé dans un monde où lui existait.

— Je t’ai aimé, je t’aime, et je t’aimerai toujours, Lucifer. Mon Étoile du Matin. Je t’en prie, même si tout le reste doit s’écrouler, ne doute pas de ça. Mais ça ne suffira pas.

Contrairement à ce que raconteraient les humains, plus tard, dans leurs histoires, l’amour ne pouvait pas tout. Mais juste pouvoir aimer et être aimé était déjà une chance magnifique. Lucifer avait l’impression que toute sa personne se déchirait de part en part. Il réagit de la seule façon que lui permettait sa fierté. Il se ferma totalement.

— Si tel est ton choix, qu’il en soit ainsi. Va donc pourrir sur Terre, mon pauvre archange déchu.

Haziel pouffa. Après tout ce qu’ils avaient vécu, ce seront là les derniers mots qu’ils s’adresseraient.

— Oui, qu’il en soit ainsi. Règne donc sur l’Enfer, couronné de toute ta Vaine Gloire.

Il résista à l’envie de s’enfuir en courant. Il serait digne jusqu’au bout. Mais à peine fut-il dehors, qu’il se projeta dans les airs, filant vers les hauteurs abyssales. De la tente, un hurlement à faire trembler le sol transperça l’Enfer, résonnant bien après qu’il ait pris fin.

Satan avait tout retourné. Les plans voletaient partout, le miroir gisait à terre, en mille morceaux. Il se tenait au milieu du fatras, haletant. Ce furent le Grand Lilith et Asmodée qui osèrent se renseigner. Tous avaient vu leur ami s’envoler loin d’eux. Prudemment, ils écartèrent les pans de l’ouverture. Asmodée resta interdit devant la scène, Lilith déglutit avant de demander.

— Haziel repart déjà ?

— Il nous a abandonnés. Qu’importe, nous n’avons pas besoin de lui.

Ce fut le premier mensonge de Lucifer. Sans se soucier du verre qui s’enfonçait dans la plante de ses pieds, il sortit de la tente. Tous se rassemblèrent autour de lui, dans un silence de plomb. Pas un seul démon ne loupa les mots qui sortirent de sa bouche, pas un seul bruit ne vint troubler son discours. Tout l’Enfer écoutait.

— Moi, Satan, déclare ce Neuvième Jour le premier de l’Enfer. Que tremble le Paradis, Sa Déité, et nos chers adelphes, car désormais…

Ses trois paires d’ailes s’ouvrirent. Elles se développèrent à vue d’œil, jusqu’à retrouver leur splendeur d’antan. À un détail près. La lumière s’estompait sous la noirceur de leurs plumes.

— Le Diable est là.

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2 Comments

25 days ago
C'était un super chapitre. Les flashbacks sont toujours de supers moments et je les termine à chaque fois en en voulant toujours plus ! Celà dit, cette fois j'ai eu très très mal à mon kokoro. Les voir se déchirer comme ça alors qu'ils s'aiment tellement... C'est tragique.
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24 days ago
Oui, je voulais écrire une histoire d'amour où les protagonistes ont préféré choisir leurs convictions plutôt que de les sacrifier pour l'autre, comme on voit dans beaucoup trop de romances.
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