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Silanti
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Il y a longtemps : La Chute

Lorsque personne ne veut rien entendre, il faut savoir se battre pour être écouté. Sous les ailes, le message avait circulé, de bouche en bouche, d’oreille en oreille. Lucifer l’avait décidé : le Huitième Jour serait celui de la révolte. Quand l’aube se leva, près de la moitié du Paradis était réunie derrière lui. Dont Haziel, comme toujours à ses côtés.

Face à eux, se tenaient les légions angéliques. À leur tête, les sept archanges : le Triumvirat, formé par les Princes des Vertus théologales, qu’étaient la Foi, l’Espérance et la Charité ; de chaque côté, les Princes des Vertus cardinales avec la Force et la Prudence à droite, la Justice et la Tempérance à gauche. Auréolés de toute leur lumière divine, ils regardèrent arriver la foule des dissidents, faisant barrière entre eux et le Saint des Saints, demeure de Sa Déité. Sur leurs visages se lisaient diverses émotions, de la juste indignation pour Michel à la poignante tristesse pour Gabriel, en passant par l’amère déception pour Raphaël. Ce fut lui qui rompit le silence qui s’était installé pendant que les deux factions se toisaient.

— Nous ne sommes pas obligés d’en arriver là.

— Non, c’est vrai. Nous ne sommes pas obligés. Vous pouvez toujours nous rejoindre. Ou nous laisser passer, lui répondit doucement Haziel.

Il n’y croyait pas, mais en tant qu’archange de la Paix, il devait essayer. Tout comme Gabriel, qui, en tant que représentant de l’Espérance, se devait d’espérer jusqu’au bout, se heurtant à la froide résolution de Lucifer.

— Baissez vos armes. Rien d’irréparable n’a été commis, nous pouvons encore parler, les conjura Gabriel.

— J’ai bien peur que le temps des discussions ne soit passé depuis longtemps, rétorqua Lucifer.

Il n’en fallut pas plus pour que Michel laisse éclater la fureur qui bouillonnait en lui depuis qu’il avait eu vent du projet de ses adelphes. Il avait d’abord refusé d’accorder le moindre crédit aux rumeurs. Et une part de lui, de plus en plus minime, avait continué à avoir confiance en eux. Jusqu’à être mis devant le fait accompli.

— Il a raison, Gabriel. Le temps des discussions est passé. Nous ne pouvons laisser passer un tel blasphème. — Tout son bras, de l’épaule à l’index, se tendit vers Haziel. — Toi qui es le Prince de la Paix, comment oses-tu apporter la guerre aux portes du Paradis ?

Ce doigt dirigé contre sa personne fut une flèche touchant en plein cœur sa culpabilité. Il baissa les yeux. Michel tourna sa colère contre Lucifer. D’eux tous, c’était la trahison la plus difficile à accepter.

— Et toi, toi ! Toi à qui On a tout donné, toi à qui j’ai tant donné ! Comment oses-tu nous renier ainsi ?

— Nous avoir créés ne Lui donne pas tous les droits sur nous. Nous n’avons pas à le servir pour l’éternité. Et encore moins son Humanité.

— Alors, c’est cela ? Ton orgueil est piqué ? L’Étoile du Matin est trop bien pour servir Sa plus belle création ?

Haziel redressa la tête. Le mépris du Prince de la Foi était plus coupant qu’il ne pouvait le supporter. Leurs raisons étaient nobles, il n’allait pas le laisser les réduire à un simple caprice. ll n’aura pas apporté la violence dans un sanctuaire de paix pour si peu.

— Ce n’est pas une question d’orgueil. Nous avons le droit de vouloir, de décider, d’aimer, de nous tromper. Nous avons le droit de vivre pour et par nous-mêmes.

— On est à l’origine de toute Création. Nous Lui devons littéralement Tout. Et nous, nous avons la chance d’exister pour servir Sa Déité. C’est notre raison d’être. Peut-il exister plus belle raison que de vivre ?

— Ce n’est pas parce que cela te convient que nous devons tous nous y plier.

— Nous exigeons la liberté. Entière et totale. Et si On ne nous la donne pas, nous la prendrons par la force s’il le faut.

C’était dit. Pour le meilleur et pour le pire, pour leurs espoirs en un futur superbe et pour leurs peurs d’une servitude éternelle, Lucifer avait posé les termes. Il n’y aurait ni négociations ni retour possibles. Avec lui à ses côtés, Haziel pouvait soulever des mondes entiers. Il l’appuya.

— Restez à Son service, si c’est ce que vous souhaitez. Nous n’avons pas à nous affronter. Vous êtes nos adelphes, tous. C’est entre Sa Déité et nous, uniquement.

— Si seulement, Haziel. Si seulement. Mais quels anges serions-nous, si nous ne combattons pas pour notre Créateurice ?

Raphaël souriait, car c’était ce que l’on attendait de la Charité, qu’elle soit toujours souriante. Mais c’était un sourire bien tordu. Les archanges cardinaux, dont Lucifer et Haziel ne feraient plus jamais partie, entrèrent dans la danse.

— Nous tournons en rond. Aucun de nous ne fera de compromis, aucun de nous ne fera de compromis. Nous allons voir qui aura la force de ses convictions, déclara Uriel à la force tranquille que rien ne semblait pas entacher, pas même la gravité du moment.

— L’archange de la Paix veut nous apporter la guerre, dans le Paradis immaculé. L’archange de la Connaissance veut nous en montrer les horreurs, en pleine lumière. Et nous, nous devons le leur accorder, psalmodia Reuel en maîtrisant sans mal ses tremblements devant ce que leur promettait l’avenir.

— Pour la première fois, des anges vont mourir. Leur sang sera sur nos mains, proclama Ramiel avant de jeter un coup d’œil prudent à Michel, afin de s’assurer qu’il ne prenne pas ombrage de ses paroles.

Sariel leva ses yeux clos vers le ciel. Fidèle à lui-même, il ne dit rien, se contentant d’offrir la balance qu’il tenait dans le creux de ses mains à la vue de tous. Ses deux plateaux immobiles étaient parfaitement alignés. La guerre était actée. Elle aurait lieu. Pourtant, Gabriel et Haziel devaient essayer, encore. Que signifieraient l’Espérance et la Paix, si elles se rendaient si facilement ?

— On vous le demande une dernière fois. Déposez les armes.

— Nous ne vous le redemanderons pas une nouvelle fois. Laissez-nous passer.

Aucun des deux camps n’amorça le moindre geste. Et ce n’est pas Michel et Lucifer qui allaient les y convaincre. Le Général de Sa Déité était prêt à se battre, tant il avait foi en leur victoire. Quant à l’ancienne Étoile, elle avait accepté la guerre en son noyau de lumière. Ce n’est pas pour autant que ce n’était pas atrocement déchirant.

— Alors, c’est ainsi, Lucifer ? Après tout ?

— Oui, Michel. C’est ainsi.

— Je suis désolé.

Piètres paroles, Haziel en était conscient. Mais c’était tout ce que la Paix pouvait offrir, désormais. Tout comme Raphaël ne pouvait plus être charitable que d’une seule façon.

— Moi aussi. Pour vous. Je prierai pour votre Salut.

Michel retira son épée de son fourreau. Il leva au-dessus de lui, le feu incandescent de la lame éclipsant l’éclat du Soleil de ses flammes blanches.

— Soldats, dégainez les armes !

Du camp du Paradis, et en réaction, du camp des insurgés, tous firent apparaître ou saisir leurs armes célestes. La trompette que tenait Gabriel devint une massue qui aurait pu faire s’écrouler des montages d’un seul coup. Le chignon extrêmement travaillé de Raphaël s’écroula alors qu’il retirait les deux dagues qui le maintenaient. Uriel n’avait besoin que de ses poings renforcés de métal, Reuel encocha une flèche dans son arc, la balance de Sariel fondit entre ses mains pour devenir un bâton, Ramiel prit les deux haches qui paraient sa ceinture.

Les larmes de Haziel se mirent à couler quand lui-même fit sortir de son torse sa pertuisane. Toutefois, sa voix était claire lorsqu’il ordonna.

— Préparez-vous à riposter.

— C’est maintenant ! Battez-vous pour votre Liberté !

Quant à Lucifer, quelle autre arme aurait pu lui seoir, si ce n’était une morgenstern ? Il faisait tournoyer la masse d’obsidienne, lourde de plusieurs centaines de kilos, au bout de sa chaîne, fixant le général des armées angéliques. Celui-ci abaissa son bras, son épée dirigée vers les deux archanges renégats.

— Légions, chargez ! Pour le Paradis ! Pour Sa Déité !

Dans une clameur de fin du monde, ceux qui étaient encore amis hier se fracassèrent les uns contre les autres. Les armes se heurtèrent, les os se brisèrent, les plumes volèrent, les peaux se déchirèrent, la lumière liquide de leurs veines se mélangea. Le Paradis n’était plus que furie et vacarme. Le fracas des armes, les vociférations des combattants, les gémissements des blessés, les râles des mourants. Les cris de désespoir et de colère lorsqu’un camarade en reconnaissait un autre dans le camp ennemi.

Mais quelques-uns ne combattaient pas. Amassés au pied du Saint des Saints, des angelots, trop jeunes pour tenir une arme, trop apeurés pour le faire, trop indécis pour savoir quel camp choisir. Et perché à son sommet, Azraël, le dernier créé, à peine plus qu’un bambin parmi eux, un codex bien trop lourd pour ses petites mains posées sur ses genoux. À ses côtés, Orphiel, pas beaucoup plus vieux que lui. Il l’observait tourner les pages, dans un sens et dans l’autre. Avec application, Azraël rayait un nom par-ci, un nom par-là, sur les pages qui en étaient noircies. Un ange tombé, un trait tiré, de la pointe de la plus belle de ses plumes qu’il s’était lui-même arraché. Des gouttes de lumière continuaient à en perler.

De la première aube au dernier crépuscule de ce Jour, la guerre fit rage. Les longues, très longues heures passaient, sans que l’ardeur ne diminue. Personne ne voulait reculer, pas quand de la victoire ou de la défaite dépendait leur avenir pour le reste de l’éternité. Chacun était prêt à faire mal et à blesser son semblable pour défendre son idéal. Mais peu à peu, des deux côtés, les deux camps se clairsemaient.

Dans la confusion de la bataille, Haziel et Lucifer avaient rapidement été séparés. L’Étoile s’était envolée dans les airs, l’archange pleureur était resté sur le sol éthéré, où les anges tombaient. Parfois blessés, parfois agonisants, parfois morts. Ses larmes avaient inondé les étendues du Ciel, se mêlant au sang versé, refermant les plaies ouvertes, ressoudant les squelettes disloqués. Des fois, les anges se relevaient, des fois non. Les nuages étaient jonchés de corps intacts que l’on aurait pu croire endormis, mais que tous savaient désormais sans vie. Leur blancheur cotonneuse avait pris une teinte dorée, étincelante sous un Soleil aux rayons implacables.

Agenouillé devant Asmodée, gargouillant alors qu’il était en train de s’étouffer dans son propre sang, Haziel contemplait ce spectacle aussi beau que cruel. D’un geste mécanique, il retira la flèche plantée dans la gorge de l’ange et laissa son essence faire le reste. Il ne savait pas pourquoi ses larmes continuaient de couler, quand il ne se ressentait plus que le vide. Il en avait oublié jusqu’à la mer immense, et la douceur des ailes de Lucifer. Il avait l’impression d’avoir passé sa vie ici et qu’il y resterait jusqu’à sa mort, comme si avant n’avait été qu’un rêve et qu’après une douteuse illusion. Pourtant, lorsque Michel atterrit devant eux, il s’agrippa à sa pertuisiane plantée dans le sol pour se relever.

— Combats-moi, Haziel, puisque c’est ce que tu veux.

— Je n’ai jamais voulu ça. Mais je suppose que la Paix n’a jamais été une option, pas vrai ?

Haziel enjamba Asmodée. Il essuya ses yeux d’un geste las, avant de prendre son arme à deux mains. Les flammes de l’épée divine étaient toujours aussi immaculées qu’à la levée du Jour. Quant à Michel, il étincelait autant que le sol, mais c’était du sang de leurs adelphes. Il le fixait avec un air dont Haziel ne saurait dire si c’était de la pitié ou de la fureur.

— Piètre archange que celui qui ne croit pas en sa Vertu. Tu m’auras déçu jusqu’au bout.

Haziel regarda tout autour de lui. Et ce fut plus fort que lui. Il éclata d’un rire creux qui ressemblait à un hurlement.

— Oh, Michel, t’avoir déçu est sans nul doute la pire chose de ce maudit Jour.

Ils dansèrent à deux un bal mortel, flottant au-dessus du sol. Michel attaquait sans relâche, le poussant dans ses retranchements. Haziel bloquait, encore et encore, sans réfléchir. Un éventail tranchant vint soudainement se planter aux pieds du général de Sa Déité, le faisant bondir en arrière. Il l’avait raté, mais Haziel avait enfin une ouverture. Il projeta sa lance en avant, mais au moment de l’enfoncer dans son épaule, un souvenir fugace le traversa. Michel lui présentant Lucifer. Son coup ripa sur son épaule. Une douleur irradia dans tout le côté droit de son torse. Haziel baissa la tête et vit l’épée enflammée se retirer de son flanc. ll n’avait pas reconnu la sensation de brûlure, car jamais de son existence il ne l’avait encore ressenti. Il s’écroula.

Le possesseur de l’éventail, Lilith, qui venait de se poser auprès d’Asmodée, hurla le nom de son Prince, une fois, deux fois. Lucifer, qui combattait quelques centaines de mètres plus hauts, l’entendit. Il baissa les yeux et vit Michel, levant son arme au-dessus du corps inerte de son compagnon.

— Non !

Un faisceau de lumière tomba sur Haziel, déchirant le Ciel en deux dans un tonnerre assourdissant qui résonna jusqu’à la Terre. Son souffle projeta tout le monde dans les airs quelques mètres en arrière. Lilith se coucha sur Asmodée pour le protéger, Michel dut reculer en se couvrant les yeux. Lorsqu’il se dissipa, Lucifer tenait son archange dans ses bras. Le silence total succéda aux fracas. Tous se posèrent autour des trois archanges. Les autres Princes du Paradis voulurent s’approcher, mais Michel tendit le bras pour leur faire signe de ne pas s’en mêler. Lucifer pressait Haziel contre lui. Il respirait encore, il pouvait sentir son souffle contre son visage. Il glissa une main dans ses cheveux, le serrant encore plus fort.

— Haziel…

Il redressa la tête en sentant une main fraîche sur sa joue. L’archange lui souriait, faiblement mais tendrement. Il murmura, n’ayant plus assez de force pour parler.

— J’ai foi en toi. Mon Étoile du matin.

Sa main retomba. Asmodée s’était relevé, soutenu par Samaël. Ils s’avancèrent aux côtés de Lilith, qui tendit les bras pour prendre Haziel. Il était encore vivant, mais c’était tout juste. Au sommet du Saint des Saints, la plume d’Azraël était suspendue au-dessus de son nom pendant qu’à ses côtés, Orphiel priait, paupières closes et mains jointes. Avec soin, Lucifer vint essuyer la dernière larme qui s’écoulait sur sa joue. Les pleurs de Haziel, qui avaient préservé tant d’anges, ne le soigneraient pas. C’était le propre de la Paix. Elle ne pouvait se sauver elle-même. Il le confia à Lilith, avant de se pencher pour ramasser la pertuisane abandonnée. Il avait lâché sa morgenstern lorsqu’il avait fendu les airs pour le protéger. Il se tourna vers Michel, tirant une puissance nouvelle dans la rage qu’il éprouvait.

— Il a pleuré pour vous tous.

— Et nous le pleurerons aussi, et toi avec. Tout cela doit s’achever à présent, mon adelphe.

La Création entière paraît retenir son souffle quand les deux s’élancèrent l’un contre l’autre, pour le duel qui scellerait le destin du Paradis. Chaque coup est rendu, chaque feinte est bloquée pour mieux en amener une autre derrière. Michel, le général des armées célestes, dont sa Foi envers Sa Déité le nourrissait tant qu’il en semblait invincible. Et Lucifer, le Joyau du Paradis, dont la soif de Connaissance s’était étendue jusqu’aux arts martiaux, et qui désormais ne voulait puiser son pouvoir qu’en lui-même et en Haziel. Les deux étaient fourbus après une journée à se battre sans discontinuer. Ils repoussaient leurs limites, encore et encore, mettant dans leurs passes d’arme ce qu’ils ne pouvaient se dire avec les mots. Leur incompréhension et leur colère, leurs espoirs et leurs regrets. Leur amour, aussi.

Michel trébucha. Il se releva aussitôt. Son regard rencontra celui de Haziel. Le Prince de la Foi avait conscience que Lucifer aurait dû le transpercer. Et il vit que le Prince de la Paix le savait aussi. À cet instant, Lucifer aurait pu l’emporter, si ses ailes ne s’étaient pas embrasé d’un feu blanc et immaculé. Il cria, et son cri se mêla à celui des autres révoltés. Un par un, ils s’enflammaient. Le dernier réflexe de Lucifer fut de courir vers Haziel, qui connaissait le même sort que les autres. Il lui attrapa la main, tandis que les nuages se dérobaient sous leurs pieds.

Dans la nuit tombante, ils chutèrent. Cela aurait pu ressembler à une pluie d’étoiles filantes, si ce n’était que les météroïdes ne hurlaient pas en se consumant. La chaleur à la fin de ce Huitième Jour était telle que le sable de la mer du Jardin d’Éden fondit, devenant verre. Et puis, plus rien.

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