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Silanti
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Chapitre Dix-Sept : Epée & larmes

Le temps était à la tourmente, sur Florence. Les Limbes s’ouvrirent en plein sur la Piazzale Michelangelo, balayée par les rafales d’un vent glacé, qui ne tardèrent pas à emporter les pétales de la couronne de pâquerettes infernales aux quatre coins de la cité du Lys. Le trio découvrit une esplanade déserte, si ce n’était l’archange Michel surplombant la ville entière, son épée à la main. Les rares rayons de soleil qui filtraient à travers les nuages noirs et lourds l’éclairaient dans toute sa juste ire. Il se tourna vers eux. Lucifer poussa Sacha derrière lui pour le protéger de son éclat.

Sur le visage du Prince de la Foi, le choc de voir Haziel et Lucifer réunis se disputa à la fureur de les voir bafouer aussi ouvertement ce qu’On avait dicté.

— C’était donc vrai. Le Diable marche bien sur Terre.

Il paraissait toujours avoir du mal à y croire. Son attention se focalisa sur Haziel.

— J’espère que tu es conscient de ce que cela signifie.

Lucifer le coupa. Son archange déchu avait été assez rudoyé pour aujourd’hui.

— Haziel s’est retrouvé malgré lui mêlé aux affaires de l’Enfer.

Michel ne lui accorda pas un regard, continuant à le darder sans pitié sur Haziel, si fatigué qu’il avait bien du mal à le supporter.

— Et je lui ai tendu la main, et il l’a refusé. Il a brisé la confiance qu’On lui avait accordée, encore, dans Sa grande Charité, malgré son blasphème. Lui et les déchus seront jugés pour ça. S’ils restent quelque chose d’eux après ce qui risque de suivre.

Haziel eut un rictus. Aujourd’hui, il avait été blessé, enlevé, enfermé, menacé et libéré. Et à présent, la pire crainte qu’il avait eue en apprenant que le Diable comptait rester sur Terre était en train de se réaliser. Son avenir s’annonçait aussi sombre que le ciel nuageux au-dessus d’eux, mais il avait tout de même une lueur d’espoir. Contrairement à ce qu’il lui avait promis, le général était venu sans ses armées. Haziel tendit la pointe de l’aile cerclant son front vers l’épée qui l’avait jadis transpercé.

— Tu es le seul qui est armé ici, Michel. Nous ne voulons pas nous battre.

— Tout comme tu ne voulais pas te battre au Huitième Jour. Et pourtant…

Il laissa la fin de sa phrase mourir sur ses lèvres. Lui aussi se rappelait comment aurait dû finir leur affrontement, s’ils n’avaient pas été interrompus. Il reprit, avec un sarcasme fruit de siècles de rancune.

— Cherches-tu encore à défendre la Paix, Haziel ? Cela fait des millénaires qu’il est trop tard pour cela.

Se libérant de la poigne du Diable qui le maintenait derrière lui, Sacha bondit. Il le regretta un peu, lorsque la lumière que dégageait Michel manqua de lui brûler définitivement les rétines. Il persévéra cependant, mettant son bras en protection.

— Ne te moque pas de lui !

Il en avait assez que tout le monde s’en prenne à Haziel. Le déchu s’élança pour le rattraper, mais il était trop tard. L’attention de Michel était maintenant sur le garçon. Son regard s’assombrit en voyant l’anneau sacré au doigt d’une créature de la nuit. Il tendit la main.

— Tu n’as rien à faire avec cela, fils de Mammon.

La chevalière fila de l’annulaire de Sacha pour se mettre sur celui de Michel. Le dhampire sentit quelque chose d’invisible, mais de bien réel, lui empoigner le cou. Il fut soulevé du sol. Il aurait bien crié pour protester, mais aucun son ne sortait de sa gorge écrasée. Il griffa sa gorge dans le vide en essayant de se libérer. Haziel porta sa main à son torse, horrifié :

— Michel ! S’il te plaît, non !

Lucifer ouvrit ses ailes. Six plumes filèrent jusqu’à l’archange, frôlant Sacha. Six lames entourèrent le général des légions célestes, prêt à le transpercer.

— Lâche cet enfant.

L’ordre du Diable claqua dans l’air. D’un bras levé, Michel embrasa les plumes de métal qui le menaçaient. Elles tombèrent au sol dans un tas de cendre et de rouille, avant d’être emportées par le vent. De l’autre bras tendu en arrière, il envoya Sacha heurter la réplique de la statue de l’artiste qui lui devait son nom. Le David de bronze referma ses bras sur le garçon, le bloquant contre elle. Sacha eut beau crier et gesticuler dans tous les sens, ce qu’il ne se priva pas de faire dès que l’air recommença à remplir ses poumons, il ne réussit pas à s’en dégager. Se désintéressant de lui, Michel darda pour la première fois depuis la Chute ses yeux ardents sur Lucifer. La lumière la plus pure, et les ténèbres les plus profondes, se faisaient face. Haziel sentit l’ancien Prince de la Connaissance se crisper d’émotions contenues. De la douleur se lisait dans le regard de l’archange. Mais elle n’a pas sa place ici, ainsi Michel l’ignora.

— Que t’importe le sort d’un seul, quand tu viens de condamner tous les êtres vivants de cette planète, Lucifer.

— C’est Satan, gronda le Diable.

— Je sais. Mais qu’On me pardonne, tu seras toujours pour moi cette Étoile déployant ses ailes.

— Tu m’aurais tué, si On ne t’en avait pas empêché. Tu es encore prêt à le faire.

— Et quel choix me reste-t-il ? Toi qui étais Son préféré, tu as rejeté Son amour pour un mirage. Et de ta captivité en Enfer, tu n’as visiblement rien appris. Prêt à risquer l’Apocalypse, pour les beaux yeux d’un de Ses enfants.

Lucifer et Michel n’avaient jamais réussi à se comprendre. L’un était un astre qui voulait tout ce que l’univers avait à lui offrir, l’autre un ange qui ne vivait que pour Sa Déité. Et à nouveau, Haziel ne pouvait que les regarder s’affronter. Le Diable se tourna vers lui, un tendre sourire sur ses lèvres.

— Mais quels yeux, Michel. Les joyaux de la Création, ce sont eux. Si On ne voulait pas que j’en tombe amoureux, On n’aurait pas dû les faire aussi sublimes.

En temps normal, ça aurait touché l’archange déchu en plein dans son être. Là, il ne put qu’avoir un soupir désapprobateur devant ce manque d’à-propos.

— Luci…

Lucifer reporta son attention sur celui qui aurait été pour lui son adelphe aîné, si une telle notion avait existé au Paradis.

— Tu parles d’Apocalypse, mais tu es seul. Où sont Gabriel et sa trompette ?

— J’ai tout fait pour Lui plaire, mais je n’ai jamais brillé à Ses yeux comme tu l’as fait.

Quiconque ne connaissait pas Michel comme ils le connaissaient aurait pu croire qu’il y avait de la jalousie dans ses paroles. Mais le Prince était au-dessus de cela. Si amertume il y avait, elle n’était tournée ni vers Lucifer, ni vers Leur Déité. Elle n’était tournée qu’envers lui-même. Il plaqua sa main sur son torse, agrippant la tunique en dessous à l’en froisser.

— C’est à moi qu’On t’avait confié, Lucifer. Et je n’ai pas su me montrer digne de Sa confiance. Il est normal que ce soit de ma main que périsse la nuisance que tu es devenue.

— C’est ainsi que tu me vois maintenant ? Comme une nuisance ?

Le désabusement dans la voix de l’archidémon fit détourner les yeux du très fier archange.

— Tu es allé trop loin. Tu menaces tout l’Ordre établi, alors que tu devais le protéger. Mais je ne t’en blâme pas. C’est moi qui ai failli, moi qui n’ai pas su te garder dans le droit chemin. Je suis celui qui a fauté, je suis celui qui doit réparer. Et ainsi, je porterai le fardeau de ma faute et de ta mort pour le reste de l’éternité. Telle est ma juste punition.

Lucifer et Haziel échangèrent un très lourd regard. Pendant tout ce temps, chacun de leur côté, ils s’étaient demandé comment Michel, leur adelphe, avait pu si facilement retourner son arme envers eux. Ils ne s’étaient jamais demandés pourquoi, tant la réponse semblait couler de source. Ils ne s’étaient jamais demandé quel chagrin se cachait derrière sa rage. Le déchu hocha la tête, et le Diable le lâcha. Il avança en direction de leur adelphe.

— Tu n’as fauté en rien, Michel. Sur Terre et au Ciel, et jusque dans les profondeurs infernales, il n’existe meilleur mentor que toi. Ta grandeur m’a inspiré, ton amour m’a élevé bien plus que toute affection de Sa Déité, lui avoua Lucifer, s’ouvrant sans honte.

— Et pourtant, tu blasphèmes encore, lâcha Michel, se cachant encore derrière les sarcasmes.

— Si faute il y a, elle est partagée. J’étais un archange aussi. J’ai pris la main de Lucifer, et ensemble, nous nous sommes détournés du chemin qu’On nous avait tracé, lui rappela Haziel, retenant devant sa détresse longtemps cachée des larmes qui, de toute façon, ne pouvaient plus couler.

— Et à l’un comme à l’autre, je n’ai su vous infuser la Foi en Sa Déité. J’ai échoué là où, plus que tout, j’aurais voulu réussir, rétorqua encore Michel, refusant tout allégement de sa peine.

Les ailes du général du Paradis s’étaient mises à battre de plus en plus lentement, jusqu’à lui faire toucher le sol, son épée, désormais plus flammèche que brasier, pendant au bout de sa main. Lucifer était maintenant assez près de lui pour le toucher. Son glorieux halo le brûlait, mais il tint bon. Il posa une main sur son épaule. Dans un murmure, il l’absolut :

— Depuis tout ce temps, tu t’en veux pour cela… Si tu penses avoir fauté contre moi, sache que je te remercie, d’avoir fait de moi ce que je suis. Et si tu as besoin de l’entendre… Sache que je te pardonne cette faute que tu n’as point commise.

Michel ferma les yeux pour que l’on ne puisse voir l’eau qui montait au bord de ses paupières. Il appuya sa joue sur sa main, les lèvres serrées. Avant de se rendre compte que les belles paroles que chuchotait Lucifer à ses oreilles étaient en train de le faire faiblir. Il ne devait pas. Il était la Foi. Lui plus que quiconque, il ne pouvait se le permettre. Ses doigts sur la poignée de son épée se resserrèrent, les flammes blanches se ravivèrent. Sacha le vit et il hurla, se débattant de plus belle :

— Lulu, attention !

Le Prince de la Vaine Gloire réagit instinctivement. Il bondit en arrière, porté par ses ailes. L’épée jaillit là où il se trouvait une demi-seconde auparavant. Michel fulminait, de nouveau hors d’atteinte de tout ce qui viendrait troubler son saint devoir.

— Tu es le Diable. Tu ne peux pas me pardonner. Seul Sa Déité le peut.

Haziel avait sorti sa pertuisane. Il s’élança aussi dans les airs, mais dès qu’il fut à portée de son bras, Lucifer le repoussa sans ménagement.

— Tu es blessé, ne t’en mêle pas.

— Et ton tour viendra bien assez vite, mon adelphe, renchérit cyniquement Michel.

C’était entre deux, ça avait toujours été entre deux. Au Huitième Jour, On avait mis un terme à leur combat avant sa fin. Aujourd’hui, ils ne laisseraient rien les séparer avant que l’un ne gît sur le sol, dépourvu de vie. Parce qu’ils étaient chacun la plus grande menace pour les idéaux de l’autre. Parce qu’ils étaient tous deux leur parfaite antithèse. Parce que parfois, l’amour ne peut trouver son achèvement que dans la destruction.

Il s’était mis à pleuvoir tout autour d’eau, et pourtant, pas une seule goutte ne les touchait. Lucifer tendit la main vers les cieux. Un éclair le frappa de plein fouet, il en chargea la foudre de géhenne et le ploya jusqu’à en faire une morgenstern.

— Rien ne sera réparé en me tuant ! Si je meurs, d’autres prendront ma place ! Nous aurons notre liberté, nous volerons à nouveau dans les cieux !

— Que d’autres viennent, je les détruirai aussi, devrais-je faire de leurs corps une tour aussi haute que celle de Babel ! J’éliminerai tout danger menaçant Sa Déité, jusqu’à ce que, dans Sa grande bonté, On estime que j’ai assez expié !

Profitant de ce que Michel était bien trop occupé pour faire attention à eux, Haziel vola jusqu’à la statue qui retenait Sacha. À deux, ils réussirent à tordre suffisamment ses bras de bronze pour que le dhampire puisse glisser jusqu’au sol. Le dhampire sortit aussitôt sa dague de son fourreau, mais l’archange déchu le retint par le poignet.

— Pars.

— Non.

Sacha prit sa main pour la lui retirer. Le propriétaire du Purgatorio secoua sa tête.

— Ce n’est pas ton combat.

— Peut-être pas, mais… En fait, si. Comme vous parlez d’Apocalypse et que je vis sur la Terre où elle doit avoir lieu, je suis littéralement concerné.

Haziel vit que le garçon était un bloc de détermination que rien ne saurait faire bouger et il était trop faible pour l’assommer. Il soupira. Sacha sourit.

— Ton adelphe est un fanatique, mais mon père est un monstre. Je sais c’est quoi d’avoir une famille compliquée.

Ils se tournèrent tous les deux vers les combattants. Ils allaient si vite, ils étaient si hauts, que même les yeux surhumains de Sacha peinaient à les discerner. Lucifer mettait l’entièreté de ses forces dans chaque passe d’armes, mais celles-ci avaient été déjà bien entamées par son affrontement contre Léviathan et Belzébuth. Et chaque fois que la lame divine l’effleurait, il pouvait sentir ses plumes roussir. Qu’importe cependant. Plus que jamais, la mort n’était pas une option. Il ne laisserait pas l’Enfer se battre seul. Il ne laisserait pas Haziel seul. Ce n’était pas pour leur liberté qu’il se battait cette fois, mais pour la survie de ce qui lui était cher. Et ça le portait plus que n’importe quel vent.

Michel n’était pas en reste. Après des siècles et des siècles d’attente, il tenait enfin l’occasion de se racheter auprès de Sa Déité. S’il échouait à nouveau, oserait-il seulement reparaître dans Sa Lumière ? Alors, sans hésitation, il brandissait son épée, dissipant encore et encore l’obscurité qui émanait de Lucifer, les flammes rongeantes de la géhenne qui le léchait. Ils s’empoignèrent, tournoyant dans les airs, se giflant de leurs ailes, jusqu’à s’entraîner mutuellement jusqu’au sol. Ils heurtèrent la piazzalle de plein fouet. Michel fut le premier à se redresser, son épée dressée au-dessus de sa tête. Lucifer tendit la chaîne de son arme pour parer, mais ils se figèrent tous les deux. Le Prince de la Foi baissa les yeux. De là où se serait trouvé son cœur s’il était humain, dépassait d’une bonne douzaine de centimètres la pertuisane de Haziel. Il releva des yeux arrondis par la surprise, dévisageant le Diable qui paraissait aussi étonné que lui. Tendant la main derrière son dos, il en retira la lance. Un flot de sang luminescent gicla des deux côtés du trou qu’elle avait laissé. Il s’effondra en lâchant les deux armes.

Le Diable dissipa aussitôt sa morgenstern en se redressant. Il fixa Haziel fendre les airs jusqu’à eux, Sacha sur ses talons. En voyant Michel pencher ainsi sur Lucifer, prêt à abattre son arme, l’archange déchu avait revécu la peur qui l’avait saisi au Paradis, lorsque c’était lui qui était à la merci de leur adelphe. Sa cicatrice au flanc l’avait brûlé comme ce Jour où il avait découvert ce qu’était la souffrance physique, que connaissaient tous les mortels. Enfin, Haziel s’était rappelé l’envie féroce de vivre encore, ne serait-ce que quelques secondes de plus, qui l’avait saisi. Sans même qu’il en ait conscience, son bras s’était levé, sa main avait lancé, et, guidée par son amour pour l’Étoile du Matin, avait atteint celui qui le menaçait. Alors, il s’était souvenu de l’air effrayé de Michel, lorsqu’il avait compris qu’il serait mort, si les ailes de Lucifer ne s’étaient pas enflammées.

D’un coup de pied, Haziel dégagea sa pertuisane au loin. Il vit la façon dont Lucifer le regarder. Il en cria presque :

— Il allait te tuer !

Les trois s’agenouillèrent autour de l’archange, gisant au milieu de ses ailes encore déployées, prêtes pour un dernier vol qui n’aurait sans doute jamais lieu. Haziel se pencha, pressant ses mains contre la plaie. Le sang s’écoulait entre ses doigts. Le sol s’en imbibait lentement, mais sûrement.

— Non, non, non… Il est en train de mourir ! Luci, fais quelque chose, s’il te plaît…

Le Diable le fixait toujours, sans rien dire ou bouger. Il avait toujours su que pour rendre réelle sa vision, Michel devait périr. Il l’avait su, comme les humains savaient qu’ils devaient tous mourir un jour, sans trop y songer jusqu’à être mis face à face, sans échappatoire, à leur propre mortalité. Et il n’arrivait pas à croire que ce jour était pour aujourd’hui, même devant le fait accompli. Tout au fond de lui, il avait toujours considéré Michel aussi immuable que le Soleil, l’eau ou le vent. Et jusqu’à la dernière seconde, il s’était attendu à ce qu’un nouveau revirement les empêche de s’entretuer, que ce soit Leur Déité, les autres archanges ou que savait-il encore.

Mais maintenant, Michel était en train de se vider de son sang sous ses yeux. Bientôt, sa lumière serait définitivement éteinte. Et même s’il l’avait voulu – et il était le Diable, il ne pouvait pas le vouloir, non ? – il était impuissant face à ça. Devant les yeux dorés emplis de désespoir, il ne put que reconnaître son impuissance.

— Haziel... Je ne peux pas le sauver.

Il prit la main de Michel dans la sienne. Il le sentit la serrer mollement. Sa lumière était en train de s’éteindre. Elle était devenue suffisamment faible pour que Sacha puisse le toucher sans s’enflammer. Sans rien dire, il souleva la tête parfaite de l’archange pour la poser sur ses genoux. Il dégagea ses cheveux de ses yeux. Michel pouffa à en cracher du sang.

— C’est donc ainsi que finit l’Epée de Sa Déité… Vaincu par le Diable, son Prince déchu et un des bâtards de l’Enfer.

Le dhampire essuya le sang de sa manche. Il sentait la rose, le lys, et toutes les plus belles fleurs du monde, et pourtant, la simple pensée d’y goûter aurait résonné en lui comme le plus effroyable des sacrilèges. Satan essaya de sourire, mais cela faisait si mal.

— Y a-t-il fin plus digne, pour le général des armées célestes ?

Comprenant que ça ne servait à rien, qu’il n’y avait rien à faire, qu’il pouvait seulement assister à ses derniers instants, Haziel retira ses mains. Il se les tordait violemment, sentant à peine la douleur de ses doigts déjà meurtris plus tôt.

— Oh, Michel… Je suis tellement désolé.

— Garde ta pitié pour ceux qui en ont besoin, mon adelphe. Je ne veux pas de ta peine.

Il y eut un silence, que l’archange finit par rompre. Sa voix avait changé. Toute animosité l’avait quitté. Elle était telle qu’elle était au Commencement. Il souleva péniblement sa main, pour la poser sur le genou de Haziel.

— Tu te rappelles, lorsqu’On a nous offert notre troisième paire d’ailes ?

L’ancien archange de la Paix eut un éclat de rire qui se termina en sanglots secs.

— Oui. Comment l’oublier ? Raphaël nous avait grondés parce que nous nous cachions derrière pour faire des farces aux angelots.

Michel tourna ensuite son regard vers Lucifer.

— Et toi, lorsque je t’ai appris à voler ?

Les yeux de l’ancien archange de la Connaissance étaient éteints. Pas d’étoiles, qu’elles soient naissantes ou mourantes, pas de supernovae, rien qu’un noir sans fond.

— Bien sûr. Nous filions ensemble à travers les nuages. C’est Gabriel qui a dû te rappeler de m’apprendre à freiner élégamment.

L’archange sourit, et c’était le sourire le plus apaisé qu’il avait jamais arboré. Il leva les yeux vers le ciel, pour le contempler une dernière fois.

— J’ai gardé précieusement ses moments au fond de mon être.

Haziel posa sa main par-dessus celle de Michel. Lucifer sentit la poigne de Michel décroître dans la sienne.

— Vous avez raison. Je vous aurai tué tous les deux sans hésiter. Mais ce n’est pas pour cela que vous n’aviez plus mon amour. — Des larmes silencieuses coulèrent sur ses joues. — Qu’On me pardonne, je suis soulagé de ne pas y être arrivé.

Il ferma les yeux, trop fatigué pour les garder ouverts. Sa voix n’était plus qu’un souffle.

— Dites à Raphaël et à Gabriel de ne pas être attristés. Je vais retrouver Sa Lumière. Je les y attendrai… Je…

La tête sur les genoux de Sacha devint inerte et lourde. Du corps de l’archange ne luisait plus aucune lumière. Le dhampire renifla bruyamment, ne comprenant pas pourquoi ça lui paraissait être la chose la plus triste du monde. Lucifer aussi sentait les larmes lui brûlaient les yeux, mais il les retint. Plus tard, peut-être, dans la solitude de son palais. Délicatement, avec affection et référence, il prit les mains de Michel, les croisant sur son torse en une prière éternelle pour Sa Déité qu’il aimait plus que tout et qui l’avait laissé mourir.

Haziel était dévasté. Jamais il n’avait voulu sa mort. Et pourtant, il avait mis fin à sa vie. Peu importait les péchés qu’il avait commis envers le Paradis et sa Déité, pour celui-là, nulle rédemption ne lui serait jamais accordée. C’était bien là tout ce qu’il méritait. Le Prince déchu avait toujours eu l’espoir qu’à la Fin de Tout, ils puissent, à défaut de se comprendre, au moins se réconcilier. Faire la paix avec leurs choix et les blessures qu’ils s’étaient causées. Cet espoir là, il venait de le tuer aussi. Car par sa faute, jamais plus Michel, dont la Foi ardente illuminait bien au-delà des cieux, ne volerait. Jamais plus il ne le reverrait. Jamais plus il ne lui parlerait. Jamais plus.

Il s’effondra sur lui, secoué par des pleurs qui, sans larmes, n’étaient que des gémissements déchirants à entendre. Ne pouvant supporter son impuissance à consoler son amour, après son impuissance à sauver son adelphe, Lucifer leva la tête vers le Ciel, attendant quelque chose, n’importe quoi, que ce soit une nouvelle punition divine ou le reste des anges venus chercher leur Prince. Tout plutôt que de devoir rester avec ce nouveau vide en lui, qui ne pourrait que se remplir de douleur. Il ne saurait dire quand, mais la pluie s’était arrêtée. Si ce n’était Haziel, le monde était devenu silence.

Respectueusement, Sacha avait reposé la tête de Michel sur le sol. Il s’apprêtait à se relever, quand il remarqua quelque chose qui le fit froncer les sourcils. Une auréole faible, éthérée, mais bien présente s’épanouissait à nouveau. La journée ayant été très longue, le garçon frotta ses yeux, mais elle était toujours là.

— Haziel…

Enfermé dans sa peine, le déchu ne l’entendit pas. Sacha recommença, lui secouant l’épaule jusqu’à ce qu’il se redressa. Le trou dans le torse du Prince de la Foi s’était refermé, comme s’il n’avait jamais existé. Mais ce fut le visage de Haziel qui fit reculer le dhampire de surprise.

— Haziel, tes yeux !

Le propriétaire du Purgatorio porta sa main à son visage. Il sentit quelque chose d’humide. Il l’en retira plein’ d’un liquide doré, luisant à la lumière qui émanait de plus en plus fort de Michel. Il regarda Lucifer, n’osant y croire. Le Diable tendit à son tour une main pour lui essuyer la joue de son index, et en même temps récupérer quelques gouttes d’or pour s’en assurer. Son exclamation résonna sur toute l’esplanade.

— Mon archange, tu pleures !

Oui, pour la première fois depuis le Huitième Jour, pour la première fois depuis des millénaires, des larmes mouillaient les yeux de Haziel. Il se mit à rire en même temps qu’il pleurait, les mains pressées contre ses lèvres devant ce qui était ni plus ni moins qu’un miracle. Mais le plus étonné semblait être Michel lui-même lorsqu’il rouvrit les yeux. Il les regarda tous les deux. Haziel qui paraissait au bord de l’hystérie. Et Lucifer qui était également en proie à un fou rire en fixant le ciel. L’archange se redressa péniblement, pour manquer de se faire renverser à nouveau par son adelphe déchu se jetant à son cou, incapable de formuler la moindre pensée cohérente. Lucifer n’était pas soulagé à ce point – ce n’était pas lui qui l’avait tué, après tout – mais il se pencha pour ramasser l’épée, qui n’était plus qu’une poignée sans lame ni flammes, et la tendit en souriant à Michel. Quant à Sacha, il contemplait la scène en se demandant à quel point Kecha le croirait, lorsqu’il lui raconterait tout ça.

Un flash éclata brusquement, les aveuglant tous dans une clameur cristalline de psaumes célestes et une odeur de fleurs fraîchement écloses. Quand ils purent voir à nouveau, les six autres Princes du Paradis se tenaient au-dessus d’eux. Et derrière eux, les douze légions angéliques emplissaient le ciel à perte de vue.

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