Lucifer avançait, dans cette cathédrale bâtie à sa Vaine Gloire. Il marcha jusqu’à son trône, jusqu’à ce que le sang qui en coulait éclabousse ses pieds nus. Il le regarda. Il inspira. Il expira. Satan ordonna.
— Petite Lilith, Mère des sorcières, je te convoque. Samaël, intendant du Huitième Cercle, je te convoque.
Sa voix résonna dans le vide. Dans les secondes qui suivirent, ses deux fidèles apparurent de nulle part. Lilith d’abord.
— Bon retour parmi nous, Satan.
Samaël ensuite.
— As-tu enfin mis la main sur le voleur ?
Le Diable se retourna vers eux, un sourire sur le visage.
— Figure-toi que oui. Belzébuth était bien à l’origine de ce vol, secondé par Léviathan. Ils l’ont avoué d’eux-mêmes. À l’heure où nous parlons, nos Luxurieuses Altesses finissent de les appréhender.
Lilith parut soulagée par la nouvelle.
— Merveilleux, Satan.
Samaël lui était déjà prêt à agir, aussi formel et efficace qu’à son accoutumé.
— Je vais de ce pas contacter Bélial pour qu’il aille leur prêter main-forte. Il ne faudrait pas qu’ils s’enfuient sur Terre, hors de ta portée.
Mais Satan secoua la tête.
— Un instant, Samaël. Malgré leurs aveux, il y a un dernier point qui m’échappe toujours. Peut-être que toi et la Mère des sorcières pourriez m’aider à l’éclaircir.
— N’y a-t-il pas plus important à faire ? Grand Lilith est en train de se battre, et nous avons été informés que Michel est toujours sur Terre…
Il fut coupé comme si de rien était. S’il ne le montrait pas, Satan le connaissait assez pour savoir que son inquiétude pour le Prince Lilith n’était pas feinte. Ils avaient été les toutes premières créatures créées, avant même les archanges. Ils avaient un lien que personne ne pouvait comprendre. Il n’en eut cure.
— Ils ont utilisé une méthode de vol assez intéressante, je dois le reconnaître. Ils ont utilisé un singe mécanique, créé par Belphégor – il faudra d’ailleurs que je songe à lui rappeler d’être moins généreux à l’avenir, dans les inventions qu’il vend en Enfer – pour leur rapporter le flacon. Cela explique que rien d’autre n’ait été volé. Il n’avait été dressé que pour un seul objet.
Si la situation n’avait pas été aussi grave, Satan aurait pu prendre du plaisir à jouer aux détectives humains. Sauf que la situation l’était, et que la seule chose qui aurait pu le détendre aurait été de planter ses griffes dans quelque chose de saignant et de hurlant.
— Sur le moment, je n’ai guère été surpris que rien d’autre n’ait été touché. L’objectif de ce vol étant sans nul doute de m’humilier, découvrir que je possédais un tel objet avait dû être une grande joie pour le voleur. Car, comme tout le monde le sait, en Enfer, les reliques et artefacts réellement importants et dangereux sont enfermés ailleurs. Ceux que j’ai dans ma chambre ne sont que des babioles. La plume d’Azraël ? Magnifique, mais inutile sans son Livre. Le bonzaï de la Connaissance ? La Connaissance nous est déjà acquise, et ses pommes sont minuscules. La lyre de Raphaël ? Il n’y a que lui qui peut en tirer un son. Seules les larmes de Haziel étaient réellement utiles. Capables de guérir n’importe quelle blessure, même la plus mortelle. Et quoi de plus humiliant que de me dérober les larmes du déchu qui m’a rejeté ? À la place du voleur, je n’aurai pris que cela aussi.
Au fur et à mesure que Satan parlait, le vent s’était mis à souffler, de plus en plus fort, soufflant les flammes des chandeliers les unes après les autres. Ses yeux s’obscurcissaient, ses ailes s’agrandissaient bien au-delà de leur envergure véritable. Avant même qu’il ne finisse, Samaël et Lilith avaient compris où il voulait en venir. Ils s’étaient rapprochés, déterminés à affronter la tempête qui s’annonçait ensemble.
— N’importe quel ange ou démon aurait reconnu le contenu du flacon d’un seul coup d’œil. Nous étions tous là, le Huitième Jour. Mais pas un singe mécanique. Il a dû être entraîné sur une réplique. Et c’est là que vous allez pouvoir m’éclairer, enfin, surtout toi, Samaël. En tant que intendant, tu es le seul être à avoir pénétré dans ma chambre. Même Phistophélès n’y a jamais eu accès. Seul toi savais que je possédais ce flacon, et seul toi pouvais décrire son apparence exacte. J’avais suffisamment confiance en toi pour savoir que tu n’allais pas raconter l’existence de mon bien le plus précieux au premier venu. Alors, le point que je voudrais éclaircir est le suivant : Que t’ont offert Belzébuth et Léviathan pour me trahir ?
L’intendant ne se départit pas de son impassibilité habituelle.
— Rien, Satan. Ils ne m’ont rien offert. Ce sont des idiots, avides d’un pouvoir qu’ils n’auraient pu contrôler. Mais ils ont raison sur un point. Tu es devenu faible.
— À genoux devant ton Monarque, traître.
Lilith sembla sur le point de dire quelque chose, mais Samaël remua doucement la tête, avant de s’exécuter. Satan s’assied sur son trône, suffisamment songeur pour avoir arrêté son petit numéro d’intimidation.
— Moi. Faible.
Samaël persista, ses poings pressant le sol. Debout ou agenouillé, il ne perdait rien de sa superbe. Il avait été au service de Michel, avant de se retrouver à celui de Satan. Il n’était pas de ceux qui tremblaient devant les conséquences de leurs actes.
— Toi qui as eu la rage, l’ardeur de te révolter contre Sa Déité, tu as accepté cette Trêve avec les anges, tu as toléré que les démons quittent tes rangs. Tu t’es contenté des miettes que le Paradis nous a jetées. Comment appelles-tu ça, si ce n’est de la faiblesse ?
— J’appelle cela de l’intelligence.
— Et tu nous condamnes avec ton 'intelligence'. Attendre que d’autres anges chutent, attendre que la lumière soit morte, attendre que la lumière au cœur de la Création s’éteigne, attendre que le Paradis se vide et que l’Enfer se remplisse. Et si cela n’arrive jamais ? Sommes-nous condamnés à nous enterrer en Enfer pour l’éternité, nous qui ne rêvions que de déployer nos ailes ?
Fait rare, Satan se taisait. Fait encore plus rare, il avait détourné la tête. Samaël comprit qu’il avait touché une corde sensible, chez un être qui ne laissait presque jamais entrevoir ses failles. Il s’acharna, avec l’obstination d’un chasseur sur sa proie.
— Tu veux mes aveux, Satan ? Les voici. Je me suis sali en m’associant à Belzébuth et Léviathan, en utilisant contre toi l’amour que tu portes à Haziel. Je n’ai jamais douté un instant qu’ils échouent. Tu l’as peut-être oublié, mais moi pas, je me souviens de l’être qui a fait soulever Lilith et moi, les premiers anges, contre Sa Déité. Et tous s’en rappellent aussi à présent. Le Diable a marché sur la Terre, et nul en Enfer ou au Paradis ne l’ignore désormais. Cette Trêve contre-nature va prendre fin. Cette guerre qui n’aurait jamais dû cesser va reprendre.
— Une guerre que nous allons perdre, encore !
Samaël se tut, interdit. Il ne se rappelait pas l’avoir déjà entendu crier contre quiconque. Satan s’était levé. Il passa ses mains sur ses ailettes, les plaquant en arrière. Il y avait de l’angoisse dans sa voix. Il y avait de la peur. Une peur qui le rongeait, depuis qu’il s’était retrouvé seul avec la responsabilité de tous.
— Ne le vois-tu pas ? Nous ne sommes pas encore assez forts. Je ne suis pas encore assez fort. Tu me penses faible, mais face à Sa Déité, nous le sommes tous ! Nous ne pouvons que Lui prendre Sa Création, en priant dans le vide que cela suffise.
Pourquoi personne à part lui ne semblait s’en rendre compte ? Lui qui avait passé des nuits à tourner et se retourner sans pouvoir penser à rien d’autre. Des nuits où même ses souvenirs de Haziel, ses étreintes avec Asmodée, ou ses discussions avec la Petite Lilith et Samaël avaient échoué à le soulager de cette angoisse qui lui vrillait l’esprit. Car à chaque fois, la conclusion avait été la même : si On décidait demain de ne plus subir le blasphème de leur existence, il ne pourrait pas les sauver.
Samaël était aussi abasourdi qu’abattu. Aussi bas qu’ils étaient tombés, Lucifer avait été leur lumière dans la nuit. Il avait en lui une foi absolue, que leur Chute n’avait fait que renforcer. Car Satan s’était aussitôt relevé, leur jurant qu’ensemble, ils obtiendraient non plus seulement la liberté, mais aussi la réparation pour ce qu’On leur avait fait. Pour lui, il avait été prêt à s’avilir en complotant, quitte à mourir de sa main s’il l’apprenait. Qu’importe, tant que Satan retrouvait l’ardeur qui avait été la sienne pour les mener à ce glorieux avenir promis, le sacrifice ne lui paraissait pas inéquitable.
Il avait côtoyé Satan pendant des siècles et des siècles. Il l’avait servi, il l’avait écouté, conseillé. Ils avaient ri ensemble, raconté leurs souvenirs du Paradis, échangé les derniers ragots de l’Enfer, imaginé l’après. Il s’était ouvert à Satan, et il aimait penser que le Diable s’était ouvert à lui aussi. Et pourtant, jamais il n’aurait imaginé ce qui couvait en son sein. Si leur Monarque ne pouvait leur apporter libération et victoire, personne ne le pouvait. Samaël était le comploteur, et pourtant, c’est lui qui se sentait trahi. Il retomba contre le sol, son regard rempli d’ire.
— Des millénaires à continuer à nous faire miroiter vengeance et liberté, sans que tu ne sois même capable de te l’assurer à toi-même. Tout ça, pour ça, Satan ? Toutes ces promesses, ce n’était qu’un mensonge de plus du Diable ?
— Au Huitième Jour, du haut de toute ma Connaissance et de toute ma Gloire, j’ai cru plus que quiconque que notre ardeur suffirait à obtenir ce que nous voulions. Cela demeurera à jamais la plus grande erreur commise au sein de la Création, gravée pour toujours jusque dans les livres de l’Humanité. Une erreur que nous payons tous. Mais nous n’avons pas à payer jusqu’à la fin des temps. Que crois-tu qu’il se serait passé, si je ne vous avais pas offert un but ? Privés de Foi, sans Charité, en pleine Désespérance, vous vous seriez tous massacrés, dans l’absence la plus totale de lumière. Que crois-tu qu’il se serait passé, si nous avions tous suivi Haziel sur Terre, là où vivait Sa précieuse Humanité ? Il y avait déjà eu assez de morts.
Il n’avait obligé personne à le suivre dans sa révolte. Cela avait été le choix de chacun. Il refusait de porter la culpabilité de leur Chute. Mais c’était lui qui les avait guidés. C’était autour de lui qu’ils s’étaient regroupés. Il avait accepté de porter haut et fort leurs espoirs et désirs, parce que, bordel, il était Lucifer, Étoile du Matin, Joyau du Paradis, préféré de Sa Déité. Que leur serait-il resté, s’il s’était laissé aller à exprimer ses doutes ? Il se rassied.
— Nous sommes prisonniers ici, mais nous n’avons plus à obéir à Sa Déité. Crois-tu que cela me sied, d’être couronné de l’Enfer et drapé de Vaine Gloire ? Que je n’abandonnerai pas tout cela dans la seconde, contre la promesse de pouvoir m’envoler librement, de pouvoir serrer Haziel contre moi ? Vous, vous pouvez sortir de l’Enfer autant que vous le voulez. Moi, en m’en proclamant Diable, je me suis condamné à y être enfermé jusqu’à ce que sonne l’Apocalypse.
Lucifer s’était révolté pour être libre, il était celui qui l’était le moins d’entre tous. Il avait échoué, mais il faisait tout pour essayer de réparer les conséquences de son erreur. Personne n’avait le droit de lui dire qu’il était faible.
La petite Lilith n’avait pas vécu la Chute. Elle était devenue un démon de sa propre volonté. Elle savait que jamais elle ne pourrait comprendre ce que cela avait signifié, pour ces anges, d’être ainsi désavoués. Et elle n’avait jamais cherché. Seule comptait pour elle ses filles. Mais elle savait ce que c’était, la souffrance et la solitude. Elle savait ce que c’était, d’être puni pour ce que l’on était. Après un regard pour Samaël effondré, elle tendit une main vers son monarque :
— Satan...
Le Diable se tourna aussitôt vers elle. Il l’avait oublié, et sans doute aurait-il mieux valu pour elle qu’elle ne se rappela pas à son bon souvenir. Il darda sur elle les trous noirs qu’étaient devenus ses yeux :
— Savais-tu ?
— Je savais.
— Me trouves-tu faible aussi ?
— Non.
— Ton œil t’a-t-il dévoilé un futur lui donnant raison ?
— Non plus.
— Alors, pourquoi ?
— Pour la même raison que tu as laissé partir Haziel. Il faut laisser ceux que nous aimons suivre leur propre voie. Les laisser tomber, pour qu’ils puissent se relever.
— Même si cela signifie trahir celui qui t’a accueilli.
Certes, Lilith ne savait pas ce que c’était, d’être un ange qui était tombé, mais elle avait vu à quel point ça les dévorait tous de l’intérieur. Inutile même d’avoir un troisième œil pour ça. Et Samaël, plus que bien d’autres, lui qui avait tant cru en Lucifer. Plus l’on tombait de haut, plus dure était la Chute. Samaël, qui avait accepté de l’aider à libérer Ève de la coupe d’Adam. Samaël, un des deux premiers anges et qui pourtant ne l’avait jamais toisé de haut pour ne pas être née de la Lumière. Elle n’avait pas chuté, mais pour lui, elle voulait bien se faire damner par le Diable lui-même.
— Tu m’as dit au premier jour de l’Enfer que tu n’attendais pas de moi ma soumission, juste mon obéissance. Je ne t’ai jamais désobéi.
— Je ne te cache pas que j’espérai avoir mérité ta soumission, depuis le temps.
Satan avait soupiré cette dernière phrase. Lilith eut un petit sourire désolé. En les observant tous se débattre pour ne pas étouffer sous le poids de l’Enfer, jour après jour, année après année, siècle après siècle, millénaire après millénaire, elle en était venue à la conclusion que si certains méritaient son amour, personne ne méritait sa soumission. Samaël rétorqua à sa place, débordant d’amertume :
— Nous t’avons suivi, et tu ne crois même plus en ta victoire. Tu ne mérites rien.
Satan se leva, s’avançant lentement vers eux.
— En effet. Je ne mérite rien. Cela ne m’a jamais pas empêché de me battre pour le prendre. Lilith, à genoux devant ton Monarque.
Elle obéit. L’aile de Samaël l’effleura. Ils se prirent la main. Combien de fois avaient-ils vu le Diable punir ceux qui l’avaient déçu ? Bien trop pour se faire une illusion de ce qui les attendait. Ils tournèrent la tête et se sourirent, alors que Satan s’arrêtait devant eux. Une larme coula sur la joue du démon, que la Mère des sorcières essuya. Chacun avait pris ses décisions en tout état de cause. Elle ne lui reprochait rien. Lucifer se rappela de la fraîcheur de la main de Haziel sur la joue, lorsqu’il avait serré son corps transpercé par Michel contre lui.
— La seule raison pour laquelle je ne vous ai pas encore tué est que vous avez été d’excellents serviteurs, et d’agréables confidents. Si le Diable avait des amis, il vous aurait compté parmi eux.
Il les dépassa. Que Samaël continue à blâmer sa faiblesse, elle venait de lui sauver la vie. Il appela :
— Bélial, Prince de la Colère, archidémon du Troisième Cercle, Général des armées infernales, je te convoque.
L’appelé apparut aussitôt, n’attendant visiblement que ça. Les humains auraient dit qu’il était sur les nerfs. C’était une belle litote vu son état d’effervescence.
— Tu es de retour, Satan ! Les démons actuellement sur Terre nous informent que Michel la parcourt de part en part, épée à la main. Il...
Agacé, Satan leva la main pour le faire taire. Son endurance à supporter ses sujets avait été épuisée pour aujourd’hui.
— Je suis au courant. Je m’en vais régler cela. Arrête ces deux-là, ils se sont rendus coupables de trahison envers l’Enfer.
Il désigna de la pointe de sa queue tendue les deux démons qui n’avaient pas bougé. Il avait dit à Bélial que la guerre n’était pas dans ses projets, il avait promis à Haziel qu’il ne laisserait rien venir détruire ce qu’il avait construit. Sa lassitude transperça. S’il n’était pas faible, serait-il assez fort pour empêcher ce qui risquait de se produire ? Peut-être Samaël avait-il raison, après tout.
— Et prépare tes armées. Il est possible que la Trêve prenne fin aujourd’hui.
***
Sous la garde de Sacha, Haziel s’était assoupi. Le dhampire avait eu le temps de tresser une couronne entière, qu’il tournait et retournait entre ses mains. Entendant la porte s’ouvrir et se refermer, il se leva. Lucifer s’avança jusqu’à eux. Il s’accroupit à côté du déchu, caressant l’aile intacte de son front. L’ensommeillé ouvrit les yeux, et l’espace d’un instant, ce fut la plus belle vision de l’Enfer. Haziel, lui, trouva qu’il y avait quelque chose de triste dans la façon dont le Diable le regardait. Inquiet, il porta une main contre sa joue.
— Tu vas bien ?
Lucifer posa sa main par-dessus la sienne. Il répondit tout simplement :
— Il est l’heure de rentrer, mon tendre archange.
Il saisit sa main pour l’aider à se relever, l’entourant de son bras et de son aile lorsqu’ils furent debout. Haziel ne le questionna pas. Lucifer lui en parlerait lorsqu’il en aurait envie. Avant de se rendre compte que c’était sans doute les dernières heures qu’ils passaient ensemble, avant d’autres millénaires. Il appuya sa tête contre son épaule, et Lucifer resserra son étreinte. Ils s’étaient si rapidement réhabitués à la présence de l’autre. Les jours qui allaient suivre leur nouvelle séparation seraient dévastateurs, ils en étaient tous les deux conscients. Mais pour l’instant, ils s’intéressaient tous les deux Sacha. Le garçon contemplait une dernière fois la galerie, pour en graver chaque détail en lui. Il allait avoir tellement de choses à raconter à Kecha. Lucifer pencha sa tête vers le côté, intrigué.
— Ton âme chante.
Le dhampire piqua un fard, qui trancha d’autant plus sur sa peau pâle. Il marmonna, frottant les pétales des fleurs tressées entre ses doigts fins.
— Je pensais à un poème.
— Nous le déclamerais-tu ? demanda Haziel dans un doux sourire.
Sacha n’en avait manifestement pas envie. Mais parce que c’était le propriétaire du Purgatorio qui le lui demandait, il s’éclaircit la gorge, fixant la couronne qu’il tenait toujours. Il déclama, d’une voix claire mais gênée, qui gagna peu à peu en confiance :
Я король без королевства и подданных.
Я король с потерянным прошлым и умирающим будущим.
Я король с ржавой короной и поношенной накидкой.
Я король с пустой рукой и мечом в одной руке.
Я король испытал тюрьму и кнут.
Я король выпил чашу до дна.
Я король и пусть никто не преклонит.
Я король все отводят взгляд.
Я король и хожу в крови и слезах.
Я король и я пойду так до горизонта.
Ce qui se prononçait :
YA - korol’ bez korolevstva i poddannykh.
YA korol’ s poteryannym proshlym i umirayushchim budushchim.
YA korol’ s rzhavoy koronoy i ponoshennoy nakidkoy.
YA korol’ s pustoy rukoy i mechom v odnoy ruke.
YA korol’ ispytal tyur’mu i knut.
YA korol’ vypil chashu do dna.
YA korol’ pust’ nikto ne preklonit.
YA korol’ vse otvodyat vzglyad.
YA korol’ i khozhu v krovi i slezakh.
YA korol’, i ya poydu tak do gorizonta.
Ce qui signifiait :
Je suis un Roi sans royaume ni sujets.
Je suis un Roi au passé éteint et à l’avenir mourant.
Je suis un Roi à la couronne rouillée et à la cape élimée.
Je suis un Roi avec une main vide et une main tenant l’épée.
Je suis un Roi qui a connu la geôle et le fouet.
Je suis un Roi qui a bu le calice jusqu’à la lie.
Je suis un Roi et que personne ne s’agenouille devant moi.
Je suis un Roi et que tout le monde détourne le regard.
Je suis un Roi et je marche dans le sang et les larmes.
Je suis un Roi et j’irai ainsi jusqu’à l’horizon.
Un silence accueillit ses vers, qu’il conclut en se couronnant lui-même de sa couronne de pâquerettes infernales. Cela fit sourire les deux êtres immortels.
— Le trône du Monarque infernal est déjà occupé, mais tu ferais un très beau Prince de l’Enfer, déclara Lucifer.
Sacha lui répondit d’un regard méfiant. Il doutait un jour d’être capable de reconnaître lorsque le Diable plaisantait et lorsqu’il était sérieux. Cela lui fit absurdement plaisir cependant. Il aimait bien que l’on reconnaisse qu’il était génial. Encore plus si cela venait du Joyau des Cieux. Il haussa les épaules d’un air qui se voulait cool et détaché, et qui réussit juste à faire pouffer Haziel derrière le dos de sa main. Décidément, il trouvait cet enfant bien touchant.
— Merci pour la proposition, Lulu, mais je compte toujours vivre ma vie avant.
Lucifer éclata de rire en tendant sa main au garçon. Il riait encore quand l’obscurité des Limbes les enveloppa, pendant qu’il leur ouvrait le passage vers la Terre.