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Silanti
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Chapitre Treize : Cage & damnés

Les barreaux furent la première chose que remarqua Haziel en se réveillant. Il se trouvait dans une immense cage à oiseaux, si oxydée qu’elle en était devenue verte, suspendue au-dessus du sol à un haut plafond. Une humidité aux exhalaisons méphitiques le prit aussitôt à la gorge. Il remua légèrement ses ailes, afin de s’assurer qu’une autre n’avait pas été cassée. Dans la chaleur qui régnait ici, la fraîcheur du fond métallique sur lequel il était allongé était presque un soulagement. Tout son corps lui donnait l’impression d’être une plaie à vif, ses vêtements étaient en lambeaux, et la dernière fois où il s’était senti aussi vidé, ce fut après être tombé du Paradis. Mais il ne sentait plus aucune épine lui déchirer la peau. C’était bien la seule amélioration de sa situation.

La salle où il était enfermé était ronde et bien grande pour contenir seulement une cage. Ses murs étaient taillés grossièrement dans une pierre charbonneuse que le déchu mit quelques secondes à reconnaître. Il ne l’avait vu qu’une fois, il y a si longtemps. C’était celle de la plage qui bordait la mer infernale. L’eau de la mer s’y infiltrait, formant ci et là des petites flaques. Haziel comprit alors où il se trouvait. Il se souvint de ce qu’il s’était passé, avant qu’il ne perde connaissance en même temps qu’il était transporté ailleurs. Il se rappela de la vision de la Sorcière, au bord du lac. Les flots noirs ne représentaient pas la mer Tyrrhénienne, mais celle de l’Enfer. Il était emprisonné dans les profondeurs du palais de Léviathan. Il leva la tête. Celui-ci le regardait, toujours aussi inexpressif. Des espèces de lucioles flottaient tout autour d’eux, les éclairant de leur lumière blafarde. Haziel attrapa les barreaux, appuyant dessus pour se redresser sur ses genoux. L’effort le laissa flageolant.

— C’était donc toi.

Léviathan plaça sa main devant sa gueule, raclant bruyamment sa gorge. Il régurgita quelque chose dans un borborygme gras, avant de le prendre entre ses doigts pour le montrer à Haziel. C’était un flacon de cristal, très simple, rempli aux trois-quarts d’un liquide doré irradiant doucement sous la lumière des lucioles. L’archange déchu loupa une respiration. C’étaient les larmes tant cherchées. Les siennes, et elles étaient là, à portée de bras. Il n’eut pas le temps de le tendre, que l’archidémon ravalait déjà le flacon. Un air satisfait s’était brièvement dessiné sur sa face.

— Le voleur ? Non. Je les garde juste. Pourquoi m’embêterai-je avec une fiole insignifiante, alors que je peux avoir toute la fontaine ?

— Tu n’ignores pourtant pas que je ne pleure plus.

Léviathan fit un drôle de son, à mi-chemin entre le hoquet et l’étranglement. Haziel ne réalisa pas tout de suite que le Prince de l’Envie était en train de rire.

— Je pense que tu n’as seulement plus eu de raisons de le faire, après la Chute. Peut-être que la mort de Lucifer y changera quelque chose. Et sinon...

Il tapa trois fois du pied sur le sol, produisant un son mouillé sur les pierres détrempées. Plusieurs pans de murs se retournèrent. Des instruments qui auraient fait pâlir d’effroi l’Inquisition espagnole y étaient accrochés. Haziel eut un soubresaut algide, se sentant pris de vertiges devant les horreurs qu’était en train de lui promettre Léviathan. Lui le fixait désormais avec convoitise, à l’affût de la moindre de ses réactions.

— … Belphégor est toujours ravi de montrer ses dernières inventions. Elles ne m’ont coûté que quelques âmes. J’espère qu’elles te plaisent, c’est bien le minimum si je dois les utiliser sur toi.

Il tapa à nouveau trois fois du pied, et les murs reprirent leur apparence originelle. Haziel déglutit, puis sa prise sur les barreaux se raffermit. Il ne se laisserait pas intimider. Que lui avait dit Gabriel déjà ? C’est lorsque nous perdons espoir qu’apparaît l’espérance. Et son espérance, il la plaçait en Lucifer. Il souffla :

— Pourquoi ?

— L’Envie veut tout ce que la Création a à offrir. Tu veux la liberté ? Je te la prends. Satan te veut ? Je te prends. Ta force, tes rêves, tes espoirs, ton amour… Tout sera à moi.

Malgré sa très défavorable situation, Haziel ne put retenir les éclats de rire qui lui cisaillaient la gorge. Alors, c’était ainsi ? Après avoir tenu tête à l’Enfer et au Paradis, après avoir dressé ses adelphes entre eux, après avoir aidé à déclencher une guerre, après avoir échoué à leur offrir la liberté promise, ce qui causerait sa perte et peut-être celle de la Création, étaient les désirs inassouvis d’un démon envieux ? Était-ce là sa punition pour avoir osé prétendre à plus que ce qui lui était destiné, devenir un simple dommage collatéral d’une lutte de pouvoirs qui ne le concernait pas ? On avait un fucking sens de l’humour.

— Et pour ça, tu es prêt à risquer un nouvel affrontement avec le Ciel ? C’est si absurde.

Les traits de Léviathan se tordirent alors qu’il se transformait. Son corps gonfla, s’étira, se déforma, jusqu’à redevenir la gigantesque créature serpentine qu’il était, ses trois paires d’ailes, maintenant immenses, dressées de rage dans son dos. Il s’enroula autour de la cage, l’entourant encore et encore de tous ses anneaux, jusqu’à ce que Haziel soit plongé dans le noir complet. Sous son poids, sa force, la cage se tordit, se resserra, menaçant d’écraser l’archange piégé à l’intérieur. Celui-ci tomba en arrière, avant de rabattre ses ailes sur lui pour se protéger, se boulant au fond de la cage. Une langue visqueuse et puante caressa son bras.

— Nous verrons si tu seras toujours aussi fier, lorsque je t’aurai brisé, de chacun de tes os jusqu’à ta dignité.

Léviathan serra une dernière fois, pour le plaisir, avant de relâcher son emprise sur la cage. Elle ressemblait maintenant à l’œuvre d’un artiste sombrement dérangé. Haziel ne pouvait plus s’y tenir debout, ou même ouvrir ses ailes. Il les garda contre lui, puisant un maigre réconfort dans leur étreinte. Il regarda le Prince de l’Envie. Après des années de quasi-mutisme, pour ne pas trahir toute cette rage qu’il avait éprouvée envers Lucifer et Haziel de ne pas avoir su tenir leur promesse d’un avenir meilleur, cette rage devenue haine viscérale pour tout ce qui l’entourait, le contrôle de Léviathan sur lui-même se craquelait. Devant l’archange déchu pour seul témoin, au fond de ses cachots, le feu gelé qui le dévorait s’échappait entre les fissures, menaçant à tout moment d’éclater dans une déflagration glacée. Sa voix résonnait, se réverbérant de mur en mur dans une ronde folle, pendant qu’il tournait autour de la cage contenant sa proie.

— Belzébuth a parié que je n’arriverai pas à te faire verser une seule larme. J’ai pris le pari. Pendant ce temps, qu’il s’épuise mutuellement avec Michel dans une guéguerre sans vainqueur. Lorsque je t’aurai réduit à une chose suppliante et éplorée, lorsque j’aurai percé le mystère de l’effet curatif de tes larmes, je serai éternel et inaltérable. Je marcherai jusqu’à son trône et j’arracherai la dépouille sans vie du Seigneur des mouches du trône de l’Enfer. Et après l’Enfer, ce sera le Ciel.

Haziel avait peu de souvenirs de Léviathan, du temps où il était un Séraphin au service de Sariel. Mais si peut-être déjà à l’époque, il était jaloux, l’ancien prince de la Paix était sûr qu’il n’avait été ni sadique, ni envieux. Ce fut au tour des mots de Lucifer de résonner en lui. L’Enfer n’est pas un endroit pour les anges. Haziel se rendit compte qu’il le plaignait. Les souhaits de celui qui avait été serviteur de la Justice étaient si vides à présent.

— En plus d’être envieux, tu es bien orgueilleux, si tu penses pouvoir percer un secret qu’On seul sait.

— Si j’échoue, je me contenterai de tes larmes de désespoir, en attendant que de bâtir un autre plan. Nous avons toute une éternité pour ça.

Un grondement, aussi puissant que le tonnerre de cent éclairs tombant dans les montagnes, résonna soudainement dans tout le palais. Léviathan se figea. Haziel sourit. Avec ce bruit, revint l’espoir qui donnait des ailes. Les siennes se refermèrent dans son dos.

— Lucifer ne te laissera pas faire.

L’archidémon siffla, sa queue fouettant l’air de frustration. Mais déjà, il reprenait son contrôle de lui-même. Aujourd’hui était un jour bien trop important pour être gâché par l’emportement.

— Les archanges ne sont plus ce qu’ils étaient. Qu’importe, Satan est condamné. Si Michel n’a pas réussi à le tuer, Belzébuth et moi finirons la tâche. Je regrette que tu ne puisses voir ça. Mais jamais plus tu ne quitteras cette cage, sauf pour mon contentement. Si je suis d’humeur, je te ramènerai peut-être une de ses ailes pour la décorer.

Sur ses mots, il se retourna, poussant la lourde grille qui gardait la pièce close. Le temps que tout son long corps ait traversé, son prisonnier entraperçut un couloir aux reflets rouges. Ce ne fut que lorsque les barreaux se refermèrent que le Prince Haziel s’autorisa à s’effondrer sur le sol de la cage tordue. Il était épuisé, il avait mal, il avait peur, et pire que tout, il ne pouvait que prier le Diable pour qu’il l’emporte, sans pouvoir rien faire pour l’y aider. En cet instant, l’archange déchu détestait son impuissance. Une voix blasée le tira de ses sombres pensées.

— Il aime beaucoup s’écouter parler, le Loch Ness de l’Enfer.

— Sacha !

Le dhampire avait surgi d’une des nombreuses ombres de la salle. Il écarta d’un geste agacé les lucioles qui se mirent à voler autour de lui, avant de sortir sa dague. Haziel le regardait, bouche bée.

— Tu n’as rien à faire ici !

Sacha enfonça sa lame dans l’espacement entre la porte et le verrou, ayant remarqué une faiblesse suite à la torsion à laquelle la cage avait été soumise.

— Toi non plus. On est venu te chercher avec Lulu. Il est en haut pour distraire Tronche-de-Mouche et pseudo-Nessie. Moi, je dois te sortir de là et retrouver tes larmes.

— Léviathan les a sur lui.

— À Lulu de les récupérer, alors.

Lui, il s’en moquait de leurs histoires, il voulait juste ramener Haziel sain et sauf chez lui. Sous la force du dhampire, la serrure céda. Il tendit la main, aidant le propriétaire du Purgatorio à descendre. Il passa ensuite son bras sur son épaule pour le soutenir. Celui-ci sortit sa pertuisane, s’appuyant de l’autre côté sur son manche. Lentement, trop pour une fuite, ils sortirent de la salle.

Le couloir était aussi sinistre que l’endroit qu’ils venaient de quitter, et parfaitement symétrique. Sur toute sa longueur – même Sacha avec ses yeux nyctalopes peinait à en voir le bout – des alcôves se faisaient face. Dans chacune d’elles, des damnés, dont l’âme n’était guère plus qu’une coquille vide. Des formes émaciées et diaphanes, vêtues de loques grisâtres. Chacun tenait un cierge noir, où brûlait une flamme de la géhenne. Haziel comprenait mieux d’où venait le rougeoiement vu plus tôt. L’eau s’infiltrait encore, sinon plus, que dans la cellule qu’ils venaient de quitter. Leurs pas éclaboussaient le sol. Le dhampire grimaça :

— Il a construit tout ça pour toi ? Mais même sur Netflix les stalkers ils sont plus équilibrés ! Ça va aller ?

— Oui. On n’a pas essayé de me brûler vif cette fois. Et je reste un archange, même déchu.

— Ouais, je sais, l’archange de Lulu. Mon archange par ci, mon archange par là, vous êtes super gnangnans tous les deux

Haziel allait répliquer qu’il n’était plus l’archange de personne, et que c’était même là l’intérêt d’être un déchu, lorsqu’ils passèrent devant les premières alcôves. Une lamentation stridente sortit des damnés, se propageant tout le long du couloir. Le choc de 26 cierges heurtant le sol se fit entendre. Les flammes ne s’éteignirent pas dans les flaques qui s’étaient formées au fil des siècles. Au contraire, elles se propageaient sur l’eau comme de l’huile. Lentement, mais inexorablement, les damnés se mirent à avancer vers eux. Certains marchèrent sur les feux de géhenne, s’enflammant sans qu’ils ne semblent le remarquer. Ils continuaient à marcher, toujours cette plainte sur leurs bouches sans lèvres.

— хуй* !

Sacha avait passé Haziel derrière lui, alors que les premiers arrivaient déjà sur eux. Il en transperça un, et d’un mouvement fluide, il pivota sur le côté, coupant presque le deuxième en deux. Ils s’effondrèrent telles des poupées de son.

— Ça ne les tuera pas, comme ils sont déjà morts ?

— Il ne semble pas rester grand-chose de ce qu’ils ont été. Ne retiens pas tes coups.

Haziel s’était envolé, battant des ailes, pour rester hors de leur portée, au-dessus du dhampire. De sa lance, il essayait de les repousser. Mais ils étaient bien trop nombreux. Petit à petit, les deux se retrouvèrent acculés contre la porte, tandis que le feu infernal se propageait de damné en damné. Haziel faiblissait, volant de plus en plus bas. La fournaise les léchait. Sacha aurait pu s’enfuir dans les Limbes, abandonnant l’archange à son triste sort. Tout ça ne le concernait pas, somme toute. Cependant, jamais plus il n’aurait pu se mirer dans un miroir, ce qui aurait été du gâchis vu comment il était sexy. Il fixa la chevalière que Lucifer lui avait fait enfiler.

— Si ça a marché pour l’autre crevure…

Il prit une grande inspiration, et se jeta dans la mêlée. Il sentait leurs doigts le griffer alors qu’ils essayaient de lui arracher sa peau, leurs dents le mordre alors qu’ils voulaient s’abreuver de son sang. Mais il ne se consuma pas instantanément au contact des flammes infernales, malgré leur chaleur insoutenable.

Chacun de ses coups était d’une précision absolue, emportant un damné avec lui. Dès qu’il avait su marcher, on lui avait glissé une lame entre ses mains et laissé aux bons soins d’une armée de professeurs. Aujourd’hui, à ce moment donné, Sacha était ce que son père avait voulu faire de lui : une arme mortelle. Toutefois, même ainsi, ils menaçaient de le submerger. Ils s’accrochaient à ses jambes, à son torse, à ses bras, menaçant à chaque seconde de lui lacérer le visage ou la gorge. Le dhampire avait bien trop de projets pour mourir ici, loin de tous. Loin de son frère. Un des derniers damnés s’écroula sous sa détermination. Encore sous l’effet de l’adrénaline, il se retourna pour dévisager Haziel, des reflets rouges dans les yeux. Il avait soif. Le propriétaire du Purgatorio s’était posé et venait de jeter les trois derniers au sol en balayant leurs jambes du manche de sa pertuisane, trop loin pour que le feu les enflammant ne le touche. Il en embrocha un. Le jeune homme se chargea des deux autres, s’acharnant avec une violence inutile sur les corps qui ne se défendaient pas. Un coup, deux coups, trois coups, puis d’autres. Plus personne ne leur ferait du mal, à lui ou à sa famille. Une main se posa sur son épaule, douce et ferme, l’empêchant de continuer.

— Ils ont eu leur compte.

Sacha regarda l’archange déchu, puis les damnés, qui n’étaient plus que l’ombre des humains qu’ils avaient été. Il avala sa salive, avant de hocher la tête et de se redresser.

Le danger immédiat était passé. Les deux alliés étaient maintenant entourés des damnés qui terminaient de se consumer dans la géhenne. Haziel était à bout de souffle, Sacha était couvert de griffures et de morsures. Sans parler de l’état de ses cheveux. Heureusement qu’il ne prenait jamais ses tenues préférées pour se battre. La douleur, ça finissait toujours par partir, mais les fringues, ça ne se raccommodait pas tout seul. Finalement, comme s’il n’avait pas succombé à la frénésie du combat il y a tout juste quelques instants, c’est avec un grand sourire qu’il leva sa main vers l’archange pour un high-five.

— Woh, mais même dans cet état tu gères ! Tu veux pas venir chasser les vampires avec moi après ?

Haziel ignora sa main levée, trop concentré à ne pas s’écrouler devant lui. Il était censé assurer sa garde, et non l’inverse. Il vacilla contre le manche de son arme. Sacha se précipita pour l’aider, mais il le repoussa.

— Ils ne vont pas tarder à se relever. Les âmes éternelles ne sont pas si faciles à vaincre. Comment es-tu arrivé jusque là ?

— Lulu m’a aidé, mais en bref, je suis passé par les Limbes. Mais je ne peux pas emmener d’autres personnes avec moi, donc il va falloir qu’on se débrouille pour remonter.

Le garçon comprenait que ça allait être bien moins facile qu’il ne se l’était imaginé. Même les êtres mythologiques pouvaient être poussés jusqu’au bout de leurs limites. En le voyant se mordre la lèvre inférieure de la pointe de ses canines, Haziel redressa la tête et déploya ses ailes. S’il se montrait pitoyable au point d’inspirer pitié et préoccupation à un enfant, il méritait bien toutes les fois où on l’avait qualifié de faible.

— Je suis un ancien Prince du Paradis, et je serai le monarque consort de l’Enfer si je le désirai. Crois-tu vraiment que les Limbes soient hors de ma portée ?

Inspiré par l’assurance que Haziel dégageait subitement, Sacha cessa de maltraiter sa pauvre bouche. Il retrouva ce sourire aux crocs débordants et cet air confiant qui lui allaient bien mieux. Les ombres s’étendirent tout autour d’eux, les enveloppant dans l‘obscurité. Lorsque les damnés se relevèrent, ils avaient disparu depuis longtemps.

* Se prononce khouï et peut se traduire par bite. Issu du mat Russe, un langage argotique, grossier et obscène, basé sur un vocabulaire très cru.

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