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Epilogue

— Signore Haziel est arrivé, mia Dama.

Dama Lucrezia del Fiore, nonchalamment allongée sur sa méridienne Louis XV, posa le livre qu’elle était en train de lire.

— Fais le entrer, je te prie.

— Bien, mia Dama.

Le serviteur s’écarta de la porte, bras tendu en direction du boudoir, afin de laisser passer le propriétaire du Purgatorio. La porte se referma sur l’archange déchu. Sous sa forme humaine, Haziel n’avait pas une aussi bonne vision nocturne que les vampires. Et la pénombre régnait en maître dans cette pièce, où l’unique fenêtre était obstruée par de lourds rideaux en velours pourpres, et où les seules lumières venaient des chandeliers muraux électriques. Toutefois, Sacha, enfoncé dans un fauteuil bergère, était en bien meilleur état qu’il ne l’aurait cru. Assurément, il avait eu le droit de goûter à l’hospitalité des lieux avec bain, vêtements propres, et coupe de sang pour se remettre de ses émotions. Haziel s’inclina devant la régente de la Cour de la Nuit de Florence.

— Merci à vous d’avoir pris soin de mon protégé, Dama Lucrezia.

— Ce garçon a tué un vampire sur mon territoire, Signore Haziel. Il peut s’estimer chanceux d’être encore en vie.

— C’était un suivant de mon père ! s’indigna Sacha, ce qui lui valut un regard noir des deux adultes.

— Présent à Florence avec mon autorisation, pour des affaires qui ne concernaient que nos deux cours.

Elle marqua une pause. La situation paraissait l’ennuyer autant que l’archange déchu.

— J’ai autorisé la présence de ce mi-sang, et je l’ai fait contre l’avis de beaucoup des miens, Signore Haziel. Ma seule condition était qu’il ne chasse pas dans notre ville.

— Je m’en souviens, mia Dama. Et j’ai fait l’erreur de croire que ce garçon possédait un minimum de sens commun.

Sacha en avait cependant assez pour baisser les yeux devant le propriétaire du Purgatorio, qui conclut :

— La faute est mienne.

Lucrezia ne répondit pas tout de suite. Quiconque connaissait la sang-pur aussi bien que Haziel savait qu’elle aimait marquer des pauses pour ménager ses effets. Il trouvait ça touchant, ce genre de manies chez un être aussi âgé. Elle finit par pouffer.

— Votre bon cœur vous a perdu, comme toujours. — Une autre pause. — Je présume que Lavr ne peut point m’en vouloir, si son fils tue ses propres suivants. Et ma cour et moi-même avons toujours été merveilleusement reçues au Purgatorio. L’amitié qui nous lie avec les déchus m’est très précieuse.

— Elle l’est pour moi aussi, Dama Lucrezia. Vous nous avez si bien accueillis à notre arrivée à Fiorenze.

Les deux échangèrent un sourire complice. Être vampires et déchus dans un pays aussi catholique que la Botte européenne n’était pas une sinécure. Ensemble, les deux communautés avaient affronté l’Inquisition, le fascisme, et les bonnes mœurs italiennes. Pendant un temps, le Purgatorio avait été aussi un refuge pour les créatures de la nuit florentines. Ces liens, tissés depuis plus de cinq siècles, venaient de sauver Sacha.

— Cela me rend heureuse de l’entendre. Pour vous, je ne vais pas livrer ce garçon à qui de droit. Mais je ne souhaite pas non plus me retrouver mêlée aux affaires familiales d’une autre dynastie, et encore moins me mettre à dos les vampires slaves. — Une pause, encore. — Ce garçon doit quitter Firenze dès que possible.

Sacha se leva du fauteuil pour protester, mais Haziel, connaissant le caractère du dhampire, le prit de vitesse. Peu importe à quel point il appréciait Sacha, il n’allait pas mettre en péril ses bonnes relations de voisinage pour lui. Celui-ci avait été averti des règles qui régissaient la Cité du Lys et les avait donc enfreintes en toute connaissance de cause.

— Laissez-moi seulement quelques jours pour organiser son départ en toute sécurité, je vous prie.

Sacha croisa les bras en marmonnant en russe quelque chose de si vulgaire que Haziel en grimaça. Gracieusement, Dama del Fiore fit celle qui n’avait rien entendu.

— Si vous avez besoin d’une nouvelle idée de destination... Son suivant, que j’ai eu la chance de rencontrer avant que ce garçon ne juge opportun de lui séparer la tête du corps, a laissé entendre que Lavr serait à Derry dans deux semaines.

Si Haziel fut surpris d’apprendre qu’elle avait pu obtenir aussi facilement une piste sur un être aussi insaisissable, ce ne fut rien à côté de Sacha. Plus de deux ans qu’il cherchait Lavr, plus de deux ans qu’il suivait la moindre piste, semant derrière lui blessés et cadavres parmi le vaste réseau du sang-pur russe. Plus de deux ans à se perdre dans les ténèbres les plus sordides de ce monde : trafiquants d’êtres vivants et d’objets magiques, nécromanciens, tueurs, politiciens corrompus, et bien d’autres encore, qui auraient fait passer certains démons au service de Lucifer pour des enfants de chœur. S’il avait été prêt à l’atteindre plusieurs fois, son père lui avait toujours échappé. Et voilà qu’une de ses pairs le lui livrait sur un plateau ? Sacha sentit son sang bouillir, les ombres autour de lui se tordirent. Dama del Fiore se redressa, tandis que Haziel posa une main ferme sur l’épaule du garçon. Le dhampire leva la tête vers lui, avant de desserrer ses poings. Il n’avait même pas remarqué à quel point il s’était tendu. Les ombres s’apaisèrent autour de lui. Il inspira profondément.

— Pourquoi me donnez-vous cette information à moi, plutôt qu’au Conseil ?

La régente de la Cour de la Nuit de Florence eut un reniflement dédaigneux devant tant de méfiance. Mais derrière sa nonchalance étudiée, ses yeux de prédatrice transperçaient le dhampire. Qui aurait pu croire qu’un mi-sang, même issu d’un sang pur, ait autant de puissance ? Elle comprenait mieux pourquoi Lavr tenait tant à remettre sa main sur ses fils. Cela méritait d’être étudié.

— Lavr ne cesse de leur échapper. Je n’ai aucune raison de croire qu’ils feraient mieux cette fois-ci. — Pause. — Ton père se comporte comme si l’Europe lui appartenait. Parfois, il est bénéfique aux vieux écosystèmes de se renouveler.

Les relations entre les différentes cours, dynasties, et individus vampiriques étaient très codifiées. Qu’un sang-pur s’en prenne frontalement à un autre serait sévèrement puni par l’entièreté de leur caste. La préservation du statu quo avant tout. Néanmoins, si Dama del Fiore ne croyait point à la réussite de ce garçon, et encore moins à sa survie, il existait toujours une infime chance que Lavr périsse de la lame de son bâtard. À son âge, on savait se saisir de la moindre des occasions se présentant. Lavr mort, ou même affaibli, signifiait de nouvelles opportunités sur l’échiquier du monde, et elle avait déjà commencé à préparer ses pions. Elle se leva.

— Je ne vais pas vous retenir plus longtemps. La nuit tombe et d’autres affaires m’appellent.

Comme à son entrée, Haziel s’inclina. Il appuya sur le crâne de Sacha pour le forcer à faire de même. De bien mauvaise grâce, le jeune russe s’inclina pour se redresser aussitôt, se recoiffant là où la main du propriétaire du Purgatorio l’avait décoiffé. Celui-ci n’insista pas. Il était tout aussi pressé que lui, voire plus, de s’en aller.

— Merci de votre générosité, mia Dama.

— Je vous en prie, Signore Haziel. — Elle marqua une dernière pause, la plus dramatique de toutes. — Mais si ce garçon recroise à nouveau ma route, je n’empêcherai pas mes suivants d’y planter leurs crocs. Il paraît que les mi-sangs sont succulents.

Son sourire découvrit ses dents d’une blancheur inhumaine, luisantes à la faible lueur des lampes. C’est sur cette image que Haziel referma la porte après avoir poussé Sacha dans le couloir.

— Je... commença le dhampire.

L’archange déchu le coupa aussitôt d’une main levée, se pinçant l'arrête du nez de l’autre.

— Ça attendra demain, Sacha. Je suis attendu ailleurs.

***

Si l’Enfer avait grandement changé depuis le Neuvième Jour, le rivage de la mer infernale était resté identique à celui que le Diable avait connu alors. Debout, devant le cercle parfait de la voûte de bois, il attendait la première nuit du reste de l’éternité. La pointe de sa queue crissait nerveusement sur les galets coupants, produisant des étincelles à chaque passage. Du bout de ses doigts, il lissait soigneusement les plumes de la pointe de ses ailes, pour la troisième fois en moins d’une heure, quand son visage s’éclaira soudainement. Les étoiles avaient arrêté de mourir dans ses yeux. Il tendit sa main vers la porte.

— Bienvenue en Enfer, mon bel archange.

Une autre main, grise et fine, traversa l’ouverture pour la saisir. Leurs doigts s’entrelacèrent. Et tout fut comme cela aurait toujours dû être.

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