Penelope venait de quitter une longue séance avec le couturier et avait déjà deux tenues de prêtes. Elle portait déjà la première pour profiter de ses mouvements. Liberté ! Quant aux autres tenues, elles arriveraient toutes quand il aurait fini son travail.
L’homme avait été extasié par ses idées novatrices en matière de mode. Elle riait presque encore de ses commentaires.
— Si vous n’étiez pas la fille du Duc, je vous aurais déjà engagée comme assistante. Avec de telles idées, vous irez loin, Lady Eckhart.
Sur le moment, elle avait offert au couturier un sourire sincère.
— Peut-être que j’aurais d’autres idées à vous proposer à l’occasion, avait-elle simplement répondu.
En cet instant, vêtue de blanc, elle avait les épaules dénudées. Son buste épousait ses formes et remontait jusqu’à son cou. Là, un petit ruban bleu pastel formait un noeud pour ajouter un peu de couleur. Sa jupe, quant à elle, était faite en tulle et descendait jusqu’à la moitié de son mollet. C’était le modèle le plus simple qu’elle avait demandé. Tout en sobriété. Elle avait exactement la même dans des nuances plus sombres.
Dans les deux cas, si elle le souhaitait, elle pouvait partir courir un marathon, ou se mettre à faire des pirouettes et des grands écarts sans craindre de faire craquer le tissu.
Penelope porterait certainement la noire quand elle irait en ville pour le Festival. Elle n’en avait pas encore reçu l’autorisation, ni même ne l’avait demandée mais elle en entendait tant parler par Emilie qu’il était évident que ce serait le prochain chapitre du jeu. Et nouveau chapitre signifie nouveau Love-Interest à rencontrer. Et il n’en manquait plus qu’un au tableau : Eckles.
Elle ne savait pas encore comment ni dans quelles circonstances elle allait le rencontrer et elle ne voulait pas trop le savoir. Elle le découvrirait et agirait en conséquence. Le jeu avait la fâcheuse manie d’être imprévisible. Elle l’avait bien compris avec le Prince et Reynold. Sans parler du Duc et sa manière de la féliciter pour avoir presque été tuée…
Non, elle n’en revenait toujours pas !
Au moins, elle aurait bientôt une garde-robe toute entière à son goût…
Penelope se promenait dans le domaine. Elle n’avait pas encore eu l’opportunité de le découvrir depuis son arrivée. Et tant d’espaces restaient à découvrir.
Ses pas la menèrent sur le terrain d'entraînement des chevaliers. Ils étaient presque vides. La section où quelques cibles, certaines criblées de flèches, étaient disposées l'intéressait le plus. Son côté Quincy sans le moindre doute. Elle avait une affinité toute particulière pour l’arc.
Et comme il n'y avait personne, elle en profita pour étudier le matériel présent au Duché. Elle s’approcha des cabanons où les armes d'entraînement étaient stockées. Elle trouva un arc délaissé sur la table, la corde encore tendue. Elle retint un soupir en s’appuyant contre le chambranle de la porte. Soit le jeu lui faisait un clin d'œil inconscient, soit un garde avait oublié ou dédaigné de ranger son arc. Evidemment, cela ne serait jamais rapporté au Duc.
Quel irrespect !
Mais comme il était là… Penelope s’approcha et caressa le bois. Il était doux. La poigne épousait parfaitement la paume de sa main quand elle s’en saisit. Par curiosité, elle testa la résistance de la corde dans le vide. Il y en avait une petite, un peu plus qu’avec son arc spirituel. Mais pas assez pour prolonger l’expérience. Elle lâcha la corde et l’écouta vibrer.
Elle sourit.
Elle se saisit d’un carquois plein et se plaça sur le champ de tir, à une cinquantaine de mètres de sa cible.
Au moment où elle allait tirer, quelqu’un l’aborda.
— Qu’est-ce que tu fiches là ?
Penelope sursauta. La flèche partit et manqua sa cible. Elle lança un regard noir à Reynold. Couvert de sueur et habillé d’une chemise lâche qui avait certainement connu des jours meilleurs, l’épée de bois qu’il maintenait calée contre son cou indiquait clairement qu’il venait de sortir d’une intense session d'entraînement. Mince, elle ne l’avait pas remarqué plus tôt. Sinon elle serait partie sur le champ !
Reynold ricanait, le regard sur la flèche qui venait de se ficher dans le sol à un peu plus d’une trentaine de mètres. Comme il approchait encore, elle avisa le pourcentage d’affinité.
8 %.
Elle détourna le regard et encocha une autre flèche.
— Que me veux-tu, Pervers ?
— Tu m’en veux encore pour ça ? Je t’ai déjà dit que c’était un accident.
— Oh oui, bien sûr. Pénétrer dans la chambre d’une jeune fille sans autorisation est accident, ironisa-t-elle.
Elle banda l’arc.
— Tu n’arriveras jamais à toucher la cible, fit-il en se postant à côté d’elle. Tes bras sont trop maigres et tu n’as…
Penelope lâcha la corde. La flèche se ficha dans la cible à quelques centimètres du centre.
— … aucun entraînement. Coup de chance du débutant. Et je croyais que tu préférais l’arbalète ?
L’arbalète ? Quelle drôle d’idée.
— Je me reconvertis à l’arc, rétorqua-t-elle en encochant une autre flèche.
Encore quelques coups et elle aurait apprivoisé cet arc. Elle aurait enregistré sa puissance, ses quelques défauts, sa portée. Les facteurs vents et résistance de l’air étaient aussi étudiés.
Elle tira encore trois flèches avant d’enfin toucher le centre de sa cible.
— Tu penses encore à une chance du débutant, Pervers ?
Reynold avait la bouche entrouverte et les yeux écarquillés.
— Tu es… Wow ! Quand est-ce que tu as appris à tirer ?
Elle lui offrit un rictus.
— Dans mes rêves, loin des brimades et des moqueries, en imaginant un monde où je pourrais être utile.
Elle fit quelques pas pour s’approcher de lui. Elle se porta sur la pointe des pieds pour lui murmurer à l’oreille.
— Et surtout moi-même, termina-t-elle avant d’aller chercher ses flèches.
— Et qu’est-ce c’est sensé vouloir dire, ça ? demanda-t-il un brin plus en colère.
— Que tu ne connais pas, n’a jamais connu et ne connaîtras probablement jamais la personne que je suis.
Elle délogea les flèches de la cible et les rangea dans son carquois. Elle revint vers lui et se mit à détendre la corde de son arc.
— Et puis, je sais très bien que tu ne t’intéresses pas à qui je suis. Tout ce que tu veux, c’est me créer encore plus d’ennui. Je ne sais pas si cela t’amuse et à vrai dire je m’en contrefiche.
Elle partit ranger le matériel avec soin et referma la porte du cabanon.
— Et je te l’ai dit, je suis fatiguée. J’en ai marre de ces enfantillages. Tout ce que je veux, c’est pouvoir profiter tranquille de ces quelques semaines d’insouciance qu’il me reste encore avant ma cérémonie de passage à l’âge adulte.
Elle le fixa de la tête au pied.
— Et ce n’est pas en compagnie d’un jeune homme charmant au comportement pervers que j’y arriverai. J’aurais trop peur de faire un geste déplacé qui me prendrait pour une fille facile. Alors s’il te plait, Reynold, à l’avenir, passe ton chemin de ton côté et j’en ferai de même du mien.
Il vaut mieux qu’il reste loin d’elle. Elle mettait cela sur son attitude perverse. C’était osé. Elle avait bien compris que c’était un accident dû à son comportement sans gêne de pénétrer sans prévenir dans la chambre de sa sœur.
Mais voilà, elle souhaitait rendre au bourreau de la jeune Penelope la monnaie de sa pièce pour ce piège qu’il avait tendu bien des années auparavant.
Elle s’éloigna d’un pas tranquille sans un regard en arrière. Elle nota toutefois au bout de quelques mètres un clignotement du panneau système. Elle l’ouvrit sans s’arrêter pour autant de marcher.
Evénement Spécial !
“Assister au Festival avec Reynold”
Voulez-vous tenter cet événement ?
Oui ou Non.
(Récompense : affinité avec Reynold +3%, Objet secret)
Elle hésita un instant avant de refuser l’événement. Non, elle n’allait pas lui offrir ce plaisir. Pas à lui, le Pervers de service. Encore moins après ce qu’elle venait de lui dire.
Mais l’éventualité de pouvoir éventuellement amener cet événement germa dans son esprit. Il ne lui restait plus qu’à trouver la manière de l’aborder. Après tout, la première nuit du Festival commençait le soir même.