Penelope marchait dans sa chambre. Elle s’ennuyait ferme et avait besoin de bouger. Même en étant une scientifique réservée et plutôt bourreau du travail, elle n’était jamais restée aussi longtemps immobile. Elle avait toujours eu quelque chose à faire. Ici, elle n’avait rien à part quelques livres. Quinze pour être précise.
Et elle les avait tous lus.
Elle avait besoin de sortir ! Besoin d’air. Besoin de faire quelque chose de ses dix doigts. Peu importait quoi.
Elle avait déjà préparé le design d’une dizaine de tenues bien plus adaptées à ses mouvements. Bien que toujours efféminés, ils avaient aussi l’avantage d’être sobres. Même les deux robes qu’elle s’était créées dans son carnet. Il ne manquait plus qu’un couturier pour qu’il reproduise les habits selon ses instructions. Un rien plus large pour lui permettre de prendre un peu de poids évidemment car elle était horriblement maigre ! Pas encore anorexique mais on s’en approchait !
A côté de cela, elle avait fouillé un peu les possessions de Penelope. Beaucoup de bijoux et de trésors, tous plus extravagants les uns que les autres. Elle soupira à ce constat.
Elle allait en choquer plus d’un par son comportement de plus en plus effacé et discret. Peu lui importait. Elle n’était pas Penelope. Mais elle devait survivre. Pour elles deux.
Il y avait autre chose aussi qui nécessiterait aussi le travail d’une tierce personne. Un forgeron ou un orfèvre cette fois. Elle avait dessiné la croix des Quincy sur un croquis. Elle en avait besoin d’une. Un catalyseur. Sans elle, il y avait peu de chance qu’elle puisse sortir son arc.
Rien de bien compliqué. Une croix à cinq branches superposée sur un cercle. Le tout dans un métal solide. Il ne devait pas être particulier, seul le symbole importait, détenteur lui-même du catalyseur. Elle pouvait certes le tracer avec ses doigts, avec son sang ou n’importe quoi d’autres, même un crayon sur une feuille de papier, pour lui donner du pouvoir. Le graver dans sa chair peut-être ? Mais le mieux encore était qu’elle se crée un bracelet, un chapelet ou encore un collier avec cette croix afin de mieux l’utiliser, et aussi le dissimuler aux yeux de tous.
D’autant plus qu’une fois partie, Penelope, la vraie, devrait vivre avec… Un bijou simple serait nettement mieux. Plus discret. Et facilement oubliable.
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Toujours aussi ignorée par tous à l’exception de sa servante personnelle, Penelope était dans sa chambre depuis déjà trois semaines. Elle s’était donc faite une petite routine bien huilée.
Elle se levait tôt pour s’échauffer le corps, juste assez pour se donner de l’appétit qui devenait de plus en plus conséquent. Puis, Emilie venait la servir et préparait son bain. Elle avait enfin accès à une salle d’eau ! Le bonheur. Elle se lavait et s’habillait pour sa journée.
Et ensuite elle s’occupait : dessiner des croquis, observer sa vue du grand jardin du Duché par la fenêtre et le mur assez haut au-delà, quoique pas assez pour l’empêcher de sortir du domaine, pas plus que les trois étages qui la séparaient du plancher des vaches. Sa maîtrise du hirenkyaku était suffisante pour lui assurer un saut et même si elle n’avait pas pu l’expérimenter plus que cela, elle ne doutait un seul instant qu’elle pouvait l’utiliser à son plein potentiel. Elle ne l’avait juste pas encore fait pour découvrir ce monde dans le cas où Emilie ou qui que ce soit d’autres pénètre dans sa chambre et la découvre vide.
L’après-midi, quand l’impatience et la frustration d’être enfermée se faisait lourdement sentir, Penelope reprenait une passion d’adolescence : la danse. Et pas n’importe laquelle. Née dans une famille Quincy très stricte et conservatrice, elle n’avait pas eu le choix de se conformer au ballet.
Et elle avait adoré. Elle n’était certes pas devenue professionnelle, bien trop intéressée par les sciences et sa vie d’ingénieure biotechnologique pour accorder encore du temps à cela. Elle n’en avait plus assez.
Mais ici, retirée de tout, sans beaucoup de distraction digne de ce nom, elle avait profité du grand espace libre de sa chambre pour se refamiliariser avec les pliés, les chassés et grands écarts. Entre autres choses.
Penelope ne manquait pas trop de souplesse pour son plus grand bonheur. Elle n’avait pas à retravailler cela des semaines durant pour se trouver un corps à la mesure de son esprit vif et gracile.
Ainsi, elle retrouva cette passion de jeunesse avec une certaine joie et nostalgie et ce, dans la plus grande discrétion que lui accordait sa chambre.
Le seul petit hic qu’elle espérait bientôt régler sur cette pratique, c’était qu’elle était forcée de pratiquer en sous-vêtements. Ses robes ne lui permettaient pas une liberté de mouvement des bras et elle n’avait aucune chemises de nuit assez amples et larges au niveau de la jupe pour lui permettre le grand écart ou des battements.
Elle ferait bien de se faire faire une tenue d’entrainement de ballerine adaptée également. Mais elle n’était pas pressée par cela. Ce n’était pas comme si on venait souvent dans sa chambre…
C’était donc avec une certaine aise et plaisir lent qu’elle s’était laissée allée en grand écart, le front collé contre son genou quand…
BOUM !
Penelope sursauta et replia ses jambes. Les portes de sa chambre s’étaient ouverte avec fracas sur… Reynold.
Son sang ne fit qu’un tour alors qu’il fixait sur elle un regard choqué.
— Qu’est-ce que… ?! commença-t-il avant qu’elle ne l’interrompe.
— Non mais ça va pas ! s’égosilla-t-elle, furax alors qu’elle se levait.
Elle fit rapidement deux pas vers le paravent pour s’y dissimuler et enfiler rapidement son peignoir de nuit afin de cacher sa nudité.
— Cela te poserait un problème de frapper à la porte et d’attendre que je te donne la permission d’entrer ?! Sale pervers ! T’aime ça hein ? Mater les filles dans leur chambre ! Dégage ! Dégage de ma chambre !
Elle s’avança vers lui, le visage rouge et le regard meurtrier.
— Penelope, je…
Elle lui attrapa le bras et le poussa vers la sortie.
— Dégage de ma chambre, sale pervers ! Et n’y reviens pas !
Pour faire bonne mesure, elle claqua la porte. Elle se laissa ensuite glisser sur le sol et se cacha le visage entre les mains. Sa peau était brûlante à cause de l’affût sanguin. Elle devinait sans mal ses joues rouges de colère mais aussi de honte.
Un homme, le frère aîné de Penelope, l’avait mâtée, elle la fille du Duc, dans son plus simple appareil. Les rumeurs allaient aller bon train.
Comme ses problèmes avec Derrick à qui elle avait promis de ne pas se faire remarquer. Elle se redressa vivement à cette pensée pour retourner s’habiller.
— Cette fois, ce n’est vraiment pas ma faute ! Les gens n’ont qu’à apprendre à frapper à une foutue porte ! C’est la moindre des choses !
Pour se calmer, elle récita le Kaiser Gesang que tout Quincy se devait de connaître.
Le Roi Quincy scellé,
En 900 ans, il retrouvera son pouls,
En 90 ans, il retrouvera son intellect,
En 9 ans, il recouvrera son pouvoir,
En 9 jours, il récupérera le monde.
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— Je t’avais dit que c’était ta dernière chance, commença Derrick.
Penelope lui lança un regard noir. Ils se trouvaient dans le bureau du Duc. Elle leva la main.
— Avant qu’un mot de plus ne soit ajouté, j’aimerais qu’on remette l’église au milieu du village cette fois !
— Quel est le problème cette fois, Penelope ? s’enquit le Duc dans un soupir las.
— Reynold, Père, répondit-elle d’une voix dure empreinte d’une once de colère.
Malgré elle, ses joues chauffèrent, signe qu’elles devaient rougir.
— Il a pénétré dans ma chambre sans même daigner frapper alors que j’étais… dévêtue. Et il m’a regardé sans bouger.
Elle lança à un regard noir à Derrick qui n’affichait plus qu’un air surpris par sa révélation.
— Je crois que dans ces circonstances particulières, crier était totalement justifié. J’étais nue dans ma chambre et un homme y est entré ! Certes de la famille mais si je ne l’avais pas fait, on m’aurait fait passer pour une fille facile. Et je ne suis pas une fille facile ! Reynold se permet de violer mon intimité en pénétrant comme il l’entend dans ma chambre sans crier gare ! J’ai le droit à avoir au moins mon jardin secret à moi. Et si quelqu’un veut y pénétrer qu’il s’annonce en toquant à la porte et me laisse le temps de lui accorder ou non le droit d’entrer ! Allez-vous me jeter la pierre pour avoir voulu défendre ma dignité aussi vulgairement bafouée ? demanda-t-elle à Derrick. Ou peut-être dois-je me taire et laisser tous les hommes vivant sous ce toit ou en dehors se rincer l'œil sur la moindre parcelle de mon corps pour que vous soyez content et ayez enfin ce que vous voulez ? Après tout, si j’ai bonne mémoire, vous m’avez retiré mon nom. Alors qu’importe qu’une fille du peuple ait été vue nue par un pervers, aussi noble soit-il. Cela ne choquera personne même si elle en finit traumatisée alors qu’elle se croyait pourtant en sécurité dans sa chambre.
Elle se releva et épousseta sa robe.
— Maintenant, je vous prierai de m’excuser avant que j’en vienne à dire des mots que je regretterai.
Penelope sortit. Toutefois, juste avant de fermer la porte, elle entendit le Duc s’adresser à son aîné.
— Va me chercher Reynold. Tout de suite.
Le ton était dur et froid. Il y en avait qui allait se faire taper sur les doigts et elle en était satisfaite. Ce crétin apprendrait le béaba de la politesse.