— A quoi tu joues ?
Penelope et Emilie sursautèrent. Reynold Eckhart venait de pénétrer, presque avec effraction, dans sa chambre.
— Qu’est-ce que… Toi !
Il venait de remarquer la présence de la servante toute tremblante dans la pièce.
— Jeu… Jeu… Jeu… jeune Maître !
La pauvre venait déjà de subir les douces foudres de sa maîtresse qu’elle se retrouvait déjà sous les feux d’un autre membre de la famille Eckhart. A son sens, le pire notamment à cause de son impulsivité.
Penelope avisa le plateau repas encore présent avec fourchette et couteau. Puis, le “-3 %” au-dessus de la tête de Reynold. Elle pinça les lèvres. Nope, cela ne sentait pas bon du tout.
— Emilie, tu peux y aller. Dépêche-toi.
Reynold se retourna.
— Où tu comptes aller comme ça ?!
Penelope fit quelques pas pour se mettre entre le plateau repas et Reynold. Elle fixait ce dernier avec attention, analysant le moindre de ses gestes. S’il devenait violent par son comportement, elle se défendrait si nécessaire. Elle n’avait pas la force mais elle avait encore son énergie spirituelle. Elle saurait y faire.
— Dis-moi, commença Reynold. Qu’est-ce que tu manigances ?
Elle ne répondit pas. Elle ne fit que le fixer. Lui qui était la source des premiers malheurs de Penelope au Duché. Il ne faisait que la chercher, la faire sortir de ses gonds pour pouvoir après la remettre “à sa place” et rapporter le tout à Derrick et le Duc.
Elle était le chat et lui le chien. Ou bien l’inverse. En tous cas, ils ne seraient jamais fait pour s’entendre.
— Tu m’ignores, maintenant ?
Elle retint un soupir. Elle ne pourrait pas éviter la discussion.
— De quoi ? demanda-t-elle en croisant les bras.
— Pourquoi tu l’as reprise ?
— Ce n’est rien, ne t’en fais pas.
Elle détourna le regard, pour le dissuader notamment de continuer cette conversation.
— Hein ?
Les yeux de jade se posèrent sur un Reynold surpris.
— Faire avaler des aliments avariés à sa maîtresse, ce n’est rien ?
Bon, dis comme ça, c’est énorme, admit intérieurement Penelope.
— Non, je voulais dire…
— Cette créature vulgaire qui ne connaît pas sa place a osé ridiculiser notre famille ! l’interrompit Reynold en criant. On n’a pas besoin de ce genre d’insolente ! Beaucoup de gens seraient prêts à travailler gratuitement pour nous.
La phrase sonna d’une étrange façon à l’oreille de Penelope. Comme… familière. Elle réfléchit où est-ce qu’elle aurait pu entendre une telle chose. Non, elle ne l’avait pas entendu. Elle l’avait lue. Dans le jeu, en mode normal. Sauf que cette fois-là, Reynold parlait justement de Penelope.
Elle ne put que faire un faux sourire, plein d’amertume.
— Ah ah, fit-elle sans conviction.
— Ca te fait rire ? demanda-t-il en relevant un sourcil. Cette servante devait te prendre pour une idiote à subir ça sans jamais se plaindre.
— J’ai parlé avec notre père de ce qu’il s’est passé hier, rétorqua-t-elle en effaçant cette répliqua d’un geste de la main.
— Normal, se vanta Reynold en haussant des épaules, un petit sourire satisfait sur le visage.
Elle avait envie de le lui arracher !
— Je suis allé demander à notre père de chasser cette créature vulgai…
— Notre père et notre grand frère ne veulent pas chasser Emilie, le coupa Penelope.
— Hein ?
Surprise encore.
— Père et… Derrick ?
Bon, ils ne l’avaient pas dit clairement mais le sous-entendu de Derrick était presque limpide en évoquant l’expérience professionnelle d’Emilie.
— Non seulement tu ne la renvoies pas, mais tu la reprends comme servante personnelle ?! demanda-t-il, choqué.
— Oui.
Il grogna.
— Non mais t’es débile ? T’aurais au moins pu refuser !
Elle releva un sourcil. Il était sérieux là ? Depuis quand se souciait-il de ce genre de détails la concernant. A moins que c’était encore pour l’écraser et la faire passer pour une minable ? La chercher ? La faire exploser ? Il n’aurait rien de tout cela.
— Et qu’est-ce que ça aurait changé ? demanda-t-elle d’une voix aussi calme que lui il criait, toujours plus énervé.
— Comment ça ? Tu veux mourir empoisonnée ? C’est ça ?!
— Tu es sûr qu’une nouvelle servante n’aurait pas fait la même chose ? l’attaqua-t-elle alors sans hausser le ton.
Il se figea, à court de mot. Elle reprit en faisant bien attention à ses propos.
— Hier, je ne suis pas allée plaider la cause de la servante auprès de notre père.
— Alors pourquoi tu es allée le voir ?
Parce qu’il veut vraiment tout savoir hein… Parfait. Tu vas l’avoir, ton ragot à partager avec ton frère !
— Je me suis agenouillée et je lui ai demandé pardon pour lui avoir causé du tort.
L’expression de son visage était magnifique à regarder. Eh oui, la Penelope qui s’énerve pour un oui ou pour un non, c’est fini ! Elle va s’excuser, s’effacer et réfléchir pour se sortir de l’enfer dans lequel tu l’as plongée, salopard !
— Tu t’es agenouillée et tu as imploré son pardon ? répéta-t-il lentement avant de secouer la tête, perplexe. Attends. Père t’a demandé de faire tout ça ?
— Il n’a pas eu besoin de le faire, répliqua-t-elle en haussant des épaules. Et je lui ai promis de ne plus lui créer de problèmes jusqu’à la fin de mon isolement.
Elle fit un geste de la main pour balayer le sujet de la discussion.
— Alors s’il te plait, ferme les yeux pour cette fois, termina-t-elle d’une voix voulue lasse alors qu’elle se détournait de lui. Je t’en prie, Grand Frère.
Elle l’entendit grogner à nouveau. Typique des mecs quand on leur coupait le soufflet.
— Tu n’as pas de fierté ?!
Peut-être pas aussi coupé que ça finalement…, pensa-t-elle alors que ses tympans souffraient presque de surdité passagère.
— Après tout ce que tu as subi, tu vas faire comme si de rien n’était ?! T’es malade ? Sois fidèle à toi-même ! Pique-nous une belle crise d’hystérie !
Ainsi, c’était bien cela qu’il voulait. Elle avait touché dans le mile. Sauf qu’il ne l’aurait pas. Il ne l’aurait plus. Jamais !
Elle se retourna et lui offrit un sourire mauvais.
— Tu aimerais bien, hein ? Quand tu as caché ce collier dans ma chambre… Tu n’attendais que ça. C’est ce que tu voulais. Depuis le début. Que je m’énerve et que je crie. Voilà pourquoi tu t’es toujours comporté comme ça avec moi.
— Quoi ?
Il serra les poings.
— Penelope, à l’époque…
Elle l’arrêta d’un geste.
— Je ne veux pas te faire de reproches. Moi aussi, j’ai mes torts.
Autant quand même le brosser dans le sens du poil. Parce que -3 % !
— Mais maintenant, j’en ai juste assez de tout ça.
— Comment ça ? demanda-t-il, confus et encore sous le choc des révélations de la matinée.
— Je serai bientôt majeure, répondit Penelope. Je ne vais pas m’obstiner à rester dans cette famille.
Il écarquilla les yeux.
— Comment ça ? Tu comptes quitter la famille ?
— Je sais que c’est ce que tu veux. Mais c’est à notre père et à notre grand frère d’en décider. Alors, je t’en prie, ne te soucie pas de moi.
Elle fit quelques pas vers la bassine.
— Je dois me laver, fit-elle en la désignant de la main. Tu veux bien me laisser ?
Elle s’immobilisa en voyant le pourcentage d’affinité clignoter encore. Et sa tête… C’était quoi ça pour une expression ?
3 %
Penelope le regarda avec de grands yeux. Elle avait été un peu dure, directe, et lasse. Elle ne supportait pas les combats stériles et avec Reynold Eckhart, ce ne serait que cela. En voyant le pourcentage clignoter, elle avait cru avoir fait un pas de travers. Et non ! Elle avait même gagné 6 % avec ce Love-Interest.
Il n’était plus Monsieur Négatif.
Il ouvrit la bouche.
— J’ai été bête de m’inquiéter pour toi, dit-il avant de se détourner.
Il sortit de sa chambre d’un pas lent. Il devait être encore un peu perdu. Et en colère aussi. Mais perdu. Ses poings serrés et tremblants l’attestaient. Un ouragan se déchainait sous ses mèches roses.
Penelope souffla. Elle allait pouvoir se laver et s’habiller tranquillement désormais.
Et commencer à réfléchir à comment se rendre utile pour le Duché.