Penelope chercha un point de repère autour d’elle. Les rues étaient vides. Les lumières et les couleurs du Festival avaient disparu. Elle étendit ses sens et ne ressentit personne autour d’elle. Ce qui était impossible.
Sauf qu’elle était dans une simulation ou jeu ou peu importe le nom que cela avait. Ses sens pouvaient être biaisés.
Le panneau du système clignota.
Un nouvel épisode a commencé.
“Ecles, l’esclave d’un royaume déchu”
Voulez-vous être envoyée aux enchères aux esclaves ?
Oui ou Non.
— Nous y voilà, murmura-t-elle en acceptant la quête.
Elle se sentit téléporter.
Penelope inspira pour se remettre de sa surprise. Elle étendit ensuite ses sens. Il y avait un attroupement plus loin. Elle s’approcha calmement. Elle tourna à l’angle et vit une file. Tous des gens masqués.
Elle resta en retrait. Elle n’avait ni la tenue, ni l’envie de se mêler à ces gens, encore moins en sentant encore plus d’énergie violente plus loin. Tellement de personnes, tellement d’énergie. Elles étaient disposées de telle façon qu’elle visualisait une sorte d’arène.
Penelope alla se poster un peu plus loin et attendit. Elle chercha un point de vue élevé. Le clocher d’une église proche sembla un bon poste d’observation. D’un saut, elle s’y retrouva et attendit la suite des événements faute de pouvoir intervenir.
Des gens rentraient, d’autres sortaient. Certains avec des chaînes. Des esclaves… Les enchères dont ils étaient le produit.
Penelope pinça les lèvres. L’esclavage était une chose qui avait disparu de son monde et voilà qu’elle le découvrait là. Elle en était dégoutée. Mais elle était bien là, dans ce monde fantaisiste.
Cependant, elle resta de marbre et attendit.
Un groupe l’attira plus que les autres. Un esclave s’agitait plus que ses congénères. Se débattait même. Il mit deux hommes à terre malgré ses chaînes. Quand sa capuche tomba, Penelope le reconnut.
Eckles.
Elle tira sur la capuche de sa propre cape pour dissimuler son visage, remerciant la nuit et ses vêtements sombres pour rester discrète et méconnaissable. D’un geste vif du poignet, elle fit sortir sa croix Quincy et invoqua son arc dans la foulée.
Elle se mit à tirer. Sur le sol pour commencer. Cela attira l’attention de tout le monde sur elle. Même Eckles. Toutefois, ce dernier se reprit vite pour profiter de la situation. Il mit un troisième homme à terre d’un coup de coude.
— Attrapez-moi cet archer ! ordonna un homme bien mieux habillé que les autres.
Eckles brisa ses chaînes et chercha à s’enfuir. L’homme tendit la main vers lui. Eckles tomba à terre en hurlant de douleur.
— Oh non, mon tout beau ! Je t’ai payé bien trop cher pour que tu t’échappes !
Penelope fronça les sourcils alors qu’elle observait la situation. Elle savait de source sûre que la magie était très réglementée dans ce monde pour avoir fait quelques recherches et lectures dans la bibliothèque du Duché.
Elle plissa les yeux et comprit vite d’où venait le problème. La bague que l’homme portait à son doigt. Un brin trop féminine pour être portée par un homme. Cela signifiait qu’elle avait une utilité.
Sans hésiter, elle tira. Le doigt fut tranché. Elle retint un sourire quand elle vit Eckles attraper ce dernier et s’enfuir. Il avait su réagir et mettre à profit la situation. Elle s’éloigna alors d’un bond, puis d’encore un autre. Elle fit disparaître son arc et survola une ribambelle de toits sur plusieurs rues, grâce à l’hirenkyaku, suivant et anticipant un peu la route du jeune homme qu’elle venait de sauver de l’esclavage.
Penelope trouva une ruelle sombre non loin d’Eckles. Elle ôta sa capuche et s’engagea sur la route d’un pas tranquille dans le but d’aller à sa rencontre, ses talons résonnant quelque peu sur les pavés. Des pas pressés devant elle confirmèrent ses perceptions.
Au détour de la rue, elle se fit bousculer. Elle croisa ses yeux gris surpris. Elle tomba à terre, lui juste au-dessus d’elle. Il était couvert de sueur et de quelques éclaboussures de sang. Elle en sentait la saveur métallique presque jusque sur sa langue.
Il se redressa et lui tendit la main.
— Excusez-moi, Mademoiselle, fit-il sur un ton pressé.
— Il n’y a pas de mal, sourit-elle. Cela arrive…
— Il est là ! cria un homme au loin.
— Oh non…
— Que se passe-t-il ?
— Courez.
Il lui prit la main.
— Courez ! insista-t-il.
L’onde chevaleresque qui se dégageait soudain d’Eckles confirma son choix de l’avoir libéré malgré ses premières impressions. L’homme était capable du pire et au vu des circonstances, il y avait été obligé. Mais il savait être noble et, dans la précipitation, attentionné.
Elle ne se plaignit pas de la poigne dure autour de son poignet et courut à ses côtés. Elle jeta quelques regards en arrière et vit des hommes armés. Qui se mirent notamment à tirer pour les archers.
Penelope se sentit tirer un peu plus fort et en moins de temps qu’il ne lui en fallut pour le penser, elle se retrouva dans les bras d’Eckles. Elle en rougit presque. Son poids l’indisposait à peine. Sa foulée était toujours aussi vive et rapide. Son souffle déjà bref était pourtant maîtrisé. Il était habitué. Il pourrait tenir ce rythme encore longtemps.
Techniquement, elle le pouvait aussi. Elle pourrait même être plus rapide que lui et l’emporter si nécessaire avec elle. Mais ce serait se dévoiler. Et elle n’était pas prête pour ça.
Alors elle se laissa faire.
☆*☆*☆*☆*☆*☆
Ils étaient au beau milieu de la forêt. L’aurore commençait peu à peu à poindre à l’horizon. Penelope fit quelques pas avant de se tourner vers l’homme qu’elle venait de sauver et sans la connaître, sans même savoir qu’elle était sa bienfaitrice, l’avait mis à l’abri à son tour.
Un homme bien.
— Je vous remercie.
Il leva les yeux vers elle, surpris.
— Pour… pour m’avoir sauvée, précisa-t-elle.
— Je vous en prie, souffla-t-il.
Son pourcentage d’affinité monta de 7%. Juste pour un remerciement.
Eckles secoua la tête avant de se pencher en avant en grimaçant. Il avait la main à son flanc. Quand il l’ôta, Penelope vit le sang. Il était sérieusement blessé. Sans doute un coup de couteau puisqu’elle ne voyait aucune flèche plantée où que ce soit. A moins qu’il l’ait arrachée dans sa course ? Elle en doutait. Elle n’avait rien vu. Mais elle n’avait pas assisté à tout non plus. Elle ne pensait pas en avoir besoin. C’était juste un homme qui fuyait pour sa vie.
— Venez, dit-elle en lui tendant la main, un sourire aux lèvres. Je vous emmène chez moi. Mon père vous récompensera sûrement pour m’avoir sauvé la vie.
Il leva les yeux sur elle.
— Votre père ?
— Le Duc Eckhart.
Son pourcentage d’affinité clignota.
5%.
— Non ! refusa-t-il en reculant.
Penelope sentit le changement dans son énergie. Elle était devenue bien plus sombre, mais pas encore meurtrière. Il faisait sans doute la part des choses. Il était esclave dans une nation étrangère.
Elle chercha à se souvenir d’où est-ce qu’il venait. Venant d’une nation ennemie soumise récemment par l’empire, il était un esclave de guerre. Par son maintien et sa chevalerie, elle ne doutait pas qu’il était issu au moins de bonne famille. Un chevalier, un fils de baron, un fils de duc, un prince peut-être ?
Autre chose qu’elle savait également à son égard depuis le mode normal, c’était son talent d’épéiste qui lui avait valu l’intérêt du Duc Eckhart. Mais pour cela, il fallait qu’elle le ramène au domaine d’abord.
Toutefois, avec la haine qui brillait dans ses yeux, ce serait une entreprise difficile.
— Je vous en prie, tenta-t-elle de l’apaiser. Je vous dois bien au moins quelques soins et une remise sur pied pour m’avoir sauvée. Après, vous pourrez repartir, je vous le promets.
Elle se pencha quelque peu pour avoir un meilleur angle de vue sur la plaie. Elle n’était pas jolie. Elle saignait même assez bien. Il pourrait très bien avoir un organe touché. Penelope était d’ailleurs étonnée qu’il tenait toujours sur ses jambes, en plus après l’avoir portée aussi longtemps.
— Si vous vous obstinez à refuser, je crains que vous ne surviviez pas longtemps à votre blessure.
— Et qu’est-ce qu’une noble peut en savoir ? s’enquit-il d’une voix acerbe.
Se pouvait-il qu’il avait quelques griefs avec la noblesse ? Rien que de l’Empire d’Ioka ou même de son propre pays ? Seul le temps pourrait peut-être lui offrir cette réponse. Dans l’immédiat, elle devait avant tout le convaincre de rentrer au Duché.
Autant être honnête. La base de toute relation saine. Jusqu’à un certain point, bien sûr…
— Je ne suis pas née noble, répondit-elle. Le Duc m’a adoptée il y a quelques années après m’avoir trouvée dans la rue. J’ai déjà dû faire face à… aux horreurs que la vie peut mettre sur notre chemin. Les crimes, les vols, la mort…
Elle inspira profondément et plongea son regard dans celui d’Eckles.
— Je me sentirai coupable de ne pas sauver la vie de l’homme qui m’a protégée des rustres qui nous tiraient dessus. Un homme qui m’a portée dans ses bras sans avoir le moindre égard pour ses propres blessures. Alors, je vous en prie, venez au Duché juste le temps que vos plaies soient soignées. Ensuite, vous pourrez reprendre le cours de votre vie.
Elle avait à nouveau tendu la main, paume vers le ciel. Elle affichait l’air qu’elle espérait le plus confiant et innocent possible. Il finit par soupirer et lui prit la main.
— Très bien, souffla-t-il. Je vous suis.
Ils parcoururent une centaine de mètres en silence avant que Penelope l’interrompe.
— Au fait, je m’appelle Penelope. Penelope Eckhart. Et vous ?
— Eckles.
— Je suis enchantée de faire votre connaissance, Eckles.
— Moi de même, Lady Penelope.
Ainsi, il avait des notions de bienséance. Eckles avait de l’éducation, elle n'avait désormais aucun doute là-dessus. Elle le guida alors jusqu’au Duché.
Et qu’elle avait hâte de rentrer ! Elle était épuisée.