En rentrant à la maison, je m'attends à tout sauf à retrouver Raphaël dans mon salon, assit à ma table avec mes parents. Ils sont tous les trois tellement concentrés sur ce qu'ils font, que pas un seul d'entre eux ne m'entend entrer. Je file dans la cuisine me servir un vers d'eau puis je m'installe sur une chaise en face d'eux.
— Qu'est-ce que vous faite ?
Mon père sursaute en m'entends et me répond.
— Ma chérie tu es rentrées ? Ou as-tu passé l'après-midi, tu es parti pendant que nous faisions la sieste.
— J'ai passé l'après-midi avec Jasmine dans le centre-ville.
A mes mots, Raphaël relève la tête brusquement et me regarde surpris, visiblement pas au courant que je devais voir sa copine aujourd'hui. Un silence tendu s'installe un bref instant, comme si mes mots avaient jeté un froid inattendu. Raphaël me fixe, les sourcils légèrement froncés, cherchant probablement à comprendre pourquoi ni moi ni sa copine avons pensé à lui dire. Ou peut-être qu'il essaie de deviner ce qui a bien pu se passer. Mon père, quant à lui, semble totalement à l'écart de cette tension sous-jacente et reprend la parole, brisant le malaise.
— C'est génial que tu puisses revoir tes amis d'enfance.
Je force un sourire et hoche la tête, tandis que ma mère reste concentrée sur les papiers étalés sur la table. Raphaël, lui, ne me quitte pas des yeux, comme s'il attendait une explication ou un signe. Je sens le poids de son regard et décide de m'esquiver avant que la situation ne devienne encore plus gênante.
— Qu'est-ce que vous préparez ? demandé-je pour détourner l'attention.
Ma mère lève enfin la tête et m'adresse un sourire rassurant.
— On revoit les derniers détails pour jeudi. Raphaël est venu nous aider à peaufiner la présentation pour les investisseurs. Il a vraiment été d'une aide précieuse.
Ce dernier détourne enfin le regard pour reporter son attention sur les documents, mais je perçois un soupçon de malaise dans son attitude. Il feuillette un papier d'un geste distrait avant de répondre.
— C'est normal, je veux que tout soit parfait. L'auberge mérite une chance.
Il dit cela d'un ton professionnel, presque détaché, comme s'il essayait de poser une barrière entre nous. Je prends une gorgée d'eau, cherchant à masquer ma propre nervosité.
— Vous avancez bien ? demandé-je, plus par politesse que par réel intérêt à cet instant.
— Très bien, répond mon père en souriant. Avec ce jeune homme, on forme une sacrée équipe. Mais dis-moi, ma chérie, qu'est-ce que tu as fait avec Jasmine cet après-midi ?
Je sens Raphaël se tendre encore plus si c'est possible, à ma droite. Je pèse mes mots avant de répondre. Réfléchissant à ce que je peux dire ou non.
— Oh, rien de spécial, on a discuté et fait quelques boutiques. Elle avait besoin de conseils pour un cadeau.
Je ne dis pas exactement la vérité, mais ce n'est pas grave ça fera l'affaire. De plus tout le monde semble me croire sauf Raphaël qui lui parait suspicieux. Évidemment, s'ils vivent ensemble il doit savoir que je Jasmine ne cherchait pas de cadeau.
Je me lève, pour retourner dans la cuisine voir si ma mère à préparer quelque chose pour le diner, mais Raphaël se lève aussi ce qui me stop dans ma lancée.
— Je vais y aller, dit-il en rassemblant ses affaires. On a bien avancé, je crois qu'il ne reste plus qu'à peaufiner quelques détails.
— Merci encore, Raph, lui lance ma mère avec un sourire chaleureux. On est vraiment chanceux de t'avoir, tu ne veux pas rester manger ?
Il répond rapidement avec un sourire poli, mais ses yeux reviennent vers moi, comme s'il attendait une opportunité de parler. Je quitte la pièce sans un mot, espérant éviter une conversation que je ne me sens pas prête à avoir. Mais à peine ai-je atteint le couloir que j'entends des pas rapides derrière moi.
— Attends, murmure-t-il en attrapant doucement mon bras.
Je me retourne, le cœur battant, et croise son regard. Cette proximité soudaine me désarme, et je vois dans ses yeux une lueur d'interrogation mêlée à une pointe de frustration.
— Pourquoi tu ne m'as pas dit que tu voyais Jasmine aujourd'hui ? demande-t-il à voix basse, pour que mes parents n'entendent pas.
Je soupire, cherchant mes mots.
— Parce que ce n'était pas prévu, Raph. Je lui ai envoyé un message cette nuit et... je ne savais pas comment te le dire. Puis ce serait plus à elle qu'à moi de te le dire.
Il plisse les yeux, essayant de lire entre les lignes. Il sait que j'ai raison, c'était à Jasmine de lui en parler. C'est elle qui vit avec lui et c'est sûrement à ses côtés qu'il s'est réveillé ce matin.
— Et de quoi vous avez parlé ?
Sa question est directe, presque brutale, mais je comprends son inquiétude. Jasmine est sa fiancée, après tout. Mais je n'ai pas envie de raviver ses doutes ou de lui donner l'impression que j'interfère. Je le regarde un instant, hésitant à répondre, mais je décide finalement d'être honnête.
— De toi, de vous, de nous trois enfaite, je lui explique à voix basse, elle m'a expliqué votre relation et nous nous sommes avoués nos ressentis. Je pense que nous allons essayer de reconstruire notre amitié même si ça risque d'être plus compliqué pour moi.
Ses muscles sont tendus, Raphaël reste silencieux, les mots semblant le frapper de plein fouet. Puis, après un moment, je lui murmure :
— Vous devriez avoir une discussion tous les deux, ce n'est pas normale qu'elle ne sache pas pour l'auberge et que tu ne sache pas que je la voyais aujourd'hui.
— Tu as raison, se résigne-t-il. Je vais rentrer lui parler.
Je lui souhaite une bonne nuit et continue ma route jusqu'à la cuisine. En entrant dans la pièce, je m'appuie contre le plan de travail, laissant échapper un soupir. Cette journée m'a complètement retournée. Entre ma discussion avec Jasmine et la tension palpable avec Raphaël, j'ai l'impression d'être prise dans un tourbillon d'émotions que je ne contrôle plus.
Je me sers un autre verre d'eau, espérant que ça m'aidera à retrouver un semblant de calme. Ma mère entre à son tour, un torchon à la main, un sourire doux sur le visage.
— Tu vas bien, ma chérie ? demande-t-elle en me scrutant attentivement. Tu as l'air préoccupée.
— Oui, tout va bien, juste fatiguée, répondis-je en esquissant un sourire qui, je l'espère, semble convaincant.
Elle s'approche et pose une main réconfortante sur mon épaule.
— C'est normal, c'est une période intense avec la rénovation. Mais tu sais, tu n'as pas à tout porter sur tes épaules.
Je hoche la tête sans répondre, incapable de lui expliquer ce qui se passe vraiment. Elle se détourne pour vérifier une casserole sur le feu.
— Ton père et moi sommes tellement reconnaissants que Raphaël nous aide, reprend-elle. C'est un bon garçon. Et il t'apprécie beaucoup, ça se voit.
Je m'arrête, les mains crispées sur mon verre. Sa remarque, bien qu'innocente, fait remonter un flot d'émotions contradictoires. On dirait qu'elle a oublié quelle relation nous avions à l'époque. Finalement je change de sujet.
— Qu'est-ce qu'on mange ce soir ? demandé-je avec un sourire un peu forcé.
Ma mère rit doucement et commence à me parler du plat qu'elle prépare, mais mes pensées dérivent. Je ne peux m'empêcher de repenser au regard de Raphaël, à son ton lorsque nous avons parlé dans le couloir. À la manière dont il semble coincé entre deux mondes, tout comme moi.
Après le dîner, je monte dans ma chambre, cherchant désespérément un peu de solitude. Je me laisse tomber sur mon lit, fixant le plafond, les souvenirs de la journée tournant en boucle dans ma tête. Jasmine, Raphaël, l'auberge, cette tension constante... tout me semble flou et pourtant si intense.
Un message sur mon téléphone me tire de mes pensées. C'est de Jasmine.
Jasmine : Merci encore pour aujourd'hui. Je vais lui parler. Je crois que c'est le moment.
Je fixe l'écran, le cœur serré. Sa détermination me touche, mais je ne peux m'empêcher de ressentir une pointe d'appréhension. Que va-t-elle lui dire ?
Une autre notification apparaît. Cette fois, c'est Raphaël.
Raphaël : Je suis rentré. Merci pour ce que tu as dit. Tu avais raison. On doit parler. Bonne nuit.
Ce n'est pas possible, je ne vais pas pouvoir être entre les deux comme ça. Je ne peux pas gérer Jasmine, Raph et ma douleur de les voir ensemble. Je ne réponds ni à l'un ni à l'autre. Ils vont devoir se débrouiller tout seul.
Comment ai-je bien pu me retrouver dans cette situation, je les aime mais ma colère reste là. Certes elle est enfouie au fond de moi, mais elle reste existante.