Assise dans ce café que j'aime tant, je patiente depuis cinq bonnes minutes en attendant l'arrivée de Jasmine. Plus jeune elle et moi partagions tout, des secrets, des rêves, des soirées interminables à refaire le monde. Nous étions inséparables. Mais aujourd'hui, une étrange tension plane au-dessus de cette rencontre. Depuis la dernière fois ou nous nous sommes vus, de l'eau à couler sous les ponts.

La cloche de la porte retentit, et je l'aperçois, hésitante. Elle s'approche avec un sourire timide, que je lui rends malgré moi. D'apparence, elle n'a pas beaucoup changé, ses cheveux on sont juste un peu plus foncé et les traits de son visage un peu plus adulte, sinon c'est la même personne que j'ai quitté dix ans plus tôt. La même personne qui était mon amie et la même personne qui ma trahie.

— Salut, Léa, murmure-t-elle en s'installant face à moi.

Il y a un instant de silence, lourd, comme si nous mesurions toutes les deux les années de non-dits et d'éloignement. Je pense que nous avons tous les deux besoins de ce temps d'adaptation à la présence de l'autre. Ne sachant pas par où commencer, je me lance.

— Merci d'être venue, dis-je finalement, brisant la glace. Je... j'avais besoin qu'on parle.

Elle acquiesce, le regard baissé, et je sens son hésitation, son inconfort.

— Je sais, Léa. J'aurais dû te contacter, te répondre quand tu es partie, mais tout est devenu si compliqué, et... je ne savais pas comment m'expliquer. Comment dire à sa meilleure amie que je suis amoureuse de son ex ? Ce n'est pas possible, ça aurait été trop douloureux pour toi.

Son regard se relève, sincère, et je vois un éclat de regret.

Ma voix se brise légèrement à ces mots, et je vois son visage se tordre de tristesse.

— J'avais confiance en toi et toi tu me pique mon mec ? Nous avions toujours dit les amis avant les garçons. Je ne comprends pas comment vous avez pu en arriver là tous les deux.

— Léa... ça n'a jamais été contre toi, jamais. Quand tu es partie, tout a changé si vite. Raphaël et moi... on s'est rapprochés, d'abord par amitié. Et puis, les choses ont pris une tournure que je n'avais pas prévue. Tu n'étais plus là, nous étions que tous les deux. Nous nous sommes embrassés une première fois lors d'une soirée arrosée. Le lendemain nous nous étions dit que nous ne recommencerions jamais, que nous ne pouvions pas te faire ça. Et puis à la soirée d'après ça a recommencé et ainsi de suite jusqu'à ce que notre relation devienne sérieuse. Mais je te jure que je ne pensais pas à lui de cette manière quand vous étiez encore ensemble. J'aime même penser plusieurs fois qu'il était avec moi juste parce que je lui faisais penser à toi.

Je hoche la tête, tentant de contenir l'émotion qui me submerge. J'ai un peu de peine pour elle malgré ma colère. Elle aussi subit cette situation. Finalement elle est la deuxième. Un peu la roue de secoure quoi.

— Alors pourquoi ne pas m'en parler ? Pourquoi ne pas m'expliquer au lieu de me laisser dans le flou ? J'ai perdu mon mec et ma meilleure amie en même temps !

— Mais tu es partie Léa ! Tu n'étais plus là ! j'ai fait comme j'ai pu.

Le ton monte entre nous, sans pour autant que nous nous engueulions.

— Je n'avais pas le choix ! Je devais partir !

Elle pousse un profond soupir, visiblement déstabilisée.

— J'avais peur de te perdre. Je me suis dit que si tu l'apprenais, tu ne me pardonnerais jamais... alors j'ai choisi la facilité. J'ai évité le conflit, et ça a été la plus grosse erreur de ma vie, parce que je t'ai perdue quand même. Et je m'en veux terriblement. Si seulement je n'étais pas tombé amoureuse de lui. En plus dès le début je le savais que je n'étais que son pensement. Combien de fois il m'a appelé par ton prénom.

Sa sincérité me touche, mais cette douleur indescriptible est tellement présente, cet espace vide entre nous que je ne suis pas sûre de pouvoir combler. Nous sommes aussi mal l'une que l'autre, pour le même problème mais finalement pas pour les mêmes raisons. Le mal qui nous sépare n'est surement pas réparable, il y en a forcément une qui souffre. Je peux essayer de faire semblant de lui pardonner et peut-être qu'avec le temps j'y arriverai réellement. J'aimerais retrouver cette complicité que nous avions.

Je fais abstraction de mes sentiments envers le couple que forme mes amis et nous discutons toute les deux durant presque une heure. Nous rattrapons le temps perdu en nous racontant une partie de ce qu'il s'est passé ces dernières années.

J'apprend qu'elle travaille en tant que manager dans une boutique à Annecy, que ses parents vont très bien mais que son grand père est décédé il y a quelques années. J'apprends aussi que sa sœur s'est mariée l'année dernière, ce qui relève du miracle vu le caractère de cette dernière. Elle me fait aussi part de ses doutes concernant son couple, et je prends sur moi quand elle me parle de leur relation. Elle m'avoue qu'ils ont failli se séparer plusieurs fois et ce n'est pas moi qui vais en être triste.

Après une trop grande dose de caféine dans le corps après les nombreux cafés ingurgités, nous décidons de sortir pour nous balader dans les rues de notre charmante ville. Je lui raconte ma vie à Paris. Mon travail, l'entreprise que j'ai montée.

— D'ailleurs, j'ai oublié de te demander, annonce-t-elle, il y a une raison à ta venue ?

Je suis surprise que Raphaël ne lui en a pas parlé.

— L'auberge de mes parents va très mal, je suis venue pour les aider, pour faire revivre l'auberge. Je ne veux pas qu'elle disparaisse et mes parents ne peuvent plus la garder tel quelle. Je suis surprise que Raphaël ne t'en ai pas parler, il bosse avec nous sur ce projet. C'est lui qui s'occupe des investisseurs.

Son regard semble vide d'émotion.

— Non il ne m'a rien dit, en même temps nous ne faisons que nous croiser depuis quelques jours.

Je vois bien qu'elle est contrariée que son fiancé lui cache des choses mais elle fait mine de rien devant moi et garde la tête haute.

Au moment de partir, Jasmine m'arrête sur le trottoir.

— C'est trop tôt pour t'inviter à manger à la maison ?

J'hésite un instant, oui ça serait trop dure mais je ne sais pas comment lui dire alors pour pas la vexer j'hausse simplement les épaules. Comment pouvons-nous être copine avec Raph entre nous deux. C'est clairement impossible. J'ai failli embrasser son mec hier. Aucune relation seine est possible à ce stade.

Hésitant quelques secondes, je la prends finalement dans mes bras, contente d'avoir eu une discussion sincère avec elle. Je ne sais pas comment nous allons nous en sortir avec cette histoire mais nous ne pouvons qu'avancer pas à pas, ensemble ou pas.