Je me réveille avec une sensation de vide, le souvenir de la veille encore vif. Mais aujourd'hui, j'ai décidé de ne pas laisser cette histoire m'atteindre. Je me lève, enfile une tenue confortable et descends rejoindre mes parents dans la cuisine, déterminée à me concentrer sur l'essentiel.
Ma mère lève les yeux de son café et me sourit doucement.
— Bien dormi, ma chérie ? demande-t-elle d'une voix apaisante.
Je hoche la tête, tentant de paraître détendue.
— Oui, ça va. On a du travail aujourd'hui, non ?
Mon père acquiesce, tout en feuilletant quelques documents posés devant lui.
— On va finaliser les plans pour les rénovations, dit-il. Si tout se passe bien, on devrait pouvoir commencer les démarches pour les financements d'ici quelques jours.
Je prends place à table, prête à plonger dans les plans. La familiarité de ce projet, la présence rassurante de mes parents... tout cela m'ancre et on ne va pas se mentir me concentrer sur ce projet m'aide à ne pas penser à Raph et Jasmine. Rien qu'assembler leurs prénoms me fait bizarre. Au moins ici, auprès de mes parents, je peux avancer sans me laisser rattraper par le passé.
Alors qu'on commence à discuter des détails, je sens petit à petit mon esprit se libérer. L'auberge est notre priorité, et je compte bien tout donner pour que ce projet voie le jour.
La matinée passe rapidement entre les croquis, les calculs et les discussions animées autour des choix de décoration. Mes parents partagent leurs idées avec enthousiasme, et je les aide à affiner chaque détail, imaginant déjà l'auberge prendre vie.
En fin de matinée, on s'interrompt pour déjeuner. Autour de la table, l'atmosphère est légère, presque comme si ce projet nous avait tous rapprochés d'une nouvelle façon.
— Tu sais, Léa, commence ma mère en souriant, ça faisait longtemps qu'on ne s'était pas sentis aussi motivés. Et c'est grâce à toi. On n'aurait jamais eu le courage d'envisager tout ça sans ton aide.
Je lui rends son sourire, touchée par ses mots.
— Je fais juste ce que je sais faire, dis-je modestement. Mais je suis contente que vous me fassiez confiance pour ça.
À cet instant, le téléphone fixe sonne, rompant le calme de notre échange. Mon père se lève pour répondre, et après quelques secondes, il se tourne vers nous, une étincelle d'excitation dans les yeux.
— C'est la mairie. Ils ont trouvé des aides financières possibles, mais ils veulent qu'on les revoie pour discuter des options plus en détail.
Je ressens un mélange d'excitation et de nervosité. Ce projet prend une tournure plus concrète, et même si l'idée de recroiser Raphaël m'effraie un peu, je chasse rapidement cette pensée. Aujourd'hui, tout est question d'avenir, et je suis prête à tout pour que cette auberge devienne notre réussite commune.
— Alors, on y va ? dis-je en me levant, déjà prête à reprendre les choses en main.
En arrivant à la mairie pour ce rendez-vous décisif, mes parents et moi échangeons des regards encourageants, déterminés à défendre notre projet. Dès notre arrivée, la secrétaire nous guide vers une salle de réunion lumineuse, ce n'est pas la même que la dernière fois. Quelques instants plus tard, le maire entre suivit de près par Raphaël, des dossiers sous le bras.
Je m'efforce de garder mon regard fixé sur le maire, mais je sens la présence de Raphaël tout près, et mon cœur se serre légèrement. Ce n'est pas le moment de laisser mes émotions prendre le dessus.
— Merci de vous être rendus disponibles si vite, dit le maire en souriant. Nous avons étudié les propositions que vous avez soumises, et je pense que nous pourrions envisager un soutien municipal, sous certaines conditions.
Il pose le dossier sur la table et commence à nous expliquer les différentes aides possibles, les subventions locales et régionales, et des options de financement participatif, exactement ce que j'avais expliqué à mon père. Les perspectives sont encourageantes, mais les démarches sont complexes à faire. La bonne nouvelle est que les fonds peuvent nous être versés très rapidement et que nous allons pouvoir commencer avec ce que nous avons déjà.
— Raphaël va travailler en étroite collaboration avec vous pour monter le dossier, ajoute le maire en se tournant vers moi. Vous pouvez compter sur lui pour tout ce qui est administratif et financier.
Je hoche la tête, m'efforçant de rester professionnelle.
— Bien sûr, je réponds calmement. Nous sommes prêts à faire tout ce qu'il faudra.
Le maire poursuit en nous détaillant le processus, et Raphaël, assis juste à côté de moi, prend des notes attentivement. À un moment, il se tourne vers moi, et je vois dans son regard une lueur d'encouragement, et presque d'excuse.
— Léa, il faudra qu'on se revoie d'ici la fin de la semaine pour finaliser le dossier, propose-t-il doucement.
J'acquiesce, sentant le poids de son regard. Malgré tout ce qui s'est passé entre nous, je ne peux nier son professionnalisme et sa volonté sincère d'aider.
— Peut-on faire ça tout de suite ? Plus vite nous le faisons, plus vite nous pourront avancer dans les travaux.
— Oui on peut s'y mettre à la fin de la réunion si tu veux.
Quand la réunion touche à sa fin, mes parents semblent soulagés. Alors que nous sortons de la mairie, ma mère glisse son bras autour de mes épaules.
— Nous sommes sur la bonne voie, souffle-t-elle, le sourire aux lèvres.
Je hoche la tête, absorbée par un mélange de satisfaction et d'appréhension.
— Nous allons faire quelque magasin en t'attendant, tu ne pourras remonter à la maison sans voiture, me dit mon père.
— Ne vous inquiétez pas monsieur, je la ramènerais, propose mon cher ex-copain et collaborateur.
Sans que je n'ai le temps de protester, mes parents le remercie et retournent à leur voiture pour rejoindre notre maison.
— Allons à ton café préféré, propose Raph.
Je suis surprise qu'il se souvienne de mes anciennes habitudes.
— Tu te rappelles de ça ?
Son sourire en coin m'informe qu'il n'a rien oublié de notre relation. Est-il aussi perturbé que moi par la situation ?
Nous nous installons dans un coin un peu à l'écart, près de la fenêtre. Le café ne semble pas avoir bougé d'un poil depuis que je l'ai quitté, c'est rassurant. Le silence entre nous est épais, comme si ni lui ni moi n'osions briser cette bulle fragile.
— C'est étrange d'être de retour ici, murmuré-je en jouant distraitement avec la cuillère sur la table.
Raphaël me regarde, et dans ses yeux, je lis un mélange de nostalgie et de regret.
— Parfois, je me demande ce qu'on serait devenus si tu n'étais pas partie, finit-il par dire.
Je reste un instant silencieux, mes pensées filantes entre passé et présent. Une part de moi a envie de demander « pourquoi Jasmine ? » ou « est-ce que tu m'as attendue ? » Mais je me retiens. Ce sont des questions qui ne feront qu'ajouter à la confusion.
— On ne le saura jamais puisque tu as choisi Jasmine, je réponds finalement, plus pour moi-même que pour lui.
Il acquiesce lentement, regardant par la fenêtre. La neige commence à tomber à nouveau, créant une atmosphère feutrée autour de nous. Je suis contrariée et il le sent. Raphaël semble hésiter. Il prend ma main dans la sienne sur la table, puis il reprend :
— Léa... je sais que la situation est compliquée. Mais pour ce projet... pour sauver l'auberge... je ferai tout pour que ça marche. Peut-être qu'on peut essayer d'être ami ?
Je hoche la tête, touchée par sa sincérité. C'est difficile de lui en vouloir alors qu'il est si dévoué et attentif. J'ai tout de même rapidement enlevé ma main de la sienne. Je ne veux pas de contact physique avec lui.
— Merci, dis-je d'une voix plus douce. C'est important pour mes parents, et... pour moi aussi. En ce qui concerne une amitié je ne sais pas si j'y arriverais mais je peux essayer de laisser ma rancœur de côté déjà.
Une serveuse s'approche pour prendre notre commande, brisant le moment. Je commande un chocolat chaud, comme avant, et il esquisse un sourire, commandant le même.
— Bon aller on s'y met, propose-t-il avec douceur.
Suivant la liste que le Maire nous a fournie, nous passons méthodiquement sur chaque point. Pour les contacts essentiels, nous avons partagé la liste : chacun notre moitié. Raphaël arpente la pièce, l'air concentré, tandis que je reste assise, mes notes en main, concentrée sur les réponses que j'entends au bout du fil.
Les discussions s'enchaînent, et je jongle entre subventions potentielles et questions de partenariat. De son côté, Raphaël est absorbé dans une conversation animée avec un investisseur local, la voix basse et déterminée. Je perçois, par moments, son regard glisser vers moi, comme pour s'assurer que tout se déroule bien. Il faut que ça marche, j'espère que quelques-unes de ces personnes seront intéressé par notre projet. Justement la personne à l'autre bout du téléphone est en train de me dire que ça pourrait possiblement l'intéresser.
— Oui, merci beaucoup. Nous vous enverrons un dossier complet d'ici la fin de semaine, dis-je, en essayant de transmettre mon enthousiasme.
Quand je raccroche, Raphaël termine son appel presque en même temps. Il s'arrête de marcher, me lance un sourire satisfait.
— On progresse ! lance-t-il. Un de plus d'accord pour en discuter.
— De mon côté aussi ! Je crois qu'ils sont intéressés, même s'ils demandent des documents en complément, dis-je, presque fière de ces premiers résultats.
Il est tellement à fond, ce projet lui tiens quasiment autant à cœur qu'a moi. Je ne le comprends pas vraiment. Des dizaines d'appels plus tard, Raphael, qui était parti prendre l'air, s'approche de moi souriant.
— J'ai eu une réponse positive d'un investisseur potentiel ! dit-il, les yeux brillants.
— C'est incroyable ! Qui est-ce ? demande-je, un sourire se dessinant sur mon visage.
— Un ancien client de l'auberge. Il a toujours eu un faible pour cet endroit et semble prêt à s'engager, explique-t-il.
Mon cœur s'emballe à cette nouvelle. Un ancien client qui a de bons souvenirs de l'auberge pourrait être exactement ce dont nous avons besoin.
— Il veut venir voir les lieux ce week-end, dit Raphaël, le regard pétillant. Nous pourrions le convaincre de participer au projet.
Je hoche la tête, déjà en train de penser à toutes les possibilités que cela pourrait ouvrir.
— C'est formidable ! Je suis prête à tout pour l'accueillir comme il se doit. Nous devons être parfaitement préparés.
Ayant déjà pas mal avancé sur le projet, je rassemble mes affaires.
— Je vais y aller, je commence à être fatigué, et puis de toute façon ta fiancée doit t'attendre.
— C'est moi te ramènes tu te rappelles ?
Merde j'avais oublié ce détail.
Mon collaborateur du jour récupère ses affaires à son tour et je le suis jusqu'à sa voiture. A quelques mètres de cette dernière je suis cependant interpelé par une autre personne.
— Léa ? Mais qu'est-ce que tu fais ici ?
Je n'ai pas le temps de comprendre de qui s'agit-il que deux bras entour mon buste. Cette odeur... Mais oui c'est Mathieu ! Mon meilleur ami ici avant que je ne parte.
— Tu m'as tellement manqué, me dit-il !
Je reste un instant figée, surprise par cette étreinte inattendue. Une fois le choc passé, je lui rends son accolade avec un sourire éclatant. Mathieu ! Combien de fois ai-je pensé à lui, me demandant ce qu'il était devenu. Lui, mon ami de toujours, celui qui me comprenait mieux que personne ici.
— Tu n'as pas changé, dis-je en riant, en me reculant pour le regarder. Enfin, si, un peu quand même, tu as l'air plus... adulte.
Il éclate de rire.
— Adulte ?! Je vais le prendre comme un compliment, même si je préfère croire que j'ai encore mon âme de gamin ! Mais c'est toi qui as l'air différente. Paris t'a rendue... je ne sais pas, plus sûre de toi.
Raphaël nous observe, un sourire énigmatique aux lèvres. Il pose ses affaires dans le coffre, me lançant un regard comme pour me dire qu'il attend dans la voiture. Je sens l'embarras monter.
— Alors, tu es de retour pour de bon ? demande Mathieu, ignorant complètement la présence de Raphaël.
— Non, je... je suis là pour aider mes parents avec l'auberge. On essaie de trouver des solutions pour qu'ils puissent la garder.
Son visage se fait sérieux.
— Oh, je comprends. Si tu as besoin de quoi que ce soit, tu sais où me trouver. Comme au bon vieux temps !
Je lui souris, touchée par son offre.
— Merci, Mathieu. Je te promets qu'on se verra bientôt pour rattraper le temps perdu.
— Compte sur moi ! répond-il en me serrant une dernière fois dans ses bras avant de s'éloigner avec un signe de la main.
Je rejoins Raphaël dans la voiture, encore troublée par cette rencontre inattendue.
— Je me rappelle de lui, vous étiez vraiment très proche avant.
Je sens une pointe de jalousie dans les paroles de mon ex. C'est vrai que les deux garçons ne s'appréciaient pas beaucoup à l'époque. Mais aujourd'hui ? Surtout qu'ils ne se sont visiblement jamais recroisés depuis que je suis parti, ce qui est plutôt bizarre.
Je m'installe et jette un regard furtif à Raphaël.
— Oui, c'est vrai, dis-je en haussant les épaules. Mathieu a toujours été là pour moi. On avait notre petit monde, un truc à part.
Il garde les yeux fixés sur la route, les mâchoires un peu serrées. Je sens qu'il cherche ses mots, comme s'il hésitait à dire quelque chose.
— À l'époque, je n'étais pas vraiment fan de cet « autre monde », lâche-t-il enfin, un sourire en coin. J'avais l'impression de te partager avec lui, même si on était ensemble.
Je lève un sourcil, amusée.
— Ah bon ? Je ne pensais pas que tu le ressentais comme ça. Mathieu, c'était... différent. Je ne sais pas, il a toujours été comme un frère.
Raphaël semble plus détendu, comme si entendre ça le rassurait un peu. Il me jette un regard en coin.
— Désolé, je crois que ça réveille de vieux souvenirs, dit-il, un peu gêné. C'est idiot, mais te voir revenir ici me fait me souvenir de tout ce qu'on avait.
Je suis touchée par sa sincérité. Ces derniers jours avec lui m'ont ramenée dans un tourbillon d'émotions que j'avais enfouies, et je ne peux nier que j'ai moi aussi pensé à tout ce qu'on avait partagé.
— C'était une autre époque, Raphaël. Nous avons tous les deux changé, et on a nos vies, dis-je doucement. Tu as Jasmine maintenant. Nous ne devrions plus parler de cette époque.
— C'est vrai. D'ailleurs elle aimerait beaucoup te revoir mais elle n'ose pas te contacter.
Je ne sais pas si j'en serais capable. Cacher mes sentiments à Raphaël c'est une chose mais supporter la dure réalité de leur couple, ça me parait impossible. Je suis énervé de ne pas réussir à en vouloir à Raph. Pourquoi suis-je si douce et gentille avec lui ? J'ai l'impression d'être une imbécile à réagir comme ça. Je ne voudrais pas qu'il croie que j'accepte leur relation. Toutefois je ne veux pas mettre en danger notre projet.
Fichue vie !