Dix ans avant
Je n'en crois pas mes yeux. Je suis assise sur le bord de mon lit, recroquevillée, le regard figé sur l'écran de mon ordinateur portable posé sur mes genoux. Je n'arrive toujours pas à l'admettre. Je suis acceptée dans l'école de mes rêves en plein cœur de Paris. Tout ce dont j'ai rêvé depuis toujours est en train de se réaliser. Je vais intégrer LISAA, L'Institut Supérieur des Arts Appliqués, soit une des meilleures écoles dans le domaine de l'architecture d'intérieure. Cela fait des mois que je prépare ce concours, j'ai tout sacrifié pendant des semaines pour que mon vœu le plus cher se réalise. Dans mon esprit, des souvenirs défilent : mes heures passées à dessiner, à peaufiner mes portfolios, mes nuits blanches à préparer ce concours, mes entraînements pour l'entretien oral. Ma vie entière semblait tourner autour de cet objectif unique, et voilà, le mail est là, la réponse est arrivée. Je vais quitter cette petite ville, plonger dans l'inconnu, et vivre cette aventure parisienne dont je rêve depuis toujours.
Même ma relation amoureuse en a souffert. En parlant de relation. Il va falloir que je lui annonce. Ma joie se tarit peu à peu, cette nouvelle ne va pas lui plaire. Je lui avais promis que nous resterions ensemble après le lycée. Nous avons beau être jeune, nous n'en sommes pas moins amoureux et le but était de rester ensemble le plus possible. Mais bien sûr, lui n'a pas les mêmes ambitions que moi, il veut rester ici, apporter son aide à l'évolution de notre ville. Moi je vous plus loin, je regarde Paris cette jolie ville pleine d'animation et de style différents. On parle quand même de la capitale ! Qui ne rêve pas d'aller là-bas ? A part Raph évidemment. Paris une vie différente m'attend, il y a une des meilleures écoles, une vie pleine d'aventure et surtout une carrière avec de l'avenir.
Personne n'est réellement au courant de mon investissement personnel pour rentrer dans cette école. Tout le monde sait que je la vise, mais très peu croit vraiment en moi.
Soudain la porte s'ouvre, et la tête de mon père se faufile dans l'entrebâillement. Quand il me voit, il rentre et s'assoit à mes côtés sur mon lit.
— Ça va ma chérie ? demande-t-il, en essuyant la larme que je n'avais pas vu couler sur ma joue.
Je ne comprends pas que personne ne puisse concevoir mon projet. Toutes les personnes qui connaissent mes objectifs m'ont toujours fait comprendre que je visais trop haut, que je voyais trop grand. Ils me font presque culpabiliser de réaliser mon rêve. Mais ils ont tort, la preuve en est, j'ai été accepter dans l'école de mes rêves. Je n'ose pas lui dire tout ça, alors je lui dis juste les faits.
— J'ai réussi papa.
— Mais de quoi tu parles ma chérie, questionne-t-il, ne comprenant pas ou je veux en venir.
Super, mon père ne croit tellement pas en moi qu'il ne voit pas de quoi je veux parler. Je tourne mon ordinateur portable vers lui pour qu'il puisse voir l'écran. Son visage éclairé par l'écran se crispe de surprise. Quelques secondes après il me regarde les yeux grands ouvert. Comme s'il pensait avoir mal lu, il redirige ses yeux vers mon écran pour relire le mail une deuxième fois pour être sûr d'avoir bien compris. La seconde émotion qui se lit dans ses yeux après la surprise est la joie. La joie de voir que sa fille est prise dans une école de ce niveau, une école de renom qui accueille des personnes qui ont du talent. Pour finir la voilà, la tristesse. Que va-t-il pouvoir encore trouver à dire. De toute façon il y a toujours quelque chose qui ne va pas. J'adore mes parents mais j'aimerai un peu plus de soutiens de leur part. Au moins qu'ils soient heureux pour moi plus de deux minutes. Qu'ils comprennent à quel point ma futur carrière compte pour moi.
— Léa, cette école coûte très chère, nous n'allons pas pouvoir la payer. En plus ça veut dire qu'il faut louer un appartement et payer ta vie là-bas. Les prix à Paris sont très élevés. Je pense qu'il vaut mieux que tu restes ici avec nous, à l'auberge.
Sans un mot de plus il sort de la pièce et moi j'éclate en sanglot. Jamais ils ne m'aideront. Je sais que c'est cher et qu'ils craignent Paris. Ils ont peur que je me perde dans une si grande ville. Mais je dois trouver une solution. Il m'est impossible de passer ma vie ici. J'ai besoin de cette expérience à Paris. Au moins le temps de faire mes études et de lancer ma carrière. Je veux connaître la vie Parisienne et vivre de nouvelles expériences. J'adore les Alpes et je suis reconnaissante d'avoir grandi ici, mais je rêve plus grand. Les opportunités ne courent pas les rues de Charvex malheureusement.
Un peu plus tard dans la journée j'essaie d'annoncer la bonne nouvelle à ma mère. En tout cas ce que je considère comme une bonne nouvelle. Je cherche mes mots, je voudrais qu'elle réagisse mieux que mon père même si ce n'est pas gagné. Je crois que ma mère est encore plus protectrice que mon père, si c'est possible. Cependant, elle réagit de la même façon que mon père, un mélange de joie d'apprendre que j'ai réussis et de tristesse de ne pas pouvoir payer l'école. Remarque ils font la paire.
Déçue de la réaction de mes parents, je sors de la maison et claque la porte derrière moi. Je le fais assez fort pour que tout le monde puisse entendre mon mécontentement. Je sais c'est très puéril. Je passe devant l'auberge d'un pas décider et je me dirige vers le centre-ville. J'ai besoin de me calmer et de réfléchir. Pour ça je rentre dans le seul coffee shop de la ville. C'est mon endroit préféré et le lieu le plus cosy à des kilomètres à la ronde.
L'intérieur est un véritable cocon de chaleur et de réconfort. Dès qu'on franchit la porte, le parfum enivrant du café fraîchement moulu nous enveloppe. Une grande partie du mur est faite de vieilles briques rouges, usées par le temps, ajoutant un charme rustique et authentique à l'atmosphère. Les plantes vertes un peu partout complète la décoration déjà splendide.
Sur la droite, plusieurs étagères en bois garnissent le mur, remplies de livres divers. Les couvertures colorées apportent une touche vibrante à l'endroit, invitant les clients à se perdre dans des lectures en sirotant leur boisson chaude. J'en ai déjà lu une grande partie !
Le bar, au fond, est l'épicentre du lieu. Derrière, trône une grande machine à café chromée, scintillante sous les lumières tamisées, où les baristas préparent des espressos, cappuccinos et autres boissons délicieuses. Devant, des petites tables de deux sont disposées çà et là, parfaites pour des discussions intimes ou des moments de solitude.
Près des grandes baies vitrées qui donnent sur la rue, des banquettes confortables longent le mur. Elles offrent une vue parfaite sur la rue principale, où le va-et-vient des passants anime le décor extérieur. Les coussins moelleux et la lumière naturelle créent une ambiance apaisante, idéale pour se détendre ou travailler au calme. Ce coffee shop respire le bien-être et la sérénité, avec une atmosphère à mi-chemin entre un refuge littéraire et un salon de café. L'endroit parfait.
Ces dernières années j'ai passé le plus clair de mon temps ici. Je m'installe sur une des banquettes près de la grande vitre et commande un expresso au serveur. J'attrape un carnet et commence un croquit, c'est comme ça que je réfléchis le mieux. Les idées fusent mais peu sont vraiment concevable. Travailler à côté ? Il faudrait que j'ai plusieurs travails et je raterais mes études. Demander à quelqu'un d'autre ? Personne n'a une si grosse somme. Vivre dans ma voiture ? Je rigole toute seule, c'est absurde.
L'idée soudaine de faire un près à la banque me vient. Je prends mon téléphone et me connecte au réseau internet, quelles sont les conditions pour faire un prêt étudiant. Je me renseigne quelques instants sur la question et en conclu que c'est une solution viable. Si j'arrive à l'obtenir, je pourrais subvenir à mes besoins et le rembourser une fois que je commencerais à travailler. Ce n'est pas l'idéal mais c'est le seul moyen que j'ai trouvé.
Sans attendre plus longtemps, et totalement excitée, je me dirige vers la banque. Étant assez autonome je gère mon compte en banque depuis deux ans. Le banquier me prend donc au sérieux et accède facilement à ma requête. Il écoute attentivement mon projet, m'explique les conditions et les risques et me confirme que ça reste la meilleure solution. Mise à part gagner au loto évidemment.
Deux heures plus tard et quarante mille papier remplis, me voilà bénéficiaire d'un prêt étudiant et prête à prendre un nouveau départ. Il ne reste plus qu'à l'annoncer à Raphaël, mon petit copain et mon premier amour. Je suis sûr qu'il comprendra. Il m'a toujours soutenu. Ça va être compliqué mais je crois sincèrement que c'est possible si on le veut tous les deux.
Complètement lessivée de toutes ses nouvelle je décide de rentrer chez moi pour me reposer, l'annonce à Raph attendra demain. Il me reste encore quelques semaines avant de partir, alors une journée de plus ou de moins ne change pas grand-chose. C'était sans compter sur le fait de le retrouver devant chez moi en arrivant. Quand même heureuse de le voir je lui saute dans les bras. Et ne pouvant pas lui cacher des choses je sautille de joie en lui annonçant la nouvelle.
— Je suis prise à LISAA !
Raph marque un temps d'arrête et prend quelques minutes à assimiler la nouvelle. Les traits de son visage si joli habituellement se tire en une grimace de contrariété. Il me lâche et s'écarte de moi.
— Celle qui est à Paris ?
Je hoche la tête ne sachant pas trop où il veut en venir. Est-il content ou contrarié ?
— Et nous qu'est-ce qu'on devient ? me questionne-t-il le visage fermé.
— Mais les relations à distance ça existe, lui assurai-je autant pour le convaincre lui que moi.
— Je ne suis pas sûr d'être fait pour ça Léa.
Ses paroles et sa réaction me blesse tellement que je ne réfléchis pas plus que ça avant de répondre.
— Si tu n'es pas capable d'être heureux que je réalise mon rêve alors je ne suis pas sûr d'être faite pour toi non plus.
J'opère un demi-tour et claque la porte de chez moi pour la deuxième fois de la journée. Je ne comprends pas son égoïsme, il ne nous laisse même pas le bénéfice du doute pour essayer. Il ne m'accorde même pas une discussion à tête reposée. Il n'a vraiment fait preuve d'aucune joie pour moi. En plus de la joie immense de ma réussite, cette journée m'aura appris que je ne peux compter que sur moi-même.