Léa
Quelques heures plus tôt
Le noir complet m'enveloppe toujours, comme une chape de plomb. L'air est froid, humide, presque glacial. Mes membres sont lourds, mes poignets meurtris par les cordes qui les enserrent. Le sang sur ma cuisse colle à ma peau, et la douleur est vive à chaque mouvement. Pourtant, je suis encore consciente. Vivante. Pour combien de temps encore ? Je n'en sais rien. Mais je m'accroche à cet infime espoir.
Je tente de ralentir ma respiration, de calmer mon cœur qui tambourine dans ma poitrine comme un tambour déchaîné. Jasmine est partie il y a un moment, mais son ombre plane toujours dans cette pièce. Ses cris, ses paroles venimeuses, sa folie... Tout résonne encore dans ma tête. Était-ce vraiment mon amie ? Cette question me hante. Mais ce n'est pas le moment de me perdre dans mes pensées. Si je veux sortir d'ici, il faut que je trouve une solution.
Je commence par tester mes liens. Ils sont serrés, trop serrés, mais je remarque une chose : la corde de mon poignet droit est plus lâche. Peut-être qu'en tirant suffisamment... Je serre les dents et commence à forcer, ignorant la douleur qui irradie à travers mon bras.
Chaque minute semble étendue à l'infini. Mon souffle se fait court, mais je continue. Peu à peu, je sens la corde glisser. Juste un peu. Encore un peu. À ce moment-là, des bruits de pas résonnent au-dessus de moi. Je me fige, mon cœur manquant un battement. La panique menace de m'étouffer, mais je me contrains au silence. Jasmine est-elle revenue ?
La porte s'ouvre brusquement, laissant entrer un faible rai de lumière. Mathieu. Mais que fait-il ici ? Il vient peut-être me sauver ? Ses yeux sont froids, calculateurs. Il tient une bouteille d'eau dans une main, et dans l'autre, un sac dont je ne distingue pas le contenu.
— Dieu merci tu es là, tu as réussi à me retrouver !
— C'est moi qui t'ai ramené ici Léa, tu n'as que ce que tu mérites.
Le choc, mes deux amis veulent me tuer.
— Toujours vivante, à ce que je vois, marmonne-t-il en s'approchant. Jasmine m'avait dit que tu étais coriace.
Je ne réponds pas. Je le fixe, cherchant un indice, une faiblesse, n'importe quoi. Mais il est impassible. Il pose la bouteille à côté de moi et ouvre le sac, en sortant des bandes et du désinfectant.
— Je vais te soigner, dit-il, comme si cela pouvait avoir un sens dans ce cauchemar. On ne veut pas que tu meures maintenant. Jasmine a... des projets pour toi.
— Vous êtes malade, tous les deux, lâché-je, ma voix rauque et tremblante.
Il ne réagit pas. Il se contente de nettoyer ma plaie avec des gestes mécaniques, presque détachés. La douleur est insupportable, mais je mords ma lèvre pour ne pas crier. Je ne veux pas leur donner cette satisfaction.
— Pourquoi faites-vous ça ? demandé-je, la voix étranglée. Qu'est-ce que vous voulez de moi ?
Il s'arrête un instant, relevant les yeux vers moi. Un rictus se dessine sur ses lèvres.
— Ce que je veux ? Ce n'est pas à moi de décider. Jasmine est... passionnée. Je suis juste là pour l'aider. Après si tu veux savoir la raison de pourquoi je l'aide, je te déteste de ne jamais avoir vu que je t'aimais plus que ce crétin, on aurait pu être heureux ensemble.
Je suis sous le choc, il ne m'a jamais avoué ses sentiments et je ne me suis jamais imaginé qu'il en avait envers moi.
Il termine de bander ma plaie, puis se lève, rangeant ses affaires dans le sac. Mon esprit travaille à toute vitesse. Si Mathieu commence à soigner mes blessures, cela veut dire qu'ils comptent me garder en vie encore un moment. Peut-être que cela me donne une chance. Une chance de m'échapper, ou que quelqu'un me retrouve.
— Personne ne viendra, tu sais, ajoute-t-il comme s'il avait lu dans mes pensées. Tu es à nous, maintenant.
Ces mots glacent mon sang. Mais ils éveillent aussi une flamme en moi, une détermination que je n'avais pas ressentie jusque-là. Non, je ne suis pas à eux. Je ne le serai jamais. Ils peuvent bien me ligoter, me blesser, mais ils ne briseront pas ce qui fait de moi ce que je suis.
Jasmine arrive à son tour dans la pièce. Elle semble vraiment énervée.
— Debout, on se casse.
Mathieu parait surpris par la tournure que prenne les évènements. Visiblement il y a un changement de plan, je ne sais pas si c'est une bonne chose. Je mets du temps à me relever ayant vraiment très mal. Sans que je m'y attende, je reçois un énorme coup dans les côtes qui me clou au sol.
— DÊPECHE TOI !
Elle se tourne vers Mathieu.
— Tu la porte, on n'a pas le temps, ils arrivent.
Un brin d'espoir me submerge.
— Qui ça ? La police ? Je vous en supplie laissez-moi là, je ne leur dirais rien !
— Non mais tu rêves ! On n'a pas fait tout ça pour s'arrêter si près du but ! TU vas souffrir autant que j'ai souffert et tu vas mourir autant que je meurs de l'intérieur depuis qu'il m'a quitté ! Pauvre idiote.
Mathieu hésite, son regard passant de Jasmine à moi. Une lueur d'hésitation traverse ses yeux, mais Jasmine n'en a rien à faire. Elle se place devant lui, le fusillant du regard.
— Qu'est-ce que t'attends ? Fais ce que je te dis, ou je te jure que tu regretteras de m'avoir suivie dans cette histoire.
— Jas, je... Je pense qu'on devrait peut-être arrêter là, commence-t-il, la voix tremblante. Ça devient trop...
Jasmine éclate de rire, un rire dément qui résonne dans la pièce sombre.
— Trop ? TROP ? Tu pensais que ce serait quoi, un petit jeu ? Une blague ? Tu es aussi impliqué que moi, Mathieu. Alors maintenant, tu la prends et on part. Tout de suite.
Elle pointe le couteau vers lui, et il recule d'un pas. Mon cœur s'emballe. S'ils commencent à se disputer, c'est peut-être ma seule chance...
Mathieu s'approche finalement de moi, me saisit brutalement par les bras et me soulève comme un sac de pommes de terre. La douleur irradie à travers mon corps, m'arrachant un gémissement que je tente de réprimer. Je ne veux pas leur donner la satisfaction de me voir pleurer. Pourtant, chaque mouvement me déchire de l'intérieur.
Je tente de me débattre, essayant de rendre ma prise plus difficile pour lui. Mais Mathieu resserre son étreinte, grognant d'une voix basse et nerveuse :
— Arrête de bouger, tu ne fais qu'aggraver ton cas.
Mes forces faiblissent. Je sens mon corps céder sous l'épuisement et la douleur, mais je continue de résister, par pur instinct de survie. Finalement, il me traîne jusqu'à une voiture garée un peu plus loin, à moitié dissimulée par les arbres.
Sans ménagement, il me jette sur la banquette arrière. Ma tête heurte violemment le bord du siège, et un voile noir commence à envahir ma vision. Chaque respiration est douloureuse, comme si mes côtes étaient sur le point de céder. La dernière chose que j'entends avant que l'obscurité ne m'engloutisse est la voix de Jasmine qui hurle quelque chose à Mathieu.
Quand je reprends connaissance, tout est flou. Mes paupières sont lourdes, et il me faut un moment pour comprendre où je suis. La voiture roule sur une route cahoteuse, secouant mon corps meurtri à chaque nid-de-poule. Une odeur métallique emplit l'air – le sang. Mon sang.
— Combien de temps encore ? demande Mathieu d'une voix tendue.
— Pas longtemps. On y sera dans quinze minutes, rétorque Jasmine sèchement.
Je tente de bouger, mais mes membres semblent engourdis.
Jasmine se retourne brièvement depuis le siège passager, ses yeux étincelants de colère se posant sur moi.
— Bien réveillée, princesse ? murmure-t-elle avec un sourire cruel. Parfait. Tu ne voudras pas rater ce qui vient ensuite.
Je détourne les yeux, tentant de cacher la peur qui me tord les entrailles. Jamais je n'aurais cru que revenir à Charvex pouvait virer à ce cauchemar. J'avais mes appréhensions, oui, mais à aucun moment je n'aurais imaginé me retrouver dans une telle situation, otage de celle que je pensais être mon amie.
La voiture file à toute allure sur le chemin sinueux, les cahots rendant ma respiration encore plus douloureuse. Jasmine, toujours tournée vers moi, semble se repaître de ma terreur silencieuse.
— Tu sais, Léa, continue-t-elle d'un ton moqueur, tout ça aurait pu être évité. Si seulement tu étais restée là où tu étais. Mais non, il a fallu que tu reviennes, que tu te glisses à nouveau dans nos vies, que tu me prennes ce qui m'appartient.
Je serre les dents pour ne pas réagir. Toute réponse ne ferait qu'ajouter de l'huile sur le feu. Jasmine veut me voir craquer, mais je refuse de lui donner cette satisfaction.
Quand la voiture s'arrête, je ne vois pas où nous sommes mais je crains le pire. Brusquement je suis tiré de la voiture.
Je titube, mes jambes flageolantes sous moi. La douleur dans ma cuisse me lance à chaque pas, mais je m'oblige à avancer. Jasmine sort à son tour, armée de son couteau, et me pousse violemment vers l'avant.
— Avance, crache-t-elle, son ton chargé de mépris.
Un bâtiment se dessine dans l'obscurité, ses contours vaguement éclairés par la lune. Une vieille grange, abandonnée depuis longtemps à en juger par l'état des planches rongées par le temps.
Mathieu pousse la porte de la grange, révélant un intérieur sombre et poussiéreux. Une odeur de bois pourri et de moisissure emplit mes narines, me donnant envie de vomir.
— Attache-la là-bas, dit Jasmine en désignant un pilier de bois au centre de la pièce.
Je commence à trembler, non seulement de peur, mais aussi à cause du froid glacial qui pénètre jusqu'à mes os. Mon esprit vacille entre l'envie de céder à la panique et le besoin désespéré de trouver une issue.
Mathieu m'attache solidement au pilier, ses gestes brusques mais efficaces. Dans un dernier élan de courage je lui demande.
— Et maintenant ?
— ET MAINTENANT ? Petite garce ! Maintenant tu vas souffrir.
Je n'aurais peut-être pas dû faire la maline, elle a le pouvoir et elle le sait. C'est pourquoi elle accompagne ses paroles d'un joli coup de couteau en plein dans mon ventre. Mes heures sont comptées.
La douleur est fulgurante, me coupant presque le souffle. Je sens la lame froide pénétrer ma chair, une chaleur poisseuse se répandant rapidement sur mon ventre. Mes jambes flanchent, mais les cordes qui me maintiennent attachée au pilier m'empêchent de m'effondrer complètement. Je suffoque, le goût métallique du sang envahissant ma bouche.
Jasmine recule d'un pas, tenant encore le couteau ensanglanté, ses yeux brillants de satisfaction.
— Voilà, ça, c'est pour tout ce que tu m'as pris, murmure-t-elle, son ton chargé de haine. Et maintenant que tu n'as plus beaucoup de temps, c'est la nature qui va finir le travail, ne t'inquiète pas, le froid devrait vite te tuer.
Sur ces paroles, mes deux bourreaux tournent les talons et s'approche de la sortie. Mathieu n'ose ni me regarder ni me parler.
— Adieu Léa, on se reverra en enfer, termine la traitresse.
Je vais mourir seul dans le froid, c'est horrible. Je lutte pour rester consciente, ma vision se brouillant peu à peu. Le sang continue de couler, chaud et collant contre ma peau, chaque pulsation de mon cœur me rapprochant un peu plus de la fin.