Raphaël
C'est inquiet que je me réveille en plein milieu de la nuit, alerté par les cris de Léa à côté de moi. Son souffle est saccadé, son corps tremble légèrement sous les draps. Depuis son enlèvement, elle fait le même cauchemar chaque nuit. Sans réfléchir, je l'attire contre moi, glissant une main dans ses cheveux pour la rassurer.
— Chut... Je suis là, tout va bien, murmuré-je doucement.
Peu à peu, ses sanglots s'apaisent, sa respiration retrouve un rythme plus calme, et elle finit par s'endormir à nouveau, comme si de rien n'était. Mais chaque matin, c'est la même chose : elle se lève, le regard un peu plus vide, les cernes un peu plus marquées... et elle ne dit rien. Pas un mot sur ses nuits tourmentées, comme si ignorer la douleur pouvait la faire disparaître.
Ce silence m'inquiète autant que ses cauchemars.
Alors, ce matin, je décide de briser ce mur invisible entre nous. Lorsqu'elle sort de la salle de bain, une serviette enroulée autour de son corps, je l'attends, assis sur le lit.
— Léa, il faut qu'on parle.
Elle s'arrête net, le dos raide, et je vois dans ses yeux qu'elle sait exactement de quoi je veux parler.
— Je vais bien, souffle-t-elle en évitant mon regard.
— Non, tu ne vas pas bien. Tu cries toutes les nuits, tu pleures dans ton sommeil... Et le matin, tu fais comme si tout allait bien.
Elle serre les dents, les jointures de ses doigts blanchissant autour du tissu de la serviette.
— Je gère, d'accord ?
Mais je secoue la tête. Non, elle ne gère pas. Et moi, je refuse de rester là sans rien faire.
— Tu n'as pas à affronter ça seule, Léa.
Elle reste silencieuse un instant, comme si elle hésitait à lâcher prise. Puis, enfin, sa carapace se fissure.
— J'ai peur, avoue-t-elle dans un souffle.
Son aveu me serre le cœur, mais c'est une première victoire.
— Je sais. Mais je suis là. Et je ne te laisserai pas tomber.
Cette fois, quand elle se blottit contre moi, ce n'est pas pour fuir un cauchemar, mais parce qu'elle a décidé de s'appuyer sur moi. Et c'est un début. Après un moment, elle se redresse.
— Je resterais bien blotti contre toi éternellement mais il faut qu'on aille chez tes parents, il ne faut pas être en retard à Noël !
— Tu as raison, je lui réponds en souriant.
Je dépose un baiser sur son front avant de me lever à mon tour. Léa attrape une robe posée sur la chaise et disparaît dans la salle de bain. J'en profite pour m'habiller à mon tour. J'avais heureusement prévu que Léa me demande de rester cette nuit, par conséquent j'ai un sac avec ma trousse de toilette, un jean et une chemise plutôt classe à l'intérieur. Je les enfile et rejoins Léa dans la salle de bain. Elle est magnifique, sa robe vert sapin met son visage et ses courbes en valeur. Je remets son épaulette en place et lui embrasse la clavicule.
— Tu es absolument magnifique mon amour.
— Vous n'êtes pas mal non plus monsieur Prater.
Léa
Assise entre le maire et son épouse, je me sens étonnamment à l'aise. Loin de l'appréhension qui m'habitait en arrivant, je savoure l'instant, bercée par les rires et les conversations animées qui rythment le dîner.
À ma gauche, Raphaël, un sourire en coin, observe sa mère étaler avec enthousiasme les souvenirs de son enfance. Je le vois lever les yeux au ciel lorsqu'elle raconte l'épisode où il avait tenté de s'enfuir de la maison avec son tricycle pour aller "vivre chez les cowboys".
— Il a toujours eu un sacré caractère, conclut-elle en riant.
— Et il n'a pas changé, je glisse avec amusement.
Nos regards se croisent et, pour la première fois de la soirée, une connivence silencieuse s'installe entre nous. Un instant suspendu, furtif, mais chargé de quelque chose d'indéfinissable.
Le père de Raph repose son verre et se tourne vers moi avec intérêt.
— Alors, ces travaux à l'auberge ? Ils avancent comme vous le voulez ?
Je hoche la tête, reconnaissante pour cette transition.
— Oui, tout se passe bien. Il reste encore pas mal de finitions, mais je suis confiante.
— J'irai voir ça de plus près, assure-t-il en souriant. Ça fait du bien de voir quelqu'un redonner vie à ce lieu.
Je le remercie, touchée par son intérêt sincère.
Le repas file à une vitesse folle et, bientôt, vient l'heure de partir. Au moment des adieux, Madame Prater me prend chaleureusement dans ses bras.
— Ne laissez pas autant de temps passer avant de revenir, d'accord ?
Je le lui promets et une chaleur douce s'installe en moi.
Lorsque nous montons en voiture, Raph reste silencieux un instant avant de souffler :
— Ça faisait longtemps que je ne les avais pas vus aussi heureux.
Je tourne la tête vers lui, intriguée.
— Ils t'adorent, tu sais ?
Je souris doucement.
— Moi aussi, je les aime bien.
Le moteur démarre et dans l'air, flotte cette impression que, peu à peu, quelque chose est en train de changer. Quelque chose d'heureux.
Quand nous arrivons chez mes parents c'est la cohue totale. Les gens commencent à arriver et tous les préparatifs ne sont pas finalisés. En entrant dans la cuisine, je tombe sur ma tante et ma cousine en plein discussion.
— Oh mon dieu, Léa, c'est bien toi ? s'exclame ma tante toujours aussi expressive.
Je lui souris gentiment essayant de me faire petite par peur de me faire réprimander de ne pas avoir donné de nouvelles durant autant de temps.
— Tata, je suis contente de te voir, je lui réponds en serrant les deux femmes de la famille dans mes bras.
— Qu'est-ce que tu as changé, affirme ma cousine de huit ans mon aînée. Tu parais beaucoup plus posé et mature.
Je ris légèrement.
— Eh oui Chris j'ai pris dix belles années comme toi.
Christine et moi nous entendions très bien plus jeunes. Malgré nos huit ans d'écart, nous étions inséparables. Il fut un temps où elle me confiait tout, et vice versa. Mais les années ont passé, et avec elles, une certaine distance s'est installée, inévitable.
Mes yeux se posent sur elle, scrutant les traits légèrement plus marqués de son visage, mais son sourire, lui, n'a pas changé. Une bouffée de nostalgie me traverse alors que je me rends compte à quel point elle m'a manqué.
Je me racle doucement la gorge avant d'annoncer :
— Christine, je te présente Raph.
Puis, me ravisant aussitôt :
— Enfin, te représente. Vous vous êtes déjà croisés, mais ça remonte à...
Je laisse ma phrase en suspens, consciente que cette époque appartient au passé.
Christine pose son regard curieux sur lui avant de sourire.
— Bien sûr, je me souviens de toi.
Raph hoche la tête, un demi-sourire aux lèvres.
— C'est réciproque.
Un silence s'installe, chargé d'un mélange de souvenirs et d'incertitude. Finalement, Christine brise la glace en me prenant par le bras.
— Viens, il faut absolument que je te montre quelque chose.
Je me laisse entraîner, intriguée. Derrière nous, Raph nous suit du regard, et je sens qu'il est aussi curieux que moi.
Nous pénétrons dans une des chambres de l'auberge, là ou les invités déjà arrivés ont pu déposer leurs affaires. Christine fouille dans son sac à main avant d'en sortir une vieille boîte en métal. Elle l'ouvre avec précaution et, sous mes yeux ébahis, dévoile une pile de lettres soigneusement pliées et jaunies par le temps.
— Je suis retombée là-dessus il y a quelques jours, dit-elle doucement. Je me suis dit que tu voudrais peut-être les revoir.
Mon cœur rate un battement en reconnaissant notre ancienne correspondance. Des lettres que nous nous écrivions à l'époque où je suis partie. Nous avions gardé cette complicité durant quelques mois, de simples confidences échangées sur le papier, traces d'un lien que nous avions fini par perdre petit à petit, enfin que je croyais perdu.
Je lève les yeux vers elle, émue.
— Tu les as gardées...
Christine sourit tendrement.
— Comment aurais-je pu les jeter ?
Je caresse du bout des doigts le papier jauni, le cœur serré. Derrière moi, je sens la présence de Raph, discret mais attentif.
— J'ai gardé les tiennes aussi, elles sont restées à mon appartement à Paris.
Avant que l'un d'eux ne pause de question quant à mon avenir ici, je détourne vite l'attention grâce à l'arrivée de nouveaux invités à l'entrée.
— Oh tien, regardez, de nouveaux arrivant ! Vous voulez bien allez les accueillir, je vais en profiter pour aller me changer avant que la soirée ne commence.
Raphaël me regarde avec des yeux suspicieux mais ne dit rien.
Christine plisse légèrement les yeux, intriguée, mais elle ne cherche pas à creuser davantage. Elle referme la boîte avec délicatesse et la repose sur la commode avant de jeter un coup d'œil vers l'entrée.
— Bon, on y va alors, dit-elle en se dirigeant vers les nouveaux arrivants.
Raph, lui, ne bouge pas immédiatement. Je sens son regard posé sur moi, insistant, presque perçant.
— Tu fais toujours ça, souffle-t-il finalement.
Je fronce les sourcils, feignant l'incompréhension.
— Faire quoi ?
— Éviter les conversations qui te mettent mal à l'aise.
Son ton n'est pas accusateur, juste factuel. Il me connaît trop bien. Je force un sourire.
— J'ai juste envie de me changer avant que tout le monde n'arrive, c'est tout.
Il ne répond pas, mais je devine qu'il n'est pas dupe. Pourtant, il finit par hausser légèrement les épaules et recule d'un pas.
— D'accord. Mais on finira par en parler, Léa.
Je ne réponds rien. Je me contente de tourner les talons.