Raphaël
— Monsieur et madame Morel, commence l'inspecteur d'une voix grave mais posée, nous pensons avoir localisé votre fille.
Le soulagement se mêle à la terreur sur leurs visages.
— Elle est vivante ? demande la mère de Léa, ses yeux pleins d'espoir et de larmes.
L'inspecteur hésite une fraction de seconde, mais cela suffit à raviver mon inquiétude.
— Nous avons de fortes raisons de croire qu'elle est retenue dans une grange isolée à la lisière de la forêt de Charvex. Nous ignorons son état actuel, mais nous allons intervenir immédiatement.
Je me redresse, mon cœur battant à tout rompre.
— Je viens avec vous.
— Monsieur, ce n'est pas une opération pour des civils, réplique le policier d'un ton ferme.
— Vous ne comprenez pas, dis-je, presque suppliant. Je ne peux pas rester ici, à attendre. Je connais Léa, elle aura besoin de moi.
L'inspecteur me scrute un instant, jaugeant ma détermination, puis hoche lentement la tête.
— Très bien, mais vous restez à l'écart. Vous obéissez à nos ordres, c'est clair ?
— Clair, dis-je sans hésiter.
Nous quittons rapidement la maison, les parents de Léa nous regardant partir, déchirés entre l'espoir et l'angoisse. Je monte dans l'une des voitures de police, incapable de penser à autre chose qu'à Léa. Elle est là-bas, quelque part, souffrant peut-être, et je n'ai pas été là pour la protéger.
La route jusqu'à la grange semble durer une éternité, mais nous arrivons enfin. Des véhicules de police encerclent déjà le bâtiment, et les agents se déploient avec une précision méthodique.
— Restez ici, ordonne l'inspecteur Leroy avant de rejoindre ses collègues.
Les policiers entrent, arme en mains ordonnant aux personnes présente de ne pas bouger. Mais ça ne dure pas longtemps, le silence prend le dessus. Jusqu'à ce qu'un cri retentisse.
— Les secours, TOUT DE SUITE !
Je ne tiens plus, je rentre à mon tour dans le bâtiment pour voir ce qui se passe.
— Où est Léa ? crié-je, incapable de me retenir.
Je vois les policiers regroupés autour d'une silhouette. En m'approchant je prends conscience de l'horreur de la situation. Léa est attachée à moitié debout à un pilier du bâtiment. Rapidement les agents la détachent et la pose au sol.
— Léa ! hurlé-je en me précipitant vers eux.
Elle est inconsciente, pâle comme la mort, une large tache de sang imprégnant le tissu autour de son ventre.
— Elle est vivante ?
— Oui, mais son état est critique. Il faut l'évacuer d'urgence, répond l'agent d'une voix pressée.
Je m'effondre à genoux, mon souffle coupé par un mélange d'émotions : soulagement qu'elle soit en vie, terreur face à sa fragilité.
— Léa, murmuré-je, prenant sa main froide dans la mienne.
Les ambulanciers arrivent et prennent rapidement le relais. Je monte dans l'ambulance avec elle, refusant de la quitter.
— Tiens bon, je suis là, murmuré-je, ma voix brisée.
Elle ne répond pas, ses yeux restants clos, mais je m'accroche à l'espoir qu'elle m'entende. Ce n'est pas fini. Elle est vivante, et je vais tout faire pour qu'elle s'en sorte.
Les ambulanciers s'activent autour de Léa, leurs gestes précis mais pressés. L'un d'eux vérifie ses constantes, tandis que l'autre applique des compresses sur sa blessure au ventre pour ralentir l'hémorragie. Je reste à ses côtés, incapable de détourner le regard de son visage pâle et inerte.
— Son pouls est faible, mais elle respire encore, dit l'un des ambulanciers, sa voix professionnelle et calme.
Un mince filet d'espoir se fraie un chemin dans mon cœur, mais il est vite étouffé par la peur.
— On arrive à l'hôpital dans dix minutes, continue-t-il en parlant à son collègue. Prépare le matériel pour une intervention d'urgence.
Je prends une profonde inspiration et serre la main de Léa un peu plus fort, comme si ce simple contact pouvait lui transmettre une partie de ma force.
— Tu n'as pas le droit d'abandonner, Léa, soufflé-je, la gorge serrée. Tu es bien trop forte pour ça.
Le trajet est à la fois rapide et interminable. Je suis coincé dans une bulle d'émotions contradictoires, entre l'espoir et la panique. Quand l'ambulance freine brusquement devant les urgences, je sens mes jambes trembler.
Les portes s'ouvrent et les ambulanciers sortent la civière avec une rapidité impressionnante.
— Vous ne pouvez pas aller plus loin, monsieur, dit l'un d'eux en posant une main sur mon épaule.
— Je veux rester avec elle !
— Nous devons l'emmener au bloc immédiatement. Faites confiance à l'équipe médicale, ajoute-t-il avec un ton rassurant mais ferme.
Je recule à contrecœur, les yeux rivés sur Léa alors qu'elle disparaît derrière les portes battantes. Une fois seul, le poids de la situation me tombe dessus comme une enclume. Mes jambes cèdent, et je m'assois lourdement sur une chaise, la tête entre les mains.
Un policier entre dans le hall, suivi de l'inspecteur Leroy. Ils s'approchent, mais je ne lève pas les yeux.
— Raphaël, commence l'inspecteur, nous avons Mathieu et Jasmine en garde à vue. Ils ne peuvent plus lui faire de mal.
— Ça ne suffit pas, murmuré-je, la voix brisée. Elle est à l'hôpital, entre la vie et la mort à cause d'eux. Vous appelez ça justice ?
— Je comprends votre colère, mais il fallait les arrêter pour pouvoir la retrouver. Vous avez fait tout ce qui était en votre pouvoir, ajoute-t-il doucement.
Je secoue la tête, incapable d'accepter ces mots. Tout ce qui compte, c'est que Léa s'en sorte.
Les heures qui suivent sont un tourment. La famille de Léa arrive à l'hôpital en catastrophe, les larmes aux yeux, leurs questions s'entrechoquant avec les réponses floues des médecins. Je me tiens en retrait, laissant ses parents gérer la situation, mais je ne peux m'empêcher de guetter chaque porte qui s'ouvre, espérant voir un médecin venir avec des nouvelles.
Enfin, après ce qui semble être une éternité, un chirurgien s'approche.
— Léa est sortie du bloc, annonce-t-il.
Tous se lèvent d'un bond.
— Elle est vivante ? demande sa mère, la voix tremblante.
— Oui, ses blessures étaient graves, mais nous avons réussi à stabiliser son état. Elle est sous surveillance en soins intensifs. Les prochaines 48 heures seront cruciales.
— Ses blessures ? Il y en a plusieurs ?
— Oui en plus du coup de couteau dans le thorax, Léa a reçu deux autres coups de couteaux, un dans la cuisse et un autre au bras. De plus elle était en hypothermie, une heure de plus et nous n'aurions pas pu la sauver, vous êtes arrivés juste à temps.
Ces malades se sont acharnés sur elle. Quel genre d'humain peut faire ça.
— Est-ce qu'on peut la voir ?
— Pas encore. Elle a besoin de repos. Nous vous préviendrons dès qu'elle pourra recevoir des visites.
Je m'assois de nouveau, les jambes molles, mais cette fois, c'est un soulagement qui m'envahit. Léa s'est battue. Elle est toujours là, et je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour qu'elle se sente en sécurité et entourée d'amour à son réveil.
Les mots du chirurgien résonnent dans ma tête : "une heure de plus et nous n'aurions pas pu la sauver." Cette pensée me hante, me rappelant à quel point nous sommes passés près de l'irréparable.
Je reste assis, les mains jointes, le regard fixé sur un point invisible. La famille de Léa échange des murmures anxieux, sa mère pleure doucement, appuyée contre l'épaule de son mari. Je voudrais dire quelque chose, trouver les mots pour les réconforter, mais je suis vidé, comme si chaque émotion avait été aspirée hors de moi.
Les heures passent, et l'attente est insupportable. Je fais les cent pas dans le couloir, incapable de rester immobile. Je rejoue les événements dans ma tête : la découverte dans la grange, son corps inerte, le sang... l'expression folle de Jasmine... Je serre les poings à m'en blanchir les jointures.
Un policier s'approche finalement, l'inspecteur Leroy.
— Raphaël, dit-il d'une voix posée, nous avons des nouvelles concernant Jasmine et Mathieu.
Je m'arrête net, mon cœur s'emballe.
— Qu'est-ce que vous avez appris ?
— Ils ont avoué. Jasmine a expliqué qu'elle voulait "faire payer Léa pour lui avoir volé sa vie." Quant à Mathieu, il prétend qu'il n'avait pas prévu que ça irait aussi loin, mais il est aussi coupable. Nous avons suffisamment de preuves pour les inculper tous les deux.
Je hoche la tête, le regard dur.
— Et maintenant ?
— Ils seront jugés. La justice fera son travail, mais ce qui compte le plus, c'est que Léa est en vie, grâce à vous.
Ces mots devraient me réconforter, mais ils laissent un goût amer dans ma bouche. Rien ne pourra jamais effacer ce qu'elle a vécu.
Quelques heures plus tard, une infirmière vient nous voir.
— Léa est stable. Vous pouvez aller la voir, mais seulement un à la fois et pour une courte durée.
Le cœur battant, je laisse passer ses parents en premier. Je les observe disparaître dans la chambre, luttant contre l'envie de forcer mon tour. Chaque minute semble durer une éternité, mais je respecte leur moment avec elle.
Quand enfin vient mon tour, je m'approche de la porte avec appréhension. Je prends une grande inspiration avant d'entrer.
Léa est allongée sur le lit, pâle et fragile, des bandages couvrant ses blessures. Des machines bipent doucement à côté d'elle. Mon cœur se serre en la voyant si vulnérable, mais une vague de soulagement me submerge : elle est vivante.
Je m'assieds doucement sur la chaise près de son lit, prenant sa main dans la mienne.
— Léa, murmuré-je, ma voix tremblant d'émotion. C'est fini. Ils ne te feront plus jamais de mal.
Ses paupières papillonnent faiblement, et elle ouvre les yeux, juste un instant.
— Raphaël... tu es là, souffle-t-elle, si bas que j'ai à peine entendu.
— Toujours, répondis-je, retenant mes larmes.
Elle referme les yeux, épuisée, mais ce petit moment suffit. Elle m'a entendu. Elle sait que je suis là. Et je ferai tout pour qu'elle retrouve sa force et son sourire. Je vais rester à ses côtés autant que je le pourrais.
Ses parents sont rentrés chez eux se réchauffer et reprendre des forces, alors j'attrape un plaid et m'installe sur le fauteuil à ses côtés. Je ne sais pas si c'est vraiment autorisé mais l'infirmière me laisse faire. Elle doit surement voir la détresse dans mes yeux.
Quelques heures passent sans que je ne puisse m'endormir, le soleil se lève et je n'ai pas quitté Léa des yeux.
Je repense à ces dix dernières années, j'ai l'impression que nous avons juste perdu notre temps. Je n'aurais jamais dû avoir une aventure avec Jasmine c'est de ma faute si on en est là aujourd'hui. Une amertume dévorante me prend à la gorge. Tant d'erreurs, tant de regrets. J'ai l'impression d'avoir gaspillé du temps, d'avoir pris les mauvaises décisions à chaque croisement de ma vie.
Jamais je n'aurais dû avoir cette aventure avec Jasmine. C'était une erreur, une faiblesse impardonnable, et c'est moi qui ai ouvert cette boîte de Pandore. Je me repasse en boucle nos disputes, ses accès de jalousie, son obsession croissante... Comment ai-je pu être si aveugle ?
C'est de ma faute si on en est là aujourd'hui. Si Léa se bat pour sa vie dans cette chambre d'hôpital, c'est parce que j'ai semé les graines de cette tragédie en jouant avec des sentiments que je ne contrôlais pas.
Je serre les poings, m'accablant de reproches. Ce que Léa a enduré par ma faute est impensable. Elle n'aurait jamais dû croiser la route de Jasmine, jamais subir cette folie qui m'était destinée.
Je me lève de ma chaise, incapable de rester assis plus longtemps. Les couloirs de l'hôpital sont calmes, presque oppressants. Je décide d'aller chercher un café, plus pour me donner une contenance que par réelle envie.
Alors que j'attends dans la file, mon téléphone vibre. Un message de l'inspecteur Leroy :
"Jasmine et Mathieu seront présentés au juge demain matin. Nous aurons besoin de votre témoignage."
Un poids supplémentaire s'ajoute à mes épaules. Témoigner signifiera revivre chaque instant, chaque détail. Affronter Jasmine et Mathieu à nouveau. Mais je le ferai, pour Léa.
De retour dans la salle d'attente, je vois la mère de Léa qui s'approche de moi. Ses yeux sont rougis par les larmes, mais elle semble plus calme.
— Raphaël, merci pour tout ce que tu as fait. Si tu n'avais pas agi aussi vite...
Je baisse les yeux, incapable de soutenir son regard.
— Je n'ai fait que ce que je devais. Mais ça ne suffira jamais à effacer ce qui s'est passé.
Elle pose une main sur mon bras, un geste réconfortant.
— Ce n'est pas toi qui as fait ça à Léa. Et tu es là pour elle maintenant, c'est tout ce qui compte.
Ses mots m'apaisent légèrement, mais la culpabilité reste. Je retourne auprès de Léa, suivit de ses parents. Je suis déterminé à rester à ses côtés, à attendre son réveil, peu importe le temps que cela prendra.
Un murmure de courage naît en moi : je me battrai pour qu'elle retrouve sa vie, pour lui redonner la force qu'elle a toujours eue. Et peut-être, un jour, je pourrai aussi trouver la paix.