Je regarde la neige tomber doucement à travers la fenêtre de mon appartement parisien, et une sensation familière monte en moi. Noël approche. Et cette fois, je vais devoir rentrer dans les Alpes, chez mes parents. J'adore Noël, mais ce que j'aime par-dessus tout, c'est la solitude. Rentrer chez moi, dans ce village que j'ai quitté il y a des années, c'est affronter tout ce que j'ai laissé derrière moi : ma famille, bien sûr, mais aussi les habitants curieux, qui voudront savoir ce que je deviens, et mes anciens amis, que j'ai abandonnés en partant vivre ici. Depuis des années ce sont mes parents qui font le voyage jusqu'à Paris pour fêter noël avec moi.

Je ne suis pas sûr d'encore la bienvenue à Charvex, beaucoup d'habitant m'en veulent d'être partie quasiment du jour en lendemain.

En dix ans, je n'y suis retournée que deux fois, à chaque fois avec une excuse pour ne croiser personne à part mes parents. Peut-être que je fuis les souvenirs, ou peut-être la peur d'être devenue une étrangère dans mon propre village. Mais cette année, je n'ai pas le choix. Mes parents ont besoin de moi pour l'auberge, et je ne peux plus me défiler. Super ! Je vais devoir y aller pendant plusieurs jours. C'est la cata !

— Arrête de t'inquiéter, je suis sûre que tout va super bien se passer ! Et au pire, tu n'y seras que deux semaines, ça va passer très vite ! essaye de me rassurer ma meilleure amie, Camille, d'une voix douce mais un peu trop optimiste à mon goût.

Je soupire en la regardant, assise en tailleur sur mon canapé, un mug de café fumant entre les mains. Elle a toujours ce don de tout rendre léger, comme si rien ne pouvait l'atteindre. Son sourire me réchauffe un peu le cœur, mais je sais que ce n'est pas aussi simple. Rien ne l'est jamais à Charvex.

— Deux semaines, c'est long, tu sais. C'est suffisant pour croiser tout le village, entendre des remarques sur mon départ ou sur "la grande vie à Paris", comme s'ils savaient ce que c'est vraiment... soupirai-je en triturant ma boucle d'oreille, une habitude nerveuse que je n'ai jamais perdue.

— Tu dramatises, c'est juste Noël ! Les gens sont contents de revoir ceux qui reviennent pour les fêtes, c'est tout. Ils ne te jugeront pas comme tu l'imagines. Et puis, tu as tes parents, ils seront là pour te soutenir. Tu ne sais pas comment les gens vont réagir étant donné que tu ne les as pas vu depuis dix ans ! Je suis sûr qu'ils vont t'accueillir à bras ouverts.

Je baisse les yeux. Ce ne sont pas mes parents qui m'inquiètent. Ils sont ravis que je vienne enfin, après tant d'années où ce sont eux qui sont venu jusqu'à moi pour Noël. Je sais qu'ils ont tout fait pour que je me sente aimée et soutenue, malgré la distance que j'ai mise entre eux et moi. Ils n'ont pas pu me soutenir financièrement mais ils m'ont donné tout l'amour qu'ils pouvaient. Mais les autres... C'est une autre histoire. À Charvex, tout se sait, tout se raconte, et les rancœurs persistent.

— Ça fait des années que je les évite, Camille. Tout le monde me reproche d'être partie, d'avoir abandonné les traditions, et surtout... d'avoir laissé tomber ceux qui comptaient sur moi. Tu te souviens de Mathieu, par exemple ? On était inséparables au lycée. Depuis que je suis partie, je n'ai pas répondu à ses messages. Je ne sais même pas ce qu'il est devenu.

Camille hausse les épaules.

— Tu ne peux pas savoir s'ils t'en veulent, peut-être qu'ils ont tous compris pourquoi tu es partie, et pour Mathieu, même si c'est peut-être un cas à part, je suis sûre qu'il comprendra. Les gens grandissent, prennent des chemins différents. C'est normal. Ce n'est pas comme si tu avais coupé les ponts avec eux pour les blesser.

Elle me regarde avec cet air de confiance tranquille qui me rend toujours un peu jalouse. Si seulement je pouvais voir les choses aussi simplement. Je prends une gorgée de mon café, tentant de me rassurer, mais au fond de moi, l'inquiétude persiste. Revenir à Charvex, c'est affronter un passé que je préfère garder à distance, une partie de moi que je pensais avoir laissée derrière.

— Ce n'est pas seulement eux que j'ai laissés, c'est aussi une partie de moi, Camille. À Charvex, je suis celle qui est partie, celle qui a préféré la grande ville au village. Ils ne comprennent pas que j'avais besoin de m'éloigner pour trouver qui je suis vraiment. Et puis il y a Raphaël, image je le croise à la boulangerie ?

Camille pose son mug et me prend la main. Je vois à sa tête qu'elle a envie de rire face à mon acharnement.

— Je comprends. Mais peut-être que ce retour peut aussi être l'occasion de te réconcilier avec cette partie de toi, tu ne crois pas ? D'affronter tout ça et de tourner la page, pour de bon. Peut-être même que tu vas passer des bons moments avec eux là-bas ?

Je la fixe un instant, silencieuse. Elle a peut-être raison. Ce voyage pourrait être l'occasion de réparer certaines choses, d'en finir avec cette culpabilité qui m'étouffe chaque fois que je pense à Charvex. Mais je sais aussi que les retrouvailles ne seront pas aussi simples. Certaines blessures mettent du temps à cicatriser et peuvent même ne jamais guérir.

— Peut-être, murmurai-je. Mais je ne suis pas sûre d'être prête à tout ça.

Camille me sourit, comme si elle savait déjà que je le serais, même si je ne m'en rendais pas encore compte, comme si elle pouvait prédire ce qui allait se passer.

— T'inquiète pas, tu gères toujours mieux que tu ne le crois, dit-elle en se levant. Et puis, si jamais ça devient trop difficile, je serai là pour un appel d'urgence. Il y a tes parents aussi qui seront là pour t'aider.

Elle m'embrasse sur la joue avant de se diriger vers la porte. Je reste un moment à la regarder partir, sans bouger, un léger sourire aux lèvres malgré moi. Peut-être que Camille a raison. Peut-être que ces deux semaines ne seront pas aussi terribles que je l'imagine. Une part de moi reste sceptique quant à ce qui m'attend à Charvex. Je soupire une dernière fois et me tourne vers la fenêtre. La neige continue de tomber, silencieuse et implacable, comme si elle savait déjà que ce Noël ne serait pas comme les autres.

Cependant, mon départ est dans deux jours, il faut que je me ressaisisse. Mais parents ne doivent pas savoir mon état, ils sont si contents que je les rejoigne. Après avoir passé quelques minutes en admiration devant les flocons, je me décide à descendre à la cave pour aller chercher mes décorations de noël. Il est temps de donner un air plus joyeux a cet appartement. Mais avant de commencer je lance sur ma télé un film de noël, quoi de mieux pour se mettre dans le bain !

Je choisis le premier qui vient, pas de temps à perdre. J'ouvre la première boîte et en sors une guirlande dorée. Je l'enroule soigneusement autour du sapin que je suis allée acheter hier. Chaque geste, chaque décoration placée semble dissiper un peu plus le poids qui pèse sur mes épaules. Les souvenirs sont là, bien sûr. Des Noëls passés dans les Alpes, dans l'auberge familiale, avec mes parents et tout le village il y a de nombreuses années. Mais cette fois, ils ne semblent plus aussi lourds, juste un peu lointains, comme une époque révolue que je ne suis plus obligée de fuir, des souvenirs que je peux même peut-être améliorer et raviver.

Je continue à décorer mon appartement, sortant des boules rouges et dorées, des guirlandes scintillantes, des étoiles que j'avais presque oubliées. Le sapin commence à prendre forme, et mon appartement, avec lui, se transforme peu à peu en un petit cocon festif. Mon chez moi est mon petit havre de paix. C'est ici que je me sens le mieux. Évidemment je l'ai aménagé pour, mais c'est aussi pour ça que le quitter, même pour quelques jours, est compliqué.

Alors que j'accroche la dernière étoile en haut de l'arbre, je prends une profonde inspiration. L'atmosphère de Noël commence vraiment à s'installer, une douceur qui me surprend presque. Je me laisse tomber dans le canapé, satisfaite. Le film sur l'écran arrive à sa fin, les personnages principaux s'embrassent sous une pluie de flocons, et une chanson de Noël se joue en arrière-plan.

Prise par la magie de noël je décide de déballer ce dernier carton, je ne l'ai jamais ouvert. Ce sont des décorations que mes parents m'avaient ramené la première année ici. Ayant déjà tout ce qu'il me fallait je n'avais pas pris le temps de l'ouvrir. Disons que j'avais aussi très peur de ce que j'allais découvrir en l'ouvrant. Mes parents ont peut-être mis des choses qui aurait pu me donner envie de rentrer à la maison. J'ouvre les pans du carton et sort toutes les décorations. Je les reconnais presque toutes. C'était avec celle-ci que je décorais ma chambre à la maison.

Au fond se trouve un papier, une sorte de liste. Je l'attrape et la met devant mes yeux, intriguée et surprise. Ce papier ne me rappel rien. Étrange c'est mon écriture.

1.Aller au marché de noël et manger des churros.

2. Passer une après-midi à la patinoire.

3. Manger une raclette

4. Regarder un film de Noël au chaud sous une couverture avec un chocolat chaud.

Curieuse, je continue de dérouler la liste, le papier légèrement froissé entre mes doigts.

5. Offrir un cadeau à quelqu'un sans raison.

6. Décorer le sapin en écoutant des chansons de Noël.

7. Envoyer une carte de vœux à un ami perdu de vue.

8. Se promener dans les rues illuminées le soir, sans but.

9. Se réveiller tôt pour voir le lever du soleil après une nuit de neige.

10. Prendre une photo du premier flocon tombé du ciel.

Je souris en lisant la suite. Je n'ai aucun souvenir de cette liste, mais elle me fait chaud au cœur. Je déplie le haut de la feuille et lis le titre de cette magnifique liste. "Les dix commandements du Noël parfait de L&R"

Je pense que le R vient de Raphaël. Je l'avais écrit avec lui, c'est mon premier amour. Émue, je replie délicatement la liste et la glisse dans ma poche. Noël, après tout, n'est pas uniquement synonyme de retrouvailles difficiles. C'est aussi une période où l'on peut créer de nouveaux souvenirs, où l'on peut faire renaître la magie, même là où on ne l'attend plus. Peut-être que recroiser Raphaël nous permettrais de discuter de la façon dont nous nous sommes quittés.

Je décide, dans un élan soudain, que cette année, je vais suivre cette liste. Une façon de reconnecter avec mes souvenirs, et peut-être, de me retrouver un peu moi-même.

Pendant un instant, je me laisse aller à l'idée que ces deux semaines ne seront peut-être pas si terribles. Peut-être que je pourrai affronter les regards, les questions, et tout ce qui me fait peur. Peut-être que les gens seront même un tout petit content de me voir. Mon téléphone vibre sur la table basse. C'est un message de ma mère.

"Hâte de te voir, ma chérie. Papa et moi avons tout préparé pour ton arrivée. Il a déjà allumé le feu dans la cheminée. On t'aime fort."

Je souris en lisant ces mots. Même si tout le reste me fait peur, je sais que chez eux, je serai toujours attendue avec amour. Je repose le téléphone et regarde mon sapin briller dans la pénombre. Je me dis que, peut-être, ce Noël pourrait être différent. Peut-être que revenir à Charvex ne sera pas uniquement synonyme de confrontation avec mon passé, mais aussi de retrouvailles. J'ai hâte de revoir mes parents aussi. Même si au début je leur en ai beaucoup voulu, j'ai fini par comprendre en grandissant, qu'ils avaient réagis comme ça uniquement pour me protéger, part amour.

Demain aura lieu mon dernier jour de travail avant les vacances, je prends le train samedi matin. J'adore mon travail d'architecte d'intérieur mais je ne suis pas sûr de réussir à me concentrer avec toute cette excitation et ce mélange d'émotion, la peur, la joie, l'appréhension, la hâte. Tous se brouille dans ma tête.

Grace aux études et au choix que j'ai fait de venir ici, à Paris. J'ai réussi il y a deux ans à ouvrir ma propre entreprise, exactement ce que je souhaitais. Je suis tellement fière d'avoir réalisé mon rêve. Il y a quelques moi j'ai réussi à installer l'entreprise dans des locaux dans le seizième et à embaucher deux autres designers qui travaillent pour moi. J'espère dans un futur proche pouvoir encore agrandir mon bébé.

...

Le lendemain matin, je m'assois à mon bureau, entouré de plans, de maquettes et de couleurs. Je fais de mon mieux pour me plonger dans un projet en cours, une rénovation d'appartement pour un couple qui souhaite ajouter une touche chaleureuse à leur espace. Je m'immerge dans le choix des matériaux et des textures, cherchant à capturer l'essence de leur rêve. Plongée dans mes projets et dans mon travail que j'aime tant, je ne vois pas la journée passer.

Le soir, je m'endors en pensant à la magie de Noël, espérant qu'elle m'accompagnera dans ce retour, que je pourrai accueillir ces retrouvailles et ouvrir mon cœur sans aucune peur. Demain est un nouveau départ, un mélange d'anciennes traditions et de nouvelles histoires à raconter. Je suis prête à vivre cette aventure, à embrasser les souvenirs et à créer de nouveaux moments précieux avec ma famille. Je n'y suis que quelques jours, mais je compte bien profiter de ces deux semaines pour rattraper le temps perdu et surtout pour mes parents. Le but de ma visite est quand même de les aider avec l'auberge et ses problèmes.

Dans quelques heures je prendrai le train qui me ramènera dix ans en arrière, sans savoir réellement ce qui m'attend là-bas.