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LiseBrey
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Chapitre 10 : Julius

 Ce matin était un jour funeste pour le royaume. Pas pour moi. Tandis que les lourdes cloches du palais résonnaient, annonçant la fin d’une ère, mon cœur, lui, demeurait impassible. Mon père, Vantisazar Cole, l’ancien chef du clan Grimkiller, mon géniteur, venait de s’endormir pour ne plus jamais se réveiller. Il était parti de sa propre volonté, s’abandonnant à la mort avec une froide maîtrise. Même dans la mort, ou du moins dans ce qui pouvait en tenir lieu pour une créature comme lui, mon père s'était assuré de garder le contrôle.

Autour de moi, les membres de la cour se rassemblaient, le visage emprunt d'une fausse solennité. Des membres de la famille, des amis, des figures éminentes du royaume prenaient la parole tour à tour, partageant anecdotes et souvenirs sur cet homme que l’on disait grand et noble. Les histoires dépeignaient un leader fort, un mentor sage, un père attentionné. Tous tissaient autour de lui une image de perfection, d'héroïsme. Mais tandis que les mots s’enchaînaient, je me plongeais dans mes propres pensées, cherchant désespérément un souvenir positif. Il n’y en avait aucun. Pas un instant de tendresse, pas une parole de fierté, rien. Mon père n’avait jamais été autre chose qu’un maître implacable, manipulant tout et tous autour de lui, moi y compris.

Lorsque le maître de cérémonie m’avait contacté pour préparer mon propre discours, je l’avais éconduit sèchement. Je refusais de me tenir derrière ce pupitre sculpté, symbole de l’hypocrisie et des faux-semblants. Je n’avais rien à dire en son honneur, et je ne jouerais pas la comédie pour plaire à la foule. Mon silence était ma seule protestation contre cet homme qui avait gouverné ma vie d’une main de fer. J’étais présent uniquement pour marquer la fin de son règne et célébrer ma propre libération.

Avec son départ, j’étais enfin libre. J’étais officiellement, et jusqu’à ma mort, le chef du clan Grimkiller. Personne ne pouvait plus me contester. Le poids de l'héritage était lourd, mais il m'offrait également une liberté nouvelle.

Quand la semaine de deuil réglementaire fut achevée, je quittai la demeure familiale pour me rendre chez celle qui avait jadis enflammé mon cœur : Astra Lovelock. Elle n'était pas seulement ma rivale, mais aussi mon ancienne conjointe, la femme que je n'avais jamais pu oublier. Malgré notre rupture, un lien indéfinissable persistait entre nous. Comme à son habitude, Astra m'accueillit avec une désinvolture calculée, son visage imperturbable, comme si ma présence ne la touchait pas le moins du monde. Tout chez elle exsudait une indifférence froide et mystérieuse, une aura qui avait toujours éveillé en moi un mélange de fascination et de crainte.

Je n’étais pas venu seul. Mon fidèle compagnon, Rook, un loup géant aux yeux d’ambre, m’avait accompagné. Cela faisait bien trop longtemps qu’il n’avait pas couru librement dans les montagnes enneigées qui bordaient le royaume. Humide et essoufflé, il entra dans le salon principal, là où Astra avait déjà servi des verres de sang pour elle et ses invitées. Je les reconnus immédiatement : c’étaient moi qui les avais repérées lors de mes voyages, des créatures étranges et puissantes. Mais ce n’était pas le moment de ressasser ces détails.

Je n’étais pas là pour me montrer arrogant, bien que je sentisse leurs regards peser sur moi. Ma venue était intéressée, guidée par la nécessité. Maintenant que j'étais le chef officiel du clan Grimkiller, je devais solidifier mes alliances, et celle avec Astra était cruciale. À l’époque où nous étions ensemble, notre union était évidente, un lien naturel entre nos deux clans. Mais depuis notre rupture, la situation était devenue fragile. Je marchais sur un fil.

À peine avais-je trempé mes lèvres dans le verre de sang qu’Astra, fidèle à son franc-parler, me demanda directement ce que je voulais.

— Que cherches-tu, Julius ? demanda-t-elle d’un ton sec, sans détours.

Sa franchise était l'une des qualités que j'avais toujours admirées chez elle. Astra ne mentait jamais sauf cas de nécessité extrême. Elle n'avait aucun intérêt à perdre du temps en futilités. Elle voyait au-delà des apparences, et cela la rendait redoutable.

— Je suis venu pour m'assurer que nous sommes toujours sur la même longueur d'onde, expliquai-je prudemment. En tant que nouveau chef du clan Grimkiller, il est essentiel que nos clans restent alliés.

Je remarquai à cet instant que ce que j'avais pris pour de la surprise dans son regard était en réalité du mécontentement. Elle posa son verre sur la table basse, le bruit du cristal résonnant étrangement dans le silence qui s’ensuivit.

— Tu crois vraiment que je vais m'allier avec toi ? Après ce que tu m'as fait ? lança-t-elle, son ton aussi tranchant qu'une lame. Tu t'es servi de moi pour gagner les faveurs de ton père… Faveurs que tu n'as d’ailleurs jamais obtenues.

Elle frappait là où cela faisait mal. Elle savait où appuyer, comment raviver mes blessures. La mention de mon père, cet homme que j’avais tenté en vain de satisfaire, fit jaillir en moi une colère mêlée de tristesse. Mais je ne pouvais pas flancher.

— Nous en avons déjà parlé. Je me suis excusé pour ce stratagème, dis-je en serrant les poings. Mais tu sais aussi que mes sentiments pour toi sont sincères, aujourd'hui plus que jamais.

— Et je t’ai déjà dit que je ne te pardonnais pas, rétorqua-t-elle, implacable.

Je la regardai, le cœur lourd, sentant ma dernière chance s'étioler. Le silence entre nous était devenu oppressant, chaque seconde marquant l’effondrement de tout espoir. Astra ne me haïssait pas, non. C’était bien pire que cela. Elle était indifférente.

— Le temps est long, repris-je d’une voix rauque. Il faudra bien que tu me pardonnes un jour. Tu ne vas pas passer les prochains siècles à me détester.

— Je suis totalement d’accord avec toi, dit-elle calmement, son regard pénétrant le mien. Je ne vais pas te détester. Tu ne le mérites même pas.

Ces mots me frappèrent de plein fouet. Je comprenais enfin que non seulement je perdais une alliée précieuse, mais que toute chance de la reconquérir s’était évanouie. Mon père, même dans la tombe, continuait de me tourmenter. J'avais obéi à ses ordres, manipulé celle que j'aimais pour lui plaire, et aujourd'hui, je payais le prix de ma faiblesse.

— Écoute, je ne peux pas refaire le passé, lui dis-je en tentant de garder mon calme. Mais je peux façonner l’avenir. Mon père n’aura plus aucune influence sur mes décisions, je te le promets.

Je tentai de contrôler ma voix, de ne pas laisser transparaître l’émotion qui menaçait de me submerger. Mais Astra, comme toujours, lisait en moi comme dans un livre ouvert. D'un geste de la main, elle congédia ses invitées. Seule la fille à la peau bleue resta un instant, son regard captivé par Rook, qui semblait étrangement à l’aise en sa présence. C’était la première fois que je voyais mon loup si joueur avec une inconnue. Une étrangeté qui attira mon attention, mais que je n’eus pas le temps d’examiner.

Astra me conduisit jusqu'à un balcon où des plantes grimpantes aux fleurs sombres s’entremêlaient. L’air glacial me fouetta le visage, mais la douleur dans ma poitrine était plus intense que celle du vent. Je ne pouvais plus contenir mes émotions. Les larmes jaillirent de mes yeux, incontrôlables. Astra resta à mes côtés, immobile, tandis que je me vidais de toute la colère et la tristesse que j'avais accumulées. Elle écoutait en silence mes plaintes, mes regrets, sans émettre le moindre jugement. Même si elle me détestait pour ce que je lui avais fait, il lui était impossible de laisser quelqu'un sombrer dans la détresse, surtout quelqu’un avec qui elle avait partagé tant d’années.

Après de longues heures passées à discuter, à partager des souvenirs et des espoirs déchus, elle me laissa lui confier mes plans pour le futur du clan Grimkiller. Bien qu'elle refusât toujours de conclure une alliance officielle, elle accepta de m'écouter et de me conseiller. Je réalisais à quel point je me sentais perdu, à quel point j’avais toujours vécu dans l’ombre de mon père. Désormais, toutes les décisions reposaient sur mes épaules, et je n'avais jamais appris à être vraiment indépendant.

Je prenais enfin conscience de ma nouvelle réalité. J’étais Julius Cole, chef du clan Grimkiller, et l’avenir de ma lignée dépendait de moi seul.

Lorsque nous rentrâmes dans le salon, une scène étrange m’attendait. La jeune fille à la peau bleue était allongée sur le dos, et Rook, mon loup solitaire et habituellement farouche, jouait avec elle, remuant la queue et léchant son visage. Je n’avais jamais vu mon compagnon se comporter de cette façon avec un étranger. Qui était-elle ? Et pourquoi Rook était-il aussi à l’aise avec elle ?

Elle sembla sentir mon regard posé sur elle, car elle se tourna lentement vers moi. Durant quelques secondes, son expression fut marquée par la confusion, mais bientôt, son visage s'illumina d'un sourire éclatant. Ses yeux se plissèrent en deux fentes joyeuses, et pour la première fois depuis longtemps, je me sentis troublé. Face à moi, un sourire radieux, presque solaire. Et pour un vampire, le soleil représentait la mort. Mais, pour un instant fugace, il devint un souvenir lointain, chéri à travers les âges.

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