J'avais perdu le compte des jours. Le temps s'étirait en une lenteur exaspérante, chaque seconde semblant s'enrouler autour de moi comme des chaînes invisibles. J'étais prisonnière, non seulement des murs de pierre froide, mais aussi de mon esprit qui ne cessait de tourner en boucle, cherchant désespérément une échappatoire. Pourtant, cette cellule ressemblait davantage à une chambre modeste. Une étrange impression de confort contrastait avec l’idée que je me faisais de l’enfermement chez les vampires. Le lit, bien que simple, était suffisamment douillet pour ne pas être une torture. Les repas, bien que sobres, arrivaient à intervalles réguliers, et j’avais même une douche privée et des sanitaires. Cette réalité banale ébranlait mes certitudes.
Les vampires avaient toujours été pour moi des créatures viles, perfides et cruelles, n’éprouvant aucun remords à détruire des vies humaines. Pourtant, ici, j’étais traitée avec un respect déroutant. Ce paradoxe me laissait perplexe, tiraillée entre la méfiance qui coulait dans mes veines depuis l’enfance et un pragmatisme cynique. Peut-être que ce respect n’était qu’un leurre, une manipulation savamment orchestrée pour que je relâche ma garde, afin qu’ils puissent frapper avec encore plus de cruauté lorsque je serai vulnérable.
Un jour, un son inhabituel troubla ma routine. Le cliquetis des clés résonna différemment. Ce n’était pas la petite trappe qui allait s’ouvrir pour me livrer un repas. C’était la porte elle-même qui était déverrouillée. Un frisson glacial remonta le long de ma colonne vertébrale tandis que j’entendais les gonds grincer. Face à moi, Astra Lovelock se tenait droite et fière, une aura d’autorité implacable émanant d’elle. Son regard, perçant et froid, était chargé de malice. D’un simple mouvement du menton, elle ordonna à ses gardes de me faire sortir. Mes poignets furent fermement attachés, et encadrée par des gardes en armure noire, je suivis la cheffe du clan Blackcoffin à travers les couloirs sombres du château. Chaque pas résonnait dans l'obscurité, tandis que je tentais d’apercevoir l’intérieur des autres cellules. Mais toutes les portes étaient hermétiquement fermées, ne me laissant aucune indication quant au sort de mon frère. Était-il encore en vie ? Avait-il réussi à échapper aux griffes d’Astra ?
Nous arrivâmes dans une pièce aux murs d’un violet sombre, presque noir, où seules deux chaises brisaient le vide oppressant. L’atmosphère y était étouffante, saturée de silence et de tension. On m’attacha à l'une des chaises, tandis qu’Astra s’installait sur l'autre, ses gestes calculés, son visage impénétrable. Les gardes quittèrent la pièce, laissant le silence régner en maître pendant de longues secondes, peut-être même des minutes. Le temps semblait avoir cessé de s'écouler, chaque battement de mon cœur résonnant dans ma tête comme une horloge funeste.
— Comment t’appelles-tu ? demanda Astra d’un ton désinvolte, comme si elle entamait une conversation ordinaire.
Son attitude indifférente me fit bouillir de rage. Comment osait-elle me traiter avec autant de nonchalance ? Elle ne semblait pas prendre au sérieux cet interrogatoire, comme si tout cela n’avait aucune importance à ses yeux. Elle se comportait comme si elle était au-dessus de tout, au-dessus du danger que je représentais.
J’étais Azura Beausoleil, chasseuse de vampires, spécialisée dans le feu. J’avais consacré ma vie à éradiquer ces créatures des ténèbres, à anéantir ces parasites qui ne faisaient que nuire à la société. Je pouvais réduire des vampires en cendres aussi facilement que j’allumais une bougie. Mais cela, je me gardai bien de le dire à Astra. Jamais je ne céderais face à un vampire. Elle pouvait me torturer, me briser physiquement, je resterais muette. Les minutes s’étirèrent en une lutte silencieuse entre nos deux volontés. Astra continua son interrogatoire, me posant question après question, mais je refusais obstinément de répondre. Mon silence était ma seule arme contre elle. Pourtant, au bout d’un certain temps, elle se leva, s’approcha de moi, et sortit quelque chose de sa poche. Mon corps se tendit, s'attendant à un coup ou une autre forme de violence. Mais rien ne vint. J’ouvris les yeux et découvris, à ma grande surprise, qu’elle me tendait une lettre.
L’enveloppe, scellée par un cachet de cire rouge, me fit l’effet d’une gifle. Je reconnaissais ce sceau. Il venait de chez moi. Mon cœur se mit à battre à tout rompre, résonnant dans mes oreilles comme un tambour de guerre. Ma vision se réduisit à cette seule enveloppe, suspendue à quelques centimètres de mon visage.
— C’est une lettre de ta famille, annonça Astra, son ton étrangement calme.
Le poids sur mes épaules devint insoutenable. Mon estomac se noua violemment, et je sentis la bile monter dans ma gorge. Mes mains, mes doigts, tout mon corps semblait s’éteindre, comme si toute mon énergie avait été aspirée par l’urgence de la situation. Je devais réfléchir, et vite. Cette lettre signifiait que ma famille savait que j’étais ici. Cela voulait-il dire que mon frère, Osian, était rentré sain et sauf ? Ou bien, était-ce un adieu désespéré de mes parents, fuyant la colère d’Astra après l’attaque de son château ?
— Si tu veux connaître son contenu, tu devras coopérer, m’expliqua Astra d’un ton tranchant.
Elle savait pertinemment qu’elle avait un atout inestimable entre les mains. Bien sûr que je voulais connaître le contenu de cette lettre. Mais il m’était impossible de collaborer avec des vampires. Ils avaient beau m’avoir traitée avec un respect apparent, cela n’effaçait en rien leur véritable nature. Ce respect n’était sûrement qu’un masque dissimulant des intentions bien plus sinistres. Astra me laissa seule dans la pièce, probablement pour me donner le temps de réfléchir à sa proposition. Et contre toute attente, je me surpris à envisager une collaboration. Répondre à quelques questions pourrait-il vraiment compromettre ma mission, si cela me permettait d’avoir des nouvelles de ma famille ? J’étais tiraillée entre le devoir et l’instinct, et cette incertitude me dévorait de l’intérieur.
Je ne savais plus depuis combien de temps j’étais là, attachée à cette chaise. Peut-être des heures, peut-être des jours. Mes poignets me faisaient mal, la chair meurtrie par les fers qui les enserraient. La fatigue, la déshydratation, tout me semblait flou. Lorsque la porte s’ouvrit enfin, et qu’Astra réapparut, je relevai péniblement la tête et plongeai mes yeux verts dans les siens, d’un rouge incandescent.
— J’accepte, cédai-je, la voix éraillée par la lassitude.
Astra me posa les mêmes questions que précédemment, et cette fois, je répondis. Mes réponses étaient courtes, vagues, mais cela parut lui suffire. Avec un sourire satisfait, elle sortit la lettre et commença à la lire à voix haute.
Chère sœur,
J’ai réussi à échapper à cette satanée cheffe du clan Blackcoffin. J’ai même tué l’un de ses gardes. Je suis désormais un véritable chasseur de vampires ! Je te fais passer cette lettre via mon ami Diego, afin que tu puisses avoir de mes nouvelles. N’hésite pas à lui donner une lettre de réponse, il est très discret.
J’espère que tu vas bien. Ne t’en fais pas, la famille est là pour toi. Papa et maman rassemblent le Haut Conseil pour venir te chercher. Tu n’es pas seule, nous allons venir te sauver.
Ton frère, Osian.
Astra me regarda avec des yeux pétillants de malice, se lécha les lèvres et susurra :
— Très goûtu, ce Diego.
Le monde autour de moi s’effondra en une fraction de seconde. Cette vampire ! Comment avais-je pu, ne serait-ce qu’un instant, penser qu’elle était différente ? Elle avait tué Diego, l’ami de mon frère, de sang-froid. Je pouvais déjà imaginer la douleur d’Osian lorsqu’il apprendra cette nouvelle. Pourquoi Astra m’avait-elle lu cette lettre ? Était-ce pour effacer le moindre doute dans mon esprit sur la cruauté de sa race ? Si c’était le cas, elle avait réussi. Mais, paradoxalement, cela me soulageait de savoir qu’Osian était en sécurité. Il n’était plus une arme que cette femme pouvait utiliser contre moi. J’étais libérée de cette peur. Soudain, Astra posa sa main sur mon épaule et se baissa jusqu’à ma hauteur.
— Je peux voir sur ton visage que tu es perplexe, commença-t-elle. Je sais ce que c’est que de perdre un membre de sa famille. Même si tu représentes le plus grand des fléaux pour les vampires, ce n’est pas à moi de te faire subir cette souffrance. La vie s’en chargera bien assez vite.
Elle se releva et prit un air bien plus sérieux, ce qui contrastait avec l’empathie dont elle faisait preuve.
— En revanche, je refuse de mettre ma cour et mes invitées en danger, expliqua-t-elle d’une voix tranchante.
Sur ces derniers mots, elle fit demi-tour, échangea quelques mots avec les gardes restés à l’entrée et une paire de minute plus tard, j’étais de retour dans ma cellule, un repas chaud m’attendant sur la table. En revanche, je n’avais pas faim. J’étais perdue. À la fois pleine de haine contre cette femme qui avait tué l’ami d’Osian et à la fois reconnaissante envers celle qui avait fait preuve de compassion à mon égard. Elle semblait avoir des principes pas si éloignés des miens. Protéger sa famille et ceux qui comptent était une priorité. Même pour les vampires. Cela était une information précieuse pour les prochaines attaques. S’il y en avait.