Le lendemain matin, Astra me présenta ceux qui allaient nous accompagner. La salle d’armes était baignée dans une lumière froide et crue. Mon regard parcourut les visages des soldats alignés. Ils portaient tous l'armure sombre des guerriers du clan BlackCoffin. Leur posture, droite et implacable, trahissait leur détermination. Astra n’avait rassemblé que ses meilleurs éléments. Je pouvais sentir leur résolution, chaque visage marqué par des combats passés, des cicatrices qui témoignaient de leur loyauté et de leur bravoure.
Puis, soudain, mon regard s’arrêta net. Un visage familier se détacha de la masse, et mon sang se glaça dans mes veines. Une silhouette élancée, des cheveux roux flamboyants, et cette posture fière, presque arrogante... Azura.
Mon souffle se coupa. Un frisson glacial me traversa. Mon cœur accéléra, cognant lourdement dans ma poitrine. C’était elle. Azura, celle qui, un an plus tôt, avait mené l’attaque contre le clan BlackCoffin. Elle et sa famille de chasseurs de vampires avaient semé le chaos, massacrant les nôtres, réduisant nos rangs à néant. Le sillage de sang et de cendres qu’elle avait laissé derrière elle hantait encore mes souvenirs.
La simple vue de son visage fit monter en moi une vague de colère brûlante. Mes poings se serrèrent instinctivement, mes crocs grincèrent sous la pression. Comment osait-elle se tenir ici, parmi nous ?
— Astra, soufflai-je d’une voix à peine maîtrisée, le regard fixé sur Azura. Pourquoi est-elle ici ?
Astra, qui se tenait à mes côtés, suivit mon regard et croisa celui d’Azura. Elle savait déjà ce qui se passait dans mon esprit, comme si elle avait anticipé cette réaction. Avec un calme glacial, elle posa une main légère sur mon bras, un geste apaisant mais contrôlé.
— Azura travaille pour moi désormais, dit-elle doucement, mais fermement. Elle ne fait plus partie des chasseurs de vampires. Elle a tout abandonné.
Je tournai lentement la tête vers Astra, mes yeux écarquillés d’incrédulité. Comment pouvait-elle dire ça ? Comment pouvait-elle faire confiance à cette femme ?
— Abandonné ? répétai-je avec amertume, un rire cynique m’échappant. Tu veux dire qu’elle a abandonné sa famille, celle-là même qui a massacré les nôtres ? Et tu penses qu’elle est digne de confiance maintenant ?
Astra ne flancha pas, son regard toujours aussi perçant, mais empreint de compréhension.
— Je crois aux secondes chances, dit-elle calmement. Tout comme je t’ai donné une seconde chance, je l’ai donnée à Azura. Elle a payé un prix élevé pour ses convictions.
Mes poings se desserrèrent légèrement, mais la colère ne me quittait pas. Mon regard se porta à nouveau sur Azura, qui avait maintenant tourné la tête vers moi. Son expression restait froide, mais dans ses yeux, je pouvais lire quelque chose que je ne parvenais pas à déchiffrer : culpabilité ? Remords ?
Avant même que je ne m'en rende compte, mes jambes m’avaient menée vers elle. Je sentais le regard d’Astra peser sur moi, mais elle n’intervint pas. Azura se tenait droite, prête à affronter ce qui venait. Son corps était tendu comme un arc, mais elle ne bougea pas d’un centimètre.
— Que fais-tu ici ? lâchai-je avec un venin que je ne cherchais même pas à dissimuler.
Azura ne recula pas. Son regard accrocha le mien, intense, presque déconcertant.
— Je suis ici pour me battre, répondit-elle simplement, d’une voix calme mais grave.
— Te battre ? Pour qui ? Pour quoi ? Pour finir ce que tu as commencé avec ta famille ? J’ai vu ce que vous avez fait. J’ai vu les corps, les ruines, le sang de mes frères et sœurs étalé sur le sol comme de simples traces de boue ! Et maintenant, tu oses te tenir ici, en prétendant être l’une des nôtres ?
Je me rapprochai d’elle, mes paroles devenant plus dures, tranchantes comme une lame. Je voulais qu’elle sente la douleur, la rage que je portais en moi depuis cette nuit fatidique. Azura ne bougea pas. Elle resta stoïque face à mon attaque verbale. Ses yeux verts, aussi vifs que la forêt en été, ne vacillèrent pas. Elle prit une inspiration profonde avant de répondre.
— Je ne peux pas effacer ce que j’ai fait, admit-elle. Je ne cherche pas à me faire pardonner. Mais j’ai choisi un autre chemin. J’ai choisi de me battre pour ce que je crois juste maintenant.
— Juste ? grincé-je entre mes dents. Et qu’est-ce qui t’a soudainement fait changer d’avis ? Combien de corps a-t-il fallu avant que tu réalises que tu étais du mauvais côté ?
Un éclair de douleur traversa brièvement son regard. Cette fois, elle flancha, ne serait-ce qu’une seconde, avant de se redresser.
— C’est le sang. Le sang et la mort qui m’ont fait comprendre, murmura-t-elle. J’ai perdu ma famille pour cette cause insensée. Ils sont morts à mes yeux dans cette haine aveugle que j’ai nourrie pendant des années. Je ne veux plus vivre comme ça.
Son ton était résolu, mais derrière cette détermination, je percevais autre chose. Une fatigue. Une lassitude. Elle était lasse de se battre contre des fantômes, des idéaux qui ne faisaient plus sens. Cela me déstabilisa. Je voulais tant la haïr, mais face à ses mots, cette haine se fissurait.
— C’est facile de se retourner après avoir causé tant de souffrance, rétorquai-je néanmoins, refusant de céder. Mais pourquoi devrais-je te croire ? Comment puis-je être sûre que ce n’est pas un autre mensonge ?
Azura s’approcha à son tour, réduisant l’espace entre nous jusqu’à ce que nous soyons à quelques centimètres l’une de l’autre. Ses yeux étaient pleins de cette même intensité, mais aussi de quelque chose de plus profond, presque désespéré.
— Parce que je n’ai plus rien, souffla-t-elle. Tout ce que j’avais, je l’ai perdu. Ma famille, mon clan, tout. Tout ce qu’il me reste, c’est cette nouvelle voie que j’ai choisie. Si je trahis encore, je n’ai plus rien… plus personne. Astra m’a donné une seconde chance, et c’est tout ce que j’ai.
Je la fixai, cherchant la moindre trace de duplicité dans ses paroles, mais je n’en trouvai aucune. Seulement une vérité amère. Ses mots résonnaient en moi d’une manière que je ne voulais pas admettre. J’avais moi-même été perdue, j’avais moi aussi eu besoin d’une seconde chance. Mais accepter cela pour Azura, après tout ce qu’elle avait fait… c’était une pilule difficile à avaler. Le silence entre nous devint lourd, pesant, jusqu’à ce qu’Astra s’approche, rompant la tension.
— Nous avons tous des cicatrices, dit-elle doucement. Certains sont visibles, d’autres non. Azura a pris un chemin dangereux, mais elle en est sortie. Si tu ne peux pas lui pardonner maintenant, je comprends. Mais tu devras travailler avec elle si tu veux avoir une chance contre ce démon.
Je baissai les yeux, incapable de répondre immédiatement. Une part de moi voulait encore rejeter cette idée, refuser d’admettre qu’Azura pouvait être autre chose qu’une ennemie. Mais Astra avait raison. Le démon était une menace bien plus grande. J’avais besoin de toute l’aide possible.
— Très bien, dis-je finalement, ma voix tremblante de colère retenue. Je ne te fais pas encore confiance, mais si Astra croit en toi, alors je te laisserai prouver que tu mérites cette place.
Azura hocha la tête, une lueur de reconnaissance passant dans ses yeux.
— Je n’attends rien d’autre, répondit-elle calmement.
Je la fixai encore un moment, puis fis demi-tour. Mon cœur battait toujours à tout rompre, mais je savais que je devais mettre de côté cette colère, du moins pour l’instant. Nous avions un combat à mener, un combat qui déterminerait bien plus que notre passé.