Je me dirigeai vers ma chambre, le cœur lourd, presque suffocant. Chaque pas résonnait comme un écho funèbre dans le couloir désert. Je devais partir. L’idée de retourner chez moi, revoir mon père, me traversait l’esprit avec une amertume que je n’avais jamais connue auparavant. Le confort rassurant de mon ancienne vie, la chaleur de mon foyer, me manquaient terriblement.
J’étais venue ici pour déterrer la vérité sur mon passé, mais ce que j’avais trouvé avait brisé bien plus que mes certitudes : mon cœur n’était plus qu’un champ de ruines. Entre le démon qui m’avait traquée et Astra, celle que je croyais aimer, qui s’était révélée être une traîtresse, je n’avais plus aucune raison de m’attarder dans ce royaume obscur. Les réponses à mes questions avaient été trouvées, mais à quel prix ? Ma quête était terminée, mais elle laissait derrière elle un goût amer de désillusion et de trahison.
Il ne me restait qu’une chose à faire avant de partir : parler à Esta. Elle n’était au courant de rien et je ne pouvais pas quitter cet endroit sans lui dire un dernier mot. Je la retrouvai dans le jardin des roses, un endroit autrefois paisible, devenu oppressant sous le poids de mes tourments. La petite statue de notre mère semblait nous observer. Cette image me poignarda le cœur. Esta jouait avec Gideon, ses rires s’échappant comme une douce mélodie. Elle rayonnait sous la lumière spectrale de la lune, entourée de roses noires qui semblaient plus tristes qu'autrefois. Le contraste entre sa joie et mon désespoir me lacérait l’âme.
— Salut, je te dérange pas ? demandai-je d’une voix éteinte.
— Tu me déranges jamais, me répondit Esta avec un sourire solaire, un sourire qui me rappelait une époque plus simple, plus douce.
Cela faisait tellement longtemps que je n’avais pas passé de temps avec elle. Je réalisai à quel point elle m’avait manqué. J’avais été si obsédée par mes propres recherches que je l’avais délaissée, laissée derrière sans un regard. Un sentiment de culpabilité m’envahit.
— J’ai trouvé ce que je cherchais, lui dis-je, presque en chuchotant. Je vais partir. Est-ce que tu veux rentrer avec moi ?
— Tu rentres déjà ? Qu’est-ce qui s’est passé ?
Esta, comme à son habitude, avait vu clair en moi. Son regard perçant lisait à travers mes failles. Elle ne se réjouit même pas que j’aie trouvé l’héritage de ma mère, signe qu’elle savait déjà que quelque chose n’allait pas. Elle attendait que je lui explique, patiente mais inquiète. Alors, je lui racontai tout, la trahison d’Astra, le démon, les vérités insoutenables. Mes mots étaient noyés dans des larmes que je ne pouvais plus retenir. À la fin de mon récit, je m’effondrai dans ses bras.
Son étreinte fut un baume sur mon cœur écorché. Sa chaleur me réconfortait, me ramenait à des souvenirs plus heureux, plus lumineux. Même ici, dans ce royaume de l’ombre, elle avait gardé l’odeur de notre maison : celle des plantes, du soleil, des jours simples.
— Je comprends ce que tu traverses, murmura-t-elle. Mais je dois rester ici encore un peu. Julius m’a promis qu’il pourrait m’aider à entrer à l’École Royale des Druides. Je ne peux pas laisser passer cette chance.
Je comprenais. Elle avait ses propres raisons de rester, ses propres combats à mener. Je ne voulais pas être un obstacle à son succès, à ses rêves. Je savais combien son ambition dépassait le simple désir de réussir. Elle voulait prouver à son clan, à ceux qui l’avaient rejetée, qu’elle était plus forte que leurs préjugés, qu’elle était bien plus qu’une simple elfe bleue avec des taches.
Je retournai dans notre chambre, le cœur plus lourd que jamais. Je m’allongeai sur le lit, laissant mes yeux parcourir encore et encore la lettre de ma mère. Chaque mot résonnait dans mon esprit comme un écho douloureux. Mes bagages étaient prêts, alignés près de la porte, comme des spectres attendant de m’emporter loin d’ici.
Mais partir ne signifiait pas échapper aux dangers. Les chasseurs de vampires n’étaient plus ma seule menace. Un démon rôdait, assoiffé de mon sang. Ma vie n’avait jamais été autant en péril qu’aujourd’hui. D’après ma mère, boire son sang était la seule façon d’obtenir la force nécessaire pour l’affronter et le détruire. Mais jusqu’à présent, ce démon m’avait laissée tranquille. Se pourrait-il que la menace ne soit réelle que dans ce royaume maudit ? Si je partais, si je ne revenais jamais, serais-je en sécurité ? Mais cela voudrait dire abandonner les dernières volontés de ma mère, laisser cette histoire inachevée.
Un coup à la porte interrompit mes pensées. Je n’étais pas prête pour ce qui allait suivre. Astra entra, son visage marqué par une tristesse sincère, mais je n’avais plus de place pour la pitié. Elle voulait parler.
— Il faut qu’on parle, Isis.
Je la regardai, froide, distante. De quoi voulait-elle discuter ? Tout avait déjà été dit, tout était déjà gâché. Elle m’avait trahie. Assise sur mon lit, elle tenta de justifier ses actes, parlant de ses parents, de la pression, de son propre rôle de victime. Mais rien de tout cela ne changeait ce qu’elle avait fait. Je restai debout, écoutant ses excuses d’une oreille distraite. Chaque mot qu’elle prononçait me blessait davantage. Elle n’était plus celle que j’aimais, celle en qui j’avais cru. Le simple fait de la voir me donnait envie de fuir. Toute la chaleur que j’avais ressentie pour elle s’était évanouie.
Lorsqu’elle eut fini, je la remerciai d’avoir pris le temps de me parler, mais sans émotion. Je voulais qu’elle parte, qu’elle disparaisse de ma vue. Elle s’était assise sur mon lit, comme si elle appartenait encore à ma vie, comme si elle avait encore une place dans mon cœur. Mais tout cela était fini.
— Je suis désolée, Isis, murmura-t-elle, ses mains tremblant légèrement. Je ne voulais pas que ça se passe ainsi.
Je restai silencieuse, fixant un point invisible sur le mur. Elle ne méritait plus mes mots. Puis, enfin, elle lâcha une révélation qui me glaça le sang.
— Esta m’a parlé du démon. Elle voulait savoir si je pouvais t’aider.
— Je n’ai pas besoin de ton aide. Mon ton était tranchant, presque cruel.
Mais Astra insista, parlant de recherches, de protections. Elle m’avertit que si je retournais chez les humains, si je retrouvais mon père, le démon me tuerait. Ma transformation, même incomplète, avait éveillé en moi quelque chose qui attirait le démon. Je ne pouvais plus fuir.
— Il te trouvera, peu importe où tu vas.
Je sentis le sol se dérober sous mes pieds. Mon monde s’effondrait.
Astra proposa une solution. Une maison protégée, un refuge au bord de la mer. Elle me parlait de sécurité, de temps pour devenir plus forte, pour apprendre à me défendre. Alex viendrait m’aider. Mais je n’entendais plus ses mots. Mon esprit était un chaos.
— D’accord, soufflai-je enfin. Mais je ne veux plus te voir.
Elle hocha la tête. Le lien entre nous était brisé.
Avant de partir, il me restait une chose à faire : contacter mon père.