Ce matin-là, je me réveillai avec une boule au ventre, une sensation d’oppression sourde qui semblait s’infiltrer dans chaque recoin de mon corps. Il n’y avait aucune raison apparente pour ce malaise, mais il était là, tenace, comme un avertissement murmuré par mon instinct. Rien n’avait changé dans ma chambre : les rideaux de velours étaient fermés, filtrant la lumière de la lune extérieure, et le feu dans l’âtre était réduit à des braises rougeoyantes. Alex, mon conseiller, se tenait sur le seuil de la porte, immobile comme à son habitude, observant calmement mon réveil. Je tentai de me débarrasser de cette sensation en l’attribuant à la faim, une excuse facile. Mais même après avoir quitté ma chambre, ce poids ne me quitta pas. Quelque chose n’allait pas.
Dans la salle à manger, une cruche remplie d’un liquide rouge foncé m’attendait, posée sur la table en bois sombre à côté d’une coupe en verre soufflé. Le sang frais était la seule chose qui me permettait de véritablement commencer ma journée. Je versai le liquide dans la coupe et le portai à mes lèvres, sentant la chaleur du sang réveiller chaque fibre de mon corps. Alex prit place à mes côtés, comme chaque matin, et commença à énumérer les nouvelles du jour, entrecoupées de rappels concernant mon emploi du temps. Je l’écoutais distraitement. C’était la même routine chaque jour, et aujourd’hui, mes pensées étaient ailleurs, concentrées sur cette sensation oppressante dans mon estomac. Pourtant, un mot, un nom, capta soudain mon attention : Nebula.
— Qu’as-tu dit ? demandai-je brusquement, la coupe à moitié vide toujours en main.
Alex releva les yeux de son carnet, ses sourcils légèrement froncés, surpris par ma réaction.
— Nebula, répondit-il calmement. Une personne nommée Nebula a été aperçue dans la ville voisine, celle sous le contrôle des Grimkiller.
Le liquide dans ma coupe se figea instantanément. Le nom Nebula n’était pas anodin. Il était chargé d’histoire, de puissance, et d’une menace sous-jacente que je ne pouvais ignorer. Si un descendant de Carmella Nebula était encore vivant et, pire encore, s’il était entre les mains du clan Grimkiller, cela signifiait que mon propre clan était en danger. Il fallait que je trouve cette personne avant que Julius, ce traître infâme, ne l’utilise contre moi.
Les souvenirs de Julius étaient encore amers, gravés dans ma chair comme une brûlure. Il m’avait trahie, quittée sans un mot après m’avoir promis loyauté et alliance. Depuis ce jour, notre guerre était devenue silencieuse, une danse de pouvoir subtile où chaque mouvement était calculé, chaque mot une arme. Mais cette fois, la situation exigeait plus qu’un simple échange de regards en coin. Cette fois, je devais agir.
Je réunis immédiatement le chef de la garde et Alex pour une assemblée d’urgence. Malgré ses réserves, Alex ne put opposer aucun argument solide à mon plan. Julius était trop lâche pour commencer une guerre, mais cela ne signifiait pas qu’il ne pouvait pas causer des dégâts en retenant ce descendant. Je savais qu’il ne ferait rien si je prenais ce que je convoitais par la force. Il n’avait jamais osé m’affronter directement, et ce n’était pas aujourd’hui qu’il commencerait. Le plan fut acté rapidement. Demain, à l’aube, j’irais récupérer ce descendant, accompagnée de ma garde d’élite. Je ne laisserais pas Julius gagner encore une fois.
Le lendemain, à l’aube, nous étions prêts. Le ciel était d’un gris lourd, menaçant, et le vent froid mordait la peau comme un avertissement. Devant les portes massives du château des Grimkiller, recouvertes d’arabesques en fer forgé, je tapai trois coups, comme une simple visiteuse. Le majordome, un homme petit et pâle, m’ouvrit la porte avec une courbette cérémonieuse. Je ne lui laissai pas le temps d’appeler à l’aide : d’un coup rapide et précis, je l’assommai, le laissant s’effondrer sur le sol de marbre froid.
— Restez ici et montez la garde, ordonnai-je à mes soldats.
Ils prirent position devant le bureau de Julius pendant que je m’avançai vers la porte, mes bottes claquant contre le sol, un écho sinistre dans le silence oppressant du château. Je pénétrai dans la pièce sans m’annoncer, poussant les lourdes portes avec force. Julius, surpris, se leva d’un bond derrière son bureau. Son sourire narquois apparut instantanément, ce sourire que je connaissais trop bien, celui qui suintait de satisfaction et de supériorité.
— Je ne vais pas passer par quatre chemins, Julius, déclarai-je d’une voix ferme. Donne-moi le descendant de Carmella Nebula.
Son sourire s’élargit, presque moqueur. Il aimait avoir l’ascendant sur moi, il s’en délectait. C’était toujours ainsi avec lui. Il avait été mon allié, puis mon amant, avant de devenir mon ennemi le plus perfide. La trahison était gravée dans chacun de ses gestes.
— Tu es toujours aussi directe, murmura-t-il, sa voix traînante emplie de venin. C’est une qualité que j’ai toujours appréciée chez toi.
— Je n’ai pas de temps à perdre avec tes jeux, répliquai-je, mes dents serrées de colère contenue.
Julius haussa un sourcil, un éclair de malice passant dans ses yeux rouges.
— La personne que tu cherches n’est pas ici… ou du moins, pas dans le château à proprement parler, dit-il en appuyant sur chaque mot, ses yeux brillant d'une satisfaction malsaine.
— Qu’est-ce que tu racontes ? Arrête avec tes énigmes, Julius. Tu sais que je déteste ça.
Il sourit encore plus largement, ses lèvres s’étirant en un rictus cruel.
— Peut-être devrais-tu chercher dans les cachots plutôt que dans les chambres, ricana-t-il, chaque mot suintant de mépris.
Je le fixai un instant, cherchant à démêler le vrai du faux dans ses paroles. Julius aimait jouer à ces jeux, mais cette fois, il avait révélé plus qu’il ne le pensait. Je vis soudain son sourire se figer, son visage se décomposer alors qu’il réalisait qu’il venait de commettre une erreur. Ses yeux rouges s’écarquillèrent, et ses pupilles s’élargirent jusqu’à envahir tout le blanc de ses yeux. Ses griffes jaillirent de ses doigts, prêtes à m’attaquer.
— Je n’ai pas de temps pour ça, Julius, dis-je froidement.
Avant qu’il ne puisse se jeter sur moi, deux de mes soldats s’interposèrent, me protégeant de son attaque. Je disparus de sa vue, laissant mes hommes gérer la situation. Ils étaient suffisamment entraînés pour tenir Julius à distance pendant que je trouvais ce que j’étais venue chercher. D’un geste de la main, j’ordonnai aux deux autres soldats de me suivre. Nous quittâmes le bureau et descendîmes les longs couloirs du château, illuminés par des bougies dont la flamme vacillait à notre passage. Le chemin vers les cachots me revint en mémoire, un souvenir lointain de l’époque où ce château m’était familier, où chaque couloir n’était pas une menace, mais un refuge. Mais aujourd’hui, les murs eux-mêmes semblaient vouloir m’écraser.
Il fallait que je passe devant le grand salon et le bureau des gardes pour atteindre les cachots. Je savais que pour mes soldats, imposants et lourdement armés, il serait impossible de rester discrets. Mais je n’avais pas l’intention de l’être. Arrivée devant le grand salon, je me transformai. Mon corps devint une masse de fumée noire, une ombre insaisissable qui glissait sur les murs et le plafond. Tandis que mes hommes attiraient l’attention ailleurs, je filai à travers les couloirs, invisible et silencieuse, jusqu’à atteindre la porte des cachots.
Reprenant ma forme humaine, je poussai la lourde porte qui céda sous ma main. Une odeur pestilentielle de cadavres en décomposition et de sang séché m’accueillit, me prenant à la gorge. L’air était lourd, chargé de désespoir. Je parcourus rapidement le registre des prisonniers, mes yeux glissant sur les noms jusqu’à ce que je tombe sur celui que je cherchais. Cellule numéro six.
J’avançai dans le couloir sombre, mes pas résonnant faiblement contre le sol de pierre. La lumière des torches vacillantes projetait des ombres sinistres sur les murs et le silence n’était rompu que par les échos lointains des cris des autres prisonniers. Je m’arrêtai devant la cellule numéro six et regardai à travers les barreaux rouillés. À l’intérieur, je ne trouvai pas un vampire, mais deux jeunes filles, des humaines. L’une d’elles avait des cheveux noirs et blancs, un contraste saisissant qui attira immédiatement mon attention.
— Es-tu la descendante de Carmella Nebula ? demandai-je, mon ton plus pressant que je ne l’aurais voulu.
La jeune fille leva les yeux vers moi, ses prunelles claires se plongeant dans les miennes. Mon cœur se figea. Il n’y avait aucun doute. Carmella avait transmis à sa descendance sa beauté inégalée, et en cet instant, je sentis mon cœur battre plus fort. Mais il n’y avait pas de temps pour la contemplation. Le bruit des combats dans le château se rapprochait. Je devais agir vite.
— Venez avec moi, ordonnai-je.
La jeune fille se leva sans un mot, tout comme sa compagne, une elfe aux cheveux bleus. Je compris en un instant qu’un lien puissant les unissait, un lien que je ne pouvais ignorer. Quelles que soient les instructions que j’avais reçues, je ne pouvais pas les séparer. Elles restaient ensemble.
Nous quittâmes rapidement le cachot, mes soldats nous rejoignant à l’extérieur du château. Le spectacle qui nous attendait était chaotique : mes hommes étaient blessés, fatigués, mais vivants. Ils avaient tenu leur position. Les rues de Grimkiller étaient plongées dans un silence tendu alors que nous nous préparions à partir. Un garde aida la jeune elfe à monter à cheval, tandis que je fis grimper la descendante de Carmella avec moi.
Nous formions un convoi serré, protégé par mes meilleurs guerriers. Les regards des habitants se posaient sur nous avec une étrange combinaison de respect et de crainte. Ici, seule la puissance comptait Et nous venions de voler quelque chose de précieux au chef de leur clan.