Lorsque la porte d’entrée vola en éclats, tout le château se mit à trembler. Le bruit résonnait dans les murs comme le tonnerre, et une vague de panique submergea les couloirs. Instinctivement, je me précipitai vers l’extérieur, à travers les jardins du domaine. Astra avait ordonné à tout le monde de sortir du château, de s’éloigner autant que possible. Je n’avais fait qu’obéir, encore sous le choc de ce qui se passait. Mon corps agissait seul, mes pensées étaient noyées par l'adrénaline.
Je me réfugiai sous la statue de ma mère, celle qui trônait fièrement dans le jardin. Comme si elle pouvait encore me protéger, comme si sa présence de pierre pouvait m’offrir un semblant de sécurité. Mais la réalité était implacable, et je n’étais pas en sécurité. J’entendis bientôt des pas lourds approcher. Un chasseur. Un homme massif, armé d’une épée, qui avançait droit vers moi avec un regard déterminé.
La peur me coupa le souffle. Mes jambes se mirent à courir avant même que mon esprit ne comprenne ce qui se passait. Je dévalai les allées du jardin, mes pieds frappant le sol de pierre, tandis que le bruit des pas du chasseur résonnait toujours plus fort derrière moi. Il était rapide, bien plus rapide que je ne l’aurais cru. Chaque seconde, il gagnait du terrain.
Je m’engouffrai dans un dédale de buissons, espérant lui échapper. Soudain, je tombai sur une vieille porte en fer forgé, usée par le temps et la rouille. Sans réfléchir, je fis un virage brusque et me glissai derrière la porte, priant pour que le chasseur ne m’ait pas vue. Mon souffle était saccadé, mes mains tremblaient. Derrière la porte, je découvris un escalier en pierre, qui semblait descendre profondément sous terre. Je n’avais pas d’autre choix. Sans perdre une seconde, je dévalai les marches.
Les escaliers étaient étroits, couverts de poussière et plongés dans une obscurité presque totale. Mais il y avait une légère brise qui caressait mon visage, me donnant l’espoir qu’il y avait une sortie quelque part. Après ce qui sembla être une éternité, j’atteignis enfin une vaste salle circulaire. Un rayon de lumière de lune perçait à travers un puits étroit au-dessus, illuminant le centre de la pièce. Là, une immense statue se dressait.
Je m’arrêtai net, mon souffle coupé. C’était elle. La statue de ma mère.
Depuis des jours, je la cherchais sans relâche, et elle était là, sous mes yeux. Une statue de plusieurs mètres de haut, représentant une femme aux cheveux flottants dans un vent invisible, un bras tendu vers l’avant, pointant quelque chose. Mon cœur battait la chamade. C’était ici. C’était ce que je cherchais.
Je m’approchai lentement, mes doigts tremblants frôlant la pierre froide. Je fis le tour de la statue, cherchant des indices, quelque chose qui expliquerait pourquoi elle était cachée ici, sous terre. En passant derrière la statue, mon regard se posa sur ce que son bras désignait : un mur de pierre. Je m’en approchai, mes mains explorant la surface rugueuse.
Sous une fine couche de poussière et de toiles d’araignée, je découvris une inscription gravée dans la pierre. Juste au-dessus d’un petit creux, en forme de bol sculpté à même la roche. Je soufflai sur la poussière pour révéler les mots gravés.
« Je suis une rivière silencieuse,
Invisible sous la peau,
Je porte la vie,
Mais si je m’arrête, tout s'effondre. »
Je relus ces mots encore et encore. Mon esprit, encore engourdi par la peur, essayait de comprendre. Une rivière sous la peau ? Qu’est-ce que cela signifiait ? Pourquoi une rivière serait-elle invisible ? Était-ce une métaphore pour quelque chose ? Mon cœur battait à tout rompre, et je commençais à paniquer. Ces mots étaient une énigme, et je n’avais pas de temps pour les résoudre.
Puis une idée me traversa l’esprit. Une rivière sous la peau. Qu’est-ce qui coulait sous la peau ? Qu’est-ce qui portait la vie ? Le sang. C’était si évident que je me demandai pourquoi je ne l’avais pas compris plus tôt. Ma main glissa jusqu’à la dague de ma mère, que je portais toujours à ma ceinture. Je pris une profonde inspiration et posai la lame contre ma paume. Il n’y avait pas d’autre solution.
Je coupai lentement, laissant le sang couler de ma main dans le bol de pierre. Le liquide rouge sombre s’écoula, remplissant le creux. Je retins mon souffle, attendant une réaction. Un bruit sourd. Puis un autre. Un craquement résonna à travers la pièce. La pierre gravée se fissura, se brisa, et une ouverture se révéla derrière elle. Un passage secret.
Mon cœur battait la chamade tandis que je m’approchai. À l’intérieur, il y avait une petite enclave, abritant une fiole de verre et une lettre, jaunie par le temps. Mes mains tremblaient tandis que je m’assis au pied de la statue pour lire la lettre.
“Ma très chère Isis,
Si tu lis cette lettre, c’est que le temps a fait son œuvre, et que je ne suis plus là pour te parler de vive voix. Je l’écris en espérant que, malgré la douleur qu’elle pourrait causer, elle t’aidera à comprendre certaines choses que je n’ai jamais pu te dire.
Tu as grandi entourée d’amour, chérie par ta famille, et entourée d’amis en qui nous avions confiance. Mais il y a des vérités que nous avons cachées pour te protéger, des blessures que nous avons portées en silence. Ces vérités sont difficiles à accepter, et il me coûte de te les révéler, mais tu mérites de savoir.
Il y a de nombreuses années, alors que tu n’étais encore qu’une enfant, notre famille a traversé une période très sombre. Le mariage avec ton père qui est humain a été mal vu par le clan et la communauté vampirique toute entière. Ils menaçaient de te prendre, car d’après eux, tu n’aurais pas dû naitre.
Dans cette tempête, j’ai cru pouvoir compter sur la famille Lovelock que je considérais comme des amis proches, des personnes qui avaient partagé nos joies et nos peines, et que j’avais toujours soutenues de tout cœur. Mais lorsque j’ai tendu la main pour demander de l’aide, j’ai découvert une réalité bien plus cruelle. Ces amis, que je croyais fidèles et sincères, ont vu dans notre faiblesse une opportunité. Au lieu de nous soutenir, ils ont profité de notre vulnérabilité pour leur propre bénéfice. Ils ont utilisé nos secrets, nos peurs, et nos difficultés pour manipuler, pour trahir la confiance que nous avions placée en eux. Ils en ont profité pour prendre le pouvoir et devenir les chefs de notre clan : le clan Blackcoffin.
Ce fut une trahison profonde, qui m’obligea à prendre des décisions désespérées. Je fus contrainte de passer un pacte avec un démon pour te protéger, mais le prix était trop cher : il voulait la vie de la cheffe du clan Blackcoffin. Tant que c’était moi ça allait mais je savais que ce rang te reviendrait de droit à ma mort. Je me suis sentie trahie, non seulement pour moi-même, mais surtout pour toi et pour ce que cela signifiait pour notre famille. J’ai fait de mon mieux pour te protéger de cette réalité, pour que tu puisses grandir sans porter ce fardeau. C’est pour cela que je t’ai confiée à ton père. Nous nous étions mis d’accord : tu devais vivre comme une humaine pour que ce démon ne vienne pas te chercher. J’ai donc fait le choix de disparaitre. Tant que j’étais loin de toi, tu serais en sécurité. Même si cela signifiait que je ne te verrais jamais plus.
À cette époque, les Lovelock avaient une fille et il a été trop dur pour eux de te tuer en sachant ce qu’était l’amour parental, même si c’était indirectement. Je ne veux pas que cette révélation t’endurcisse ou te rende méfiante envers le monde. Tous ne sont pas comme ceux qui nous ont trahis. Il y a encore des gens honnêtes et bons, des personnes en qui tu pourras avoir confiance. Mais je veux que tu sois consciente que même ceux qui semblent les plus proches peuvent parfois se révéler différents de ce que nous croyons.
La vie m’a appris, à travers cette épreuve, que la vraie force réside en nous-mêmes, et non dans les promesses ou les apparences des autres. Tu es forte, bien plus que tu ne le penses, et tu as en toi la capacité de surmonter bien des épreuves. Ne laisse jamais la trahison d’autrui éteindre la lumière en toi. Je suis désolée de ne pas avoir pu te parler de cela plus tôt, de ne pas avoir partagé ce fardeau avec toi quand j’étais encore là. Mais je sais que tu comprendras pourquoi j’ai fait ce choix. Je t’aime de tout mon cœur, et je serai toujours avec toi, d’une manière ou d’une autre.
Avec tout mon amour,
Ta mère.
PS : Le démon rodera toujours et même si je suis sa cible principale, il n’hésitera pas à s’en prendre à toi si l’occasion se présente à lui. Si tu bois mon sang, tu auras accès à toute ta puissance, mais je préfère te prévenir : cela induit que le démon te prendra en chasse aussi, au même titre que moi. Si tu bois ce sang, tu auras le pouvoir de le détruire. Je n’ai pas cette capacité, tu es puissante, plus que tout. Mon sang sera un déclencheur. Si tu tues le démon, nous serons libres. ”
Des larmes coulaient sur mes joues. Je restai assise là, incapable de bouger. Les mots de ma mère résonnaient dans mon esprit. Astra Lovelock. La famille Lovelock. C’était eux. C’était elle. La trahison que ma mère décrivait, la souffrance qu’elle avait endurée, tout était lié à Astra, la femme à qui j’avais donné ma confiance, à qui j’avais offert mon amour.
Une vague de colère monta en moi, me brûlant de l’intérieur. Astra m’avait menti. Elle avait caché la vérité. Elle avait trahi ma famille. Je me relevai, mon corps tremblant de rage, et je serrai les poings. Mon regard se porta sur l’escalier. Je devais la confronter. Je devais entendre ce qu’elle avait à dire. Même si chaque fibre de mon être voulait lui faire payer.
Je montai les marches, chaque pas résonnant dans ma tête comme un coup de tonnerre. Le vent glacial me fouettait le visage, mais je n’y prêtais pas attention. Je traversai le jardin, le sang bouillant dans mes veines, jusqu’à ce que je la voie.
Astra était agenouillée près d’Alex, qui gisait au sol, gravement blessé. Elle pleurait. Autour d’eux, des cadavres, des corps sans vie jonchaient le sol. Le château était en ruines, un champ de bataille. Mais je ne voyais qu’elle.
Elle me vit approcher, et sans hésiter, elle se jeta dans mes bras. Son corps tremblait, ses larmes mouillèrent mon épaule. Mais je restai de marbre. Mon cœur était glacé. Je ne pouvais pas lui rendre son étreinte. Je ne pouvais pas la réconforter. Mon esprit était submergé par un tourbillon de colère, de trahison, et de douleur. Elle remarqua rapidement mon manque de réaction. Se détachant légèrement, elle plongea son regard dans le mien, inquiète.
— Est-ce que ça va ? demanda-t-elle, la voix tremblante. Tu es toute bizarre.
Je la fixai, mon cœur battant à tout rompre, ma respiration lourde. Ses yeux cherchaient des réponses dans les miens, mais elle ne trouverait que du vide. Mon âme semblait s’être détachée de mon corps. Je n’étais plus là.
— Laisse tomber la comédie, murmurai-je d’une voix froide et tranchante.
Elle cligna des yeux, troublée.
— De quoi tu parles ? Qu'est-ce qui se passe ? demanda-t-elle, la confusion se lisant sur ses traits.
Je fis un pas en arrière, m’arrachant à son étreinte. Mon corps tout entier frémissait de rage, et mes poings étaient serrés si fort que mes ongles s’enfonçaient dans la paume de ma main. Je déglutis péniblement avant de lâcher la vérité, celle qui déchirait mon cœur.
— Ce que ta famille a fait à la mienne. Tout cela… c'est ta faute.
Astra resta figée, ses yeux écarquillés. Son visage se transforma en une expression de pure incrédulité.
— Quoi ? murmura-t-elle, secouant la tête comme si elle refusait de comprendre. Je ne sais pas de quoi tu parles.
— Ne fais pas semblant, Astra. Tu savais. Tu savais tout depuis le début, et pourtant, tu m’as laissé croire que tu m’aimais, que je pouvais te faire confiance. Mais toute cette mascarade… tout cela n’était qu’un mensonge.
Ses lèvres se serrèrent, et elle recula d’un pas, visiblement déstabilisée. Elle baissa les yeux un instant, puis prit une profonde inspiration. Quand elle parla, sa voix était calme, mais chargée d’une émotion qu’elle tentait de réprimer.
— Je n’ai jamais menti sur mes sentiments, Isis, dit-elle, la voix tremblante. Je t’aime. Je t’ai toujours aimée. Mais... je ne voulais pas que tu saches toute la vérité. Pas comme ça. Pas avant que tu sois prête.
— Tu penses que ça change quelque chose ? la coupai-je. Tu penses vraiment que ton amour efface ce que ta famille a fait à la mienne ? Que tes mensonges et ta trahison disparaissent ?
Elle releva les yeux vers moi, une douleur visible dans son regard. Je voyais qu’elle était sincère, qu’elle était désespérée. Mais cela ne faisait qu’alimenter ma rage. Comment avait-elle pu ? Comment avait-elle osé me tromper de cette manière ?
— Je n’ai jamais voulu que cela se passe ainsi, souffla Astra, le désespoir transparaissant dans sa voix. J’ai fait ce que je pouvais pour réparer les erreurs de ma famille, pour me racheter. C’est pour ça que je t’ai protégée, c’est pour ça que je t’ai aidée à trouver l’héritage de ta mère. Je voulais que tu sois en sécurité.
Je sentis mon cœur se serrer. Elle croyait vraiment que cela suffisait ? Qu’en m’offrant sa protection, elle pouvait effacer tout le reste ? Mais elle ne comprenait pas. Elle ne pouvait pas comprendre.
— Tu n’aurais jamais dû me mentir, murmurais-je, la voix tremblante. Jamais.
Je fis un pas en arrière, rompant définitivement toute proximité entre nous. Je voyais la douleur sur son visage, mais je ne pouvais plus m’en soucier. Mon esprit était trop brisé, trop envahi par la colère et la trahison.
— Écoute, reprit-elle d'une voix faible, tentant de recoller les morceaux. Nous avons des blessés. Nous devons nous en occuper. Après... nous pourrons discuter, trouver une solution. Mais là, je dois…
Sa voix se brisa. Elle essayait de garder le contrôle, mais je pouvais voir que tout cela la dépassait. Elle ne comprenait pas la gravité de ce qu’elle avait fait. Elle pensait pouvoir repousser l’inévitable, trouver une solution. Mais il n’y en avait pas. Pas cette fois.
— Il n’y a rien à discuter, répondis-je, les mots durs et tranchants comme des lames. C’est terminé, Astra.
Elle me regarda, stupéfaite. Les mots semblaient flotter dans l’air entre nous, lourds et définitifs. Je vis son expression se figer, se durcir. Elle comprenait enfin.
— Isis... commença-t-elle, mais je l’interrompis.
— Non. C’est fini. Il n’y a plus rien à dire. Tu m’as trahie, Astra. Et tu as détruit tout ce qu’il y avait entre nous.
Je fis volte-face, mes jambes me portèrent loin d’elle. Je n’avais plus rien à faire ici.