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LiseBrey
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Chapitre 5 : Esta

Je rangeais les derniers vêtements qu’Astra nous avait offerts dans la penderie, m’émerveillant toujours de la qualité des étoffes. Soie fine, dentelle délicate, des matières que je n’avais jamais osé toucher auparavant. C’était un luxe inhabituel, presque déroutant. Un soupir long et profond me fit sursauter. Je me retournai pour voir Isis assise sur le bord du lit, ses mains croisées sur ses genoux. Ce n’était pas un soupir de tristesse, ni de désespoir. Non, c’était un soupir de soulagement, le relâchement d’une tension que nous avions tous deux portée pendant des jours. Nous étions en sécurité, et surtout, nous étions ensemble. Astra, la chef du clan Blackcoffin, nous avait généreusement logées dans une chambre double, contrairement à Julius, qui nous aurait sans doute séparées pour exercer un contrôle plus direct. Astra était différente. Elle n’était pas très bavarde, mais elle avait fait tout ce qui était en son pouvoir pour que nous ne manquions de rien. Cela faisait trois jours que nous n’avions pas vu son visage sévère, et je commençais à prendre goût aux plaisirs que la vie dans un château pouvait offrir.

Le balcon qui courait le long de notre chambre donnait sur un petit étang hors du temps. Là, des grenouilles de givre aux reflets bleutés coassaient, tandis que des oiseaux à la fourrure dense et sombre virevoltaient au-dessus de l’eau. Chaque matin, je les écoutais croasser et piailler, humant la brise humide qui portait avec elle les parfums de la forêt environnante. Le manque de soleil ne me dérangeait plus. D’ailleurs, j’avais remarqué que mes taches sur la peau commençaient à s’estomper. Un détail presque insignifiant, mais qui me paraissait être un signe. Peut-être que ce lieu était finalement fait pour moi. Je m'étais adaptée à cette nouvelle vie, aussi éphémère qu’elle puisse être. Les robes de soie avaient remplacé mes pantalons rêches, et j’avais découvert le plaisir inattendu de m’allonger sur l’herbe glacée, de laisser mes cuisses et mes bras toucher la terre froide, presque vivante. De temps en temps, une souris aux grandes pattes me rejoignait. Nous discutions ensemble, des échanges légers qui apaisaient mon esprit tourmenté. C’était étrange de trouver du réconfort dans la compagnie d’un rongeur mais ici, tout semblait possible, même l’inattendu.

Cette petite souris, bavarde et curieuse, m’avait confié qu’Astra était une cheffe juste, une figure respectée, presque redoutée par ses pairs. Elle m’avait également assuré qu’Isis et moi pouvions nous fier à elle, même si une partie de moi restait prudente. Mais après tant d’épreuves, j’avais envie de croire en Astra. Après tout, la mère d’Isis nous avait conduites jusqu’ici, n’est-ce pas ? Nous devions être là où le destin l’avait écrit pour nous.

Ce matin-là, après ma promenade quotidienne, je rentrai dans notre chambre pour trouver Isis entourée de papiers, de livres, et de vêtements éparpillés partout. Son expression était étrange, mélange d’agitation et de concentration intense. Elle se redressa brusquement en me voyant entrer.

— Regarde, Esta, dit-elle en me montrant le bazar au sol.

— Tu veux que je regarde quoi, ta folie ? plaisantai-je pour détendre l’atmosphère.

— Non, là, et là, insiste-t-elle, en me montrant des symboles sur un papier à lettres et sur la tranche d’un livre. Tu ne remarques rien ?

Je plissai les yeux, analysant les détails qu’elle me montrait. Un serpent entouré d’une boule. Mon cœur se mit à battre plus fort. Le symbole de la dague Ce même motif, omniprésent autour de nous, m’étonnait par son évidence. Comment avions-nous pu passer à côté ?

— Comment ai-je pu ne pas le voir ? murmurai-je, abasourdie.

Isis fit mine de réfléchir, ses yeux pétillant d’un amusement soudain.

— Je pense que les arbres n’ont pas de symboles, lança-t-elle d’un ton sérieux, se moquant gentiment de mon amour pour la nature.

Je vis la commissure de ses lèvres frémir. Elle se retenait de rire. Un rire qui, dans d’autres circonstances, aurait réchauffé l’atmosphère, mais qui ne parvint qu’à creuser encore plus l’étrangeté de la situation.

— Arrête de te moquer de moi, rétorquai-je en lui donnant un léger coup dans l’épaule. Il est temps de chercher des réponses, conclus-je en me dirigeant vers la porte.

Je descendis dans les couloirs sombres du château, demandant à un garde en patrouille où se trouvait Astra. Il m’avoua à demi-mot qu’elle n’était toujours pas revenue. Cela faisait déjà trois jours qu’elle était partie « régler une affaire », avait-il dit. Cela signifiait que nous avions quartier libre pour explorer le château à notre guise. Après tout, nous avions suffisamment récupéré. Il était temps de passer à l’action.

Le château, entouré d’une épaisse muraille de roses noires, était à l’abri des regards extérieurs. Pourtant, une ombre planait sur cet endroit. Alors que nous nous perdions dans le dédale de couloirs, de salles en enfilades et de cours intérieures, un frisson glacé remonta le long de ma colonne vertébrale. Je savais que nous approchions de quelque chose. Les plantes semblaient s’être tues, les animaux nous observaient en silence. L’air était plus lourd, plus oppressant. Isis prit ma main soudainement et s’arrêta. Devant nous s’étendait un jardin étrange, baigné par la lumière pâle de la lune. Des roses noires et blanches poussaient en un contraste saisissant. Au centre du jardin, une statue massive se dressait, imposante et solennelle. Je reconnus immédiatement le visage de la femme représentée. Carmella Nebula Notre père l’avait décrite à de nombreuses reprises à Isis, à sa demande. La ressemblance était frappante, presque irréelle.

Isis s’avança, m’entraînant avec elle, ses pas déterminés.

— Il faut qu’on cherche un symbole, un indice, n’importe quoi, lança-t-elle avec une excitation fébrile. C’est la statue dont parle ma mère dans sa lettre, on a trouvé, Esta ! On l’a trouvée !

Mon cœur manqua un battement. Oui, nous avions trouvé. Nous étions proches du but, si proches que je pouvais presque sentir la main de Carmella guider nos pas. L’envie soudaine d’appeler notre père me traversa l’esprit, de lui raconter tout ce que nous avions découvert, mais je me rappelai de ses instructions : ne pas l’appeler sauf en cas d’urgence. Je refoulai ce désir, étouffant le sentiment de manque qui m’étreignait le cœur.

Alors que nous observions la statue, une voix autoritaire, tranchante comme une lame, brisa le silence de la nuit.

— Que faites-vous ici ? lança la voix derrière nous.

Je me retournai vivement. Astra. Elle se tenait là, à quelques mètres de nous, imposante dans sa présence. Je n’avais ni entendu ses pas, ni senti sa présence, comme si elle s’était matérialisée de nulle part. Ses yeux rouges perçaient l’obscurité, et son visage était impassible, mais je pouvais y lire un mélange d’agacement et de suspicion.

— Bonjour, répondit Isis timidement, tentant de justifier notre présence. Nous étions juste en train de… contempler cette statue.

Astra s’approcha lentement d’Isis, ses mouvements mesurés, presque prédateurs. Elle n’était pas humaine, pas dans ses gestes, pas dans sa nature. Son autorité se dégageait de chaque pore de sa peau pâle.

— Vous êtes dans mes appartements, et surtout dans mon jardin privé. Vous n’avez rien à faire ici, répondit-elle sèchement. Comment êtes-vous entrées, d’ailleurs ?

Elle tourna son regard vers moi, ses yeux rouges, brillant dans l’obscurité, comme si elle pouvait lire en moi, sonder mes pensées les plus profondes. Ses cheveux blancs étaient tirés en une queue de cheval haute, accentuant son air sévère et autoritaire. Je haussai les épaules, confuse. Nous étions entrées sans difficulté. Aucun garde ne nous avait arrêtés, personne ne nous avait barré la route.

Astra se détendit légèrement, passant une main sur son front comme si elle chassait une migraine tenace.

— Très bien, suivez-moi, ordonna-t-elle, sa voix moins tranchante, mais toujours teintée de contrôle.

Elle nous mena à la bibliothèque, une pièce immense, où des canapés en cuir étaient disposés autour d’une table basse. Sur celle-ci, des biscuits et du thé avaient été préparés, une image presque trop ordinaire dans cet univers sombre. Astra nous invita à nous asseoir, son ton autoritaire contrastant étrangement avec la douceur de son hospitalité.

— Asseyez-vous. Les biscuits sont pour vous, ajouta-t-elle d’une voix qui ne souffrait aucune contradiction.

Je pris place sur l’un des canapés, imitant Isis. Mais quelque chose n’allait pas. Le silence. Ce silence oppressant qui nous entourait. Aucun son ne parvenait de l’extérieur. Les oiseaux, les rongeurs, même les grenouilles avaient disparu. Je tentai de capter l’attention d’Isis, de la prévenir discrètement, mais son regard était fixé sur Astra.

— Pourquoi as-tu attendu aussi longtemps pour venir ? demanda Astra, brisant le silence de manière aussi brusque qu'inattendue.

La question sembla troubler Isis, qui s’étouffa avec son biscuit.

— Je… je ne sais pas quoi dire, Madame… commença-t-elle, hésitante.

— Astra, corrigea la chef du clan, un sourire à peine perceptible sur les lèvres. Ne m’appelle pas Madame, je ne suis pas si vieille.

— Euh, oui… Alors si je ne suis pas venue plus tôt, c’est que je ne pouvais pas. Notre père a déjà eu du mal à nous laisser partir après mes 20 ans, alors avant, c’était impossible.

Les traits d’Astra se figèrent soudain, son visage prenant une expression d’étonnement pur.

— Quoi ? bafouilla-t-elle, visiblement déconcertée.

Isis et moi échangions un regard, tout aussi confuses. Pourquoi cette réaction ?

Astra se plia en deux, ses mains serrées contre ses côtes, ses épaules secouées de tremblements. Puis, soudain, un éclat de rire déchira l’atmosphère lourde. Elle se redressa, hilare, ses yeux rouges brillaient d’un amusement que je ne comprenais pas.

— Tu as 20 ans ? répéta-t-elle, incrédule. Attends, tu veux dire 20 ans en âge humain ou juste 20 ans ?

— J’ai 20 ans, confirma Isis, ses sourcils froncés. Qu’est-ce qu’il y a de si drôle ?

Astra reprit son sérieux aussi vite qu’elle l’avait perdu.

— Désolée, je ne voulais pas me moquer. C’est juste que… j’en ai 307 de plus que toi, et je pensais que nous avions à peu près le même âge, expliqua-t-elle en haussant les épaules.

Je restai silencieuse, spectatrice de cet échange étrange. Un échange auquel je n’appartenais pas. Même si Isis m’avait inclus dans ses explications, Astra ne m’avait pas adressé un mot, ni même un regard. Cela me rongeait de l’intérieur. Depuis notre arrivée ici, depuis même la forêt, je n’étais qu’une ombre, une présence secondaire. Toujours reléguée au second plan. La douleur d’être mise de côté faisait remonter de vieux souvenirs que j’avais essayé d’enfouir. L’abandon de mon clan, l’exclusion de ma propre mère, tout cela à cause de ces maudites taches sur ma peau, ces marques que les miens voyaient comme un signe de malédiction. Mais ici aussi, je n’existais que dans l’ombre d’Isis.

Les larmes me montaient aux yeux, brûlantes et douloureuses. Mon nez me piquait, et je serrai les poings, tentant désespérément de contrôler ces émotions qui menaçaient de me submerger. Je ne voulais pas être faible, pas maintenant. Je ne sais pas comment, mais Isis sembla sentir mon désarroi. Elle posa une main réconfortante sur ma cuisse, un geste simple, mais chargé de réconfort. C’était elle, ma famille. C’était tout ce qui comptait.

— J’aimerais savoir, demanda Astra, son ton soudain plus doux, mais teinté d’une curiosité qu’elle ne parvenait pas à dissimuler. Vous êtes en couple toutes les deux ?

Je vis son regard se durcir à cette question, son corps se tendre imperceptiblement.

— Nous sommes sœurs, trancha Isis d’un ton catégorique.

J’avais toujours aimé ça chez elle. Elle ne laissait jamais la moindre ambiguïté s’installer. Nous étions sœurs, peu importaient nos différences. Peu importait que je sois une elfe bleue et elle une demi-vampire. Cette réponse parut détendre Astra. Je vis ses muscles se relâcher, son attitude devenir moins crispée, et je ne sus comment interpréter cette réaction.

— Je change de sujet, intervint Isis. Nous sommes ici pour en apprendre plus sur ma mère, Carmella Nebula. Pensez-vous que vous pouvez nous aider ?

Astra hocha lentement la tête.

— J’ai quelques ouvrages qui pourraient répondre à certaines de tes questions, dit-elle. Mais il va falloir m’en dire plus si tu veux que je t’aide.

Isis expliqua alors notre situation, omettant soigneusement de mentionner l’héritage. La version officielle était simple : elle était en quête de réponses sur sa mère, qu’elle n’avait jamais connue. C’était crédible. À la fin de cette discussion, alors que le silence retombait, un souffle glacial parcourut la pièce. Toutes les bougies s’éteignirent d’un coup.

Le château se plongea dans l’obscurité.

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