Julius entra dans la salle froide et austère, ses pieds nus glissant sans bruit sur la pierre glacée. Pourtant, il ne ressentait pas le froid mordant qui aurait fait grelotter n'importe qui. Le froid, le sang, la peur, tout cela était devenu une partie intégrante de sa vie. Cette pièce, où la lumière vacillante des bougies ne parvenait pas à réchauffer l’atmosphère, était un reflet des âmes qu’elle contenait. Le sol était maculé de taches sombres, témoins muets de rituels sanglants oubliés. Les murs suintaient encore les échos des cris, et l'air, épais et stagnant, portait l'odeur du fer et du désespoir.
Au centre de la pièce se trouvait un trône de pierre, imposant et sinistre, gravé de symboles archaïques imprégnés de magie noire. Les gravures semblaient bouger sous la faible lumière des bougies, comme si elles se nourrissaient de l'obscurité qui régnait ici. Ce trône appartenait à Vantisazar Cole, le patriarche du clan Grimkiller, l’homme que Julius devait appeler "père". Un géniteur qui régnait sur sa descendance avec une main de fer, imprégnée de la cruauté d’innombrables siècles.
Julius savait que son père l'attendait, assis sur ce trône, prêt à juger ses échecs, prêt à punir la moindre trace d’impertinence. Vantisazar, approchant de ses mille ans, n’avait rien perdu de sa prestance terrifiante. Sa cruauté imprégnait l’air même qu’il respirait, émanant de lui à chaque mouvement, à chaque mot soigneusement choisi pour inspirer la terreur. L’ambiance dans la salle était lourde, presque palpable. Julius, autrefois un homme fier et arrogant, tremblait maintenant face à l’aura écrasante de son père. Il savait ce qui l’attendait, et malgré ses siècles d’expérience, la peur ne s’éteignait jamais vraiment en présence de Vantisazar.
— J’ai appris la nouvelle, tonna la voix de Vantisazar, résonnant dans la pièce vide.
Julius ne répondit rien. Le silence était devenu sa meilleure défense. Il avait appris à ses dépens que répondre à son père n’amenait que des souffrances supplémentaires. Les coups, les punitions, tout cela l’avait façonné, et la soumission silencieuse était souvent la seule échappatoire.
Vantisazar se leva lentement, son mouvement amplifié par le froissement sinistre de sa longue tunique noire. Chaque pas résonnait, accentuant l’écho dans cette pièce stérile, vidée de toute chaleur. De toute humanité. Il dominait son fils de toute sa hauteur. Vantisazar était grand, ses traits anguleux et sévères sculptés par des siècles de guerre, de pouvoir et de terreur. Ses yeux, d'un rouge profond, brillaient d'une lueur malveillante alors qu’il descendait les marches du trône, une à une, avec une lenteur calculée. Il se nourrissait de la peur qu'il inspirait, chaque pas augmentant la tension insoutenable qui pesait sur Julius.
— Tu m’as déçu. Encore une fois. La voix de Vantisazar était glaciale, chaque mot pesant comme une condamnation. Tu avais une arme puissante et tu l’as laissée s’échapper. Cette descendante… elle était l’espoir dont notre clan avait besoin.
Quand Vantisazar fut enfin face à lui, si proche que Julius pouvait sentir son souffle glacial, il s’arrêta, savourant ce moment.
— Tu avais une mission, continua-t-il, sa voix devenant plus douce, presque un murmure qui résonnait pourtant comme un tonnerre dans l’esprit de Julius. Détruire le clan Blackcoffin. Je t’ai fait confiance lorsque tu t’es amouraché de leur cheffe.
Chaque mot était une lame acérée, s’enfonçant profondément dans l’orgueil blessé de Julius. Amouraché. Il avait espéré que ce sentiment pour Astra pourrait le rendre plus fort, le propulser à une place de pouvoir, mais aux yeux de son père, cela n'avait été qu'une faiblesse.
— Tu étais censé les détruire de l’intérieur.
Vantisazar marqua une pause, puis reprit avec une froideur encore plus perçante.
— Et te voilà, face à moi, avec un nouvel échec à m’apporter.
Julius sentait la colère bouillonner en lui, une rage qu'il réprimait depuis des siècles. Mais face à cet homme, sa colère se transformait toujours en peur. Il savait que s’il osait montrer la moindre rébellion, la punition serait sévère.
— Astra a une armée plus puissante que la nôtre, expliqua Julius, sa voix presque tremblante. Déclencher une guerre frontale signerait notre perte.
— Et c’est pour cela que tu as perdu tous les moyens de pression que tu avais ?! hurla Vantisazar, sa voix résonnant comme une explosion dans la pièce glacée.
La fureur dans les yeux de son père força Julius à faire un pas en arrière. La violence de sa colère était presque palpable, une vague de haine pure qui le submergeait. Vantisazar le fixait avec un mépris total, comme si chaque souffle que Julius prenait était une insulte à son propre sang. Puis, soudainement, Vantisazar sembla se calmer. Une tranquillité sinistre s’installa sur son visage, ce qui, paradoxalement, effraya encore plus Julius. Le patriarche retourna lentement vers son trône, s’assit avec une lassitude calculée, comme épuisé par l’incompétence de son propre fils.
— Je te rappelle que tu dois imposer ta place, Julius.
Sa voix était plus basse, mais chaque mot était tranchant comme une lame.
— Le jour où je m’endormirai pour toujours approche. Je ne veux pas quitter ce monde en sachant que tu restes un second.
Ses yeux rouges fixèrent Julius avec une intensité brûlante.
— Je t’ai fait chef du clan Grimkiller. Sa voix s’éleva à nouveau. N’oublie pas ce que signifie ce nom.
Grimkiller. Ce nom pesait sur les épaules de Julius comme une malédiction. Il ne représentait pas seulement le pouvoir, mais aussi l'héritage d'une lignée construite sur le sang, la terreur et la domination. Et pourtant, malgré toute sa formation, malgré tout ce qu’il avait subi, il se sentait toujours indigne de ce nom. Un échec.
Sans un mot de plus, Julius s’inclina légèrement et prit congé. Le soulagement d’échapper à cette salle étouffante était palpable, mais ce soulagement était teinté d’une amertume profonde. Cette pièce, cette prison construite par son père, imprégnée de siècles de rituels et de souffrances, n’était qu’un reflet de l’emprise qu’il avait sur lui. Bientôt, Vantisazar s’endormirait pour toujours. Et quand ce jour viendrait, Julius serait enfin libre de choisir son propre destin. Du moins, c’est ce qu’il se répétait chaque jour pour se donner du courage. Mais au fond de lui, il savait que l’ombre de son père planerait sur lui, même dans la mort.
Il accéléra le pas, ses bottes frappant le sol de pierre avec une urgence nouvelle. L’air de la salle semblait encore s’accrocher à lui, lourd et oppressant, comme si l’atmosphère maudite de cette pièce ne voulait pas le laisser partir. En quelques minutes, il atteignit la plus haute tour du château, là où le vent glacial soufflait avec force, emportant avec lui les relents de la salle maudite.
Debout au sommet de la tour, Julius ouvrit les bras, laissant le vent froid jouer avec ses cheveux blancs. Le vent hurlait autour de lui, mais ici, il se sentait libre. Même si ce n'était qu'une illusion temporaire. Il avait toujours cherché la liberté, mais ici, dans ce château, sous l'emprise de son père, elle semblait toujours hors de portée.
Ce qu’il n’avait pas dit à son père, ce qu’il avait soigneusement gardé pour lui, c’est qu’il n’attaquerait jamais Astra. Elle restait une figure obsédante dans son esprit, une présence qu’il ne pouvait pas oublier. Il avait la conviction qu’un jour, elle reviendrait à lui. Il était prêt à attendre des siècles si nécessaire. Elle était la seule à avoir percé les ténèbres de son âme, à avoir occupé une place dans son cœur froid. Pour elle, il avait réservé une place de reine.
Mais pour l’instant, il n’était qu’un roi en sursis, un pion dans le jeu sanglant de son père. Et le trône de pierre continuait d’appeler, de réclamer du sang, tandis que les ombres du passé s’étiraient, menaçantes, autour de lui.