Cela faisait déjà plusieurs jours que mes filles étaient parties, et je n'avais toujours aucune nouvelle. Cette attente silencieuse devenait presque insupportable. Elles étaient mes petites filles adorées, mes trésors, et pourtant, je les avais laissées partir à l’aventure, seules, sans chaperon. Qu’est-ce qui m’avait pris de céder à une telle folie ? J’étais leur père, leur protecteur, et je les avais envoyées dans un royaume où les ombres elles-mêmes semblent être vivantes, où des démons et des vampires règnent. L’angoisse me tordait les entrailles.
Comme chaque jour, je me tenais devant la boule de communication, la fixant désespérément, attendant de voir une lueur, une vibration, n’importe quel signe de vie. Elles me manquaient, mais j’avais aussi conscience qu’un appel signifiait des problèmes. Alors, c’est avec une douce douleur que j’observais la boule. Mais cette fois, elle vibra. Le choc me fit sursauter tellement violemment que je la fis tomber sur le sol. Mon cœur battait à tout rompre. L’une de mes filles avait besoin de me parler. Mon esprit s’affolait : que s’était-il passé ? Pourquoi me contactait-elle maintenant ?
Je ramassai la boule avec des mains moites, une sensation glacée d’appréhension me traversait. Mon cœur battait à la chamade lorsque la voix d’Isis résonna dans la pièce. Elle me racontait les découvertes qu’elle avait faites, et je sentais ma tension diminuer, juste un peu. Elle était saine et sauve. Tout semblait être sous contrôle. Elle avait trouvé ce qu’elle cherchait, me dit-elle. Elle semblait sur la voie du retour à la maison, et mon cœur se réchauffait à l'idée de la revoir.
Cependant, le soulagement fut de courte durée Sa voix changea légèrement lorsqu'elle m’expliqua qu'elle ne reviendrait pas immédiatement. Elle avait décidé de s’installer dans une maison au bord de la mer, seule. Loin de moi. Loin de sa famille. Mon sang ne fit qu’un tour. Comment pouvait-elle envisager une telle chose après tout ce qu’elle avait vécu ? Quelque chose n’allait pas. L’avait-on forcée à prendre cette décision ? Était-elle en danger et tentait-elle de me protéger à distance ?
Je pris la décision en une fraction de seconde : je devais m’y rendre immédiatement. Quoi qu’il se passe, je devais m’assurer que tout allait bien, que ma fille n’agissait pas sous une quelconque menace ou manipulation.
Le voyage vers le château du clan Blackcoffin me parut durer une éternité. Chaque minute était une torture. Mon esprit créait des scénarios de plus en plus sombres. Et si elle était en danger, si elle ne pouvait pas me dire toute la vérité ? Je me sentais impuissant, prisonnier de ce trajet interminable. À mon arrivée, une jeune femme aux cheveux blancs et aux yeux rouges me reçut à l’entrée. Je la reconnus aussitôt : c’était Astra Lovelock, la fille de ceux qui avaient, des années plus tôt, trahi ma femme et forcé notre famille à se déchirer. Mes poings se serrèrent malgré moi. Mais lorsque mes yeux se posèrent sur Isis et Esta, assises ensemble sur un fauteuil, souriantes, mes rancœurs s’effacèrent instantanément.
Mes filles. Elles allaient bien. Elles avaient l'air heureuses, peut-être même plus fortes qu'avant. Le soulagement fut écrasant. Elles sautèrent dans mes bras, et ce fut dans une étreinte chaude et réconfortante que la famille fut réunie, au moins pour un instant. Isis avait changé. Son visage portait la maturité de celle qui a dû affronter des vérités qu’aucun enfant ne devrait connaître. Elle ressemblait de plus en plus à sa mère, et cette ressemblance me serra le cœur, surtout en voyant ses yeux rouges, signe qu'elle avait bu du sang.
Bien que mon aînée m’ait brièvement expliqué la situation, c’est Esta qui me raconta les événements dans le détail. Chaque mot me frappait de plein fouet, et je passais par un tourbillon d’émotions. Elles avaient affronté des dangers que je n’aurais jamais pu imaginer, fait des choix difficiles, mais leurs décisions paraissaient mûrement réfléchies. Elles étaient sûres d’elles, résolues. Esta allait intégrer l’École des Druides, un rêve qu’elle caressait depuis si longtemps, et Isis... elle allait s’entraîner seule, dans une maison protégée, à l’abri des menaces.
Je n'avais aucune raison logique de m'opposer à leurs choix. Elles n’étaient plus des enfants. Elles devenaient des femmes, capables de voler de leurs propres ailes. Mais mon cœur de père refusait d’accepter cette réalité. Au fond de moi, je voulais encore qu’elles soient mes petites filles, que je puisse les protéger de tout. Pourtant, je savais que ce temps était révolu.
Ce qui me rassurait, c’était qu’elles ne seraient pas vraiment seules. Le clan Blackcoffin veillait sur elles. Même si cela n’effaçait pas entièrement mes craintes, cela me donnait un semblant de paix intérieure. Je leur proposai de rester avec elles un temps, pour les aider dans cette transition, mais Isis et Esta me refusèrent cette offre avec une assurance qui me brisa le cœur.
— Papa, on est prêtes. On n’a plus besoin que tu restes.
Ces mots, simples et pourtant si déchirants, résonnèrent longtemps dans mon esprit. J’étais à la fois triste et fier. Triste de voir que mes petites filles n’étaient plus les mêmes, qu’elles n’avaient plus besoin de moi comme avant. Mais fier, car cela signifiait que j’avais bien rempli mon rôle de père. Je leur avais donné les outils pour affronter le monde.
Mais, malgré cette fierté, une partie de moi restait terrifiée. Le monde était cruel, et mes filles allaient affronter des dangers bien plus sombres que je ne pourrais jamais l’imaginer.