J’étais épuisé. Mes côtes me faisaient encore souffrir, chaque respiration étant un rappel constant de l’affrontement qui avait failli mal tourner. Mais ce n’était rien comparé à ce qui pesait dans mon esprit. Raphaël m’avait dit qu’il devait me parler, et malgré la douleur, je savais que c’était urgent. J’avais besoin de réponses. Alors je l’ai rejoint, malgré l’élancement sous mes bandages, et j’ai essayé de masquer mes grimaces derrière une expression concentrée.
Raphaël m’attendait déjà dans mon bureau, assis sur l’une des chaises en cuir, son visage sombre, comme s’il préparait des mauvaises nouvelles. Je m’assis lentement en face de lui, en serrant les dents pour ne pas laisser transparaître ma douleur.
« Qu’est-ce que t’as trouvé ? » ai-je demandé directement, ne prenant même pas la peine de jouer la courtoisie. Je n’avais pas la patience pour ça.
Il soupira, passant une main dans ses cheveux. « Rien, Basil. J’ai rien trouvé sur Sasha. »
Je fronçai les sourcils. « Comment ça, rien ? »
« Rien. Pas de famille, pas de passé, pas de petits délits, rien. C’est comme si ce gars n’avait jamais existé avant qu’il n’apparaisse dans ta vie. » Il marqua une pause, me regardant droit dans les yeux. « Et ça, c’est un problème. »
Mon cœur se serra. Tout le monde a un passé. Tout le monde. Même les pires des criminels laissent des traces, des erreurs, des indices sur leurs vies passées. Mais Sasha… rien. Comment était-ce possible ? Et pourquoi cela me donnait-il la sensation que quelque chose de bien plus sombre se tramait derrière son apparence lisse et son comportement calculé ?
Raphaël poursuivit, brisant le silence lourd qui s’était installé entre nous. « Et ce n’est pas tout. J’ai aussi fouillé un peu autour d’Eve. Je me suis dit que si on ne pouvait rien trouver sur Sasha, peut-être qu’en cherchant du côté de ceux qui l’entourent, on trouverait quelque chose. »
Mon estomac se noua à la mention d’Eve. Il avait fouillé dans ses affaires ?
« T’as trouvé quelque chose sur elle ? » Mon ton était plus tendu que je ne l’aurais voulu, une pointe de possessivité perçant à travers.
Il secoua la tête, et son regard sérieux se posa à nouveau sur moi. « Rien. À part les événements récents, c’est comme si elle n’avait pas existé avant les six derniers mois. »
Je restai figé, mon esprit essayant de traiter ce qu’il venait de dire. Pas de passé ? Eve n’avait pas de passé ? Ce n’était pas possible. J’essayais de me rappeler des conversations que nous avions eues. Elle m’avait parlé de son enfance, de sa carrière avant de rejoindre l’entreprise… mais alors, pourquoi aucune trace d’elle n’existait avant ces derniers mois ?
Je me levai brusquement, une douleur vive traversant mes côtes, mais je l’ignorai. « Ça n’a pas de sens, Raphaël. Il doit y avoir une explication. »
Raphaël leva les mains en signe de paix. « Je te dis juste ce que j’ai trouvé, ou plutôt ce que je n’ai pas trouvé. C’est suspect, Basil. Que ce soit pour Sasha ou pour Eve, y a quelque chose qui cloche. »
Je tournai en rond dans la pièce, l’esprit bouillonnant. Que cachaient-ils ? Est-ce qu’ils étaient de mèche ? Sasha n’avait pas de passé, Eve non plus. Et ils se connaissaient, ils avaient passé du temps ensemble. Est-ce qu’elle jouait un double jeu depuis le début ? Est-ce que toute cette proximité, toutes ces conversations n’étaient qu’un écran de fumée pour me manipuler ?
« Je dois faire quelque chose, » murmurai-je, presque pour moi-même. « Ils ne peuvent pas continuer à me prendre pour un imbécile. »
Raphaël hocha la tête, mais il posa une main sur mon épaule. « Attends encore un peu. Laisse-moi creuser davantage. Je ne veux pas que tu t’emballes pour rien. Peut-être qu’il y a une explication logique à tout ça. »
Mais mes pensées étaient déjà ailleurs. Chaque fibre de mon être me disait que quelque chose n’allait pas. Eve n’avait pas de passé. Sasha n’avait pas de passé. Comment ne pas faire le lien entre les deux ? Je devais savoir ce qu’ils cachaient, et je ne pouvais pas attendre que Raphaël trouve des réponses.
Plus tard dans la soirée, après avoir tenté en vain de calmer l’agitation dans mon esprit, j’appelai Jade. Elle pourrait peut-être m’apporter un éclairage supplémentaire.
« Salut Basil, qu’est-ce qui se passe ? » demanda-t-elle dès qu’elle décrocha, sa voix pleine de cette efficacité tranquille qui lui était propre.
« Jade, est-ce que tu es sûre qu’il n’y a rien d’inhabituel concernant Eve ? Rien de plus que ce que tu m’as déjà dit ? »
Elle hésita un instant, et je sentis mon cœur se serrer. « Non, Basil. Je t’ai déjà dit tout ce que je sais sur elle. Elle a l’air d’être une employée modèle. Pourquoi cette question ? »
Je soupirai. « J’ai juste… des doutes. Merci, Jade. »
Je raccrochai sans lui donner plus de détails. Elle ne savait rien de plus. Mais moi, je savais que quelque chose ne collait pas. Et cette pensée s’accrochait à mon esprit comme une tique, impossible à chasser.
Le lendemain, j’étais particulièrement présent au bureau. D’habitude, je passais la plupart de mes journées dans mon bureau, mais cette fois, je voulais garder un œil sur Eve. Je guettais ses moindres faits et gestes, cherchant des indices qui pourraient confirmer mes soupçons.
À la pause déjeuner, je m’approchai d’elle, tentant de paraître détendu. « Eve, tu es libre ce soir ? »
Elle leva les yeux vers moi, surprise par la question. « Non, désolée, j’ai déjà des plans. »
Mon estomac se tordit. « Des plans ? Avec qui ? »
Elle sourit légèrement, un peu gênée. « Je vais dîner avec un ami. »
Un ami. Mon esprit commença à tourner à plein régime. Un ami… ou était-ce quelque chose de plus ? Était-ce Sasha ? Ou peut-être Raphaël ? S’ils étaient tous les deux impliqués dans quelque chose contre moi, c’était sûrement cette nuit-là que tout allait se révéler.
Alors, sans réfléchir davantage, je pris ma décision. Je la suivrais.
Cette nuit-là, je restai à bonne distance pendant qu’elle se dirigeait vers un restaurant chic du centre-ville. Je la vis entrer, et mon cœur s’accéléra quand je reconnus la silhouette de Raphaël à l’intérieur. Ils étaient assis ensemble, riant doucement, leurs têtes penchées l’une vers l’autre.
La rage monta en moi comme une vague dévastatrice. C’était donc ça ? Eve et Raphaël, conspirant ensemble ? Je sentais ma mâchoire se serrer et mon cœur battre dans mes tempes. Je ne pouvais plus rester là sans agir.
Je poussai la porte du restaurant d’un coup sec, attirant les regards des clients. Je me dirigeai droit vers leur table, la rage bouillonnant en moi. Raphaël se leva à mon approche, mais je n’attendis pas qu’il parle. Mon poing se referma sur son col, et je le plaquai contre le mur.
« Qu’est-ce que tu fais là avec elle ? Qu’est-ce que vous mijotez tous les deux ?! »
Eve cria, essayant de me séparer de Raphaël. Mais je n’écoutais pas. Mon esprit était en feu, envahi par la trahison.
« Basil, arrête ! » pleura-t-elle. Mais je ne pouvais pas entendre raison. Pas jusqu’à ce que ses larmes commencent à couler, dévalant ses joues, ses yeux remplis de douleur.
Je lâchai instantanément Raphaël, et toute la colère qui m’avait envahi s’évanouit en une seconde. Je ne voulais pas lui faire de mal. Malgré tout ce que je croyais, je ne pouvais pas supporter de la voir pleurer.
Le gérant du restaurant s’approcha nerveusement. « Vous allez devoir partir. Vous faites trop de bruit. »
Nous quittâmes le restaurant en silence, les trois têtes basses. Je les emmenai chez moi, ma tête encore pleine de questions. C’était la première fois qu’Eve venait chez moi, et je pouvais sentir le poids de la situation peser sur chacun de nous.
Une fois à l’intérieur, je me tournai vers eux, plus calme mais toujours en quête de réponses.
« Maintenant, expliquez-moi. Qu’est-ce qui se passe ? Pourquoi vous étiez ensemble ? »
C’est Raphaël qui prit la parole en premier.