Je me souviens de ce jour comme si c'était hier. Un de mes informateurs, un type de confiance qui avait déjà prouvé son utilité dans plusieurs affaires délicates, m'avait contacté en urgence. La grande galerie d'art du centre-ville cherchait un nouvel investisseur. Cette opportunité avait tout pour être un tremplin décisif pour mon entreprise. Depuis des années, je me battais pour solidifier ma place dans le milieu artistique, mais obtenir une galerie aussi prestigieuse changerait tout. Si j'avais cette galerie sous mon contrôle, je deviendrais le leader incontesté dans le domaine, et aucun autre collectionneur ou marchand ne pourrait rivaliser.
Mon sang n'avait fait qu'un tour. Le marché de l'art était féroce, et chaque seconde comptait dans ce genre de négociation. Si je voulais avoir une chance de m'imposer, je devais être le premier sur place. "Premier arrivé, premier servi", disaient-ils. Je me précipitai donc, attrapant mon manteau et quittant le bureau à toute vitesse sans prendre le temps de réfléchir. Je savais que Raphaël pourrait gérer les affaires en mon absence, et Eve travaillait encore sur la question de Sasha. Tout était sous contrôle.
Je me dépêchai d'arriver à la galerie, traversant les rues bondées de la ville, l'adrénaline me poussant à avancer plus vite. L'idée d'acquérir cette galerie me remplissait d'une excitation presque enfantine. Ce serait un coup de maître, un changement de dimension pour mon entreprise, et je me voyais déjà sceller l'accord.
Cependant, à mon arrivée, mon enthousiasme se transforma rapidement en confusion. Je n’étais pas seul.
Arthur était là. Arthur, ce vendeur d’art charismatique et redoutable avec qui j’avais eu de nombreux échanges professionnels. Mais aujourd’hui, il ne portait pas son habituel sourire de courtoisie. Non, aujourd'hui, il affichait un sourire différent, plus calculateur, plus rusé. Je ne comprenais pas pourquoi il se trouvait là, car Arthur n’était pas le genre à s'intéresser à la gestion d'une galerie. Il était vendeur, pas investisseur. Du moins, c'était ce que je pensais.
« Qu'est-ce que tu fais ici, Arthur ? » lui demandai-je, sans détour, espérant une réponse qui dissiperait ce sentiment d'inquiétude qui montait en moi.
« Ah, Basil, tu es là aussi. Je vois que les nouvelles voyagent vite. » Il sourit, mais ses yeux étaient froids, presque provocateurs.
Je n'avais pas de temps pour les politesses. « Pourquoi tu t'intéresses à cette galerie ? Ce n'est pas ton domaine. »
« Je me suis dit qu'il était temps de diversifier mes activités, » répondit-il calmement, comme si cette décision était aussi naturelle que celle de changer de cravate. « L'art ne se limite pas à vendre des tableaux, Basil. Il faut parfois savoir saisir les opportunités. Et cette galerie en est une, tu ne trouves pas ? »
Je compris alors. Arthur n’était plus juste un vendeur d’art. Il voulait élargir son empire, et cette galerie était le moyen parfait de le faire. En quelques mots, il venait de s’ériger en concurrent direct. L’idée me traversa l’esprit : cet homme n'était plus simplement un client, pas seulement à cause de sa relation ambiguë avec Eve, mais désormais parce qu’il se dressait directement sur mon chemin, dans ma quête de domination sur le marché.
Je serrai les dents. Il était clair qu’il savait ce que cette galerie représentait pour moi. Et le pire dans tout ça ? Il s’en délectait.
Le propriétaire de la galerie, un vieil homme aux manières soignées mais au regard affûté, se trouvait là aussi. Il observait la scène en silence, savourant sans doute cette rivalité naissante. J’avais déjà senti, lors de nos premiers échanges, qu’il serait difficile à convaincre, mais avec Arthur dans les parages, la situation devenait encore plus compliquée. Il était évident que le vieil homme profiterait de cette compétition pour faire grimper les prix.
« Écoutez, messieurs, il est évident que vous êtes tous les deux intéressés par cette galerie. Peut-être que nous pourrions en discuter plus en profondeur… mais sachez que je ne me laisserai pas convaincre facilement. Les prix seront à la hauteur de la valeur de cet endroit. »
Il n’avait pas besoin de le dire deux fois. Je savais déjà que les sommes en jeu seraient exorbitantes, mais il m’était impossible de renoncer. Cette galerie représentait un coup stratégique bien trop important pour que je laisse passer l’occasion. Pourtant, les chiffres que je voyais dans ma tête dépassaient de loin mes capacités actuelles. Je n’avais pas les fonds pour rivaliser avec les demandes exorbitantes que ce propriétaire s’apprêtait à faire. Pas sans trouver d’autres sources de financement.
Arthur, de son côté, semblait presque détendu, comme s'il savait déjà qu'il avait l'avantage. Je devais trouver une solution. Je devais me battre. Mais à quel prix ?
Sur le chemin du retour à mon bureau, mes pensées tourbillonnaient. Il n’y avait qu’une solution si je voulais rester dans la course : je devais trouver des investisseurs rapidement. Le problème, c’était que les investisseurs ordinaires ne suffiraient pas. Il me faudrait des fonds considérables, et ceux qui étaient prêts à miser gros dans ce milieu ne provenaient pas des sources les plus honorables.
Je savais exactement où chercher, mais c’était un monde que j’avais toujours évité. Le marché de l'art avait des liens avec de nombreuses activités illégales : l’argent sale, les armes, la drogue. Jusqu’à présent, j’avais toujours réussi à rester à l’écart de ce genre de financements douteux, mais cette fois-ci… Je ne pouvais pas me permettre de perdre cette galerie. Je risquais de devoir tremper dans ce que j’avais toujours rejeté.
Lorsque j’arrivai enfin à mon bureau, je retrouvai Raphaël en pleine action. Il passait des coups de fil à tout va, essayant de rassembler des alliés pour contrer Sasha et ses menaces. De son côté, Eve travaillait toujours sur la sécurisation des serveurs, concentrée sur chaque détail.
Raphaël termina son appel et se tourna vers moi, l’air sérieux. « Alors, cette galerie ? » demanda-t-il.
Je lui expliquai la situation. L'arrivée d'Arthur, l'augmentation des prix, et ce choix déchirant qui se profilait devant moi : accepter de plonger dans les eaux troubles du marché noir pour réunir les fonds nécessaires. Raphaël m'écouta en silence, puis hocha la tête.
« Si c’est vraiment important pour toi, tu devrais en parler à Eve. Elle saura quoi faire, ou du moins elle pourra t’aider à prendre la meilleure décision. »
Je me figeai. L’idée de parler de tout ça à Eve ne me plaisait pas. Elle avait une vision claire des choses, et je savais qu’elle n’approuverait pas cette idée de chercher des fonds auprès de sources douteuses. Je me sentais tiraillé entre ma loyauté envers elle et l’envie brûlante de réussir à tout prix.
« Non, pas maintenant, » répondis-je finalement. « Elle a déjà assez à faire avec la sécurité des serveurs. Je ne veux pas l’inquiéter davantage. »
Raphaël ne semblait pas convaincu, mais il respecta mon choix. Il me connaissait assez bien pour savoir que, parfois, je devais résoudre les choses par moi-même.
Je me retrouvai alors seul dans mon bureau, face à ce dilemme qui pesait sur mes épaules. Le poids de la décision était lourd, et je savais que le chemin que j’étais sur le point d’emprunter pourrait me mener bien plus loin que je ne l'avais jamais imaginé. Pourtant, je ne pouvais pas renoncer à cette galerie. Je ne pouvais pas laisser Arthur me devancer.
Cette nuit-là, alors que je regardais Eve travailler avec cette précision et cette détermination qui la caractérisaient, je me sentais plus proche d’elle que jamais. Elle était mon pilier, la personne qui me poussait à être meilleur, et pourtant… j’étais sur le point de plonger dans quelque chose que je ne pourrais peut-être pas lui avouer.
Mais au fond de moi, une chose était claire : quoi qu’il arrive, je devais garder cette galerie. Peu importe le prix à payer.