Je ne m'attendais pas à recevoir un coup de téléphone de la part d'Eve, encore moins à une heure du matin. Lorsque mon portable vibra sur la table de chevet, j’eus un sursaut, pensant d’abord qu’il s’agissait d’un appel d’urgence. Mais quand j’aperçus son nom s’afficher, une vague d’émotions contradictoires me traversa. De la surprise, bien sûr, mais aussi une pointe d'angoisse. Pourquoi m'appelait-elle à cette heure ?
« Basil ? » dit-elle d'une voix ferme, mais que je devinais aussi fatiguée.
« Eve, il est… une heure du matin, » répondis-je, un sourire malgré moi dans la voix.
Un silence s'ensuivit, puis je l'entendis soupirer. « Oh, je suis désolée. Je n'avais même pas réalisé l'heure. Je… Je voulais juste te parler, mais on peut le faire plus tard. »
Elle semblait gênée, et l’idée de la voir, même à cette heure-là, me rassurait plus que je ne voulais l’admettre. C’était étrange, mais j’avais attendu cet appel. Non pas consciemment, mais au fond de moi, je savais que cette conversation devait arriver.
« Non, » répondis-je rapidement avant qu’elle ne puisse changer d’avis. « Je veux qu’on parle maintenant. Où es-tu ? Je vais venir te chercher. »
« Non, » répliqua-t-elle, presque immédiatement. « Je peux rentrer toute seule, comme une grande. »
Je ne pus m’empêcher de sourire à cette réponse. Malgré tout ce qui se passait, elle restait déterminée à garder son indépendance. C'était une des choses que j'admirais le plus chez elle.
« Très bien, » dis-je doucement. « Je t'attends alors. »
Les trente minutes qui suivirent me parurent interminables. Assis dans mon salon, je tentai de réfléchir à ce que j'allais lui dire, mais plus le temps passait, plus l'anxiété grandissait. J'avais eu des jours pour penser à tout cela, mais la réalité d’une confrontation me rendait nerveux. J'avais toujours eu le contrôle dans les affaires, dans mes décisions. Mais avec Eve, c'était différent. Elle chamboulait tout. Elle m’obligeait à remettre en question mes choix, mes priorités. J’avais l'impression que ma façade habituelle ne tiendrait pas longtemps face à elle.
Lorsque la porte d’entrée s’ouvrit enfin, je me redressai d’un coup. Elle entra avec une détermination que je ne lui avais jamais vue auparavant. Ses cheveux légèrement en bataille, ses traits fatigués mais résolus, et cette expression sérieuse sur son visage… Elle n’était pas venue pour tourner autour du pot.
À peine entrée dans le salon, elle prit la parole sans me laisser le temps de dire quoi que ce soit.
« Écoute, Basil, il faut qu'on clarifie quelque chose. Je ne veux plus de ce genre de relation. » Elle parlait vite, d'une voix assurée, comme si elle avait répété son discours dans sa tête des dizaines de fois. « Soit on essaie une vraie relation, quelque chose d’exclusif, soit on arrête tout et on reste dans une relation employé-employeur. »
Mes yeux s’écarquillèrent légèrement. Était-elle en train de me quitter ? Mon cœur se serra un instant à cette pensée, mais avant que je puisse réagir, elle continua, toujours aussi résolue.
« Je ne peux pas supporter de m’attacher à toi tout en sachant que je ne suis qu'une parmi tant d’autres pour toi. » Elle fit une pause, me fixant droit dans les yeux. « Je me suis vraiment attachée à toi, Basil. Mais je ne peux plus vivre avec cette incertitude. Quel que soit ton choix, je m'y ferai. »
Son regard était sérieux, presque perçant, et je sentis la sincérité de ses mots me frapper de plein fouet. Elle avait pris le temps de réfléchir, de poser ses limites, et cela me fit réaliser à quel point elle était blessée par mes hésitations passées.
Je restai silencieux quelques secondes, digérant ses paroles, mais il y avait un point que je ne pouvais pas laisser passer.
« Eve, » dis-je doucement, mais fermement. « Tu n’es pas une parmi tant d’autres. Je veux que tu comprennes ça. » Elle parut surprise, mais garda le silence, attendant que je continue. « Cette femme que tu as vue… » Je pris une profonde inspiration, sentant mon cœur battre un peu plus fort. « Ce n’était qu’un rendez-vous d’affaires. Elle est l’associée du propriétaire de la galerie, et nous négociions des termes pour un contrat. »
Je la vis écarquiller les yeux, tombant des nues. Je pouvais lire la confusion et la surprise dans son regard. Mais je savais que je devais continuer, lui dire enfin ce que j’aurais dû dire depuis le début.
« J’ai voulu être clair avec toi, » repris-je. « Mais je me suis trompé en laissant la distance s’installer. Ce n’est pas ce que je voulais. J’ai essayé de te garder à l’écart, pensant que c’était la meilleure chose à faire. Mais je ne veux plus de cette distance. Je veux être avec toi, Eve. Pour de vrai. »
Un silence s’installa dans la pièce. Mon cœur battait si fort que j'avais l’impression qu’il résonnait dans tout l’appartement. Eve me regardait, hésitante. Je pouvais voir que mes paroles la touchaient, mais elle semblait encore retenir quelque chose.
« Et le côté mafieux de ton entreprise ? » demanda-t-elle finalement, brisant le silence d'une voix tremblante. « J’ai déjà payé cher à cause de tout ça. Je ne sais pas si je peux supporter ce genre de risques. »
C'était une question légitime, et je ne pouvais pas l'ignorer. Je pris une autre grande inspiration avant de répondre.
« Je comprends, » dis-je. « Et je ne te demande pas de te jeter à corps perdu dans ce monde. Mais avec l'achat de la galerie, je vais enfin pouvoir m'éloigner de tout ça. Mon objectif, c'est de devenir un véritable marchand d’art, de gérer cette galerie et de ne plus avoir besoin de tremper dans des affaires... troubles. Je te promets que tu n’auras pas à t’inquiéter pour ça. »
Eve resta silencieuse un moment, ses yeux cherchant les miens. Elle semblait peser mes mots, s’assurer que je disais la vérité. Puis, lentement, elle hocha la tête. Je vis alors une étincelle de soulagement traverser son regard.
Nous étions là, debout dans ce salon, à quelques mètres l’un de l’autre, mais il me sembla que toute la distance qui s’était installée entre nous ces dernières semaines s’était effondrée. C’était comme si, enfin, nous nous étions trouvés, au bon moment.
Je fis un pas vers elle, hésitant un instant, puis franchis la distance qui nous séparait. Nos regards ne se quittèrent pas une seule seconde. Et dans un geste aussi naturel que nécessaire, je l’embrassai.
Nos lèvres se rencontrèrent dans une douceur inattendue, et je sentis tout le poids des dernières semaines s’envoler. C'était une promesse silencieuse, celle d’être là l’un pour l’autre, malgré les épreuves, malgré les doutes.
Lorsque nous nous séparâmes, je la regardai dans les yeux et murmurais doucement : « Je te promets qu’on sera là l’un pour l’autre. »
Elle hocha lentement la tête, et un léger sourire se dessina sur ses lèvres. Pour la première fois depuis longtemps, j’eus l’impression que nous étions enfin sur la même longueur d’onde, prêts à avancer ensemble.