Raphaël venait de quitter l’appartement, et le silence qui s’installait derrière lui semblait peser lourd. J’étais encore debout, face à Eve, et je pouvais sentir qu’elle n’avait pas tout dit. Moi non plus, d’ailleurs. Il y avait quelque chose entre nous, quelque chose que nous n’arrivions pas à formuler. Je l’observais du coin de l’œil, essayant de déchiffrer son expression. Elle semblait nerveuse, hésitante, comme si elle pesait chaque mot avant de parler. J’aurais pu commencer, mais je sentais qu’elle avait besoin de prendre les devants cette fois.
Après un moment de silence tendu, elle prit enfin la parole.
« Basil, je dois te parler de Lucas. »
Je haussai les sourcils, surpris par cette déclaration. Lucas. Cela faisait un moment que je ne pensais plus à lui, et je n’étais pas sûr de vouloir évoquer ce sujet-là, pas maintenant. Nos rapports avec Lucas s’étaient détériorés, il avait quitté l’entreprise dans des circonstances tendues, et évoquer son retour ne m’enchantait guère. Pourtant, Eve semblait avoir quelque chose d’important à dire, alors je restai silencieux, la laissant continuer.
« Il m’a contactée récemment », poursuivit-elle. « On a discuté, et… je voulais te demander s’il y avait une possibilité pour qu’il revienne travailler ici. »
Je restai un instant silencieux, essayant de comprendre pourquoi Lucas lui avait parlé à elle, et surtout pourquoi elle me demandait cela maintenant. Lucas et moi avions eu des désaccords qui allaient bien au-delà du simple cadre professionnel. C’était une question de confiance, et il m’avait trahi. Son retour dans l’entreprise n’était pas quelque chose que j’avais envisagé, et maintenant qu’Eve en parlait, cela me laissait un goût amer.
« Lucas veut revenir ? » demandai-je doucement, croisant les bras en fronçant légèrement les sourcils. « Pourquoi il t’a contactée, à toi ? »
Elle baissa les yeux un instant, comme si elle cherchait ses mots. « Je crois qu’il regrette la manière dont tout s’est passé. Il sait qu’il a fait des erreurs, mais il est prêt à tourner la page. »
Je restai silencieux quelques instants, réfléchissant. Lucas était compétent, il n’y avait aucun doute là-dessus. Mais le problème n’avait jamais été ses compétences. Il avait dépassé certaines limites, et sa loyauté était en cause. Je ne pouvais pas simplement le reprendre comme si de rien n’était.
« C’est compliqué », répondis-je finalement. « Lucas et moi… ce n’est pas juste une question de travail. Il y a eu des tensions, et ça ne se règle pas si facilement. Mais je vais y réfléchir. Je verrai ce que je peux faire. »
Eve hocha la tête, sans insister. Elle avait fait ce qu’elle pouvait. Elle savait que ce n’était pas une décision que je prendrais à la légère. Mais je pouvais voir qu’elle tenait à ce que Lucas ait une deuxième chance. Son intervention à ce sujet me déstabilisait, mais je n’en laissai rien paraître. Pour l’instant.
Le silence retomba entre nous, plus pesant que jamais. J’avais quelque chose à lui demander depuis un moment, mais je ne savais pas vraiment comment l’aborder. Je n’étais pas doué pour ce genre de discussions, encore moins quand il s’agissait de sentiments. Pourtant, je savais que je devais me lancer.
« Et toi, qu’est-ce que tu fais pour Noël ? »
La question était sortie plus naturellement que je ne l’aurais cru, mais elle n’était pas anodine. J’essayais de jauger sa réaction, de comprendre où elle se situait. Elle leva les yeux vers moi, surprise, puis répondit avec un léger sourire, comme si la question l’amusait.
« Rien de spécial le 25 », dit-elle doucement. « Mais la famille d’Alice m’a invitée à passer le 24 avec eux. »
Je hochai la tête, mais mon esprit était ailleurs. Je savais qu’elle ne comprenait pas vraiment ce que je voulais dire. Je n’avais pas juste posé la question par curiosité, il y avait quelque chose de plus profond, quelque chose de personnel. Et maintenant, je devais le dire clairement, même si cela me coûtait de le formuler.
« Je voulais savoir si… si tu voudrais passer Noël avec moi. »
Je vis immédiatement la surprise dans ses yeux. Elle ne s’attendait visiblement pas à cette invitation, et le silence qui suivit me parut interminable. Elle ne répondit pas tout de suite, et chaque seconde qui passait renforçait ma nervosité. Était-ce trop soudain ? Est-ce que je me faisais des idées sur ce qui se passait entre nous ?
Finalement, elle brisa le silence, mais sa réponse n’était pas celle que j’espérais.
« Je… je ne sais pas », dit-elle d’une voix hésitante. « Je dois y réfléchir. »
Mon cœur se serra. Ce n’était pas un non, mais ce n’était pas non plus un oui. Et dans ma tête, cette hésitation ressemblait déjà à un refus. Pourquoi avait-elle besoin de réfléchir ? Est-ce que je m’étais trompé sur la nature de notre relation ? Peut-être que pour elle, je n’étais rien de plus qu’un patron, un homme avec qui elle travaillait, mais sans plus. L’incertitude me rongeait.
« D’accord », dis-je simplement, en essayant de masquer ma déception. « Donne-moi ta réponse dans la semaine. »
Elle acquiesça avec un léger sourire, comme pour me rassurer, mais le mal était fait. Ce doute, cette incertitude, m’avaient déjà déstabilisé. Elle quitta ensuite l’appartement sans un mot de plus, me laissant seul avec mes pensées. Je restai là, immobile, les bras croisés, essayant de comprendre pourquoi elle hésitait autant. Je ne pouvais m’empêcher de me demander si j’avais fait une erreur en lui demandant aussi directement.
Le lendemain matin, j’avais un rendez-vous d’affaires avec Arthur. Une distraction bienvenue après la soirée troublante que j’avais passée. Mais dès les premières minutes de notre rencontre, je me rendis compte que cela n’allait pas être aussi simple.
Arthur semblait obsédé par Eve. Il ne cessait de la mentionner, parlant de son travail, de son intelligence, de la manière dont elle gérait les systèmes informatiques de l’entreprise. À chaque fois qu’il ouvrait la bouche, il la ramenait sur le tapis, et je sentais ma patience s’éroder à chaque nouvelle remarque.
Finalement, je n’y tins plus.
« Arthur », dis-je sèchement, en posant mon verre sur la table. « Qu’est-ce que tu veux vraiment ? Pourquoi tu me parles d’Eve à chaque phrase ? »
Il me regarda avec un sourire narquois, visiblement amusé par ma réaction. Il prit une longue gorgée de son verre avant de répondre, comme s’il savourait le moment.
« Toi et Eve… vous êtes ensemble, ou quoi ? »
La question me prit de court. Je n’avais pas vraiment de réponse à cela. Étions-nous ensemble ? Non, pas vraiment. Pas officiellement. Mais il y avait quelque chose entre nous, quelque chose que je n’arrivais pas à définir. Pourtant, sa question, posée avec tant de légèreté, m’irrita profondément.
« Non », répondis-je froidement, en essayant de garder mon calme.
Arthur haussa les sourcils, comme s’il attendait cette réponse. « Ah, bon. Donc elle est libre ? »
Je serrai les poings sous la table, essayant de ne pas réagir, mais je sentais la colère monter. Arthur adorait jouer à ce petit jeu. Il aimait provoquer les gens, les pousser à bout juste pour voir comment ils allaient réagir. Et cette fois, il avait décidé de s’en prendre à moi.
« Si tu penses que tu peux la draguer juste pour m’embêter, tu te trompes », dis-je d’un ton glacial.
Arthur éclata de rire, visiblement satisfait de lui-même. Il aimait se moquer, et il savait que j’étais sur la corde raide. « Allez, Basil. Je plaisante. Tu sais que je ne suis pas sérieux. »
Mais je savais qu’il l’était. Chaque mot qu’il avait prononcé, chaque sourire narquois qu’il avait affiché, tout cela montrait qu’il savait exactement ce qu’il faisait. Il voulait me pousser à bout, et il y réussissait. Le reste de la réunion se déroula dans un silence tendu, Arthur continuant de me lancer des regards amusés, comme s’il testait mes limites.
Quand la réunion prit fin, je sortis du bureau avec un goût amer en bouche. Entre la réponse hésitante d’Eve et les provocations d’Arthur, je me sentais pris dans un tourbillon d’émotions contradictoires. Je ne savais plus vraiment où j’en étais, ni ce que je devais faire. Tout ce que je savais, c’est que cette situation ne pouvait pas durer éternellement.
Je devais obtenir des réponses.