Mathieu - 14
04 février 2012
J’examine ma collection de cannes avec minutie, cherchant celle qui conviendrait parfaitement à ma tenue du jour. Une chemise blanche, sobre mais élégante, s’accompagne d’une cravate rouge vif et d’un pantalon en velours noir. Mon instinct me guide naturellement vers celle ornée d’un manche en forme de tête de serpent, finement sculpté dans un métal rouge métallisé. Cependant, ma main s’immobilise, suspendue dans les airs, lorsqu’un cri strident résonne dans la maison. Je reste figé, le souffle court. Mon père ne m’a pas averti d’une quelconque visite. Il ne pourrait donc pas s’agir de l’une de ses sinistres séances, celles où il arrachait des confessions à ses ennemis dans des hurlements étouffés. Cette pensée me glace, mais elle est rapidement chassée par un autre cri, plus proche cette fois. Trois claquements rapides de mes talons brisent le silence tandis que je pivote légèrement, prêt à me diriger vers la porte. Cependant, avant même que je n’aie pris une décision, celle-ci s’ouvre brusquement, claquant contre le mur. Un inconnu, dont l’aura suinte la menace, se tient dans l’embrasure. Ses yeux scrutent la pièce avant de s’attarder sur moi, un sourire salace apparaît sur son visage.
— Alors, mon mignon… murmure-t-il d’un ton qui me fait frissonner, tu aimes les cannes, n’est-ce pas ?
Sans attendre ma réponse, il s’avance, chacun de ses pas résonnant lourdement. Mon instinct m’ordonne de fuir, mais la panique m’immobilise. Je cherche frénétiquement quelque chose pour me défendre, mais mes gestes sont trop lents. En un instant, il est devant moi. Il me saisit violemment par le bras et me force à m’agenouiller mon visage proche de son entrejambe déjà gonflé.
— Bien, sourit-il, perfide. Toi et moi, nous allons jouer à un petit jeu.
Son regard brille d’une lueur perverse tandis qu’il avance une main vers mon visage, mais je mords avec toute la force dont je suis capable. Son rictus se déforme en une grimace de rage. Il m’insulte bruyamment, agrippe ma nuque, puis me soulève avant de me projeter contre une table. La douleur est immédiate, fulgurante. Mon dos hurle sous l’impact, mais il ne me laisse pas le temps de reprendre mon souffle.
— Allez, souris pour moi, tu vas adorer ça, insiste-t-il en me tirant brutalement par les chevilles.
Je sens sa main droite se refermer sur ma gorge tandis que sa main gauche commence à remonter le long de ma jambe. Mon estomac se noue de dégoût et de peur.
— Alex !
Un autre homme entre précipitamment, visiblement son complice. Mon agresseur s’immobilise, contrarié.
— On n’a pas le temps pour ça, grogne le nouvel arrivant. Tue ce gamin et on se tire.
Il disparaît aussi vite qu’il est entré.
— Fais chier… marmonne l’homme en desserrant légèrement son emprise. Je commençais à m’amuser.
Son attention revient vers moi, et son sourire malsain s’élargit.
— T’agite pas comme ça, mon beau. Puisque tu aimes les cannes, je vais te donner une raison d’en avoir besoin.
D’un geste vif, il sort un couteau de sa poche. Avant que je ne puisse réagir, il remonte le bas de mon pantalon jusqu’au genou. Le premier coup du couteau transperce ma rotule gauche. La douleur est insupportable, une brûlure intense qui me coupe le souffle.
— Tes cris sont un vrai régal.
A travers mes larmes je le vois se toucher légèrement à travers ses vêtements.
Je tente de répondre, mais ma voix se brise dans un sanglot. Des larmes brouillent ma vision tandis qu’il enfonce à nouveau la lame, plus profondément cette fois, puis commence à tourner l’arme dans ma rotule.
— T’as de la chance, finit-il par dire. T’es mon genre, alors je t’épargne, mon mignon.
Son sourire me glace une dernière fois avant que l’obscurité ne m’engloutisse.
Je me réveille dans une douleur effroyable. Ma jambe gauche est inutilisable, et une traînée de sang s’étire derrière moi alors que je me hisse péniblement sur le sol. Chaque mouvement est un supplice. Ma main tâtonne à l’aveugle, jusqu’à ce qu’elle rencontre enfin une canne. Je l’empoigne avec force et y transfère tout mon poids pour me redresser. Le chemin vers la porte semble interminable. Chaque pas est une épreuve, et les secondes s’étirent en une éternité. Une fois dans le couloir, je m’appuie contre les murs pour avancer, laissant derrière moi une trace écarlate. Lorsque j’atteins finalement le salon, je découvre l’impensable. Le corps de mon père gît au sol, figé dans la mort. À ses côtés repose son fidèle majordome. La vue de leur sang, répandu sur le parquet ciré, me fait chanceler. Je hurle, ma gorge déjà meurtrie se déchirant davantage sous l’effort. La douleur, physique et émotionnelle, est insoutenable, mais je refuse de m’effondrer. Rampant jusqu’à la table basse, je parviens enfin à atteindre le téléphone. Mes doigts tremblent tandis que je compose un numéro. Celui du revendeur d’armel de mon père. Je ne peux plus parler. Les mots m’échappent. Mais il connaît le morse, et je sais qu’il comprendra de plus il à toujours été gentil avec moi.
Alice
22 juin 2023
Je toque doucement à la porte du bureau de Mathieu. Aucune réponse. Je recommence, plus fermement cette fois, mais le silence persiste. Hésitante, je murmure son nom en entrouvrant la porte. Toujours rien. Pourtant, il est bien là, assis derrière son bureau, figé comme une statue, le regard perdu dans le vide. Je m'avance prudemment, appelant son nom plus fort. Mais je me fige net lorsqu’il braque un revolver dans ma direction, sans même daigner croiser mon regard.
— Mathieu ? dis-je d’une voix tremblante, submergée par un mélange de sentiment que je n’arrive pas pleinement à identifier..
Son regard se fixe enfin sur moi, et il semble soudain revenir à lui. Lentement, il abaisse l’arme, comme s’il réalisait à peine ce qu’il faisait.
— Alice… Veuillez excuser mon étourderie, dit-il calmement, bien que sa voix trahisse une certaine fatigue. J'étais absorbé par mes réflexions. Il me semble que votre présence ici répond à l’imminence de notre sortie, n’est-ce pas ?
— ...Oui, c’est bien ça. Mais…
Il esquisse un sourire qui semble presque forcé.
— Soyez rassuré, j’avais effectivement cela en tête. Ne tardons pas davantage, partons sur-le-champ.
Malgré le trouble qui m’habite encore, j’acquiesce d’un simple hochement de tête. Sans un mot, il se lève et quitte la pièce. Je le suis en silence, hésitant à aborder ce que je viens de découvrir. L’air est lourd, chargé d’une tension sourde que ni lui ni moi n’osons briser.
Mon regard s’attarde sur sa silhouette, plus rigide que d’ordinaire. Ses pas sont lents, mesurés, presque douloureux. Sa main, crispée sur la canne qu’il tient d’ordinaire avec élégance, tremble légèrement. Et c’est là que je le remarque, de fines perles de sang glissent le long du pommeau, trahissant la force avec laquelle il l’empoigne. Il serre si fort que le métal a dû entamer la peau de sa paume.
— Mathieu ?
Il tressaille légèrement à l’entente de mon murmure, comme si ma voix venait de le tirer hors d’un gouffre. Lorsqu’il tourne la tête vers moi, son regard est voilé, chargé d’un mélange étrange de douleur et de résignation. Il semble… vulnérable. Bien trop, comparé à l’homme maîtrisé qu’il incarne d’ordinaire.
— De pénibles réminiscences, très chère. Rien toutefois qui mérite de troubler votre quiétude.
Je m’arrête un instant. Votre attention ? Il me vouvoie encore ? Ce retour soudain à la distance me déstabilise.
Pourquoi ce changement ?
Je n’ose pas poser la question à voix haute, mais je sens que quelque chose s’effrite, quelque chose qu’il tente de recoller en silence, avec dignité.
Préoccupée, je continue à l’observer du coin de l’œil, notant chacun de ses gestes, chaque crispation de mâchoire, chaque soupir à peine audible, jusqu’à ce que nous atteignons la voiture. Et même là, alors qu’il ouvre la portière avec une lenteur inhabituelle, je ne peux m’empêcher de m’inquiéter. Un poids nouveau s’est installé entre nous,invisible, mais bien réel.
Le trajet en voiture est empreint d’un silence pesant. Assise à ses côtés, je l’observe du coin de l’œil. Il garde les mains fermement ancrées sur le volant, le regard fixé sur la route comme s’il fuyait quelque chose.
— Mathieu… On peut parler de ce qui vient de se passer ?
Son expression se ferme.
— Il n’est nul besoin de s’appesantir davantage, répondit-il d’un ton mesuré. Vous m’avez simplement pris au dépourvu, et j’ai cédé à un réflexe malencontreux. Toutefois, soyez assurée de ceci : jamais je ne vous porterai atteinte. Votre voix, voyez-vous, est l’ancre qui me rattache à la réalité.
— Et maintenant, vous me vouvoyez ?
Il inspire profondément, luttant visiblement pour garder son calme.
— Ne le prenez point pour vous, Alice. Je… Je ne suis tout bonnement pas disposé à m’entretenir de ce sujet pour l’instant.
— Je comprends, dis-je doucement. Mais je suis là, Mathieu. Je ne vous juge pas. Vous comptez pour moi, et je veux vous comprendre.
Il détourne légèrement les yeux, mais ne répond pas.
— Nous aurons tout le loisir d’en discuter, déclara-t-il enfin, d’un ton à la fois engageant et fuyant. Lorsque le calme nous sera revenu à tous deux.
Je n’insiste pas. Le reste du trajet se déroule dans un silence presque assourdissant. La musique classique ajoute une atmosphère pesante au voyage.
Une fois arrivés, je descends du véhicule.
— Reste en sécurité, Alice. Je demeurerai joignable à tout instant, exclusivement pour toi.
Je lui souris doucement, le tutoiement est de retour, c'est déjà ça, je repère rapidement Axel assis sur un banc à quelques mètres. À peine m’a-t-il aperçue qu’il se lève d’un bond et marche droit vers moi, son expression oscillant entre colère et inquiétude.
— Toi ! lance-t-il, sans préambule.
— Je sais… Mais épargne-moi tes sermons, s’il te plaît.
Il m’agrippe fermement par les épaules, ses yeux brûlant d’émotion.
— Tu plaisantes ? Tu m’envoies des messages vagues, tu disparais sans explication, et tu t’attends à ce que je reste calme ? Tu crois vraiment que je ne m'inquièterais pas ? Surtout après que lui m’ait retrouvé ? Je suis aller à ton travail est j’ai appris que tu avais démissionner, a quoi tu joue Alice ? La seul raison pour laquelle je n'ai pas prévenu ta disparition c’est parce que tu m’as demandé de ne pas le faire.
Je baisse les yeux, incapable de soutenir son regard.
— Tu as raison… Mais c’est compliqué. Alors, allons nous asseoir. Je t’expliquerai tout.
Nous prenons place dans notre café habituel, celui où Axel adore jouer les commères. Tandis que nous nous installons dans un coin tranquille, ce sentiment oppressant de surveillance refait surface. Je jette des regards furtifs autour de nous, ma méfiance instinctive réveillée. Mathieu avait raison : ils ne lâcheront pas l’affaire.
Une fois installée, je prends une profonde inspiration pour organiser mes pensées.
— Alors quoi ? Tu es devenu agent secret ? plaisante-t-il avec un sourire en coin.
— Ton humour ne m’avait presque pas manqué, dis-je avec un soupir blasé.
— Presque, hein ? Je savais que j’étais irrésistible.
— Axel, sérieusement…
— Ok, ok. Je t’écoute. Mais dis-moi tout. Parce que je refuse qu’il t’arrive quoi que ce soit. Tu comptes trop pour moi.
Son ton, sincère et grave, contraste avec son attitude habituelle. C’est ce sérieux qui me pousse à tout lui révéler : le sentiment constant d’être suivie, la vérité sur Mathieu et le danger qui plane. Il m’écoute sans m’interrompre, ses traits devenant de plus en plus sombres à mesure que je parle.
Quand j’ai fini, il reste un moment silencieux, fixant le vide devant lui.
— Je suis désolé, murmure-t-il enfin. Je ne pensais pas que ces types iraient aussi loin.
— Axel… Ce n’est pas ta faute.
Il secoue la tête, le regard dur.
— Bien sûr que si. J’ai joué avec des gens dangereux, Alice. J’ai perdu. Et c’est à moi d’en assumer les conséquences. Tu ne peux même plus avoir une vie normale.
-La normalité n’as jamais été faite pour moi.
-Merde Alice ne dis pas de connerie !
Je fronce les sourcils, troublée par la détermination inhabituelle dans sa voix.
— Ne me dis pas que tu comptes faire quelque chose de stupide.
— Fais-moi confiance, Alice, dit-il en se levant brusquement. Je vais régler ça.
Il jette quelques billets sur la table avant de s’éclipser précipitamment.
— Axel !
Je reste figée, hébétée, avant de me lever à mon tour. J’envoie rapidement un message à Mathieu pour lui expliquer la situation, puis je paie l’addition et me précipite à l’extérieur. Mon regard balaie frénétiquement les alentours, mais Axel a déjà disparu dans la foule. Je scrute encore les environs, incertaine, lorsqu’une silhouette familière s’approche. Un frisson d’agacement me parcourt l’échine.
— Merde… pas encore lui.
Je murmure pour moi-même alors que le jeune homme blond de la dernière fois se dirige droit vers moi, son éternel sourire charmeur accroché aux lèvres.
— Je suis ravi de vous revoir, dit-il avec une joie un peu trop sincère à mon goût. Je n’ai pas eu l’occasion de me présenter, l’autre fois.
Il tend légèrement la main, comme pour marquer un geste de politesse. Je recule d’un pas.
— Je suis désolée, mais je suis très pressée.
Son sourire vacille une seconde, remplacé par un froncement de sourcils intrigué.
— Encore ? Quelle vie chargée vous menez.
Je n’ai pas le temps de répondre. Mes yeux se posent sur la voiture noire qui vient de se garer un peu plus loin. C’est celle de Mathieu.
— Je dois y aller.
Sans attendre, je me détourne et me précipite vers le véhicule, sentant encore son regard me suivre. J’entends le blond marmonner quelque chose dans sa barbe, mais ses mots se perdent dans le brouhaha de la rue.
Quelque chose me dérange. Sa présence insistante, son insistance déguisée en galanterie… Il y a quelque chose qui cloche.
Axel
22 juin 2023
Merde… Cette fois, c’est sérieux. Bien plus sérieux que tout ce que j’ai affronté jusqu’ici. Je ne peux plus fuir. Pas encore, pas cette fois.Je m’arrête un instant, les poings serrés. Désolé, Alice… Je vais probablement commettre la pire erreur de ma vie. Et pourtant, des conneries, j’en ai fait un paquet. Mais cette fois, il s’agit de vous. Toi, Rose… Et ce gamin, même pas encore né. Vous ne méritez pas ça. Rien ne doit vous arriver. Si je dois en payer le prix, alors qu’il en soit ainsi. D’un pas rapide, je me mets à courir dans les rues. Mes jambes tremblent légèrement, mais je continue. Ma respiration s’accélère, mes pensées s’embrouillent, mais une seule chose est claire : je dois les protéger. Quoi qu’il m’en coûte.Quand j’arrive enfin chez moi, j’attrape mes clés d’une main tremblante et fonce vers ma voiture. En montant, une sensation glaciale me traverse le corps. Ce chemin… Je ne l’ai jamais oublié, malgré tout ce temps. Le QG des Crows.Mon pied s’appuie sur l’accélérateur, la peur et l’adrénaline se mélangent en moi. Chaque virage me ramène à des souvenirs que j’ai passé des années à vouloir effacer. Des frissons me traversent, mais je les ignore. Il n’y a plus de place pour l’hésitation.
Pas cette fois.