Alice
08 octobre 2023
C’est insoutenable… Une nausée violente me submerge, et je m’adosse au mur en arrachant brutalement les écouteurs de mes oreilles. Une voix féminine me parvient, se mêlant aux sinistres craquements d’os et aux hurlements déchirants qui résonnent encore dans la pièce.
— Avec Mathieu comme mentor, je pensais que tu avais l’estomac bien accroché, lance-t-elle en riant.
— Ce n’est pas ça…
— Tu es enceinte ?
— Non…
— Viens avec moi, je vais appeler un médecin, soupira-t-elle, visiblement lasse.
Elle s’éloigne devant moi. Je jette un dernier regard vers la salle où se trouve Mathieu, puis tente de la suivre tant bien que mal.
— Lexa…
Je tends une main tremblante vers elle avant que l’obscurité ne m’engloutisse.
Mathieu
08 octobre 2023
Après avoir brisé la plupart des os de ce misérable qui a osé nourrir des pensées malsaines à l’égard de ma femme, je commence méthodiquement à le dépecer. Mon travail est cependant interrompu par une voix tonitruante.
— EH, toi !
Je me tourne vers l’homme qui vient d’entrer, mais il n’a pas le temps de faire un pas de plus avant que mon couteau ne vienne se ficher dans son ventre.
— Quelle singulière et grotesque façon d’interpeller autrui, fis-je remarquer en m’avançant vers lui.
L’homme s’appuie contre le mur, une main crispée sur sa blessure, et me lance un regard noir. Je saisis le manche du couteau et le fais glisser vers le haut, déchirant sa chair jusqu’à la gorge. Il s’effondre, inerte.
Je me détourne et retourne calmement à mon occupation.
— Belle technique.
Je réagis instantanément, lançant mon couteau en direction de la voix avant de réaliser qu’il s’agit de Lexa. Elle esquive l’arme avec une facilité déconcertante avant de me jeter une canne que j’attrape au vol. Je m’appuie immédiatement dessus, soulagé.
— Par tous les saints, j’ai véritablement cru qu’il s’en trouvait encore un, soufflai-je, toujours tendu et sur le qui-vive.
— Quel langage raffiné, ironise-t-elle. Tu parles du gars éventré ?
— Oui.
— C’est moi qui l’ai envoyée te chercher.
— Miséricorde… Que son âme repose en paix, murmurai-je d’un ton délibérément empreint de théâtralité.
Elle éclate de rire. J’extrais mon poignard pour achever le dernier homme encore en vie, mais Lexa m’arrête. Je lui lance un regard interrogateur.
— Tu voudras peut-être attendre un peu. Alice est malade, mais ne t’inquiète pas, elle est consciente grâce à moi. Le médecin est avec elle, et tous mes hommes veillent sur elle.
— Où se trouve-t-elle donc ?!
— Dans mon bureau…
Sans attendre, je balance mon poing dans la figure du borgne avant de foncer vers la pièce indiquée, ignorant la douleur dans ma jambe. Derrière moi, j’entends Lexa me suivre d’un pas rapide.
Dès que je franchis la porte, mon regard se pose sur Alice. Je me précipite vers elle et la serre contre moi. Elle répond à mon étreinte sans hésiter. Mais soudain, un coup de feu retentit, nous faisant sursauter.
Je me retourne d’un bond et découvre Lexa, revolver en main, braquée sur le médecin à terre. Une balle dans le genou l’a fait chuter, mais il serre les dents, refusant de crier.
— À cause de tes conneries, elle a failli crever ! siffle Lexa, furieuse.
Dans l’encadrement de la porte, un homme grand, brun, au corps couvert de tatouages, observe la scène d’un air impassible.
— Depuis quand tu te soucies de quelqu’un ? lâche-t-il avec mépris.
— Depuis qu’elle nous a sauvés.
— Désolé mon ange, mais vu son état, on peine à croire à un sauvetage. À moins que vomir sur tes tapis ne soit une nouvelle définition de l’héroïsme…
Sacrilège. Madame a trouvé quelqu’un partageant sa passion pour les tapis.
Lexa ne relève pas l’ironie. Elle tapote sa poche, en sort une carte SIM et la jette au visage de l’homme.
— Cette carte contient nos plans. Je ne sais pas comment ils elle la avaler, mais une chose est sûre : ils savent quelque chose.
— Merde…
— "Merde" ? répète-t-elle avant de le gifler violemment. Putain, tu réalises ce que ça signifie ? S’ils savent tout, je ne donne pas cher de ta peau.
— Ne refais jamais ça, gronde-t-il, les mâchoires serrées.
— Arrête avec tes menaces ridicules, rétorque Lexa, exaspérée. Toujours des paroles, jamais des actes.
— Ce n’est pas ce que tu disais en Russie… ou chez moi… ou chez toi. Tu veux un autre exemple ?
Sans prévenir, elle plante son poignard dans son bras, le faisant grogner de douleur.
Je me tourne vers Alice et lui murmure à l’oreille :
— N’est-il point attendrissant d’observer Lexa éprise ? Certes, ses goûts demeurent pour le moins discutables… mais à en juger par ces tapis, je n’en avais jamais douté
— Ah, parce que c’est de l’amour, ça ?
— D’une certaine manière, oui.
— Salope ! jure l’homme en retenant un râle.
Lexa s’approche de nous, imperturbable.
— Elle peut rester ici. Mathieu, dans mon bureau.
— Avec tout le respect que je vous dois, je me vois dans l’impossibilité de la laisser seule en cet endroit.
— L’amour… quel sentiment de merde, soupire-t-elle en se dirigeant vers son bureau.
Je me lève, soutenant Alice encore un peu faible. Nous suivons Lexa à l’intérieur.
— Asseyez-vous, ordonne-t-elle en refermant la porte derrière nous.
Ne lui accordant qu’une confiance limitée, je reste immobile, tout comme Alice, qui applique à la lettre tout ce que je lui ai appris.
— Promis, il n’y a pas de piège.
Après un instant d’hésitation, je finis par m’asseoir. Alice me suit, mais au lieu de prendre place sur un fauteuil, elle choisit mes cuisses, les trouvant apparemment plus confortables. Je suis surpris par son audace soudaine, je pense que Lexa en est en partie responsable mais je ne vais clairement pas m’en plaindre. Vu tout ce qui s’est passé, je doute que Lexa tente un coup foireux maintenant.
— Un verre ? propose-t-elle en se servant elle-même. Tu bois quoi, Alice ? Vodka ? Whisky ? Rhum ?
— Rien, merci.
Lexa l’observe un instant avant de boire une gorgée.
— Je vois que tu as commencé à enseigner, Mathieu.
Je la fixe sans répondre.
— "Ne jamais boire ni manger chez quelqu’un." Un réflexe purement paranoïaque, qui n’a rien d’anodin. Alors, à moins qu’Alice se soit déjà fait droguer, j’en déduis que tu es devenu son mentor. Et vu son comportement, elle est plutôt bien entraînée.
— Que lui voulez-vous, au juste ? demandai-je en m’efforçant de conserver mon calme du mieux que je le pouvais.
— Pourquoi voudrais-je quelque chose ?
— Vous et moi savons pertinemment que jamais vous n’agissez sans motif.
Elle boit cul sec, puis nous scrute tour à tour, s’attardant plus longuement sur Alice.
— Tu ne veux pas venir entraîner mes recrues, Mathieu ? La tienne est plutôt docile.
Ma main posée sur la taille d’Alice se crispe légèrement, mais je ne réagis pas.
— Ça va, plaisante, ajoute-t-elle en levant les mains en signe d’apaisement. J’ai compris que c’était ta petite protégée. Mais dis-moi, Mathieu… on avait un accord, non ?
— Effectivement.
À ces mots, elle ouvre un tiroir et en sort un Glock, qu’elle charge lentement.
— Alors pourquoi n’est-elle pas morte ?
Je reste impassible. Alice, elle, se tend légèrement. Pour la rassurer, je dessine de légers cercles dans son dos du bout du pouce.
— J’attends une réponse, Mathieu.
— Je ne l’ai point ôtée de ce monde.
— Sans blague. J’avais pourtant l’impression d’être capable de voir les morts… Un million. C’est ce que je t’ai donné. Le prix d’un de mes foutus tapis.
— Vous n’êtes pas dans le besoin, Lexa.
— Peut-être, mais il était beau, ce tapis, rétorque-t-elle en levant les yeux au plafond.
— Voilà qui me laisse sceptique, murmurai-je.
— Mais rassurez-vous, je ne vais pas vous tuer.
Étrangement, cela ne me rassure pas du tout.
— Je ne suis point né de la dernière pluie. Vous n’accordez jamais de faveurs, pas même à vos propres associés. Je vous le demande donc une fois encore : que désirez-vous réellement ?
Elle me fixe un instant, puis son sourire disparaît.
— Pour l’instant, rien. Mais ton heure viendra. Et cette fois, je ne ferai aucune exception.
Son regard glacial me met en alerte.
— J’abhorre l’idée d’être redevable… tout particulièrement envers une personne telle que vous.
— Et tu as raison. Mais tu dois payer. C’est soit ça, soit un autre arrangement qui risque de ne pas te plaire… Et bien sûr, inutile de compter sur moi pour t’aider avec ton plan contre les Crows. Tu as déjà assez détruit mes tapis comme ça.
— De quel arrangement parlez-vous ?
— Je ne sais pas… Elle pourrait travailler pour moi.
…
Elle éclate de rire en voyant mon expression avant de ranger son arme et de se resservir un verre.
— Je plaisante, j’en ai déjà en réserve.
— Fort bien. Dans ce cas, acceptons votre proposition.
Je me lève, aidant Alice à se relever. Alors que nous nous apprêtons à partir, Lexa m’arrête d’un geste.
— Laisse-la-moi deux minutes.
— Pour la retrouver éventrée sur cette table ? Il n’en est absolument pas question.
— Je veux juste lui parler.
Je la fixe, méfiant.
— Lexa, si elle ressort de là avec ne fût-ce qu’une égratignure, je vous le jure : je vous ôterai la vie de mes propres mains.
— Personne n’a réussi à la tuer, mec, lance une voix dans l’encadrement de la porte.
Je me retourne pour voir l’homme de tout à l’heure, celui aux bras couverts de tatouages.
— Dégagez, tous les deux ! hurle Lexa.
Je serre les dents et me dirige vers la sortie, suivi du type tatoué.
— Elle a du caractère, hein ? balance-t-il d’un ton léger.
Je me contente de le fixer sans répondre.
— Je me suis même pas présenté… Où avais-je la tête ? Rio, enchanté, dit-il en tendant la main avec un sourire affable.
Je l’ignore complètement et vais m’asseoir en face du bureau, les bras croisés, jambes croisées, dans une posture calme mais tendue.
— Je vois… Plaisir non partagé, marmonne-t-il avec un sourire amusé.
Il me scrute un instant, puis commente avec un rictus :
— Sacré style, mec.
Je lui lance un regard glacial.
— Je vous prie de cesser de troubler ma quiétude.
Il s’approche lentement, debout devant moi, le sourire toujours accroché aux lèvres.
Misère... Il va être aussi insupportable que Lexa.
— Tu es son chien de garde, hein ? Son tueur à gages ?
Je ne réponds rien. Il continue, imperturbable.
— Pas très pro tout ça... S'emballer pour une meuf ?
D’un geste rapide, je dévisse ma canne. La lame jaillit, effleurant sa gorge. Il reste immobile, le sourire à peine effacé.
— Vous vous estimez donc sagace ? Les individus de votre trempe sont les plus aisés à maîtriser, et leur faire verser le sang procure une satisfaction certaine.
— Me faire menacer par un infirme… c’était clairement pas dans mes plans de l’année, ricane-t-il.
Une perle de sang glisse le long de sa nuque, mais ça ne fait qu’élargir son sourire.
— T’es toujours aussi agressif au lit ? Parce que franchement, ça pourrait m’intéresser.
Je le fixe, incrédule. Puis je soupire, recule, et vais me poster près de la porte, mettant autant de distance que possible entre nous.
— Donc c’est un non, je suppose ? C’est parce que t’es un petit soumis au fond ? Pas vrai ?
Je l’ignore, de plus en plus agacé par ses provocations.
— Tu dois bien t’ennuyer avec la tienne, dans ce cas. Elle n’a pas l’air du genre à s’amuser avec des armes quand elle…
— Taisez-vous. Vous formez un duo fort remarquable, tous deux : une troupe de pervers détraqués.
Il éclate alors d’un rire moqueur.
— D’accord, d’accord... Monsieur est pudique.
Alice
08 octobre 2023
Une fois les deux hommes sortis, je me tourne vers Lexa, la voix ferme, maîtrisant mes émotions.
— Que me voulez-vous ?
Elle me fixe, un sourire en coin.
— Je dois admettre que tu m’as impressionnée. Je ne pensais pas que tu irais jusqu’à le tuer. C’est bien. Dans ce monde, c’est tuer ou être tué.
— Je ne fais pas partie de votre monde. Nous ne sommes pas des mafieux.
— Mathieu est un mercenaire, Sasha un stalker, et toi, leur élève. Tôt ou tard, ils t’emmèneront en mission avec des mafieux. Ce sont des chiens dans ce milieu.
— Où voulez-vous en venir ?
— L’amour te rendra faible.
— L’amour n’est pas une faiblesse, Lexa.
— Tu dis ça parce que tu es amoureuse. Mais peut-être qu’un jour, tu comprendras. Ce jour où tu devras tuer, avec Mathieu en jeu. Le jour où tu n’arriveras pas à presser la gâchette, tu penseras à cette conversation.
— Merci de votre sollicitude, mais je sais me défendre. Et il me défend aussi.
D’ailleurs, ce genre de situation s’est déjà produit avec Axel. Et j’ai survécu pour le mieux.
— C’est bien là le problème. Il te défendra, quitte à mourir. Tu connais la fin des couples de mon monde ?
— Je ne suis pas sûre de vouloir le savoir.
— L’un meurt. Mathieu ne se laissera jamais tuer, il est bien trop entraîné pour cela. Mais si tu es en jeu, la partie change. Enfin… tu peux y aller. Et ne t’inquiète pas trop, ta dette ne sera pas si lourde.
— Merci. Mathieu m’a dit que vous étiez le mal incarné… mais parfois, vous êtes surprenamment agréable.
— Crois-moi, écoute-le lorsqu’il parle de moi. Qui sait ce que je mijote ? Ne fais confiance à personne. Peut-être suis-je en train de te manipuler.
— C’est moi qui manipule les gens ici.
Je lui souris hautain avant de me diriger vers la porte.
— Mais souviens-toi de ce que je t’ai dit. L’amour est une faiblesse. Toutefois, il peut s’avérer utile, parfois. Beaucoup tueraient pour que quelqu’un les regarde comme il te regarde.
— Tu parles de toi ?
Elle rit avant de vider son verre d’un trait.
— Peut-être… ou peut-être pas.
— C’est clair qu’un homme comme le votre doit être très désagréable.
— Rio ? Non, on s’amuse, c’est tout.
— Peut-être pour toi, mais lui, il t’aime. Et je suis persuadée que c’est réciproque. Un amour plus que néfaste qui ne devrait pas exister.
— Je vais finir par te faire regretter cette conversation, dit-elle avec un sourire amusé.
Je ris légèrement avant de lui lancer un regard interrogateur, espérant qu’elle plaisante.
— Oui, c’était une blague. Bon, file avant qu’ils ne saccagent mes tapis avec de l’eau de Javel.
Soudain, ses yeux s’écarquillent et elle bondit de son siège pour ouvrir la porte. Mathieu la fixe un instant avant de jeter un regard derrière elle.
— Je sais comment tu vas te faire pardonner, dit-elle, triomphante. Achète-moi le dernier tapis de la collection.
— Alice ne court-elle aucun risque de votre part ? demanda-t-il d’une voix froide.
— À moins qu’elle ne refasse une connerie, non.
— Fort bien. Je vous l’acquérirai, répondit-il, quelque peu amusé.
Lexa s’écarte pour me laisser passer. Je rejoins Mathieu et, d’une même voix, nous lâchons:
— Merci.
— Je savais que, dans le fond, j’étais une crème, s’exclame-t-elle en rejetant ses cheveux en arrière.
Puis elle se saisit de son Glock avec un sourire carnassier.
— Mais trêve de plaisanterie, j’ai quelqu’un à tuer. Désolée, le devoir m’appelle.
— Mes salutations, dit Mathieu avant de m’attraper par la main.
Alors que nous nous éloignons, je soupire :
— Nous revoilà à la case départ en termes d’effectifs.
— En effet, toutefois je ne m’aventurerai point à tenter le diable en requérant son assistance. D’autant que leur présence en ces lieux témoigne de leur attente quant à son intervention en notre faveur, ce qui nous confère un avantage certain de surprise. De surcroît, nous avons affaibli leurs rangs. Les Crows recrutent rarement, et peu d’individus aspirent à les rejoindre.