Mathieu
9 juin 2023
Je m’éveille, l’esprit alourdi et enveloppé d’un voile d’ivresse résiduelle. L’imprudence de me laisser aller à une beuverie en compagnie de Sasha, la veille d’un rendez-vous d’une importance capitale, me frappe avec l’éclat d’une mauvaise décision. Ce jour, je dois rencontrer Lexa, lui remettre les preuves du meurtre et percevoir la somme convenue. Tandis que je me lève, un vertige impétueux me saisit, m’obligeant à chanceler et à m’appuyer brièvement sur la table pour retrouver mon équilibre.Une fois cette instabilité dissipée, je m’affaire à me vêtir avec une minutie coutumière. J’opte pour un pantalon noir parfaitement taillé et une chemise d’un blanc éclatant, sur laquelle je superpose un gilet de costume d’un gris anthracite. Dans la poche de ce dernier, je dissimule un petit couteau, dont le manche est orné d’une chaîne dorée, feignant ainsi l’apparence d’une montre à gousset ou d’un banal accessoire de mode.Je saisis ensuite mon chapeau noir, sobre et élégant en apparence, bien qu’il recèle un secret redoutable : ses bords intérieurs sont subtilement garnis de lames de rasoir acérées. Enfin, je m’empare de ma canne, fidèle alliée ornée d’un pommeau sculpté en forme de corbeau. Sous ses atours discrets se cache un poignard redoutablement affûté, prêt à être extrait en dévissant le manche.Après avoir vérifié chaque détail de ma mise, je m’accorde un bref regard dans le miroir. Malgré les stigmates laissés par l’excès de la veille, mon allure demeure impeccable, empreinte d’une rigueur presque intimidante. Rasséréné, je me dirige lentement vers la porte, résolu à affronter les épreuves de la journée avec toute la préparation que la prudence exige.
- Tu leur fait confiance ma parole, je ne t'ai jamais vue sortir avec autant d'armes sur toi.
— Il me manque encore mes dispositifs de diversion.
D’un pas mesuré, je me dirige vers la commode. J’en extrais quatre poignards, chacun soigneusement affûté. Avec une précision mécanique, j’en glisse deux dans chacune des poches intérieures de mon gilet, veillant à ce qu’ils soient aisément accessibles tout en restant discrets.
Je perçois dans le regard de Sasha une lueur d’inquiétude.
— Tu n’as nullement à t’en faire. Je collabore avec Lexa depuis fort longtemps, je sais parfaitement comment la gérer.
-Oui…mais d’habitude on a vraiment tué la cible. Si elle remarque notre supercherie ?
— Lexa est bien trop absorbée par d'autres préoccupations pour s’interroger sur l’authenticité du cadavre. Je te l’assure, je collabore avec elle depuis de nombreuses années. Et bien qu’elle s’en défende sans doute, je puis te garantir qu’elle accorde une confiance absolue à mes compétences.
Je m’approche de Sasha et lui tapote affectueusement la tête. Il m’adresse un léger sourire, visiblement touché par ce geste d’attention.
-Je sais que je m'inquiète trop…mais je ne peux pas te perdre, s’il te plait promet moi que tout se passera bien.
-Je te donne ma parole Sasha.
— Bonne chance, murmure Sasha, un soupçon d’inquiétude transparaissant toujours dans sa voix.
Je me contente d’un signe de tête en guise d’au revoir, sans un mot de plus. D’un geste ferme, j’ouvre la porte et quitte l’appartement, prêt à affronter ce que la journée me réserve.
Arrivé devant la grande bâtisse, je m’avance vers l’entrée principale où deux gardes, au regard glacial, me détaillent froidement avant de m’autoriser à passer. À peine ai-je levé la main pour saisir la poignée que la porte s’ouvre brusquement, dévoilant une jeune femme brune au visage fermé : Lexa.
— Bonjour, Mathieu, déclare-t-elle d’une voix empreinte d’autorité.
- Enchantée Madame.
- Appelez moi Lexa.
- Si, Madame le désire, dis-je en faisant une légère révérence.
— Entrez donc, et cessez de vous tenir sur le seuil comme un mendiant, réplique-t-elle avec un sourire aussi faux que moqueur.
Sans attendre, elle se détourne et s’avance jusqu’à se tenir aux côtés d’un homme dont l’expression mêle désir et crainte à son égard.
— Remettez vos armes à Tyler, ordonne-t-elle, un regard acéré dirigé vers moi.
Je m’exécute sans me départir de mon calme, extrayant de ma tenue quatre couteaux soigneusement dissimulés, ainsi qu’un Glock 27 que j’avais trouvé plus tôt. Sentant le regard perçant de Lexa peser sur moi, je m’adresse au dénommé Tyler.
— Je vous saurais gré, cher Monsieur, de bien vouloir manipuler ces couteaux avec la plus grande précaution, dis-je en les lui remettant avec une lenteur étudiée. Faute de quoi, je me verrais dans l’obligation de vous priver d’une jambe, ajoutai-je d’un ton d’un calme absolu, les yeux ancrés dans les siens. Lexa, impassible, observe la scène avant de m’inviter d’un geste à la suivre. Ma canne ponctue mes pas réguliers de son claquement sur le sol tandis que nous pénétrons dans une vaste salle ornée d’une table imposante autour de laquelle une vingtaine de convives demeurent silencieux, les regards rivés sur leurs assiettes encore vides.
— Notre entrevue était fixée il y a plusieurs jours. Auriez-vous l’obligeance de m’exposer les raisons de votre retard ? J’éprouve une aversion profonde pour ceux qui traitent la ponctualité avec désinvolture.
-On a eu une fusillade, j'allais pas inviter mon meilleurs mercenaires alors qu'un enfoiré était entrain de percé le crâne de tous mes hommes. Elle termine son verre cul sec, un sourire énigmatique sur les lèvres.
— Au fait, je vous déconseille de manger. Vous pourriez le regretter.
À ces mots, tous les convives, comme frappés d’une soudaine épiphanie, recrachent leur nourriture, suscitant chez Lexa un rire franc.
— Vous êtes bien silencieux, Mathieu, observe-t-elle en riant. Si je puis me permettre...
— Je vous prierai de ne point vous permettre, l’interrompis-je, avant de poursuivre d’un ton plus mesuré : Puis-je espérer que nous en venions enfin au sujet principal ? Je goûte peu ces interminables joutes verbales.
- Vous n'appréciez pas la déco ? Dit-elle avec un visage arrogant.
— Votre goût laisse singulièrement à désirer…, fis-je remarquer en balayant les environs du regard.
Tandis qu’elle me fixe, une légère ride se dessine sur son front, infime indice que ma remarque ne lui a nullement été agréable.
— À votre avis, qu’est-ce que c’est, cette viande ? demanda-t-elle avec un sourire cruel.
Le silence devient pesant. Mon regard se pose un instant sur l’assiette, observant attentivement ce qui s’y trouve.
— Du porc ? De l’agneau ? propose timidement un jeune blond.
Je lève la main avec lenteur, attirant l’attention de Lexa, qui m’interroge avec un sourire amusé.
— Mathieu ?
— Au vu de l’emplacement des nerfs fémoral et mixte, j’en conclus qu’il s’agit vraisemblablement de… chair humaine, déclarais-je d’un ton parfaitement posé, tout en soutenant son regard sans ciller.
Un silence pesant s'installe dans la pièce, avant que Lexa n’éclate d’un rire clair et inattendu. Je finis par l’accompagner d’un sourire discret.
Soudain, dans un mouvement fulgurant, elle saisit le blond par la tête et l’écrasa violemment contre son assiette. Je l'observais sans la moindre émotion, parfaitement accoutumé à ce genre de manifestations brutales.
— Suivez-moi, lance-t-elle en se levant.
Nous nous dirigeons vers son bureau, où elle reprend un ton plus sérieux.
— Passons enfin à ce qui nous intéresse, déclare-t-elle en soupirant presque.
— Enfin…, soupirai-je avec lassitude.
Je sortis une photographie du cadavre ainsi qu’un bocal renfermant un cœur, que je lui tendis avec une lenteur méthodique.
- Elle n'as pas était trop dure a trouver ? dit-elle une pointe d'ironie dans sa voix.
— J’ai été confronté à une situation bien plus désagréable.
— Tout semble en ordre, dit-elle après examen. Voici votre dû.
Elle me tend une mallette.
— Je vous remercie. Puis-je me retirer à présent ?
- Je pourrai croire que vous n'aimez pas ma compagnie Mathieu. dit-elle en portant la main à son cœur supposé qu'elle en est un.
— Loin de moi une telle intention, dis-je avec une pointe d'ironie. Toutefois, mon devoir m'appelle. Puis-je m’y rendre, Lexa ?
— Oui, Tyler vous rendra vos affaires.
À l’entrée, je retrouve Tyler, qui me rend mes armes intactes. Avec un regard menaçant, je m’assure qu’il a compris qu’aucune négligence ne serait tolérée.
Alice
02 juin 2023
Je m’éveille, les paupières encore lourdes, tandis qu’un voile flou enveloppe mes pensées. En m’étirant, des fragments de ma nuit passée avec Mathieu refont surface, tels des éclats lumineux dans l’obscurité. Je m’assieds sur le bord du matelas, jetant un regard autour de moi. La place à côté de moi est vide, et, à en juger par la lumière vive qui inonde la pièce, j’ai visiblement fait une grasse matinée.Je me lève, secouant les bribes de sommeil qui s’accrochent encore à moi, puis me lave sommairement avant d’enfiler des vêtements. Tandis que je m’apprête à prendre mon sac, une feuille glisse silencieusement au sol. Intriguée, je me baisse pour la ramasser. Le papier, soigneusement plié, dévoile une note rédigée d’une écriture élégante et presque formelle : ”Je vous prie de bien vouloir excuser ma négligence quant à l’omission des civilités d’usage. Une affaire urgente m’a contraint à agir avec promptitude. Il m’a été rapporté que vous exercez l’art de l’écriture et que vous sollicitez mes conseils. Nous aurons certainement l’opportunité de nous revoir dans un avenir proche." Un soupir amusé m’échappe. Axel... Toujours aussi peu mystérieux et prompt à en dire trop. Quoi qu’il en soit, j’ai encore du temps avant la séance prévue le dix-sept. D’ici là, je devrais pouvoir prendre rendez-vous avec Sasha.Je quitte l’hôtel et rentre directement chez moi.À peine ai-je introduit la clé dans la serrure que des miaulements furieux s’élèvent de l’autre côté de la porte. Voilà, une seule nuit d’absence, et mon cher Chacha s’imagine déjà que je l’ai abandonné.
— Oui, mon Chacha, murmurai-je d’un ton affectueux, me laissant gagner par une tendresse un peu ridicule pour cette boule de poils.
Je pose mes affaires et me dirige sans tarder vers ma chambre afin de me changer avant de me mettre au travail.
Je sors de ma voiture, les clés en main, et me dirige d’un pas rapide vers la librairie.
— Alice ! s’écrie une voix familière.
Je tourne la tête pour voir mon collègue qui semble légèrement agité.
— Tu tombes bien ! Pourrais-tu mettre ces livres en rayon ? J’ai une affaire urgente à régler.
— Bien sûr, pas de problème.
Il me tend un carton rempli de mangas. Je l’attrape et me rends directement au rayon concerné. Une fois les livres placés sur les étagères, je m’époussette les mains, satisfaite du travail accompli.
— Bon, voilà qui est fait…
Une voix hésitante m’interrompt :
— Excusez-moi…
Je me retourne pour aider un client et reste figée un instant.
— Oui… Iris ? dis-je, un peu surprise. Vous cherchez un livre en particulier ?
— Non, je l’ai déjà trouvé, répond-elle en me montrant un exemplaire de mon roman, Sujet 66, qu’elle tient sous son bras.
Mon regard s’attarde sur elle, une ancienne partie de ma vie brusquement ramenée dans le présent.
— Bien, dans ce cas…
— Non, attends. Cela fait un moment que j’aimerais te parler.
— Tu aurais pu me contacter. Mais comme tu peux le voir, je suis au travail.
— J’ai perdu mon téléphone, et la carte SIM avec, explique-t-elle. Donc j’ai aussi perdu ton numéro.
Je prends un stylo et un bout de papier pour lui écrire mon numéro, me gardant d’ajouter un mot de plus que nécessaire.
— Tiens. Maintenant, excuse-moi, mais j’ai du travail.
Elle acquiesce sans insister davantage. Je la regarde s’éloigner, et malgré moi, des souvenirs refont surface. Iris fut ma première véritable relation. Je ne lui tiens pas rigueur de m’avoir quitté, car je sais que sa décision avait été lourdement influencée par ses parents. Elle n’a pas changé. Ses magnifiques cheveux rose frisé encadrent toujours son visage avec cette aura de douceur, et ses yeux bruns en amande conservent leur éclat. Pourtant, je ne peux m’empêcher de remarquer un détail nouveau sur sa peau noir claire : un tatouage fin, délicat, orne désormais son bras. Je me rends compte que je l’ai trop longuement contemplée lorsqu’un autre client m’interpelle pour une question. Le reste de mon service se déroule sans accroc, et l’heure de fermeture approche enfin.
Une fois ma journée terminée, je décide de me rendre au café habituel. C’est un lieu familier où Axel et moi aimons nous retrouver pour discuter. Parfois, sa sœur se joint à nous, ajoutant sa touche de chaleur et de convivialité.
— Désolé, je suis un peu en retard !
Je salue Rose et Axel rapidement avant de m’installer à leur table.
— Je t’ai déjà commandé ta boisson, annonce Axel en me tendant un sourire complice.
— Merci ! répondis-je en posant mon sac. C’est sympa que tu aies pu nous rejoindre, Rose.
— Ne sois pas trop enthousiaste, réplique Axel en croisant les bras. Quand je lui ai proposé de venir, elle m’a répondu : "Oui, en plus j’ai à vous parler." Ça sent la mauvaise nouvelle.
Rose nous observe tour à tour, un sourire mystérieux au coin des lèvres.
— Arrêtez de stresser, dit-elle d’un ton amusé. C’est une bonne nouvelle. Max et moi… on a enfin réussi à avoir un enfant.
Je reste figé un instant..
— Je… JE VAI ÊTRE TONTON ! Dis Axel en éclatant de rire tandis que je me lève pour serrer Rose dans mes bras.
— C’est merveilleux, Rose ! Félicitations à vous deux.
Enfin pour moi c’est un cauchemar mais bon.
— Merci, dit-elle en esquissant un sourire plein de soulagement. Pour être honnête, je commençais à perdre espoir. Et pour fêter ça, nous avons décidé de partir en voyage en Italie.
— L’Italie ? demande Axel, les yeux brillants d’intérêt. Vous partez quand ?
— La semaine prochaine ! répond-elle avec enthousiasme avant de se tourner vers moi, son regard devenant malicieusement sérieux. Oh, Alice… ma robe. J’espère pour toi qu’elle est en parfait état ?
Un frisson traverse ma colonne vertébrale à la manière d’un avertissement.
— Oui, bien sûr, dis-je en masquant ma nervosité. Je passe te la déposer demain. Tu seras là ?
— Oui, parfait.
La conversation dérive vers des sujets légers, et nous partageons quelques éclats de rire avant de nous séparer. Une fois ma voiture garée devant mon immeuble, je sors et marche vers l’entrée. Mais, alors que je m’apprête à franchir la porte, un étrange frisson me parcourt, comme si une main invisible effleurait ma nuque. Je m’arrête, mes sens en alerte. Une sensation dérangeante d’être observée s’insinue en moi, faisant battre mon cœur plus vite. Je jette un coup d’œil autour de moi, mais les rues sont vides, baignées dans la lumière tamisée des réverbères. Sans perdre de temps, j’accélère le pas et referme la porte derrière moi avec un soupir de soulagement, espérant que ce n’était rien d’autre que mon imagination.