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Pommedereinette
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Chapitre 21

Alice
4 septembre 2023


Mon visage est levé vers un ciel d’un bleu étincelant. La chaleur persistante de cette fin d’été s’abat sur les convives endeuillés, formant une marée noire de silhouettes sombres. Je détonne volontairement dans ce tableau : en son honneur, j’ai choisi de porter ma plus belle robe bleu foncé, ornée de nombreux accessoires. Il détestait tout ce qui était trop sobre ou conventionnel. Une main s’entrelace doucement avec la mienne, me tirant de mes pensées nostalgiques. Je tourne la tête et croise le regard de Rose. Un sourire triste étire ses lèvres, mais ses yeux rougis trahissent les larmes innombrables qu’elle a versées, et qui ne cesseront sans doute pas de sitôt. Son mari, comme à son habitude, est absent, accaparé par son travail. Il lui a laissé la lourde charge d’organiser seule les préparatifs de l’enterrement. Comme je m’y attendais, elle a eu besoin de mon aide. Cette semaine, j’ai exceptionnellement demandé à Mathieu l’autorisation de rester chez elle. Bien qu’il ait d’abord été réticent, il a fini par comprendre que cette demande était importante pour moi, et il a accepté. Rose, fidèle à son frère jusqu’au bout, a refusé de porter du noir. En hommage à son esprit unique, elle a opté pour une robe rouge élégante, assortie à son tempérament flamboyant. Je souris tristement en remarquant notre harmonie, moi en bleu, elle en rouge : deux éclats de couleurs dans cette mer de deuil. Le murmure des feuilles dans la brise capte mon attention plus que les paroles du prêtre, qui résonnent à peine à mes oreilles. Perdue dans mes pensées, je prends doucement Rose dans mes bras. Son ventre, légèrement arrondi, se presse contre le mien. Après une heure, la cérémonie touche à sa fin. Je me tiens à l’écart, observant distraitement les convives échanger quelques mots, le visage fermé. Une tension me parcourt soudain lorsque je sens une poigne brutale m’attraper et me tirer violemment à l’écart.

— Toi !

Je me fige en entendant cette voix tranchante.

— Maman ?! Qu’est-ce que tu fais là ?

Son regard glacial me transperce tandis qu’elle s’avance d’un pas autoritaire.

— Cela fait deux mois que tu n’es plus chez toi, lance-t-elle d’une voix cinglante.

— Tu m’espionnes maintenant ? rétorquai-je en croisant les bras, le menton levé. De toute façon, qu’est-ce que ça peut bien te faire ? Ce n’est pas comme si tu étais inquiète.

La réponse arrive plus vite que prévu : une douleur vive embrasse ma joue lorsqu’elle me gifle violemment.

— Je te rappelle que je sais tout ce qui se passe dans cette maudite ville. Cesse de me manquer de respect, sombre idiote, gronde-t-elle, sa voix vibrante de colère. Elle attrape mon menton d’une main ferme, m’obligeant à la regarder dans les yeux. Cela fait bien longtemps que j’ai arrêté de me soucier de toi.

Ses mots me brûlent plus que la gifle, mais elle poursuit sans relâche :

— Par contre, j’ai entendu dire que tu étais mêlée à des affaires sordides. C’est officiel : je te renie de la famille.

Mon cœur s’alourdit, mais je ne lui montre rien. D’un geste brusque, je me dégage de son emprise.

— Ose faire ça, dis-je d’une voix froide, et je te montrerai à quel point tu m’as “bien” éduquée.

Son visage se déforme sous l’effet de la rage.

— Tu me menaces ?!

— À toi de me le dire, je m’approche légèrement, un sourire narquois sur les lèvres. “Maman.” Le mot est prononcé avec une insistance moqueuse, un venin qui semble la toucher en plein cœur.

Le bruit de pas derrière moi interrompt notre confrontation. Elle détourne son attention, son regard féroce fixé sur la nouvelle présence.

— Toi ! siffle-t-elle avec mépris, s’adressant à Mathieu. Je te ferai regretter d’avoir utilisé ma fille pour salir notre réputation. C’est ton seul objectif, n’est-ce pas ?

Sa voix monte en intensité :

— Elle est peut-être trop stupide pour le comprendre, mais tu ne m’auras pas. Tu devrais me remercier de te laisser continuer à tes activer au lieu de t'écraser comme un vulgaire insecte. Ton père à eu ceux qu’il meriter pour se croire important, ne fais pas la même erreur.

Mathieu ne bronche pas. Son visage demeure impassible, son calme inébranlable, ce qui ne fait qu'augmenter sa fureur. Après un dernier regard furibond, elle tourne les talons et s’éloigne d’un pas décidé. Je reste figée un instant, mes émotions bouillonnent en silence. Un contact léger ramène mon attention. Je lève les yeux pour croiser le regard de Mathieu. Sa main caresse doucement ma joue meurtrie, effaçant presque la brûlure de la gifle. Mon regard glisse sur lui : sa chemise rouge impeccable, soigneusement rentrée dans son pantalon noir, et sa posture toujours si droite. Une main repose élégamment sur sa canne. Il n’a pas besoin de parler. Son calme, sa présence suffisent à apaiser mon tumulte intérieur.

— Ce fut, ma foi, un spectacle des plus remarquables qu’elle nous a offert, observe Mathieu d’un ton légèrement amusé, non sans une pointe d’ironie. Toutefois, je me dois de reconnaître qu’elle jouit d’un privilège certain en tant que votre mère… Sans cela, je ne puis garantir que sa main serait encore solidement rattachée à son poignet.

— Rien qui sorte de l’ordinaire, répliquai-je en haussant les épaules.

— Une famille pour le moins singulière… ce qui, compte tenu de ta personne, ne saurait véritablement me surprendre.

Je plisse les yeux, son sourire énigmatique ne m’aide pas à déterminer s’il plaisante ou s’il est sérieux.

— Je ne suis pas sûre de bien le prendre.

— Vraiment ? Et pourtant, la banalité me semble d’un ennui accablant, rétorque-t-il, son regard envoûtant se posant sur moi avec intensité. Ne sombre jamais dans la normalité, my love.

Je fronce les sourcils, intriguée et un peu agacée par ce nouveau surnom.

— Encore un nouveau surnom, maintenant ?

— Cela te déplaît ?

— Je préfère les autres, dis-je, croisant les bras d’un air faussement boudeur.

Sa main quitte enfin ma joue pour effleurer brièvement mon bras dans un geste qui me fait frissonner.

— Les femmes de ta famille sont toujours aussi têtues et autoritaires ?

Je sursaute légèrement en entendant la voix de Sasha derrière moi. Mathieu, lui, esquisse un sourire amusé face à mon étonnement.

— Ta gentillesse m’avait manqué, dis-je, le ton chargé de sarcasme.

— Pour ma part, il me semble que cette idée ne manque guère de charme, intervient Mathieu avec une pointe de malice dans la voix, son regard malicieux se posant sur moi.

Mes joues s’empourprent à son sous-entendu, mais je tente de conserver mon calme.

— Vous êtes irrécupérables, marmonne ai-je en secouant la tête.

Sasha lève les yeux au ciel avant de se racler la gorge.

— Je suis vraiment désolé de casser ce charmant moment, mais il faut qu’on y aille. Ces abrutis de corbeaux sont dans les parages.

Mon expression change instantanément.

— Quoi ? m'exclamai-je, la colère montant en moi. Qu’est-ce qu’ils fichent ici ?

Mathieu, toujours impassible, semble réfléchir un instant avant de répondre calmement :

— Il serait sans doute plus judicieux de regagner la compagnie de notre charmante Rose.

Je sens mon cœur se serrer à cette idée.

— Tu… Tu penses qu’ils en ont après elle ? murmurai-je, l’anxiété grimpant en flèche. N’ont-ils pas déjà causé assez de dégâts ?

— Ces maudits volatiles se révèlent d’une insatiabilité consternante, lâche Mathieu, son ton teinté de mépris.

Je n’attends pas une seconde de plus. Sans un mot, je me précipite pour rejoindre Rose, mes deux compagnons sur mes talons. Sasha marche plus près de moi, son regard inquiet captant mon état d’agitation. Le reste de l’enterrement se déroule sous l’œil scrutateur et indiscret de l’un de ces sinistres Corbeaux. Je n’arrive pas à ignorer leur présence : leurs silhouettes semblent peser sur la cérémonie comme une ombre malveillante. Quand tout touche à sa fin, j’accompagne Rose jusqu’à sa voiture. Je la prends dans mes bras, la serrant fermement contre moi une dernière fois.

— Prends soin de toi… et repose-toi, d’accord ? murmurai-je à son oreille.

Elle hoche la tête, ses yeux encore rougis, puis monte en silence dans son véhicule. Alors que je me retourne, je remarque l’individu suspect, un Corbeau, qui s’avance d’un pas déterminé vers mes deux compagnons, en pleine discussion un peu plus loin. Sans réfléchir, je presse le pas pour le rattraper. Quand j’arrive, Mathieu et Sasha se tournent brusquement vers moi, interrompant leur conversation. Ils ne tardent pas à comprendre la raison de mon urgence : l’homme se tient maintenant à quelques mètres, son regard fixe et provocateur rivé sur nous.

— Quelle exquise compagnie, s’exclame Mathieu d’un ton chargé d’ironie, un sourcil élégamment arqué.

— Nul besoin d’être hostile, rétorque le châtain en tendant une main vers lui. Je suis Léon.

— L’informateur ? demande Sasha, les sourcils froncés.

— Lui-même, répond Léon avec un sourire suffisant, inclinant légèrement la tête. Et désormais à votre service. Il semblerait que je retourne à mes origines.

Mathieu soupire, visiblement agacé, avant de passer une main dans ses longs cheveux bruns, attachés en un demi-chignon soigné.

— Nous reprendrons cet échange au chalet, à l’abri des regards indiscrets, conclut-il d’un ton péremptoire, ne souffrant nulle réplique.

Il ne daigne pas attendre de réponse et se dirige immédiatement vers le véhicule. Sasha lui emboîte le pas, tout comme Léon, avec sa démarche nonchalante et ce sourire courtois qu’il arbore depuis le début. Je reste en retrait, hésitante. Mon regard dérive vers la voiture de Rose, toujours stationnée, son moteur éteint. Je me dis que je ne devrais pas partir, qu’elle a encore besoin de moi. Mais un mouvement à la périphérie de mon champ de vision attire mon attention. Une ombre. Je plisse les yeux, tentant de mieux distinguer la silhouette qui semble se faufiler dans la foule. Mon cœur rate un battement. Est-ce… Axel ? Non. Ce n’est pas possible… Si ?

— Bon… Je suppose que ça fera l’affaire, murmurai-je dans un soupir, m’efforçant de me convaincre.

Un klaxon retentit, me ramenant brusquement à la réalité. Je sursaute et me dépêche de rejoindre la voiture.

— Je suis sûr que Rose n’a pas besoin de toi. Elle peut s’en sortir, déclare Sasha depuis le siège conducteur, son ton légèrement bourru.

— Il apparaît clairement que notre délicate endeuillée possède une remarquable résilience, puisqu’elle parvient d’ores et déjà à supporter la présence d’un individu dont la disgrâce, ma foi, ne saurait être ignorée… ajoute Mathieu d’un ton acéré, son regard incisif fixé sur Léon bien que le reproche ne lui soit pas destiné.

Je détourne les yeux vers la fenêtre, préférant ignorer les piques échangées.

— Je me souviens que votre père critiquait souvent cette façon de parler qu’avait monsieur Blake, intervient Léon avec une pointe d’amusement. On dirait que vous l’avez absorbée vous aussi.

— Les défunts, de toute manière, n’ont plus droit au chapitre, rétorque sèchement Mathieu, sa voix empreinte d’une froideur inhabituelle.

Léon, imperturbable, répond par un sourire poli, comme s’il avait prévu cette réaction. Je sens son regard glisser vers moi, mais je refuse de lui accorder plus d’attention. Lorsque je tourne légèrement la tête pour l’observer du coin de l’œil, il me fait un signe de la main, parfaitement serein. Je ne réponds pas, me contentant de l’observer en silence. Ce Léon me met mal à l’aise. Il semble trop sûr de lui, trop calculé. Pourtant, je n’arrive pas à détourner les yeux jusqu’à ce que le véhicule s’arrête enfin. Le trajet, bien que court, s’est déroulé dans un silence étrange, ponctué seulement par les tics nerveux de Sasha.

Je sursaute légèrement lorsque la portière de la voiture s’ouvre brusquement.

— Décidément, tu semble bien absorbée par tes pensées, ma chère, observe Mathieu d’un ton délicatement sarcastique, quoique tempéré par la douceur insoupçonnée de son regard.

Je lui jette un regard avec un sourire léger avant de descendre sans un mot. 

Mes pas me portent mécaniquement jusqu’au chalet. Je sens son regard peser sur moi, probablement réprobateur, mais je n’y prête pas attention. À l’intérieur, je découvre Sasha et Léon déjà installés sur le canapé. Leon semble absorbé par la décoration, son regard parcourant les lieux avec une étrange nostalgie.

-Vous avez conservé le piano de madame Garance, je me souviendrai toujours de la grâce et le charisme qu’elle dégage en y jouant sa mélodie. Je dois dire que c’est une vraie aubaine pour moi de revenir ici.

Il souris tristement en regardant l’instrument.

Sasha lui, est affalé avec une décontraction presque insolente, mais je note la tension subtile dans ses gestes notamment les tremblements incessant de sa jambe droite et la fâcheuse manie qu’il a de tripoter ses bracelets.. Sans un mot, je viens m’asseoir à côté de Sasha. Je pose doucement ma main sur sa jambe pour tenter de le réconforter. Il sursaute à mon geste, jetant un coup d’œil rapide à ma main avant de détourner les yeux. Il ne dit rien, mais je sens qu’il apprécie l’intention. Le silence règne pendant quelques minutes jusqu’à ce que Mathieu entre enfin dans la pièce. Il s’installe avec élégance sur son fauteuil habituel, déposant sa canne sur le côté. Son regard scrute longuement Sasha, puis glisse vers moi, s’attardant un instant de trop, comme s’il cherchait à déchiffrer quelque chose.

— Mon cher compagnon, aurais-tu l’amabilité d’aller servir un thé à notre invité ? demande Mathieu avec un sourire léger, mais son ton ne laisse aucun doute sur le caractère d’ordre de sa requête. 

Je ne sais pas si c’est par jalousie ou par une sincère envie d’aider Sasha, mais ce dernier semble soulagé d’avoir une excuse pour s’éclipser un instant. Il quitte la pièce en hâte, laissant Mathieu et Léon face à face. Une fois Sasha parti, Mathieu tourne son regard acéré vers Léon, ses traits désormais sérieux, presque glaciaux.

— Asseyez-vous, ordonne-t-il d’un ton autoritaire.

Toujours avec ce stupide sourire courtois, Léon prend place face à lui. Il pose ses mains sur ses genoux, dans une posture faussement décontractée, mais son regard est plein de dévotion, presque admiratif. Mathieu, de son côté, reste droit comme un maître de maison souverain, ses bras croisés sur son torse. Son silence lourd exige une explication immédiate.

— Comme monsieur Blake a dû vous le dire, après que vous ayez dissous le clan… eh bien, concrètement, je me suis retrouvé au chômage, commence Léon avec une nonchalance feinte. Notre cher vendeur d’armes a eu pitié de moi, alors il m’a engagé en tant qu’espion.

Un soupir las échappe à Mathieu.

— Il me semble vous avoir déjà entrevue lors des premières années de mon existence, murmure-t-il en plissant légèrement les yeux, comme tenté d’extirper un souvenir enfoui dans les brumes du passé.

— Vous étiez dépourvu de confiance à cette époque. C’était… mignon, répond Léon avec un sourire moqueur, ses yeux brillants d’une lueur amusée.

— Épargnez-moi ces futiles billevesées et dévoilez-moi l’entière vérité, sans détour ni fioriture, tranche Mathieu d’une voix aussi acérée qu’une lame affûtée. Il redresse imperceptiblement les épaules, imposant sa présence avec une autorité qu’il ne juge nul besoin de justifier.

Léon le fixe un instant en silence, son sourire s’étirant légèrement.

— Toujours aussi impatient, murmure-t-il en soupirant. Très bien.

Il croise les jambes et s’adosse au canapé.

— Je suis plutôt bien placé chez les Corbeaux, maintenant. Cela fait plus de douze années que je travaille comme espion pour eux. Et laissez-moi vous dire que leur situation est de pire en pire.

Je fronce les sourcils.

— C’est censé vouloir dire quoi ? demandai-je d’un ton suspicieux.

— Que les Corbeaux ne sont plus capables de battre des ailes, explique Léon avec une métaphore dramatique. Cela fait des années qu’ils sont en déclin. Entre le manque de fonds, les morts, les bannissements et, dernièrement, la perte de leur contrat avec Francis, ils ne sont plus que l’ombre d’eux-mêmes.

Mathieu, pensif, passe ses doigts sur son menton dans un geste réfléchi.

— Serait-ce là l’explication de leur présence aussi massive à ce gala ? s’enquiert-il d’un ton mesuré, l’ombre d’un sourire effleurant ses lèvres. Seraient-ils en quête d’un nouveau contrat, à sceller sous le vernis d’une mondanité trompeuse, peut-être ?

— Exactement, confirme Léon. Mais ils ne l’ont pas trouvé… et ce, grâce à vous.

Un ricanement sarcastique s’échappe de Sasha, qui revient à ce moment précis avec un plateau chargé d’une théière et de quatre tasses.

— On dirait que ton manque de professionnalisme nous a grandement aidés, lâche-t-il en posant le plateau sur la table. Si on avait suivi le plan de base, peut-être qu’ils auraient conclu un nouveau contrat.

Mathieu détourne le regard en soufflant.

— C’était, à vrai dire, exactement ce que je souhaitais éviter… Ce qui, par un subtil paradoxe, en faisait donc partie intégrante du plan.

— Tu es adorable quand tu mens, rétorque Sasha avec un sourire en coin. tu as juste eux de la chance.

Mathieu fait claquer sa langue contre son palais, visiblement agacé.

— Ce n’était peut-être point le dessein initial, mais j’en avais nourri le pressentiment.

— Une vraie famille, commente Léon en jetant un regard appuyé aux deux hommes.

Leur scepticisme est palpable, mais Léon, imperturbable, continue :

— Navré de vous interrompre, mais je ne peux pas rester indéfiniment.

Mathieu lui fait un signe brusque de la main.

— Reprenez.

— Merci. Comme je disais, leur puissance et leurs ressources sont grandement affaiblies. Et leur effectif aussi. Avec les trois morts à déclarer du gala, ils ne sont plus que seize.

— C’est quand même beaucoup pour trois personnes, murmurai-je en me mordillant la lèvre, troublée.

Le regard de Léon devient froid, presque glaçant, avant que son sourire ne revienne lorsqu’il repose les yeux sur Mathieu.

— Quatre, pour être exact, rectifie-t-il. Et maintenant que je travaille pour vous, je pourrai vous informer de leurs prochaines missions. Vous n’aurez qu’à réduire leurs effectifs sur place, un à un.

— Une fois leur nombre réduit… nous anéantirons leur refuge, déclare Mathieu, ses yeux brillant d’une détermination glaciale.

Un frisson me parcourt. Je n’aime pas ça. Je n’aime pas ce Léon. Mais il semble tellement dévoué à Mathieu que je me dis que je ne devrais probablement pas m’en inquiéter.

— Sur ce, je dois vous laisser, annonce Léon en se levant, ajustant son veston avec une élégance calculée. N’hésitez pas à me contacter en cas de besoin.

Il se dirige vers la porte. Je reste figée un instant, les pensées tourbillonnant dans mon esprit. Puis, d’un élan incontrôlé, je me lève. Les regards interrogateurs de Mathieu et Sasha me suivent.

— Alice ? appelle Mathieu d’un ton interrogateur.

Je franchis la porte sans répondre, la refermant doucement derrière moi. Le cliquetis sec de la serrure résonne dans le silence pesant. Léon s’arrête au bruit, se tournant lentement pour me faire face. Son sourire a disparu, gommé de ses traits comme s’il n’avait jamais existé. À la place, une expression impassible, presque austère, s’impose sur son visage.

— Ce n’est que toi, dit-il d’une voix froide, détachée, comme s’il venait d’être dérangé par une ombre sans importance. Qu’est-ce que tu veux ?

Plus aucune trace de respect, même feinte. Il me regarde comme un insecte qui aurait osé ramper jusqu’à son trône. Je m’avance malgré tout, les poings serrés, la colère mêlée à la peur m’enserrant la gorge.

— Ne crois pas que tu fais partie des nôtres avec ton sourire d’hypocrite, lâchai-je, la voix tremblante mais ferme, m’accrochant désespérément à ma fierté.

Un sourire tordu revient sur ses lèvres, plus cruel, plus tranchant que jamais.

— Parce que toi, tu crois faire partie de leur famille ? rétorque-t-il avec un ricanement sec, moqueur.

— Oui… dis-je, hésitante, vacillant sous le poids de son mépris.

Il éclate d’un rire bref, dur, qui sonne comme une gifle.

— Tu n’es rien d’autre qu’une gêne, une anomalie dans leur bel équilibre. Mais c’est presque attendrissant… cette naïveté tenace.

Chaque mot s’enfonce en moi comme un éclat de verre. Je sens ma confiance se fissurer. Mon regard chancelle, incapable de soutenir le sien.

— Tu doutes, maintenant ? murmure-t-il, sa voix mielleuse dégoulinant de cruauté. On dirait bien que j’ai raison.

— Non…

Ma protestation se brise en éclats quand il tend la main et enroule ses doigts autour de ma nuque. Son étreinte se resserre lentement, inexorable, m’arrachant l’air avec une lenteur calculée. Un sourire carnassier se dessine sur son visage, déformant ses traits en une caricature de satisfaction. Je tente de me débattre, mes mains battent faiblement contre lui, mais il ne cille pas, savourant chaque seconde de sa domination.

— Je ne tarderai pas à reprendre la place qui me revient de droit… Celle que tu m’as volée. Et toi, tu retourneras pourrir dans ta jolie prison dorée familiale.

— Va te faire foutre ! crachai-je, ma voix brisée par la douleur. Mathieu… ne t’a jamais aimé comme il m’aime, moi.

Ses yeux s’assombrissent d’un coup, et une veine palpite sur son front. Il serre plus fort, et je couine malgré moi, le souffle court.

— Tu n’es qu’une petite salope… un jouet qu’on jette quand il casse.

Mais soudain, le grincement de la porte qui s’ouvre fige son geste. Son emprise se desserre d’un coup. Il recule, comme si rien ne s’était passé, remettant aussitôt en place son masque de courtoisie. Derrière moi, des pas mesurés, le bruit distinct d’une canne frappant le sol. Mathieu.

Léon incline légèrement la tête vers lui, un salut muet, calculé. Puis, sans un mot, il se détourne et disparaît dans l’ombre de la forêt, avalé par l’obscurité comme un cauchemar qui attend son heure.

Je reste figée, tremblante, mon souffle heurté, jusqu’à sentir une main douce se poser sur ma joue.

— Tout va pour le mieux, Darling ? s’enquit Mathieu en s’approchant, le timbre empreint d’une inquiétude à peine voilée.

Je hoche la tête, tâchant de rassembler les morceaux de mon calme.

— Tout va bien, dis-je, dans un souffle.

Son regard se fait plus scrutateur. Il effleure ma joue du pouce, geste à la fois doux et protecteur.

— Il me semble percevoir en toi un changement… une réserve nouvelle. Un fardeau alourdit-il ton esprit, ces temps-ci ?

Je détourne les yeux.

— Désolée… c’est cette histoire d’enterrement. Ça me remue plus que je ne l’admets.

Je pose ma main sur la sienne, mon sourire faible mais sincère.

— Je vais bien.

Il m’observe longuement, silencieux. Puis il relâche lentement sa main, sans rien ajouter. Je me retourne et rentre dans le chalet, sentant encore le poids de son regard dans mon dos.

À l’intérieur, Sasha est accoudé au comptoir. Il relève les yeux en me voyant.

— Merci… pour tout à l’heure. Ça m’a aidée… un peu.

J’hausse les épaules.

— C’est normal.

— Ivan aussi faisait ça…

Un silence. Puis je demande, doucement :

— Tu veux me parler de lui ?

Il secoue la tête.

— Non. Je suis peut-être maso, mais j’aime être hantée par son fantôme. C’est tout ce qu’il me reste de lui.

Je le regarde un instant, puis m’approche lentement pour le prendre dans mes bras. Il se fige, surpris, avant que ses mains, tremblantes, ne s’agrippent à mon tee-shirt comme un naufragé à sa bouée.

La porte s’ouvre de nouveau. Mathieu entre, s’arrête un instant sur le seuil. Il nous regarde sans un mot, expression illisible, avant de monter à son bureau.

Je serre un peu plus Sasha contre moi. Sa voix brise le silence :

— Il y a une autre raison pour laquelle j’étais si désagréable avec toi…

Je caresse doucement son dos.

— Tu me fais penser à lui. Ta façon de parler, de bouger, ce que tu dégages… mais tu n’es pas lui. Et surtout, tu n’es pas là pour moi.

Je reste silencieuse. Un souffle. Un battement de cœur. Ses mots s’accrochent à mes os comme une vérité que je ne voulais pas entendre. Mais je comprends. Et je le serre un peu plus fort.

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