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Pommedereinette
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Chapitre 28

Mathieu

10 octobre 2023


Le bruit sec de mes souliers de cuir résonne sur le gravier bordant l’allée menant à la voiture. Sasha est déjà installé du côté conducteur, le visage fermé. Je prends place à ses côtés, sans prononcer un mot.

— Tu sais que ton obsession pour elle est malsaine ?
— Comme s’il pouvait demeurer la moindre parcelle de normalité au sein de nos existences, Sasha.

Il me dévisage un instant, silencieux, puis met le moteur en marche.

— On va où, concrètement ?
— Crois-tu sincèrement que j’allais accorder ma confiance à Léon sans la moindre retenue ?

 Je souris tout en activant le système de navigation. Le point rouge, clignotant au centre de l’écran, capta immédiatement son attention.

— Tu lui as mis un traceur GPS ?
— Je l’ai fait en mémoire de toutes les âmes ayant foulé ces lieux.

 Nous suivons les indications de l’appareil, les phares transperçant l’obscurité nocturne.

— Même à Monsieur Blake ?
Je détourne les yeux en direction de la fenêtre.
— Non…
Il scrute longuement, puis reporte son attention sur la route.

— Je suis sûr qu’il ne nous a pas trahis… Il te voit comme un fils.
— Cela est dénué de toute logique. Du moins, selon les principes qui régissent notre monde. Ce sont invariablement les êtres les plus chers qui trahissent et pourtant, j’en avais pleinement conscience.

— Ce n’est pas une vie, ça. Vivre dans la méfiance, sans confiance.
— Heureusement que je puis m’en remettre à toi…

 Un fin sourire effleure les lèvres de Sasha.
— Avec Alice.
Son ton se fait plus tranchant, et son regard se fige.

— Tu lui fais vraiment confiance ?
— Oui.
— Elle ne te connaît pas. Si elle savait ce que je sais… elle te haïrait.

— Sasha… dis-je d’une voix sèche.
— Quoi ? La vérité te dérange ? Si elle apprenait que tu la suivais bien avant votre rencontre… Tu penses qu’elle ne serait pas effrayée ?
— Elle en a pleinement conscience.

 — Tu lui as dit que c’était pour la mafia. Ce qui est faux.

— Telle est la vérité.

 — Tu te fous de moi ? Tu es obsédé par ses livres ! Tu vas jusqu’à rejouer les scènes de ses romans avec les cadavres de nos victimes, ce qui complique notre travail et attire l’attention. Et quand ça ne t’a plus suffi, tu as mené une enquête pour découvrir qui elle était. Heureusement, tu étais trop occupé pour aller jusqu’au bout. Mais il a fallu que ce foutu destin te mette sur sa route. Tu m’as envoyé l’espionner pendant des mois, j’ai développé des dizaines de pellicules d’elle. Tout ça pour nourrir ton délire.

— Dans ce cas, fort heureusement, elle n’en a nullement connaissance.

 — Ça ne durera pas…

Je tourne lentement la tête vers lui, mon regard de glace plongé dans le sien.
— Ne me trahissez point, Sasha Arleyt. Ce serait… des plus périlleux.

 Ses mains se resserrent sur le volant.

— Quoi ?
Sa voix vacille subtilement.

— Tu serais prêt à me tuer pour elle ?
Je demeure silencieux.

— Mathieu !
— Arrêtez-vous ici. Nous sommes arrivés à destination.

Je perçois son regard posé sur moi : colère, tristesse… Un mélange amer. Il coupe le moteur. J’empoigne ma canne et descends de la voiture. Devant nous, un bâtiment discret, faussement anodin, arbore l’apparence d’un petit café chaleureux. Sasha me suit en silence.

Dès que nous franchissons le seuil, l’atmosphère se métamorphose : nul doute, nous sommes dans un repaire des Crows. Une dizaine d’hommes, tatouages noirs bien visibles, échangent à voix basse. Au fond, Léon, plongé dans une conversation animée, se redresse aussitôt qu’il m’aperçoit. Un sourire trop assuré éclaire son visage.

— Mathieu, quel plaisir, dit-il d'une voix mielleuse.

— Le plaisir est, je le crains, fort loin d’être partagé.

Je prends place face à eux sur une chaise libre. Derrière moi, Sasha demeure debout, aussi droit et tendu qu’un fusil prêt à faire feu.

— Je dois dire que je suis surpris. Je ne pensais pas que tu me soupçonnais au point de me coller un traceur. Cela dit… sans notre petite aide, vous n’auriez rien compris tout seuls.

— Ainsi donc, vous étiez dans l’attente de notre venue.

Son sourire s’étire davantage, empreint d’une satisfaction trop évidente.

— Cette petite garce n’est pas avec vous ?

— De toute évidence, non, répliquai-je, le regard acéré tel la lame d’une dague.

— Détendez-vous, on veut juste discuter. De toute façon, peu importe ce qu’on a prévu… vous ne pourrez pas vraiment vous en sortir.

— J’ai affronté un nombre suffisant de vos semblables ailés pour être désormais fort familier de vos procédés.

— Ah oui ? Son sourcil se hausse, moqueur.  Et que crois-tu avoir compris ?

— Que vous n’êtes rien d’autre que des traîtres. Des lâches s’en prenant aux plus vulnérables, usant de vos hommes comme de vulgaires instruments, aisément sacrifiables.

— Exactement, Il ricane.  Et toi, tu n’es pas assez humble.

Son sourire se fait plus assuré, presque féroce. Je perçois l’anxiété grandissante de Sasha derrière moi. Mon regard balaie la pièce, scrutant chaque visage, analysant chaque geste.

— Il se pourrait que vous m’ayez intentionnellement induit en erreur quant à la composition réelle de vos effectifs, mais je suis prêt à parier que la majorité d’entre eux se trouvent bel et bien ici. Il vous en faut, à tout le moins, autant pour nourrir l’espoir de me neutraliser. Alors, dites-moi… Qui, de nous deux, se montre véritablement le plus assuré ? Moi, seul face à vous, ou bien vous, qui avez envoyé la moitié de vos hommes à une mort quasi certaine entre les mains de notre estimée Lexa ?

— Mon petit chaton… Ce n’est pas à ça que je pensais en parlant de confiance.

Je le fixe, impassible.

— Toi qui disais connaître nos méthodes par cœur...

Le sang me monte instantanément à la tête. Je me lève brusquement, la chaise grattant le sol avec un bruit métallique.

— Je vous le jure : si elle devait ne serait-ce qu’effleurer la moindre blessure, je veillerai personnellement à ce que vous regrettiez chaque instant de votre existence misérable. Je m’emploierai à vous faire endurer, des années durant, des tourments d’une cruauté inégalée.

— Oh, mais ce n’est pas moi que tu devrais menacer…

Il tourne lentement la tête vers Sasha. Son regard s’attarde. Trop longtemps.

— Ivan, murmure Sasha, blême.

Sans attendre, je saisis fermement son bras et l’entraîne précipitamment vers la sortie. Derrière nous, le rire de Léon résonne tel une lame traçant sa course dans la moelle.
Devant la vitrine, deux hommes fument tranquillement. Un coup de colère me saisit. D’un geste rapide, je dévisse ma canne, laissant apparaître la lame qui scintille sous la lumière. D’un seul mouvement précis, je tranche la gorge du premier. Sasha, prêt, se charge du second avec une efficacité implacable. Aucun temps à perdre.
Nous courons vers la voiture. Ma jambe me trahit soudainement. Je trébuche, une douleur aiguë me transperce. Sasha, d’un bras ferme, me soutient et m’aide à grimper dans la voiture.
Il démarre sur-le-champ, négligeant les limitations de vitesse. Les pneus crissent, le moteur rugit dans la nuit.
Je serre les dents, mon poing crispé contre ma cuisse meurtrie. L’inquiétude me déchire les entrailles. La colère gronde en moi, brûlante, incontrôlable.
— Jamais.

— Quoi ?

— Tu m’as demandé si j’étais capable de t’ôter la vie pour elle… Sasha, tu n’es nullement un coéquipier parmi d’autres, aisément remplaçable. Tu représentes infiniment plus que cela. Oui, je l’aime, au point d’en perdre la raison. Je suis démuni face à l’intensité de ce que j’éprouve pour elle cela me dépasse entièrement. Mais la vérité demeure la suivante : quand bien même tu viendrais à me trahir, jamais je ne pourrais te faire le moindre mal. Je sais que la peur serre ton cœur, mais souviens-toi de ceci : c’est toi qui étais là le premier.

Je perçois sa tension se relâcher à mes côtés. Il appuie un peu plus fermement sur l’accélérateur.

— Pour Ivan… je… Je veux que tu me laisses m’en occuper.

Je le fixe un instant, mon regard plongé dans le sien.
— Ta colère égale la mienne, j’en suis certain. Mais ce n’est point là l’unique émotion qui t’anime, n’est-ce pas ?

— J’en ai besoin, Mathieu. Je n'ai jamais tourné la page. Son visage, ses souvenirs… ils me hantent. Il faut que je le fasse disparaître. De mes mains.

Je hoche lentement la tête.
— Dans ce cas, il t’échoit désormais.

Lorsque nous arrivons enfin, je sors de la voiture en boitant, presque, ma canne en main, ignorant la douleur qui me transperce. Sasha me suit de près.
— ALICE !

La maison est plongée dans l’obscurité. Seules quelques bougies, placées avec soin comme dans une mise en scène, projettent une lumière vacillante qui atteint le piano.
— Alice !

Je m’avance lentement, m’appuyant bien plus que d’habitude sur ma canne. Sur le sol, une autre canne, la mienne. L’une de celles que je conserve dans ma chambre. Des pétales de rose jonchent les touches du piano… éclaboussées de sang.

Je serre ma canne avec une telle force que mes jointures en deviennent blanches. Sasha s’approche, l’air tendu.

— Pourquoi j’ai l’impression d’avoir déjà vu ça ?

— Sujet 66. Il s’agit là de la scène inaugurale de l’œuvre… ainsi que de la marque distinctive de l’assassin.

— Qu’est-ce que ça veut dire ?

— Je l’ignore. Il pourrait s’agir d’un avertissement… ou peut-être cherche-t-il à nous prouver qu’il connaît Alice, qu’il a mené des investigations approfondies à son sujet.

— Tu crois qu’elle est sa cible ?

— Non. Depuis le commencement, c’est bien nous qu’il prend pour cible. Il ne fait que modifier sa méthode.

— Pour te blesser.

— En ce cas, elle serait déjà décédée. Toutefois, si mon intuition s’avère exacte… elle demeure encore en vie.

— Qu’est-ce que tu crois, au juste ?

Je me mets à parcourir les pièces une à une, appelant son nom à voix haute.
— ALICE !

Puis, un bruit. Des coups, sourds, précipités. Je me tourne et me précipite vers la porte du sous-sol. D’un geste précis, je tire une balle dans le cadenas qui maintient les chaînes, puis ouvre la porte avec une rapidité désespérée.
Alice est là. Le teint blafard, le corps tremblant, les yeux grands ouverts.
— Alice !

Je parviens à la saisir juste avant qu’elle ne s’effondre.
— Par le nom de Dieu… Sasha ! Accours à mes côtés sans délai !

Je la tiens contre moi, son souffle court et irrégulier. Sasha ne met qu’une minute à arriver.

— Qu’est-ce qui s’est passé ?

— Je l’ignore. Il a sans doute administré un poison. Prends-la, car ma jambe ne saurait plus supporter davantage.

 Il me lance un regard empreint de dégoût, mais obéit néanmoins, la soulevant sans ménagement et la déposant brutalement sur son épaule.

On grimpe jusqu’à l’étage. Sasha la dépose sur son lit.

— Tu dois te reposer aussi, dit-il en s’éloignant.

Je demeure là, pétrifié, à l’observer. Mon doigt effleure sa joue avec une légèreté infinie. Sa peau, d’une froideur saisissante, me glace les entrailles.

Après de longues minutes d’une immobilité accablante, je me résigne enfin à quitter la chambre. Sur le palier, Sasha m’attend, attiré par le bruit. Il glisse un bras sous le mien, m’aidant à gravir lentement les marches jusqu’au dernier étage, avant de redescendre, silencieux et impassible.

Je me dirige avec lenteur vers ma chambre. La porte est entrouverte, à peine. La canne du salon semblait bien provenir de cet endroit précis.

Je pénètre dans la pièce. Rien n’a été modifié, si ce n’est l’absence de la canne. Je ne saurais dire si elle a fouillé les lieux, ou si, tout simplement, elle était en quête d’une arme.

Qu’a-t-elle découvert ? Je suppose que la réponse ne tardera pas à m’être révélée.

Je m’avance vers mon bureau. De nombreuses lettres y reposent, toutes rédigées pendant mon investigation à son sujet.

Je les contemple un moment, perdu dans la contemplation de ces écrits.

“Ma chère muse, divinité inspiratrice de mon art,

La notoriété vous effraie-t-elle ? Fort bien. Cela me facilitera grandement la tâche, car je saurai ainsi vous préserver pour moi seul.

L’écriture est un art instinctif et inconscient… J’ai dévoré et disséqué vos romans à tel point que chaque phrase m’est désormais aussi familière que le battement de mon propre cœur.

Je vous connais, Alice. À travers vos récits, j’ai pénétré les méandres de vos pensées les plus intimes.

Votre inconscient dévoile bien davantage que ce que vous pourriez imaginer.

Et, au fond de vous-même, je sais pertinemment que cette idée vous séduit profondément : celle d’être désirée, suivie, adorée avec une ferveur incommensurable.

Avouez-le, vous en rêvez en secret.

Je vous ai trouvée. Et je sais parfaitement comment vous rendre irrévocablement dépendante.”

Je murmure, mes yeux rivés sur le papier :
— Alice… tu es aussi folle que moi. Il ne te reste plus qu’à l’accepter.

Je fais glisser le tiroir de mon bureau avec une lenteur presque cérémonieuse.
Des dizaines de photos d’elle, toutes prises à l’insu de son regard. Une main se pose sur mon visage, lasse.

Sasha avait toujours détesté prendre ces images. Pourtant, malgré lui, ce sont de loin ses photos les plus réussies. Même celles d’Ivan, pourtant si nombreuses, ne semblaient pas avoir été capturées avec autant de soin, autant de délicatesse. Un paradoxe qui le hantait.

Je m’installe lentement sur la chaise, sortant une feuille blanche et un crayon. Mes mains tremblent légèrement, mais je me force à dessiner. Alice, encore et toujours. Chaque détail, chaque courbe, chaque ombre est reproduite avec minutie, presque obsessionnellement. Je prends mon temps, lentement, sans me presser, comme si le moindre trait pouvait révéler un secret enfoui.

Je ne sais combien de temps s’écoule. Finalement, je termine. Elle repose dans une rivière silencieuse, nue, enveloppée de pétales aux nuances roses, du plus pâle au plus profond. C’est un contraste troublant : la douceur des fleurs face à la fragilité de son corps exposé.

Mon cœur s’emballe à la simple idée de la contempler ainsi, immobile, vulnérable. Mais une autre image me hante aussi, bien plus sombre : celle d’elle se débattant sous l’eau si j’osais lui engouffrer la tête sous cette eau glaciale. Je goûte mentalement à la violence de ce moment, imaginant les griffures de ses ongles longs, profondément ancrés dans mes avant-bras. Cette pensée me glace et m’excite à la fois.

Je pousse un soupir lourd en me levant. Le silence de la pièce m’enveloppe tandis que je me glisse dans mon pyjama, mais les images d’Alice refusent de s’effacer. Elles tourbillonnent dans ma tête, obsédantes.

Je me dirige discrètement vers sa chambre. La porte entrouverte me permet de voir sa silhouette endormie, calme, fragile. La lumière tamisée joue sur ses traits délicats. Mon regard se fixe sur elle, longuement, captivé. Elle dort, innocente et paisible, sans la moindre idée des pensées qui m’assaillent.

La tentation est là, lourde, sourde. Il serait tellement simple, tellement facile de la tuer. Cette idée, bien que révoltante, éveille en moi un frisson étrange. Une excitation que je ne comprends pas entièrement, mais que je ne parviens pas à rejeter.

Après plusieurs minutes d’observation silencieuse, je me détourne, lourdement, et retourne dans ma chambre. Je me couche, les draps frais m’enveloppent, mais mon esprit refuse de trouver le repos. Mes yeux se perdent dans les fissures du plafond.

Je m’imagine Alice s’approchant de moi, ses pas feutrés sur le parquet. Elle vient, confiante, assurée. Mon souffle devient irrégulier, saccadé. Je sens mon cœur battre plus fort.

Elle m’attacherait avec douceur, mais fermeté. Son regard, à la fois doux et impérieux, me dominerait. Elle jouerait avec moi, me traiterait comme son jouet, sa proie. Je tremble en imaginant ses mains qui explorent mon corps, la façon dont elle imposerait sa volonté.

Un halètement s’échappe de ma gorge tandis que ma main glisse doucement sur ma peau, glissant sous le tissu de mon pantalon de pyjama, effleurant mon membre déjà tendu. La caresse est lente, presque cruelle.

Elle savourait sa domination, son contrôle absolu. Et moi, malgré la peur, malgré le trouble, je me surprends à désirer cet abandon total.

— Alice…

Mon souffle se coupe dans un murmure, son nom traversant mes lèvres comme une prière ou une supplication. Ma main serre plus fort, caresse plus lentement, cherchant ce frisson qui me consume.

Elle me torturait. Et j’en mourais d’envie.


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