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Pommedereinette
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Chapitre 15

Sasha -15 ans

22 septembre 2015
 

L’heure de permanence est devenue mon moment préféré. Mon ordinateur ouvert devant moi, je peaufine les retouches de mes photos. C’est un instant où je peux m’isoler dans ma bulle, sauf qu’aujourd’hui, comme toujours depuis la rentrée, Ivan est là.Il s’installe nonchalamment derrière moi, toujours avec ce sourire énigmatique qui m’agace. Peu importe à quel point je suis froid ou distant, il persiste. J’ai fini par m’habituer à sa présence, mais pas à ses commentaires inutiles.

— Tu sais, tu dégages un truc quand tu te concentres.

Je lève les yeux, agacé, mais reste silencieux.

— Je veux dire… comme du charme ?

Je roule des yeux. Ça, je ne m’y habituerai jamais.

— Pourquoi tu le dis sous forme de question ? C’est toi qui parles, pas moi.                                                 

— T’as un charme, mais dès que tu ouvres la bouche, tu le casses.                                                            

— Toujours aussi agréable, Ivan.

Il rit doucement, puis ajoute :

— Tu devrais essayer de sourire. Sérieusement, tu serais sacrément mignon.

Je referme mon ordinateur avec un claquement sec et me lève.

— Où tu vas ? demande-t-il en me suivant du regard, puis en se levant pour me suivre.

Je n’ai pas le temps de répondre. Mon téléphone vibre et un message de Mathieu s’affiche à l’écran : "Besoin de toi. Urgence."                                                                           Je murmure un juron entre mes dents.

— Qu’est-ce qu’il y a ? demande Ivan, curieux.                                                                             

— Rien. Un truc à régler. Tu diras au prof que j’aurai du retard ?

Sans attendre sa réponse, je quitte la pièce à grandes enjambées. À l’extérieur, je récupère mon appareil photo dans le coffre de ma voiture, que je passe en bandoulière autour de mon cou. Le lieu indiqué par Mathieu n’est pas très loin, alors je décide d’y aller à pied.Après plusieurs minutes de marche, j’arrive devant un pub. Le quartier aurait dû être tranquille, mais ces derniers temps, un groupe de jeunes délinquants a pris possession des lieux. Leur comportement agace les habitants, mais comme ils sont mineurs, la police ne fait rien. Normalement, ce n’est pas notre problème non plus, mais Mathieu a une piste : l’un d’entre eux pourrait être lié par le sang au gang des Crows.Je m’installe discrètement sur un banc un peu à l’écart, feignant de photographier les oiseaux et les bâtiments environnants. À travers mon objectif, je capture plusieurs clichés des gamins en question. Une fois satisfait, je me dirige vers la terrasse du pub et commande une boisson. Assis à proximité de leur table, je tends l’oreille.

— Non mais cette conne de prof, elle cherche vraiment. Faudrait lui remettre les idées en place.                                                                                                                                      

— Grave. Mais vous savez quoi ? commence l’un d’eux, un sourire carnassier sur le visage. Je connais sa voiture.                                                                                                                   

— Oh, sérieux ?                                                                                                                                      

— On va tellement défoncer sa caisse que même l’assurance y pourra rien.

Je retiens un soupir. Jusqu’ici, rien d’important. Seulement des gamineries. Pourtant, je reste patient. Les informations utiles finissent toujours par émerger.Mais soudain, leur conversation s’interrompt. Intrigué, je relève la tête.

— Merde…

Leur table est vide. Ils ont disparu.Je me lève précipitamment, abandonnant ma boisson sans payer, et me dirige vers la ruelle voisine. Je m’enfonce dans l’ombre, essayant de repérer où ils ont pu passer.Une pression brutale sur mon épaule me fait sursauter. Avant que je puisse réagir, on me tire violemment plus loin dans la ruelle.

— Et qui avons-nous là ? lance une voix moqueuse. Un petit fouineur, on dirait bien.                

— Quoi ? Non… Je…

Ma phrase est coupée par un coup de poing qui s’abat sur ma joue. La douleur explose, me faisant vaciller. Je tente de me redresser, mais une main puissante m’attrape et me plaque contre le mur.

— J’adore m’amuser avec les fouineurs, murmure mon agresseur avec un sourire sadique. Il sort un canif de sa poche. La lame étincelle faiblement dans la lumière.Paniqué, je commence à me débattre violemment, mais mon agresseur me plaque encore plus brutalement contre le mur. Une douleur vive traverse mon crâne lorsqu’il frappe l’arrière de ma tête contre la brique froide, et mes oreilles se mettent à siffler.

— Hey, mec… tu devrais pas… intervient l’un des garçons, sa voix hésitante trahissant un mélange d’inquiétude et de peur.

L’agresseur se retourne lentement, un éclat de colère dans les yeux.

— Depuis quand tu me dis ce que je dois faire ? crache-t-il.                                                           

— Je te rappelle que ton père a dit de ne plus faire de grabuge. Tu donnes une mauvaise image au clan.

Le garçon hésitant recule d’un pas. Cette remarque semble avoir touché un nerf. Furieux, mon agresseur me relâche, puis s’approche de son camarade, lui attrapant le bras d’un geste agressif.

— Toi, poil de carotte, t’as d’la chance. Mais toi… Il adresse un regard noir à son "ami". …toi, moins.

Sur ces mots, ils quittent tous la ruelle, me laissant seul. Mes jambes tremblent sous le choc, et je glisse contre le mur pour m’asseoir sur le sol humide. Tremblant, je sors mon téléphone et envoie un rapide message à Mathieu, lui demandant de venir me chercher.Une main se pose sur mon épaule, me faisant sursauter violemment. Je tourne la tête et tombe sur Ivan. Génial… il ne manquait plus que lui.

— Du calme, ce n’est que moi, dit-il en levant les mains, un sourire sarcastique aux lèvres. Alors, c’était ça, ta "petite affaire" ?                                                                                                     

— La ferme. Pourquoi tu me suivais ?                                                                                                  

— Je ne te suivais pas. Je passe par là pour rentrer chez moi.

Je jette un coup d’œil à l’heure : une heure trente s’est écoulée. Je soupire, épuisé.

— Sacré retard, d’ailleurs, ajoute-t-il.                                                                                              

— Tes remarques, tu peux te les garder, répliquai-je sèchement.

Il m’attrape par le bras et m’oblige à le suivre jusqu'à un banc.

— Qu’est-ce que tu crois faire ?
— La ferme, et suis-moi.

Renfrogné, je le suis sans lui jeter un regard, le cœur lourd. Ivan se laisse tomber lourdement sur le banc. Malgré moi, mes yeux détaillent ses cheveux blonds, duveteux, qui volent dans le vent, le tatouage discret sur sa nuque, et son attitude nonchalante, en décalage total avec sa manière moqueuse d'agir.

— Tu me mates ?

Un sourire arrogant étire ses lèvres.
— Quoi ?!

Je sens mes joues chauffer et je me maudis intérieurement.

— Ne prends pas tes désirs pour la réalité. Je n’ai aucun intérêt à te mater.

Je tente de paraître agacé en m'asseyant à côté de lui, en gardant une distance prudente. Distance qu'Ivan s'empresse évidemment d'effacer.

— Sasha… J’aimerais beaucoup faire un truc avec toi ce week-end.

Je ferme les yeux, savourant l’air frais.

— Pourquoi ? Je te vois déjà assez à l’école.

— Arrête de jouer à ce jeu stupide. Je sais que tu m’apprécies, alors cesse de le nier, dit-il en claquant la langue, agacé.

Je lui jette un regard las avant de soupirer et de me détendre légèrement.

— Désolé, j’ai déjà quelque chose de prévu. Mais on peut faire ça pendant les vacances… si tu veux.

— Évidemment que je veux. 

Un long silence s'installe avant qu'il ne le brise.

-Dis-moi… tu es en couple ?

— Quoi ? Pourquoi cette question ?

— C’est juste que, presque à chaque fois que je te propose un truc, tu n’es jamais dispo. Et au lycée, je suis ton seul ami, alors…

— Non, ce n’est pas ça. C’est juste que Mathieu a beaucoup de travail, alors je l’aide. Il s’épuise…

— Mathieu…

— Oui. C’est un ami. Il a seize ans, mais il… travaille déjà, on va dire.

— Il n’est pas au lycée ?

— Il a fait toute sa scolarité chez lui.

Je m’interromps en entendant un bruit familier : le claquement sec d’une canne sur le béton.

— En parlant du loup…

Il a mis plus de temps que prévu.
Je détourne mon regard d’Ivan et aperçois Mathieu qui approche. Ivan, intrigué, se retourne lui aussi, scrutant l’homme en costume avec une curiosité non dissimulée.

— La fashion week, c’est passé, mon vieux, lance Ivan avec un sourire moqueur.

Mathieu l’ignore, toisant le garçon d’un regard glacial avant de poser les yeux sur moi.

— Lève-toi sans tarder. Nous y allons, ordonne-t-il calmement.

Il bouscule Ivan en passant, m’attrape par le col pour me remettre sur pied, puis continue son chemin sans un regard en arrière. Je jette un coup d’œil à Ivan, qui semble légèrement décontenancé, avant de suivre Mathieu. Déjà installé dans la voiture, il fixe la route devant lui, ses doigts tambourinant légèrement sur le volant, signe de son agacement. Je m’installe à mon tour.

— Je présume qu’il s’agit du compagnon évoqué naguère ? demande-t-il, faisant référence à Ivan.                                                                                                                                              

— C’est plus un parasite… je murmure, détournant les yeux.                                                                                                   

— Un parasite conséquent, alors. Mais est-il responsable de ton erreur aussi manifeste ?

Je ne réponds pas, évitant son regard perçant.

— En quelque sorte… mais j’ai l’information que tu voulais, finis-je par avouer.

Je sens son regard peser sur moi, plein d’intérêt.

— Leur chef est l’enfant d’un membre influent des Crows.

Un silence lourd s’installe. Mathieu ne dit rien, mais ses doigts se crispent légèrement sur le volant, traduisant la réflexion intense qui l’habite. Lorsque nous arrivons à la demeure, je le suis à l’intérieur, toujours aussi mal à l’aise. Il marche d’un pas lent mais déterminé, son claquement de canne résonnant dans le silence.

— Un message.

Je devine immédiatement ce qu’il envisage.

— Tu ne vas pas faire ça ? demandai-je, inquiet.

Il ne répond pas. Ses yeux fixent l’escalier devant lui, et sans un mot, il monte.

— Ils ont arraché ma famille, dit-il finalement, sa voix basse et froide. Il est juste que je venge ce qui a été perdu. D’ici la fin de la semaine, je m’occuperai de son fils. Et je m’emploierai à extirper, une à une, les plumes de ces oiseaux néfastes.

Je reste figé, stupéfait par sa détermination glaciale. Il continue à monter les marches en claudiquant, jusqu’à s’arrêter devant une porte au premier étage. Intrigué, je le suis jusque dans une pièce complètement vide, ce qui est étrange. Chaque pièce de cette maison a toujours été remplie d’objets, même inutilisés.

— Mathieu ?

Il désigne l’endroit d’un mouvement de sa canne.

— C’est en ce lieu que cela s’est produit, murmure-t-il.

Mon regard se pose sur sa jambe blessée, comprenant soudainement.

— Tu…                                                                                                                             

— Cette abomination m’a brisé le genou, poursuit-il, la voix étrangement calme. Il s’est délecté de mes cris et s’apprêtait à me violer. Ses yeux reflétaient clairement cette intention.

Je reste sans voix.

— Je ne comprends pas…

Mathieu tourne son regard vide vers moi.

— Ton père a été tué ici. Et toi, tu as vécu un traumatisme. Pourtant, tu habites encore cette maison ?

— Je suis le gagnant ici, répond-il froidement avant de se détourner pour monter à l’étage supérieur.

Je le regarde s’éloigner, partagé entre l’admiration et l’inquiétude.

C’est la première fois qu’il se livre autant à moi, la première fois que je perçois la véritable ampleur de ce qu’il porte en lui. Cette soif de vengeance semble plus précieuse à ses yeux que sa propre vie. Et moi… moi, je ne peux qu'accepter cette part d’ombre, car au fond, il tient ma vie entre ses mains. S’il veut la vengeance, je serai là. Peu importe ce que cela implique.

Le vent du soir s'engouffre dans les couloirs déserts tandis que je monte lentement au troisième étage.

Devant la porte de la chambre noir, je m’arrête un instant, la main sur la poignée.

Un refuge. Un piège.

J’entre, refermant derrière moi avec soin, comme pour enfermer le monde extérieur dehors.

Sur le chemin vers mon bureau, mes yeux s'attardent sur les photos que j’ai capturées plus tôt, encore accrochées dans l'air humide de la chambre. Je m’installe pour développer les dernières pellicules, gestes précis, presque mécaniques, alors que mon esprit dérive ailleurs.

Lorsque tout est terminé, j’épingle les nouvelles photos sur le mur. Un instant, je reste là, à les contempler, les paupières mi-closes, le souffle lent.

Puis, comme attiré malgré moi, mon regard glisse vers le meuble dans le coin.

Le dossier est là, posé comme une faute inavouée.

Hésitant, je tends la main et l’ouvre.

La chaleur monte en moi d’un coup, brûlante, dévorante.

À l’intérieur, des dizaines de photos.

Ivan. Toujours Ivan.

Pris sur le vif, en train de rire, de soupirer, de fixer quelque chose du regard… ou perdu dans ses pensées. Certaines images sont anodines, d’autres presque indécentes tant elles capturent quelque chose de brut, d'intime, qu’il n’aurait jamais consenti à montrer.

Je glisse mes doigts sur l’une d’elles. Sa nuque, fine, tatouée. Son profil, grave, beau dans sa mélancolie.

— Ivan… qu’est-ce que tu me fais ?

Ma voix tremble dans le silence, à peine un murmure.

-Je me moquais de l’obsession de Mathieu pour une écrivaine qu’il n’avait jamais rencontrée, et voilà que je sombre dans la même folie.

Je me perds dans ce besoin absurde, ce désir brutal de le voir, de le toucher, de capturer la moindre parcelle de ce qu’il est.

Mon cœur cogne contre mes côtes, désordonné.

Une peur sourde m’envahit, une honte acide.

Je referme brusquement le dossier, comme si le simple fait de le regarder encore pouvait me trahir.

Sans réfléchir, je me lève d’un bond, quitte précipitamment la pièce, fuyant cette partie de moi que je n’ose affronter. Je rentre brusquement dans ma chambre, la respiration haletante, je remarque dans le miroir mes joues rougis et mon excitation bien visible, je m’allonge sur le lit, le regard rivé sur le plafond tandis que je me déshabille lentement.

-Je te déteste Ivan…

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