Alice
22 septembre 2023
Le vent encore chaud du début d'automne effleure mes cheveux. Les mains posées sur la pierre, le regard hagard, j’observe l’eau de la fontaine où les pièces lancées par les rêveurs sombrent doucement, troublant la surface en de légères ondulations. Autour de moi, les bruits de pas se mêlent aux murmures de la ville. Un en particulier se détache, plus proche, plus insistant. Je l’ignore d’abord, jusqu’à ce qu’il s’arrête juste derrière moi. Je soupire et me retourne lentement.
Face à moi, une silhouette familière.
— Je ne m’attendais pas à te voir ici, mais je suis contente, dit-elle avec un sourire doux.
— C’est sûr, c’est un sacré hasard…
Un mensonge. Je sais très bien qu’Iris vient ici tous les vendredis matin pour son footing. À l’époque, elle essayait de m’y entraîner, sans succès. Rien ne change, visiblement. C’est peut-être moi, l’anomalie dans ce monde si bien structuré.
— Au fait, je suis passée à ta librairie… Tu as démissionné ?
Je ferme les yeux un instant, le temps de rassembler mes pensées, puis les rouvre pour les braquer sur elle.
— Depuis quelque temps, oui.
Son regard dérive sur tout ce qui nous entoure, sauf sur moi. Comme si elle cherchait à éviter quelque chose.
- Moi qui croyais que cette indifférence m’était réservée. Ta mère et ton éditeur n’ont plus de nouvelles de toi non plus…
Je m’assois sur le rebord de la fontaine, le dos droit, les bras croisés.
— J’ai beaucoup de choses à gérer.
— Mais ça ne justifie pas d’effacer ta vie comme ça.
Je me fige. Effacer ? Moi, je m’efface ? C’est ridicule.
— Tu n’en sais rien.
— Évidemment, puisque tu ne m’as plus adressé la parole depuis ce dîner au restaurant. Est ce que ça te dérange tant que ça que je t’aime encore ? Si c’est le cas, je suis désolé, je ne pensais pas que ça te dérangerais autant, oublié cette information, ça ne me dérange pas d'être juste ton amie.
Je soupire.
-Non…ce n’est pas ça…
-Alors quoi ! Je ne reconnais pas Alice.
-Je te l’ai dit, j’ai beaucoup de choses à gérer en ce moment.
-Ou ? Je suis allé à ton appartement, tu n’as jamais répondu.
-Ma vie ne te regarde plus Iris.
-Axel aussi a droit à cette ignorance ?
lâche-t-elle agacée.
Je détourne le regard.
— Il est mort.
Un silence brutal s’installe. Iris pâlit.
— Je… Merde. Désolée. Je ne savais pas… Toutes mes condoléances. Il était sympa. Qu’est-ce qui s’est passé ?
— Un meurtre d’apres les flics. Son corps a été retrouvé dans un canal à quelques kilomètres d’ici.
— C’est horrible…
Elle s’assoit à côté de moi et passe un bras autour de ma taille, un geste maladroit, hésitant.
— Mais je ne crois pas que tu devrais te renfermer comme ça. Axel était toujours de bonne humeur… S’il te voyait, il voudrait que tu lui rendes hommage autrement.
— Iris… Je ne suis pas là pour renouer des liens. Au contraire. Je ne pense pas qu’on se reverra de sitôt, alors ne panique pas… Et dis à ma mère de ne pas déclarer ma disparition.
— Quoi ?! Tu ne peux pas juste réapparaître et me balancer ça comme si c’était normal !
— La normalité est un concept bien vague. Moi, je te dis que c’est normal.
Iris se lève brusquement, agacée.
— Je ne sais pas ce qui t’arrive, mais agir comme ça n’arrangera rien.
Je roule des yeux.
— Je suis déjà assez gentille de te prévenir. Alors reste à ta place.
Elle éclate d’un rire amer.
— Ma place ? Gentille ? Merde, mais va te faire foutre, Alice.
Elle enfonce ses écouteurs et reprend sa course, furieuse.
Je la regarde disparaître dans les bois. Ce n’est pas comme ça que j’avais imaginé cette rencontre. Je me détourne, prête à partir à mon tour, mais un frisson me parcourt l’échine.
Un homme blond se tient juste devant moi.
— Dispute de couple ?
Je fronce les sourcils. Son visage me semble familier mais je n’arrive pas à me souvenir ou est ce que je l’ai déjà vu.
— Pardon ?
— Pardonnez mon indiscrétion, mais c’était… assez hors du commun.
Je l’ignore et reprends ma route sans un mot.
— D’accord, pas d’humeur à discuter, pas de souci. Mais passez le bonjour à Sasha de ma part, madame Alice.
Je m’arrête net.
Je me retourne vivement, il est là tout sourire à me fixer.
-Tu m’xecusera mais moi aussi j’ai quelque chose à règles.
Lorsqu’il se détourne, le soleil frappe son visage, le fond de teint refléter par celui-ci.
Je sens un frisson me parcourir lorsque je reconnais enfin l’inconnue.
Qu’est-ce que c’est que ça ?
Mon cœur rate un battement. Mes pensées s’emballent, s’entrechoquent, trop rapides, trop bruyantes. Puis un cri perçant suivi d’une détonation me ramène brutalement à la réalité.
Un attroupement se forme à l’orée de la forêt. Les murmures s’élèvent, inquiets, excités. Je les fixe un long moment, indécise… avant de presser le pas vers ma voiture.
Une fois à l’intérieur, mes doigts se crispent sur le volant. J’observe la foule une dernière fois dans le rétroviseur, un mouvement flou attire mon attention.
-Axel ? Merde, je dois commencer à devenir folle. Ce n’es pas possible je l’ai vu mourir, j’ai preparer c’est putain de funerai !
Je claque violemment mes mains sur mes joues.
-Ressaisis toi ma veille.
Avec un léger regain d'énergie je démarre et prends la route du chalet.
Pendant tout le trajet un mauvais pressentiment m'étreint la gorge tel un serpent.
Essayant de me calmer je mets la musique à fond espérant que ça sera efficace.
La porte claque derrière moi.
Une mélodie classique flotte dans l’air, élégante, presque irréelle. Dans le salon, Mathieu est affalé sur le sofa, jambes écartées, tête renversée en arrière, les paupières closes. Un verre de whisky pend entre ses doigts. On croirait une peinture. D’ailleur sa fameuse chemise marron en lin taché d’argile m’indique qu’il a pratiqué la poterie.
— Ma précieuse Alice, ta venue survient avec une justesse remarquable.
— Tu as besoin de moi ?
Je m’approche, le regardant de haut.
— En toute circonstance, ma ravissante.
Il m’adresse un sourire doux avant de se redresser. Sur la table, sa tablette repose à côté de son chapeau noir. Il l’attrape, tapote l’écran et fait défiler un dossier avant de me le tendre.
— Je me livrais à mon art lorsque ta pensée a suscité en moi l’illumination, l’apogée même de mon inspiration créatrice.
Je saisis l’appareil.
Deux lycorises rouges s’étalent sous mes yeux, leurs racines vertes entrelacées en un motif délicat et réaliste. Mon tatouage.
— Est-ce au goût de tes espérances ?
— C’est parfait, dis-je en remontant mon regard sur lui.
Un éclat satisfait traverse son regard.
— Prends garde, ma chère, car l’on pourrait aisément se méprendre sur la visée véritable de tes louanges sur la perfection éclatante.
-Pourquoi en choisir un en particulier ? Je ne vois que perfection ici.
— Voilà précisément la réponse que j’espérais. Es-tu prête à présent ?
— Oui.
— En ce cas, permettons-nous de gagner le salon, je te prie.
Mathieu attrape son chapeau et l’ajuste d’un geste précis, puis récupère sa canne. Il se lève avec une lenteur mesurée, ouvre la porte avec élégance et me fait signe de passer en premier.
Sans un mot, je sors et me dirige vers la voiture.
— Ton affaire de ce matin, a-t-elle trouvé une issue satisfaisante ?
— Elle s’est réglée, oui.
Je ne peux m’empêcher de repenser à l’inconnu. C’est déjà la deuxième fois que je le croise, et il me paraît toujours aussi étrange que la première fois.
— Pourtant, il me semble discerner en toi une tension accrue, bien plus manifeste qu’à l’instant de ton départ.
Mathieu ouvre la portière côté passager. Il attend que je monte, referme doucement, puis fait le tour pour prendre place au volant.
— C’est juste que… ce n’était pas facile. Et il y a eu des complications…
Je sursaute légèrement en sentant sa main se poser sur ma cuisse, douce mais assurée.
— Veuille me pardonner, très chère. Telle n’était nullement mon intention. Je n’aurais su vouloir te surprendre, encore moins te plonger dans le moindre malaise.
Il commence à retirer sa main, mais je pose la mienne sur la sienne, la maintenant en place.
— Non, ne t’inquiète pas. Ça ne me dérange pas. Au contraire. C’est juste moi… je suis un peu à cran, ces derniers temps.
— Je l’ai bien perçu, et c’est précisément la raison de mon inquiétude. Tu le sais, n’est-ce pas ? Je serais prêt à tout pour toi. Absolument tout.
— Tu devrais faire attention avec ce genre de promesse. Je pourrais en abuser.
— Alors ne te prive donc pas. Dispose de moi à ta guise, Darling. Je suis tout entierement à toi.
Je tourne les yeux vers lui. Dans son regard brille une lueur de dévotion, presque brûlante, avant qu’il ne reporte calmement son attention sur la route.
.__.
Allongée sur le côté dans le salon de tatouage, je fixe le mur en silence tandis que Mathieu prépare son matériel. Le bruit métallique des instruments résonne faiblement dans la pièce.
Il revient vers moi et effleure ma peau du bout des doigts.
— Calme-toi, ma précieuse. Laisse le tumulte s’évanouir.
Je laisse échapper un léger rire.
— Comment pourrais-je être tendue en ta présence ?
Il me regarde avec un sourire en coin.
— Commençons, ma distinguée cliente.
— J’espère que tu n’es pas comme ça avec toutes tes clientes qui sont charmantes.
— Et pourquoi donc ? Toute dame mérite qu’on lui adresse des éloges.
Je lui lance un regard froid.
— Seule ta femme a besoin des tiennes.
— Deviens cette femme, et tu seras l’unique, ma très chère Darling.
Je détourne le regard vers le miroir à ma droite. À travers la glace, j’observe Mathieu enfiler un masque avant de se pencher vers moi. Sa main frôle ma jambe avant de venir se poser sur le haut de ma cuisse, marquant l’emplacement du tatouage.
Je ne quitte pas son reflet des yeux, scrutant son visage, son geste précis, sa concentration absolue, ses longs cheveux attachés en un chignon et quelques mèches rebelles tombent sur son front.
Pendant deux heures et demie, je reste immobile, silencieuse, mes pensées vagabondent ailleurs.
Lorsque c’est terminé, je me lève et m’approche du miroir. Derrière moi, Mathieu range son matériel sans un mot.
Deux magnifiques lycorises rouges et vertes s’étendent sur toute la partie supérieure de ma cuisse gauche, vibrantes de réalisme.
— C’est vraiment splendide.
— Cela va de soi, puisque j’en suis l’auteur.
Je lève les yeux vers lui, amusée.
— Quelle prétention.
— Ainsi que tu l’as toi-même reconnu, c’est une œuvre splendide. Je n’ai fait que me conformer à l’inspiration qu’offrait ma toile. Par ailleurs, la modestie n’est bien souvent qu’une forme d’hypocrisie vaine : je connais tant la mesure de mon talent que la justesse de ma valeur.
Je secoue la tête, puis attrape mes affaires.
— Maintenant que tout est en ordre, retournons à l’intérieur. J’ai, hélas, omis d’avertir Sasha de notre sortie. Inutile toutefois de te laisser troubler par cela.
Dans la voiture, je connecte mon téléphone au système audio du véhicule et lance ma musique. Mathieu me lance un regard outré, mais ne dit rien.
Une vibration attire mon attention. Je baisse les yeux vers l’écran.
Un message, provenant d’un numéro inconnu.
"Tu devrais regarder les infos en rentrant. Un conseil de ton allié."
Mon humeur s’assombrit légèrement, mais je balaie la sensation d’un haussement d’épaules et continue de chanter en rythme avec la musique.
Je vois le brun me lancer un regard interrogateur signe qu’il a remarqué mon changement mais ne dit rien.
De retour au chalet, je m’apprête à monter à l’étage. Ma main se pose sur la rambarde de l’escalier… mais une hésitation me retient.
Finalement, je fais demi-tour et me dirige vers le salon.
J’allume la télévision et mets les infos.
Les images défilent sous mes yeux.
Un cadavre a été découvert près du parc. Un corps.
Mon cœur rate un battement.
Alors c’était pour ça, toute cette agitation…il y as eux un meurtre ce matin…dans le parc…
Soudain, ma tête tourne. Ma vision se brouille.
— Alice ?
Une voix lointaine. Irréelle.
Je recule d’un pas, le souffle court.
— Non… ce n’est pas possible…
Mathieu est derrière moi en un instant. Son bras s’enroule autour de ma taille pour me soutenir alors que mes jambes refusent de me porter.
Son regard oscille entre moi et l’écran.
— Cette Iris… s’agit-il d’une de tes connaissances ?
Sa voix est douce, presque prudente.
Mon estomac se serre.
— Iris…elle est morte…