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Seocha
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12. Fibonacci

Remplissant son sac pour la journée, Sam faisait le point sur tout ce qu’il s’était passé dans sa vie ces derniers temps. Tout avait été profondément catastrophique, songeait-il en ajoutant les cahiers. Mais depuis l’enterrement de Terry, il se sentait mieux. Quelque chose de terrible était enfin terminé. C’était déjà ça. Une première étape sur la liste de tout ce qui avait chamboulé sa vie.

Charlotte préparait elle aussi son cartable. Ce serait son premier jour d’école aussi, et elle était excitée comme une puce. Sandra avait eu du mal à aligner correctement ses couettes bouclées, ce matin, et l’adolescent lui rappelait de faire attention à ses lunettes. Avec un sourire, il la voyait comme la petite fille qu’elle était, et cela la rendait plus réelle à ses yeux.

—    Maître, avez-vous eu des nouvelles de Dame Winifred Newlin ? demanda l’enfant qui enfilait déjà son manteau.

Sam lui répondit en secouant la tête. Elle n’avait pas cherché à le contacter, et lui non plus, d’ailleurs.

Il ne voulait pas repenser à elle, mais surtout l’incident du tramway. Il avait décidé de mettre un mur dans son esprit autour de ce souvenir. C’était trop dur à gérer. Beaucoup trop.

—    Elle s’est engagée à participer à votre apprentissage, il faudrait vraiment que vous commenciez à apprendre à maîtriser votre art. Vous devriez insister auprès de votre p…

—    Charlotte, ce n’est pas le moment. Je t’emmène à l’école, ce matin, tu te souviens ?

Elle échangea un regard intrigué contre un sourire ravi, et le jeune homme respira. Personne ne se pressait pour lui apprendre la nécromancie, et, s’il n’avait pas constamment la petite fille auprès de lui, il aurait effacé tout ce qu’il y avait en rapport avec tout ça de sa mémoire.

Il enfila sa propre veste, enfila son sac sur son épaule et tendit la main à l’enfant surexcitée à côté de lui.

—    Allez, viens, je t’emmène à l’école.

La grille vibrait sous les cris joyeux des enfants qui se retrouvaient dans la cour. De ses grands yeux sans éclat, Charlotte les observait, impressionnée. Elle n’avait jamais vu autant d’enfants dans un même endroit de toute sa vie. De plus, ils étaient tous très différents : elle n’avait jamais vu d’enfants à la peau foncée, ou aux yeux bridés. Certains avaient des cheveux aux boucles incroyablement serrés, et d’autres qui avaient des tresses merveilleuses. Cela lui plaisait : puisqu’il y avait des enfants aussi différents les uns des autres, peut-être qu’elle aussi arriverait à se mélanger avec ses nouveaux camarades, malgré son regard sans éclat cachés derrière ses lunettes et son inexpérience de l’école.

Sam sentait les petits doigts de Charlotte la serrer de plus en plus fort. L’école serait une expérience forte pour elle, et il espérait que tout se passerait bien.

Il s’approcha des maîtresses qui gardaient l’entrée des grilles, et engagea la conversation pour expliquer leur venue : qu’il était son cousin, qu’elle n’avait jamais été scolarisée et qu’elle était un peu anxieuse.

L’une des maîtresses s’approcha, laissant Sam et Charlotte muets de stupeur : c’était Winifred.

Elle avait minci. Son regard cerné se cachait derrière son masque d’institutrice, souriante et rassurante pour les enfants de l’école.

—    Elle sera entre de bonnes mains, Sam. Charlotte, tu vas être dans ma classe, tu es d’accord ?

La main de la petite fille serra encore plus fort celle de l’adolescent, aussi décontenancé qu’elle face à celle dont il n’avait plus de nouvelles depuis l’autre jour.

La maîtresse posa alors une main sur l’épaule de Sam, perplexe.

—    Tu peux me faire confiance, elle ne craint rien, ici. Et pour ce qui est de notre affaire, j’ai juste besoin d’un peu de temps. D’accord ?

Sam acquiesça. Il savait qu’elle disait vrai au sujet de l’intégration de Charlotte dans l’école, et puis, s’il devait arriver quoi que ce soit, elle pourrait éviter d’affoler tout le monde dans l’établissement.

Il s’adressa alors à Charlotte qui attendait de savoir si elle devait se méfier ou enfin se concentrer sur l’école et tout ce qui s’y passait sous ses yeux.

—    Je ne suis pas loin, tu vois ? lui dit-il. Il suffit de traverser la rue, tourner à droite, et traverser encore une fois, mon lycée est tout droit. On est vraiment proche. Et tu peux avoir confiance en Winifred. Est-ce que ça ira pour toi ?

La petite fille trépigna sur place, se laissant pleinement aller à la joie d’y aller. Sam était ravi de la voir ainsi : elle se concentrait enfin sur autre chose que son devoir envers lui, et les deux se saluèrent une dernière fois avant que Charlotte ne suive sa maîtresse vers ses tous nouveaux camarades.

L’adolescent vérifia rapidement l’heure avant de presser le pas : il risquait d’être en retard, et il n’avait vraiment pas envie d’aller en retenue ce soir…

Alors qu’il passait en vitesse la grille d’entrée du lycée, une voix aussi clair qu’un grelot retentit délicatement derrière lui.

—    Bonjour, Sam !

Un salut bien trop enjoué pour une personne qu’il n’arrivait pas à apprécier. Le simple fait de l’apercevoir lui faisait repenser à Terry, et il n’avait vraiment pas besoin de ça.

Il maugréa un bonjour de politesse en se hâtant dans les couloirs : la sonnerie sommait les élèves de rejoindre immédiatement leur salle de classe. Des doigts glacés frôlèrent le dos de sa main, le faisant se retourner de surprise.

La mine mutine de Mye ne trahissait aucune arrière-pensée, le cou fourré dans son énorme écharpe ocre et son caban grenat. Pour la première fois depuis qu’il l’apercevait, elle lui donnait enfin une impression plus normale.

—    Tu sais, je suis aussi là pour t’aider.

—    Merci. Mais là, faut vraiment y aller. Salut.

Il s’éloigna rapidement, espérant simplement ne pas s’être montré trop froid. Non qu’elle ne lui paraissait maintenant sympathique, mais il ne pouvait trouver le fait qu’elle ait l’air « normale » assez louche. Et, vraiment, il ne voulait pas la fréquenter.

Il passa la porte de sa salle de justesse, le professeur de mathématiques pinçant les lèvres en le laissant s’installer à son bureau.

—    Merci de nous faire l’honneur de votre présence, Monsieur Millenium. En récompense, vous passerez en premier au tableau pour la correction des exercices du jour.

Sam se retint de maugréer, sortit son cahier d’exercices et l’ouvrit à la dernière page noircie d’encre sous le regard inquisiteur du vieil homme mince qui ne laissait rien passer. Il s’apprêta à rejoindre le tableau quand on toqua à la porte. L’enseignant laissa entrer Mye avec un air plus contrarié encore que lorsque l’adolescent était arrivé.

—    Madame Cruz, il me semble que l’heure a sonné, et que la porte est fermée. Vous savez ce que cela signifie, je présume ?

—    Que vous devriez investir dans une ouverture de porte automatique afin de ne plus être dérangé par les élèves qui toquent pour entrer suivre un cours passionnant sur les maths ?

Le teint du vieil homme se fit blanc, et le silence dans la classe devint si intense qu’on entendait les dents du professeur grincer.

—    Insolente de bon matin, à ce que je vois. Je vous concède donc deux heures de retenue pour votre retard et votre insolence. Allez donc vous asseoir, et ne perturbez plus la classe.

—    Je conteste, Monsieur. Les maths sont réellement passionnantes ! Vous ne vous doutez pas à quel point !

L’enseignant leva les yeux au ciel, atterré.

—    Madame Cruz, si vous tenez réellement à gêner le cours, il me semble qu’une visite chez la CPE s’impose pour vous rappeler quelques lignes du règlement et du code de conduite dans cet établissement.

—    Oh, je vois.

Sans se soucier du professeur près de la porte, elle se faufila et atteignit le tableau blanc en un clin d’œil. Ses doigts se saisir d’un feutre Velléda bleu et elle se mit à écrire à toute vitesse une formule qui n’avait pas encore été vu dans leurs leçons :

Fn = F(n-1) + F(n-2) 

—    N’est-ce pas joli, comme formule ? Elle est de loin ma préférée, qu’on retrouve absolument partout, et pourtant, on ne la jamais ainsi, mais plutôt…

Le feutre s’agita de nouveau sur le tableau à toute vitesse alors qu’elle reproduisait un dessin que Sam se rappelait avoir déjà aperçu alors que certains s’exclamaient en se marrant discrètement.

—    C’est quoi cet escargot punk chelou ?

Elle ne prit pas la peine de se soucier des commentaires dans son dos, et terminait son dessin.

—    La… suite de Fibonacci ? essaya Sam, perplexe.

—    La suite de Fibonacci ! s’exclama Mye, ravie en lui faisant un clin d’œil malicieux. Aussi appelé le nombre d’Or, on le retrouve dans la musique, les œuvres d’art, et même dans la nature, quand on prend le temps de regarder tout ce que cette formule est capable d’expliquer dans le monde visible autour de nous, on ne peut qu’admirer la beauté de cette formule passionnante ! Certes, ce n’est pas la plus complexe, mais c’est de loin la plus artistique, non, Alfred ? demanda-t-elle en se tournant vers l’enseignant.

Le pauvre homme avait perdu toute consistance. Non qu’il était impressionné qu’elle connaissance la suite de Fibonacci, car celle-ci restait plus célèbre que bien d’autres formules, plus complexes, plus élégantes, qui permettaient de frôler le divin avec ces petits symboles numériques qui avaient le pouvoir de changer la face du monde.

Non, le sujet n’était pas extraordinaire. Mais ce qu’elle disait, pour lui, oui. Lui seul savait. Lui seul comprenait, d’un coup. Ce n’étaient pas les mots de la jeune Camilla Cruz qui faisait son intéressante devant toute la classe pour échapper à ses sanctions, non. C’était sa propre épouse, il y avait quarante ans, alors qu’ils faisaient ensemble leurs études, qui avait dit ces phrases. Mot pour mot. Il se souvenait encore des yeux clairs brillants de la jeune fille qui, ce jour-là, avait ravi son cœur pour toujours. La même attitude, les mêmes intonations.

Il y avait presque dix ans que la maladie l’avait emporté. Les journées monotones s’étaient enchaînés alors, séchant ses larmes et son cœur. A part lui et elle, personne ne pouvait connaître cet instant. Sa vue se troubla.

—    Madame Cruz, allez vous asseoir, je ne veux plus vous entendre. Monsieur Millenium, effacez-moi ça et rédiger l’exercice et votre réponse au tableau. Je reviens, juste un instant.

Comme une reine parmi sa cœur, Mye se faufila à la seule place de libre, à côté de Sam. Autour d’elle, tous les élèves s’amassait, curieux et fascinés sur ce à quoi ils venaient d’assister.

—    Non mais c’était quoi ça ?

—    Qu’est-ce que t’as fait ?

—    Le culot ! J’aurais trop voulu filmer !

—    Moi, j’ai essayé, mais mon téléphone plantait !

—    Ah oui ? Le mien aussi !

Alors qu’ils cherchaient à arracher à Mye son secret, Sam écrivit en vitesse sur le tableau ce que son professeur lui avait demandé. Quand il revint, le silence se fit immédiatement dans la salle, et l’enseignant consulta le tableau.

—    C’est exact. Vous pouvez retourner à votre place, Monsieur Millenium. Est-ce que vous avez des questions sur la résolution de cet exercice ?

Des carpes lui répondirent.

—    Bien, nous allons passer au suivant. Monsieur… Clapton.

Sam laissa passer son camarade alors qu’il se rasseyait sur sa chaise. A côté de lui, Mye le dévorait des yeux avec curiosité, et se mordait la lèvre d’impatience. Cependant, le fait que l’adolescent à côté d’elle ne lui adressait pas la parole ni ne tournait la tête vers elle la vexa.

Elle finit par murmurer.

—    Tu ne comptes pas me demander comment j’ai fait ?

Sans même échanger un regard, les yeux fixés entre le tableau et son cahier, il répondit tout aussi bas.

—    Je me demande ce que tu as fait. Et pourquoi. Mais, franchement, je ne veux pas connaître la réponse.

Il attrapa sa trousse pour en saisir un crayon et corriger une erreur dans son cahier. Mye pencha la tête vers lui, minaudant.

—    Tiens donc, et pourquoi ça ?

—    Parce que je suis certain que tes réponses ne me plairont pas.

Elle s’éloigna de lui, et ses yeux se déposèrent sur son propre cahier, qui contenait de tout, sauf le moindre signe de mathématiques. Elle se saisit d’un critérium et se mit à noircir ses pages blanches avec attention.

—    Il ira mieux, maintenant. Tu verras.

Sam glissa un regard vers elle, interloqué. Elle ne se souciait plus de lui. Et dans son cahier, elle dessinait une jeune fille rousse aux yeux clairs, devant un tableau avec la courbe de Fibonacci, qui riait. 

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