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Seocha
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24. Siegfried

Une semaine s’était écoulée, et Sam restait d’une humeur massacrante. Il ne s’était toujours pas remis de la dispute qu’il avait eue avec Sirius. Son cousin, fermement décidé à lui prouver qu’il avait tort d’avoir foi en un inconnu, ne s’était plus montré depuis le soir où ils avaient parlé de son escapade à moto avec Siegfried. Lorsqu’il en avait parlé à son ami —sans entrer dans les détails de la dispute— qu’il avait continué de fréquenter, celui-ci s’était contenté de hausser les épaules, comme si c’était parfaitement normal.

—    Ton cousin s’inquiète pour toi. Inutile de lui faire la tête longtemps, tu sais qu’il ne fait pas ça uniquement pour t’ennuyer.

L’adolescent ne pouvait pas s’empêcher de rester énervé contre lui. Charlotte s’inquiétait de sa fureur qui ne s’apaisait pas, et se rendait compte avec effarement que rien n’y faisait pour calmer son Maître.

Sa réaction restait démesurée. Lorsqu’il la laissa à l’école, elle ne put qu’avoir un pincement au cœur : rien au lycée ne pourrait lui changer les idées. Et si par malheur, Mye décidait de le titillait, il risquerait d’entrer dans une colère si noire qu’il pourrait devenir dangereux pour lui-même. L’enfant immortelle se tenait sur ses gardes, tendue à l’extrême, prête à rejoindre Sam à tout moment pour garder la maîtrise de la situation. Elle n’avait qu’une hâte, que le père du Maître revienne vite, ce qui devait arriver le soir-même, selon Sandra.

 Le temps était glacial, beaucoup plus froid que la saison ne devait l’être à cette période de l’année habituellement. Le froid n’aidait en rien l’adolescent dont l’humeur se renfrognait de plus en plus à chaque heure qui passait. Les lourds nuages menaçaient d’orage et le lycée avait dû allumer toutes les lumières pour pouvoir y circuler normalement. Il en avait marre, et voulait que cette journée pénible se termine au plus tôt.

Ce qui restait étrange, cependant, était l’absence de Mye. Une bénédiction, en réalité, car cette fois, il n’aurait pas pu tolérer son air narquois et son caractère insupportable tout au long de la journée. Oui, sale journée pour Sam.

Sirius continuait à enquêter sur le fameux Siegfried. En sept jours, il n’avait aucune piste. Pas de nom de famille, pas d’adresse. Rien au sujet de son travail agent d’entretien au stade. Le box où il réparait ses motos ne semblait exister que lorsque Sam et le géant viking blond y était.

Qui était-il, bon sang ? Et surtout qu’était-il ? Parce que le Thanatoneptus en avait la certitude au fond de lui : il n’était pas humain. Quelle était donc sa nature ? Il comptait bien répondre à toutes les questions le concernant.

Cependant, il avait beau être allé dans tous les lieux où il avait vu Sam rôder avec lui, cela ne donnait strictement rien. Dépité, il commençait cette morne et froide journée d’automne de façon bien pessimiste.

En milieu de journée, il finit par l’apercevoir. Le géant marchait comme si de rien n’était dans un parc, pourtant déserté à cette heure-ci, avec l’orage menaçant au-dessus de leurs têtes. Malgré la luminosité faible, qui donnait à la ville une atmosphère étrange, lui paraissait ne pas en être atteint. Comme si la lumière de l’orage ne le concernait pas. En fait, sa peau avait des reflets orangés comme s’il était plutôt exposé au soleil du crépuscule, et non pas au soleil de ce début d’après-midi qui était décidément glacial. Était-on vraiment encore en novembre ?

Pestant contre le froid qui l’engourdissait, il se mit à suivre discrètement le fameux Siegfried à distance, ce qui était facile puisqu’il dépassait d’au moins une bonne tête la taille de la population moyenne, les gens se retournant parfois sur son passage tellement il était grand.

Ils zigzaguèrent ainsi dans la ville pendant une bonne heure. L’immense blond agissait comme n’importe quel touriste qui découvrait la ville, allant dans les boutiques mais sans rien acheter. Il passait du temps à regarder des écrans publicitaires, comme si c’était la première fois qu’il en regardait un, riant pour rien avec un rire franc et sincère. Ce qui intriguait Sirius, en le voyant ainsi, c’est pourquoi, lorsqu’il souriait en passant du temps avec Sam, il avait l’air quand même un peu triste. Que savait-il que lui ignorait ? Une question de plus pour le jeune homme.

Soudain, Siegfried se figea. Il regardait la façade grise d’un bâtiment tagué et rempli d’affiches à moitié déchirées. Sa présence changea du tout au tout, et son regard devint soudain rude et glacial. Le jeune Neptos sentit que quelque chose était en train de se passer, sans comprendre ce que ça pouvait être. C’était juste incroyablement puissant. Sirius essaya de voir ce que le viking regardait à travers le bâtiment à première vue austère, puis pâlit quand il reconnut l’endroit où ils étaient. L’arrière-cour du lycée de Sam.

Durant la dernière heure de cours de l’après-midi, l’humeur de Sam ne s’était pas vraiment amélioré, et celui-ci n’avait qu’une hâte : récupérer Charlotte et rentrer à la maison. Le professeur, un vieil homme dissimulé derrière ses lunettes en écailles et une abondante moustache, était encore en train de rabâcher la même leçon sur la Seconde Guerre Mondiale, montrant les mêmes photos témoins des traitements atroces dans les camps de concentrations et d’extermination que les semaines précédentes.

Pour la première fois, il se permit sa première remarque qui sortait de l’ordinaire : si un nécromancien s’était retrouvé parmi les victimes de ce genre de camp, combien de défunts pourrait-il ramener à la vie pour le détruire ?

Surpris par son fil de pensées, il ne sentit pas de suite la tension qui soudain engourdissait son corps. Ayant du mal à articuler les doigts pour prendre des notes de son cours, il regarda sa main. Celle-ci avait légèrement bleuie. Surpris, il s’interrogea un instant avant de comprendre, ce n’était pas son pouvoir qui s’activait : il réagissait à quelque chose.

Un pouvoir était à l’œuvre, quelque chose qui lui rappela de façon mordante la secousse qui avait engloutit la rame de tramway.

—    Mais qu’est-ce que… commença-t-il.

Tous les murs du lycée se mirent à vibrer. Une vibration pas trop forte, qui affolait quand même les élèves : tous se souvenaient tous du sort tragique du tramway près de leur établissement. Le professeur d’histoire tenta d’apaiser ses élèves. Tout cessa aussi vite que ça avait commencé. Un bruit éclata le silence qui s’en suivit, comme de puissants pétards qui explosaient. De l’eau envahit les corridors, s’infiltrant sous les portes et le long des radiateurs. L’enseignant blêmit, ordonnant à sa classe de rester dans la salle alors que lui-même allait interroger ses collègues pour savoir ce qu’il se passait. A l’instant où il disparut, tous les élèves se ruèrent vers la porte pour voir ce qu’il y avait au bout du couloir. Ils entendirent alors quelques-uns ricaner.

—    Les canalisations ont explosées ! Le lycée s’inonde au sous-sol !

Tous s’esclaffaient alors que les professeurs, qui faisaient le même constat, suivaient le plan d’évacuation des lycéens vers l’extérieur.

Seul Sam ne partageait pas l’humeur générale de ses camarades. Il se précipita vers la fenêtre où il pouvait contempler son établissement depuis le premier étage, voyant la cour humide de pluie qui commençait à se gorger d’eau qui ne venait pas du ciel. Cependant, en scrutant jusqu’au loin dans la cour, un détail ébranla l’adolescent : tout au fond de la cour, là où se trouvait le terrain de football, il y avait la silhouette d’un immense homme blond qui lui rappelait un peu trop Siegfried.

Dès que les élèves furent sortis, Sam se sépara de ses camarades pour se faufiler en douce dans la cour. Comme il n’était pas prévu d’évacuer les lycéens par ce chemin, il ne croisa personne.

Pataugeant dans la gadoue, il sentait son sang bouillonner à chaque pas qu’il faisait. L’adolescent apparut dans les gradins du stade qui était épargné par l’inondation. Mais la vision qui s’étalait sous ses yeux était choquante : bien différent de tout à l’heure, c’était une terre sèche et nue, comme profondément brûlée qui gisait à la place du terrain.

—    Qu’est-ce qu’il s’est passé ? s’exclama-t-il en constatant les dégâts.

De plus, il n’y avait personne. Se précipitant sur le stade, il posa ses doigts sur la terre craquelée. Sous sa peau bleuie, il sentit avec affolement que le sol était mort sous plusieurs mètres de profondeur. Paniqué, il ne comprenait pas ce qu’il se passait. Et la silhouette qui avait disparu, où était-elle ?

—    Sam ? l’interpela-t-on derrière lui. Qu’est-ce que tu fais ici, tout seul ? Où est Charlotte ?

La voix le surprit tellement qu’il sursauta, sur ses gardes. En se redressant, il reconnut son cousin. Il ne l’avait jamais vu aussi agité.

—    Charlotte est à l’école. Et toi, que fais-tu ici ?

—    J’ai suivi Siegfried, avoua-t-il. Il est devenu bizarre et soudain, il est venu ici… et il est passé au travers du mur d’enceinte, Sam ! Il n’a pas sauté par-dessus ou contourné, il est passé au travers ! Quand je te disais qu’il n’était pas normal ! Il n’est pas humain, il manipule de la magie ! s’écriait Sirius.

—    Ne dis pas n’importe quoi ! Siegfried ne…

Samirelius se tût en entendant des pas derrière eux. Tout d’abord, il refusa de croire que la présence qu’il reconnaissait était bien réelle. En tout cas, cela ne pouvait pas être lui qui le dévisageait si froidement. Non, il ne pouvait lui être aussi hostile tout à coup, sans raison. Il refusait d’y croire.

Siegfried.

Sirius soutint son regard : ses yeux lançaient des éclairs devant les intentions clairement meurtrières du viking.

Le géant aux lueurs crépusculaires leurs sourit froidement, ce qui glaça le sang des adolescents.

—    Vous êtes mes prisonniers.

Charlotte remontait les marches des escaliers qui menaient à sa classe quand une vague glaciale la frappa. Elle cessa immédiatement de bouger, son cœur tambourinant dans sa poitrine. Il y avait de la peur. Il y avait de peine. Il y avait du danger.

—    Charlotte ? s’enquit Winifred en fronçant les sourcils d’inquiétude.

L’enfant tourna la tête vers son institutrice, le regard grave. Elle ne feignait même plus d’être une enfant. Quelque chose de grave arrivait à Sam. La petite fille devait s’échapper. Les derniers élèves entrèrent sagement dans le corridor, laissant les deux personnes seules, face à face.

Winifred fouilla dans la poche de son jean et en sortit une clef. Elle la tendit à Charlotte en lui murmurant les instructions pour sortir de l’école en toute discrétion. La petite servante accepta de bon cœur en remerciant sa maîtresse : elle tenait sa promesse, et cela avait énormément de valeur pour elle, en cet instant.

Elle se faufila à l’extérieur en veillant à ne pas être visible depuis les fenêtres, puis se glissa vers le portillon, entre le mur et le bâtiment, qu’empruntaient les enseignants pour entrer dans l’école hors de vue des familles. La clef grinça dans la serrure, et elle s’échappa vers le lycée de Sam.

Beaucoup de monde empêchaient la petite fille de passer, et des pompiers intervenaient pour pomper l’eau des canalisations qui fuyaient de toute part, ainsi que des forces de l’ordre qui sécurisaient le périmètre. Impossible de se faufiler face à ces barrières de sécurité. Elle contourna l’enceinte du lycée, sentant qu’elle s’approchait de son Maître, quand elle se figea.

L’animosité de Siegfried érigeait un mur infranchissable, sous peine d’être détruite. Bien qu’invisible, la Servante ne pouvait rejoindre son Maître.

La panique montait, accélérant sa respiration, bien qu’elle n’ait pas besoin d’air. Sam n’était pas encore assez fort. Il fallait qu’elle trouve le moyen de le rejoindre !

—    Charlotte.

Elle sursauta. Mye se tenait juste là, à côté d’elle, dans une tenue étonnamment sobre pour elle, plus à l’affût que jamais.

—    Mademoiselle Mye ? s’écria l’enfant. Mon Maître est en grand danger ! Il faut l’aider !

—    Je ne peux pas te faire entrer, déclara-t-elle. Mais je peux faire autre chose pour toi. Je peux te faire voir.

Charlotte n’hésita pas un seul instant. A défaut de pouvoir aider son Maître, elle voulait être auprès de lui, même si cela risquait de la détruire. Elle souleva le regard de la Chuchoteuse, déterminée.

—    Emmenez-moi.

*****

Mes joues ne me font plus mal, et le maquillage cache toutes les lésions que j’ai pu avoir. Mes cheveux ont été teints en blond platine : une coiffeuse a passé une éternité à les travailler pour que ma mère soit satisfaite. Je porte une robe de satin aux couleurs d’or et ivoire, et des escarpins si hauts et fins que j’ai l’impression de voler. Des bijoux discrets ornent mes poignets, mon cou et les oreilles.

Je ne ressemble pas à une femme de haute naissance.

Je suis magnifique et puissante.

J’ai l’air d’une déesse blanche.

Avant de pénétrer dans la salle de réception pleine de gens de la haute société, « de bons partis » comme on me l’a seriné sans cesse, ma mère me rejoint.

Ses hommes de main —ou plutôt ses chiens de garde— ne m’ont jamais quitté une seule seconde des yeux. Ils ont pour ordre de ne pas être cléments avec moi si je ne suis pas docile.

Mère me rappelle toutes les règles de ce genre de soirée, et tous les gestes que je devrais faire. Elle parle sans que je n’écoute le moindre mot. Je visualise directement dans son esprit ce qu’elle veut me voir faire.

Elle émet aussi des menaces que je sais sincères. Elle me rappelle que je dois obéir, si je ne veux pas périr.

Après tout, si je suis inutile, nulle besoin de s’encombrer de moi.

Et je ne veux pas mourir.

Je ne le peux pas.

J’ai trop de questions dans mon esprit depuis ce rêve avec Sam, et je dois encore retrouver celui que j’aime.

Mère n’a pas hésité à me battre violemment lorsqu’elle a vu que je portais un tee-shirt masculin. Elle a aussi cru que j’avais mouillé mon lit avant de comprendre que c’était bien trop d’eau pour que ce genre « d’incident » ne soit responsable.

Persuadée que j’avais perdue « ma valeur », elle s’était déchaînée sans ménagement sur moi pour me faire ressentir la honte qu’elle éprouve envers moi.

Je déteste ma mère.

Malheureusement, pour le moment, elle me tient.

Elle ne cesse de se répéter, et voyant que je me dissipe dans mes pensées, elle me gifle encore une fois. Le travail de la maquilleuse est si excellent que je ne deviens même pas rouge.

Mais ma tête est tournée vers la fenêtre.

Dehors, le temps est maussade, mais perce au loin la lueur faible du soleil mourant.

Le crépuscule.

Lui.

C’était toujours à cet instant qu’il apparaissait dans ma chambre.

Il faut que je le retrouve. Sam a juré de m’aider.

Sam.

Une étrange sensation saisit mon cœur. Je ne comprends pas ce qu’il m’arrive.

Je suis à la fois paniquée, triste et désorientée. Je sens de la peur, et quelque chose qui m’étouffe.

Le temps que je cligne des yeux, je comprends.

Ce ne sont pas mes émotions.

Sam est en danger.

Ma mère s’énerve contre moi et s’agite de me voir récalcitrante. Elle me rabâche que c’est moi qui avait espéré qu’un jour tout cela soit possible. Que j’ai tout fait pour ça. Et que je ne suis décidément qu’une amère déception de bout en bout si je ne faisais pas l’effort, enfin, de mériter de porter le nom de mon père.

Je pose mon regard sur elle, glaciale.

Pour la première fois, je la vois frémir et se taire.

Je n’ai plus le temps d’être l’enfant qu’elle désirait. Mes frères et sœurs me remplaceront. Après tout, ils sont nés pour ça.

Je pars, et les gardes du corps s’approchent pour me retenir. Je leur lance un regard à pétrifier quiconque oserait m’empêcher de quitter cet endroit. Ils s’écartent de mon chemin sans un mot.

Dès que j’atteins la porte du hall d’entrée, je ne marche plus. Je cours.

Je dois retrouver Sam.

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