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Seocha
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14. La Chuchoteuse

—    Je n’apprendrai pas la Nécromancie.

Depuis que ces mots avaient été prononcés dans le hall d’entrée de leur demeure, Sam était parti s’enfermer dans sa chambre sans un mot, suivi de Charlotte.

Tournant ces mots encore et encore dans son esprit, les foulées incessantes de Justus résonnaient dans le salon de la famille Millenium depuis des heures, claquant sur le carrelage au rythme d’un lion en cage. Affairée à agiter un crochet entre les fils de laine colorés, Sandra l’observait du coin de l’œil depuis le canapé.

—    Tu vas finir par creuser le sol, amour, finit-elle par dire.

Le métronome des pas s’arrêta enfin, le visage du patriarche rouge de celui-ci cachant la colère mal contenue de celui qui, pourtant, ne perdait presque jamais son sang-froid.

—    Je ne le comprends pas, ma douce, s’écria-t-il. Il est rentré sans un mot, et n’a laissé personne lui adresser la parole !

—    Presque personne, corrigea-t-elle. Charlotte est avec lui.

—    Encore heureux ! s’emporta-t-il. Il n’a pu utiliser ses pouvoirs qu’une seule fois ! Une seule ! Et depuis, absolument rien. Il n’a aucune curiosité sur son héritage familial, et il profite du fait que je ne puisse pas lui enseigner quoi que ce soit pour éviter le sujet. La Nécromancie n’est pas un gros mot, non plus ! Que diraient ses ancêtres en voyant le résultat final de leur lignée aujourd’hui ?

Il contourna le canapé pour s’affaler non loin de son épouse. Personne ne reconnaîtrait, en cet instant, la prestance du chef de la famille Millenium. Dès l’instant où sa tête se posa négligemment sur l’épaule de Sandra, cependant, il reprit son air amoureux, le rouge s’effaçant pour sa teinte extraordinairement blanche, preuve qu’il s’apaisait enfin.

—    Moi, je l’avais très bien vécu, soupira-t-il, pourquoi pas lui ?

Sandra posa son ouvrage sur ses genoux, et laissa sa tête se poser sur celle de son époux, déposant un baiser sur sa chevelure sombre.

—    Parce qu’il n’est pas comme toi. Tu es fort. Tu es un combattant implacable. Lui, c’est un calme. Et tout ce qui lui arrive trouble sa paix. Et à son âge, je ne pense pas non plus que tu appréciais être bousculé.

—    Peut-être que nous avons été trop tendres, ma douce. Nous aurions dû le tester bien plus jeune.

La mère se redressa, incitant son époux à faire de même, et posa sur lui un regard tendre, mais ferme.

—    Nous avons déjà parlé de ça, Justus. Tu sais aussi bien que moi que c’était la bonne chose à faire, pour lui.

—    Certes, mais regarde le résultat ! Ton fils s’enferme dans sa chambre et il est toujours incapable d’utiliser ses dons ! se défendit-il.

—    Laisse-le tranquille. Il a vécu beaucoup de choses en peu de temps. Entre l’adolescence et la Nécromancie, il faut bien qu’il puisse respirer un peu.

Justus bondit du canapé, agitant ses longs bras en de grands gestes qui accompagnaient ses paroles.

—    Et si on l’attaque encore !? Il est incapable de se protéger ! T'en rends-tu compte ?

—    Charlotte est près de lui, dans l’école où travaille madame Newlin. Elle peut le retrouver immédiatement. Il n’est pas sans défense.

—    Avec tout le respect que je lui dois, elle n’a plus le moindre Don de Lumière. Quand bien même, elle peut lui apprendre les faits, mais rien sur le fonctionnement de ses dons.

—    Je te rappelle que c’est son métier, d’enseigner, insista Sandra. Aie confiance. Il l’écoutera.

Le patriarche serra les dents, et retourna s’asseoir, cette fois, dans un fauteuil plus loin, croisant ses mains devant sa bouche, sa respiration se faisant plus discrète. Sa femme avait rarement tort, surtout dans tout ce qui concernait leur fils. Cependant, il ne pouvait qu’être inquiet. Aucun membre de leur famille n’avait eu un éveil si tardif. Il était plus vulnérable que jamais, dorénavant. Il devait absolument apprendre à se défendre. En tant que Nécromancien, il ne pouvait dépendre de Charlotte toute sa vie !

Un don pareil qui se gâche ainsi, ça avait de quoi mettre en colère n’importe quel chef de famille de Nécromanciens.

Charlotte le dévisageait sans mot dire. Son jeune maître faisait ses devoirs en silence, sans allumer de musique, comme il en avait l’habitude. Si elle n’avait pas allumé la lumière, y aurait-il seulement pensé ?

Il était là, devant elle, mais elle sentait qu’il était loin. Bien plus loin qu’elle ne le voudrait. Mais au moins, elle était près de lui, maintenant.

Elle ne savait pas comment aborder le sujet avec lui. Chaque centimètre de son être vibrait sous les violentes émotions que Sam éprouvait sous son calme apparent. De la colère, de la tristesse. Des doutes. Mais que s’était-il donc passé cet après-midi ? Quand bien même, saurait-elle seulement l’aider ? Elle n’était qu’une enfant, après tout. Et il était tellement grand !

Cependant, elle n’allait certainement pas renoncer. Elle avait accepté d’être là pour lui, elle ferait ce qu’il faudrait pour qu’il aille mieux.

—    Maître, finit-elle par dire en rompant le silence pesant de la pièce, ne me direz-vous rien de ce qui vous met en émoi ?

Sam ne bougea pas d’un cil, si bien que la petite fille se demandait s’il respirait encore. L’avait-il entendu ? Elle fronça les sourcils, inquiète, et fit quelques pas pour se rapprocher de lui, puis posa sa petite menotte toute pâle sur le bras du jeune homme. Elle pencha doucement la tête, et aperçut l’air maussade sur son visage.

—    Charlotte… murmura-t-il enfin, tu crois que tous ceux qui m’approchent sont voués à disparaître ?

L’enfant inclina un peu plus la tête, incitant le garçon à se tourner vers elle. Elle planta alors son grand regard sans éclat dans ses yeux qui perdaient leur lumière, et elle comprit.

Il avait perdu quelqu’un, aujourd’hui.

Qui, comment, pourquoi, cela importait bien peu pour elle, à cet instant.

—    Maître, si je suis ici en ce jour, c’est grâce à vous. C’est pour vous, lui dit-elle d’une infinie douceur. Aujourd’hui, tout vous paraît sombre. Mais demain, d’autres personnes viendront à vous. Vous ne serez jamais seul. Aussi longtemps que vous voudrez de moi à vos côtés, je resterai. Je ne vous abandonnerai jamais.

Elle avait beau tenter d’être la plus rassurante possible, c’était la toute première fois qu’elle doutait qu’il l’aie vraiment écouté. Que devait-elle dire ? Quels mots pourraient le faire réagir ? Comment lui prouver que tout irait bien, que ce n’était qu’un mauvais moment qui venait de se terminer, que les choses ne pourraient qu’aller mieux ?

Mais Sam ne bougeait pas. Il avait beau sentir la présence de Charlotte près de lui, sa petite main tentant de le réconforter, comme à chaque fois qu’il s’était passé quelque chose de terrible depuis qu’il l’avait éveillé, la cruelle vérité de sa présence même lui rappelait qu’elle aussi disparaitrait : après tout, elle était déjà morte.

Cela lui faisait mal, serrant son cœur au point de suffoquer. Il quitta ses devoirs dont il ne voyait même plus les lignes et cacha son visage entre ses mains, se détachant de la petite fille qui redoublait d’inquiétude.

—    Maître, vous devriez vous allonger et vous reposer.

La voix de Charlotte avait quelque chose de résigné : rien de ce qu’elle dira ce soir de le réconforterait. Cependant, Sam se leva docilement et s’étendit sur son lit, se recroquevillant sur lui-même, dos à la fenêtre.

Il n’avait aucune envie de penser à ce qu’il y avait, dehors.

Que des choses tristes.

Les paupières soudainement lourdes, un profond sommeil l’emporta.

Le lendemain n’avait rien à offrir pour égayer la journée du jeune homme. Dans son esprit, les images tournaient encore et encore par tout ce qu’il avait pu vivre ces derniers temps, de l’accident de Terry à l’état d’Andréa.

Il se préparait de façon mécanique, et fermait son sac d’un air songeur. Peut-être que tout ce qu’il s’était passé n’était qu’un rêve ? Après tout, Andréa qui l’embrasse avant de faire un malaise et son frère qui lui aboie dessus en parlant des Nécromanciens et d’Enfant de Lumière, c’était clairement improbable. Autant que la Nécromancie, en fait.

Pourtant, A côté de lui, Charlotte avait préparé son cartable, elle aussi, et ajustait ses lunettes sur son tout petit nez, lui donnant l’air plus vivant que jamais. Quand elle était auprès de lui, c’était presque impossible de se voiler la face : elle n’était pas vraiment une petite cousine éloignée, et il ne pouvait pas se dire qu’il avait abusé des lectures fantasy ?

Il ne pouvait pas nier la Nécromancie. Et il détestait ça.

Ressassant toujours ses idées sombres, il n’aurait su dire comment il se trouvait là, en cours, quand la voix la plus crispante du monde à ses oreilles lui adressa la parole avec une douceur écœurante.

—    Ainsi, Andrea est partie. C’est mieux pour elle, tu sais.

Sam sortit de sa torpeur pour lancer un regard noir à Mye, assise à coté de lui. Celle-ci lui souriait avec sympathie, ses longs cheveux dansant le long de son pull rouge vif qui faisait ressortir le doré de sa peau et ses yeux sombres et brillant d’espièglerie. Un instant, il se demanda comment il n’avait pas pu la voir s’installer à côté de lui, avant de se rappeler toute la colère qu’il avait contre elle.

Elle se moquait de lui, c’était évident. Son envie de frapper n’importe quoi lui reprit, mais il se contenta de serrer les dents. Si la violence servait à quelque chose, ça se saurait. Il ne voulait juste plus qu’elle le nargue avec ce sourire qui l’énervait au plus haut point. Il décida alors de replonger les yeux dans le livre qu’il faisait semblant de lire depuis une éternité.

—    Hé, il ne faut pas que tu le prennes comme ça. Je ne peux pas changer ta nature, ni la sienne. Alors tu sais, il va vraiment falloir que tu t’y fasses…

La jeune fille avait tellement envie de le bousculer, de le réveiller un peu. Voir Sam ainsi l’ennuyait, on dirait qu’il était constamment bloqué ! Et puis, un grincheux, ce n’était pas très amusant à côtoyer… Il fallait bien qu’elle le fasse réagir un peu, quitte à le provoquer. Et elle avait bien des moyens de le rendre furieux.

D’ailleurs, ça marchait déjà.

—    Pourquoi tu t’acharnes à te moquer de moi ? finit par dire Sam entre ses dents.

—    Mais qui donc a bien pu te dire que je me moquais de toi ? Ce n’est pas le cas, tu sais ? Enfin, pas encore, je crois, ajouta-t-elle en élargissant son sourire.

Sam prit une grande respiration pour se retenir de lui hurler dessus, et persista à conserver son calme.

—    Laisse-moi tranquille, va harceler quelqu’un d’autre, finit-il par dire en posant son regard à nouveau sur sa page.

Mye lui rendit son soupir de façon théâtrale, ce qui horripila le jeune homme.

—    Ah, mon Samy Sam, je ne peux pas te laisser tranquille : tu comprends, on m’a dit de te coller aux basques.

—    Qui a bien pu te demander un truc pareil ? s’écria-t-il en roulant des yeux d’agacement.

—    Terry.

A l’instant où elle prononça le nom de son ami, Sam devint blême avant de rougir de fureur. Ne pas hurler sur Mye relevait du miracle, dans son état.

—    Ne te sers pas de lui. Il est mort, tu peux respecter ça, non ?

—    Oh, mais je les respecte autant que toi, cher collègue, murmura-t-elle près de son oreille. Après tout, toi, tu les réveilles, les morts.

Son cœur manqua un battement. Elle savait. Comment pouvait-elle savoir ? Elle n’était de sa famille, et n’était clairement pas une Enfant de Lumière. Qui était-elle ?

—    Voyons, tu croyais être le seul dans ta branche ? Pff, on voit bien que tu débutes, c’est assez catastrophique. On se serait attendu, vu ton père, à une éducation au top du top. Je suis presque déçue.

Pour la première fois, Sam regarda vraiment Mye, tout entière. Elle n’était pas une nouvelle farfelue et agaçante. Elle n’était pas non plus une harceleuse un peu bizarre. Elle était quelqu’un de sérieux. Bien plus que ne laissait paraître son sourire vissé à ses lèvres et ses gestes flottant. Il ne la comprenait absolument pas. Il ignorait complètement tout de qui elle était.

—    Qui es-tu, toi ?

Elle inclina légèrement la tête, comme une petite révérence de présentation.

—    Tu poses enfin la question ! Je suis Mye Cruz, la Chuchoteuse, répondit-elle avec malice.

—    Je ne comprends pas… bégaya-t-il.

Le temps des questions et des réponses étaient révolues, puisque le professeur entra dans la pièce en demandant de ranger les affaires pour un devoir sur table. Mye obéit sagement, comme les autres élèves, tandis que Sam bouillonnaient de nouvelles questions. L’observant du coin de l’œil, il se demandait s’il venait de rêver leur échange, où si sa camarade était tout simplement réellement folle. Ou peut-être que c’était lui qui n’allait pas bien. Dans son esprit, il tenta de réordonner les choses : Andrea était bel et bien absente, Terry était toujours mort et cette fille à côté de lui pour le contrôle était totalement dérangée et comptait bien l’emmener dans ses folies.

Sam ne voulait plus de tout ça. Chaque jour, les choses empiraient autour de lui. C’était la Nécromancie, le début de tous ses ennuis. Et il était persuadé que Mye faisait partie de cette catégorie de personnes qui aggravaient les pires des situations. C’était pourquoi, à la seconde où le cours était terminé, l’adolescent s’était presque enfui de la salle de cours en espérant lui échapper.

Toute la journée se déroula ainsi. Mais Mye le retrouvait toujours, aussi déterminée que le matin même à lui parler de morts et de pouvoir. Il aurait bien voulut savoir comment elle s’y prenait, mais il était certain que la réponse ne lui plairait pas.

Elle le coinça finalement à la fin des cours, juste avant qu’il ne franchisse le portail. Egale à elle-même, elle souriait de son air mutin, satisfaite de l’avoir attrapé.

—    Nous avons une discussion à terminer, annonça-t-elle avec une autorité qui ne lui ressemblait pas.

—    Je n’ai pas envie de t’écouter, trancha-t-il.

—    Tu as donc si peur t’entendre ce que les autres veulent te dire ? soupira-t-elle, agacée.

—    Non, je n’ai pas envie de t’adresser la parole, c’est tout !

Il esquissa un mouvement pour partir, mais elle se plaça à nouveau devant lui. Elle avait beau être plus petite que lui, elle s’imposait comme une géante.

—    Ecoute-moi bien, Samirelius Justus Millenium, je connais ton Pacte, et les Mots qu’il t’a donné, et l’urgence à t’apprendre qui tu es. Tu ne te demandes pas pourquoi notre monde est en effervescence depuis ton Eveil ? Pourquoi toutes les grandes familles s’intéressent à toi ?

Elle plongea son regard sombre dans ceux de Sam, et lui enfonça son index sur son torse au rythme de chaque mot qu’elle prononçait.

—    Pourquoi refuses-tu l’enseignement qui t’es dû ?

Il dégagea la main de Mye sans ménagement.

—    Parce que cela n’apportera rien de bien.

Les mots de l’adolescent étaient froids, tranchants et résignés. Il avait admis que rien de bon ne viendrait de la nécromancie, et ne voulait pas s’impliquer plus. Il tenta de repartir de nouveau, mais Mye lui barra encore la route.

Le regard qu’il lui jeta alors était si noir que cette fois, sans rajouter le moindre mot, elle se décala pour le laisser passer, cependant sans le quitter des yeux alors qu’il s’éloignait pour rentrer chez lui.

—    Je t’avais bien dit qu’il n’écouterait pas, soupira une petite voix que seule Mye pouvait entendre.

—    Il faudra bien qu’il se réveille. Il n’a pas conscience de ce qui l’attend. Et le monde est bien plus dangereux qu’il ne le croit, pour lui, rouspéta-t-elle tout bas.

—    Tu ne te rends pas compte. Il était raide dingue de cette fille. Pour lui, là, c’est le pompon sur la Garonne.

—    T’inquiète pas, Terry, je vais te le remettre sur les rails, moi !

D’un pas décidé, Mye se dirigea vers la rue que Sam avait emprunté, juste avant de disparaitre de sa vue, et qui menait vers le stade de rugby. A ses oreilles, Terry grommelait qu’elle ne se doutait pas à quel point c’était un mauvais plan, quand on connaissait son ami aussi bien que lui.

Quand elle l’aperçut enfin, elle se demandait comment le rejoindre et trouver le moyen de lui parler quand elle se figea.

Sam parlait avec quelqu’un. En fait, c’était la première fois qu’elle le voyait détendu depuis le décès de son ami. Elle demanda à Terry qui était l’espèce de Viking géant avec qui il discutait, et celui-ci ne put guère l’aider : c’était la première fois qu’il voyait cette personne.

—    On va essayer de s’approcher !

—    Désolé, Mye, mais…

Elle voulut faire quelques pas et traverser la rue pour les rejoindre, mais elle en fut incapable. Ses jambes refusaient d’avancer vers eux, comme si tout son être lui interdisait de les déranger. Près d’elle, elle vit Terry secouer la tête. Lui non plus ne pouvait pas approcher. Ils ne pouvaient pas s’approcher plus d’eux que ce trottoir, de l’autre côté de la route. Et cela ne lui plaisait pas du tout, à la Chuchoteuse. Cette situation n’avait rien de rassurant. Pourtant, elle était en mesure de déclarer que, pour l’instant, en tout cas, Sam, n’était pas en danger.

Il allait falloir qu’elle enquête sur le Viking. Et aussi qu’elle agisse.

—    Aux grands maux les grands remèdes ! s’exclama-t-elle.

Elle délaissa Sam, le pas pressé, ses yeux noirs pétillants de sa nouvelle idée.

*****

C’est l’esprit au clair que Sam rentrait chez lui, après la tumultueuse journée que lui avait fait subir Mye. S’il n’avait pas rencontré Siegfried sur la route du stade avant d’aller au club, ni son entrainement pour se défouler avec son équipe, il serait encore en train de se prendre la tête à son sujet.

Passé la première impression, le nouvel agent d’entretien était vraiment sympa. Il aimait les motos, et c’était quelque chose qui avait toujours intrigué le jeune homme. Il savait cependant qu’il n’avait pas le droit d’en parler : sa mère lui répétait sans cesse que c’étaient des engins doués pour fournir des clients à son père dès qu’il osait aborder le sujet. Le simple fait de pouvoir enfin découvrir quelques informations de Siegfried lui donnait le sentiment d’un bonbon interdit, et il aimait ça. Il l’aidait à ne plus penser à Andrea, aussi.

Andrea. Il espérait qu’elle allait bien. Clément n’était pas venu non plus au club, aujourd’hui.

Maintenant qu’il avait le cœur plus léger, il allait falloir qu’il rassure Charlotte et qu’il s’excuse envers elle : il se rendait bien compte qu’il n’avait pas été agréable avec elle, et il ne voulait pas qu’elle s’inquiète plus qu’elle ne le faisait déjà.

Oui, il lui avait fallu du temps, mais ce soir, il allait bien.

Enfin, jusqu’à ce qu’il passe la porte.

Alors qu’il posait son sac, il distingua les voix de ses parents en pleine conversation, et un rire léger qu’il pouvait reconnaître entre mille, tellement la personne à qui appartenait cette voix lui revenait en horreur.

Dans le salon, Mye prenait le thé gaiement avec eux, parfaitement à son aise, comme si elle les connaissait depuis toujours. Alors que sa bonne humeur s’envolait, il jeta un regard noir à l’invité malvenue.

—    Qu’est-ce qu’elle fait ici ? s’écria-t-il en contenant la colère qui remontait en lui.

—    Samirelius, calmes-toi et viens t’asseoir, s’il te plaît, imposa Justus d’un ton qui ne permettait pas le refus.

Il soutint le regard de son père un instant, puis dévia vers sa mère, l’implorant de faire quelque chose, mais celle-ci avait déjà choisit son camp, et inclina légèrement la tête pour lui désigner un fauteuil.

Retenant un soupir d’exaspération, il céda et s’assit, aussi loin possible de celle qui s’était imposé jusque chez lui.

Il prit une longue bouffée d’air pour se calme, puis reprit la parole.

—    Qu’est-ce qu’elle fait là ?

—    On ne t’a pas élevé de façon si impolie, Sam, gronda gentiment sa mère en lui tendant une tasse de thé fumante.

—    Elle m’a harcelée toute la journée, alors je n’ai vraiment pas envie de la supporter jusque chez nous, justifia-t-il en prenant machinalement la tasse.

Alors que ses parents échangent un regard, Justus le dévisagea avec prudence.

—    Il va falloir que tu t’y habitues, cependant, car tu vas la revoir souvent, en dehors du lycée. Tu as la chance de l’avoir comme professeure.

Sam faillit s’étouffer avec son thé.

—    Quoi ?! C’est n’importe quoi ! s’exclamait-il en reposant sa tasse pour trouver de quoi s’essuyer le menton.

Sandra lui tendit une serviette de papier qu’il attrapa rapidement avant de se nettoyer rapidement. Celle-ci reprit avec plus de douceur.

—    Samirelius, Camilla peut t’enseigner énormément de choses. Bien plus que tu ne le penses. C’est une Chuchoteuse.

—    Et qu’est-ce que c’est, une « Chuchoteuse » ? finit-il par demander une fois qu’il put boire à nouveau une gorgée de thé.

—    Une Chuchoteuse fait partie des Chuchoteurs, dit l’intéressée avec une fierté non dissimulée. Nous sommes des personnes qui sommes de voir et entendre les esprits des Morts. Les fantômes, si tu préfères.

—    Il s’agit d’une sorte de variante de la Nécromancie, mais leurs rôles et leurs capacités sont bien différentes des nôtres, ajouta Justus qui terminait sa tasse.

—    Oui, en quelque sorte, acquiesça Mye en souriant face à l’expression figée de Sam. Je peux faire ou savoir énormément de choses grâce aux esprits. Ah, au fait, Terry te dit que tu es dur de la feuille, quand tu t’y mets.

Le jeune homme blêmit. Il se doutait bien que Mye était louche, et ce depuis le premier jour de leur rencontre. Malgré tous les signes qu’elle avait tenté de lui donner pour qu’il comprenne, devine, ou au moins pose de questions, il ne voulait rien savoir d’elle. Pour lui, sa présence était indéfectible de la mort de son ami, et il voulait vraiment passer à autre chose, maintenant.

Elle était en réalité la seule personne qui était capable de communiquer avec lui. Bien qu’il se posait mille questions sur la jeune fille, il refusait de montrer qu’il avait le moindre intérêt elle. Cependant, son esprit refit le cours des derniers temps à toute vitesse, jusqu’à la cérémonie d’hommage à Terry.

Il but une gorgée pour se donner du courage et du calme avant de parler de nouveau.

—    AC/DC ?

Le sourire de Mye s’élargit alors qu’à son tour, elle terminait sa tasse avant de la poser devant elle.

—    Oui, il me l’avait demandé. C’était trop solennel, et il avait envie de faire rire se parents. D’ailleurs, je m’excuse encore d’avoir dérangé votre travail, Monsieur Millenium.

—    Maintenant que j’en connais la raison, tout va bien, répondit-il.

—    Pourquoi on ne m’a pas parlé des Chuchoteurs ? Est-ce qu’il y a encore d’autres personnes particulières dont je devrais avoir connaissance ? maugréa Sam dépité.

Mye se leva et s’approcha de lui, plongeant ses yeux aussi sombres que la nuit dans les siens.

—    Il y a bien des choses que tu ignores, et tu as si peu de temps ! Nous, les Nécromanciens, les Enfants de Lumières, les Chuchoteurs, les Démons… nous appartenons tous au Royaume des Ombres, là où nul ne peut —ni ne doit— nous voir. Mais je t’épargnerai la liste de tout ce qui te fait défaut ce soir, tu as suffisamment d’informations à encaisser pour aujourd’hui.

Elle s’éloigna, accompagnant son discours avec de grands gestes pour illustrer ses propos.

—    Les Chuchoteurs sont discrets. On ne parle pas de nous, et on ne peut informer de notre existence qu’avec l’accord et la présence d’un Chuchoteur. Si je n’étais pas là, tu ne saurais toujours pas ce que nous sommes. Nous sommes ceux qui veillent sur les règles. Nous sommes les arbitres. Nous sommes les historiens. Nous ne sommes pas là pour faire faire la guerre, mais nous savons tout, grâce aux esprits. Qui enfreint les règles aura affaire aux Chuchoteurs.

Alors qu’il scrutait ses mouvements d’un air méfiant, Sam finit par conclure.

—    En gros, vous êtes des flics.

Mye se tapota le coin de la joue du doigt, son sourire ne se détachant jamais de la commissure de ses lèvres.

—    Mmh, pas tout à fait. Mais ça suffira pour le moment. J’étais aussi venu éclaircir plusieurs points à ton sujet avec tes parents.

Elle tourna d’une pirouette vers Justus et Sandra, qui restaient imperturbable devant la jeune fille, au grand désarroi de leur fils.

—    Vous me confirmez que le Pacte de la Terre et de la Vie l’a bien possédé, n’est-ce pas ?

—    Oui, affirma Justus en échangeant un rapide regard avec son épouse. Bien que cela ne soit jamais produit auparavant.

—    C’est le cas. Cependant, cela annonce une suite assez difficile pour les temps à venir. Avez-vous eu connaissance de la Prophétie des Cinq Puissances ?

De là où il se trouvait, Sam vit son père écarquiller légèrement les yeux, alors que les sourcils de sa mère se fronçait subtilement. Pour que leurs visages bougent ainsi, le garçon devinait que l’énoncé de cette prophétie les avait ébranlé.

—    Les Chuchoteurs ont tout fait pour effacer le contenu de cette prophétie à travers le temps, dit Sandra en maîtrisant parfaitement le ton de sa voix, ce qui fait que votre Caste est la seule à en connaître le contenu, de nos jours.

—    Oh, rassurez-vous, madame Millenium, elle ne concerne pas Sam comme vous pourriez le penser. Je n’entrerai pas dans les détails pour des raisons évidentes, mais vous connaissez l’idée principale de la Prophétie : Cinq Puissances seront donnés aux Hommes pour achever le Conflit Eternel. Un point que beaucoup ignorent, c’est qu’un Lien doit les relier. Sam ne peut être une Puissance, car il certain que cela ne pas être un Nécromancien. Mais les mots qu’a utilisé le Pacte l’a directement connecté à cette prophétie. Il est, par conséquent, le Lien. Et notre seul indice pour trouver les Puissances et mettre fin aux menaces constantes sur notre monde.

Le bruit de la porcelaine cogna la table, et Sam se leva d’un bond, le regard fuyant des trois protagonistes qui le dévisageait.

—    Je savais que j’aurais dû rester couché, marmonna-t-il.

Sans mot dire de plus, il les laissa là, récupérant son sac dans l’entrée avant de montrer directement dans sa chambre. Il referma la porte derrière lui, sans la claquer, ce qui l’étonna lui-même, vu tout ce qui bouillonnait en lui et qu’il était incapable de gérer. Il jeta son sac au pied du lit et se laissa tomber sur celui-ci, vidé de toute énergie.

Dans un coin de la pièce, Charlotte lisait tranquillement quand elle vit l’état de son jeune Maître. Elle posa alors son livre et se rendit à son chevet. Tous les deux échangèrent un regard qui disaient tout ce que les mots ne pouvaient exprimer en cet instant. La petite fille posa alors l’une de ses mains sur celle de Sam, qu’il serra comme s’il évitait de se noyer.

Dans le tourbillon de ses émotions, les grands yeux sans éclats de Charlotte ramenaient le calme et apaisait son cœur.

Quand tout ce tumulte en lui passa, il était épuisé. Mais avant de s’endormir, il lui murmura un simple mot avec tout ce qu’il pouvait de bénédiction.

—    Merci.

Petit à petit, je me rends compte que je n’aime pas les journées. Ce n’est pas parce que le soleil flâne dans le ciel que tout le monde doit croire que c’est une bonne journée ! Le soleil est lent, chaud et paresseux. Tout lui est acquis, et demain, il reviendra inexorablement reprendre sa place de grand seigneur dans le ciel, mangeant la nuit comme l’ogre qu’il est.

Les jours sont trop longs quand il n’est pas là. Je l’attends, mais il fuit le soleil comme si ce dernier allait, lui aussi, le manger. Cependant, j’adore le moment où, quand enfin le crépuscule colore le ciel d’un millier de couleurs qui changent le monde, sa silhouette se dessine enfin dans l’ombre de ma chambre. Car c’est lorsque ce fichu astre meurt qu’il est le plus beau, comme si c’était lui qui renaissait.

Pourtant, je continue à occuper mes journées. Mais au grand désespoir de ma gouvernante, c’est avec elle que je m’occupe, puisqu’il n’y a qu’à travers elle que je peux m’entraîner à parler. Cependant, entendre ma voix coincée dans des pensées plus désagréables les unes que les autres à mon sujet, c’est difficile. Elle se dit que ma voix est grinçante et que je suis incompréhensible. Cela me blesse, et je sens que je la déteste de plus en plus. Mais je reste calme. Lui, il aime le son de ma voix. Je dois juste m’entraîner à m’en servir, pour lui faire plaisir. Et aussi pour convaincre ma mère que je ne suis pas l'handicapée qu’elle croit.

Le jour où je donnerais l’illusion d’être normale, je pourrais sortir. Je l’ai bien compris. Alors je garde patience, et je supporte les insultes silencieuses de ma gouvernante. Peu m’importe, je serais libre d’elle bientôt. Oui, je serais dehors, et à son bras.

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