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Seocha
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5. Quelques mots éparpillés par le vent

     Sam était inquiet. Le soir arrivait bien trop vite à son goût. C’était la preuve évidente que l’hiver approchait à grand pas. Et il détestait l’hiver. Les journées paraissaient tellement courtes, alors que les nuits envahissaient le monde de plus en plus tôt. Le vent frais n’hésitait plus à se faufiler au travers des vêtements, ne laissant sur son passage que des oreilles glacées et un bon rhume.

—    Maître, vous êtes soucieux ?

     Charlotte regardait l’adolescent avec inquiétude. Ils avaient tous deux appris, par la mère de Sam, que la petite fille ne devait pas être présente pour la cérémonie d’initiation. Celle-ci l’avait très mal pris, car elle estimait que son rôle était de rester auprès de son Maître pour l’assister à tout moment.

     Sam avait bien compris toutes les explications de son père, néanmoins il ignorait encore tout du monde de la Nécromancie. Il ne pouvait pas savoir si c’était quelque chose d’habituel, pour les cérémonies de ce genre, de venir sans la personne qu’on avait relevée, ni comment tout se déroulerait. Sa mère n’avait pas été en mesure de lui en dire beaucoup plus. Elle lui avait juste assuré que son père lui expliquerait tout sur le chemin.

     Parce que, même si elle était sa mère, Sandra n’avait pas le droit d’être présente à la cérémonie non plus. Cette nouvelle étonna Sam d’autant plus. Lorsqu’il lui demanda pourquoi, elle lui sourit. Quand elle souriait de bon cœur, le visage de sa mère était rayonnant. Quand quelque chose la contrariait, une fossette se dessinait en plus le long de ses joues. Et cette fossette était bien là, atténuant le sourire maternel qui se voulait apaisant.

—    Il faudrait que j’aie le don de nécromancie pour avoir le droit de te voir.

     C’était une réponse inattendue. Toutefois, elle rassurait, dans une certaine mesure, l’adolescent. Sa mère n’était pas une Nécromancienne. Sa normalité le rassérénait particulièrement.

     Cela creusait juste les différences énormes qui existaient entre son père et sa mère. Mais comment ces deux personnes si différentes puissent être à ce point fusionnelles ? Cela resterait sans doute un mystère.

—    Maman, comment ça se fait que tu n’aies pas peur du… « métier » de papa, toi ? l’interrogea-t-il sans trop réfléchir.

—    Voyons, s’exclama-elle en riant, tu sais bien que rien ne peut me faire peur !

     Sa mère. Par bien des points, elle était plus mystérieuse que son père. Parce qu’elle semblait toujours heureuse. Parce que rien ne lui faisait peur. Parce qu’elle semblait invulnérable. Elle avait ce quelque chose en elle qui aurait pu faire écarter les montagnes sur son passage. Et pourtant, cette merveilleuse maman était là, dans cette maison bien trop grande pour leur petite famille de trois personnes, à combler chaque centimètre carré d’amour et de bienveillance, en laissant le reste du monde et les problèmes dehors. Si demain, le monde s’écroulait, leur foyer, lui, tiendrait toujours debout, car c’était elle qui en était les fondations.

     Sandra ébouriffa tendrement les cheveux d’ébène de son fils. Dans une grande inspiration, son cœur de maman avait bien du mal à admettre que son petit garçon ne cessait décidément plus de grandir.

—    Donc je vais rester avec la mère du Maître ? dit Charlotte qui paraissait assez désorientée d’apprendre qu’elle devrait se passer de son Maître.

—    Oui. Je suis désolé, Charlotte, dit Sam qui regrettait de voir la petite fille avec cette mine étrange.

—    La mère du Maître est gentille, alors cela me sait gré, sourit alors l’enfant en esquissant une révérence.

—    Et je serais ravie de passer cette soirée en compagnie de cette petite fille si élégante, fit Sandra en lui rendant son geste. Ce soir, j’essayerai d’arranger quelques vêtements pour t’en faire de jolies tenues. Est-ce que cela te plairait ?

     A ces mots, la joie se peignit sur le visage rond de la fillette. Quoi de plus beau pour elle que de jolies toilettes comme en portaient les dames de son temps ? Si ses yeux n’étaient pas désespérément sans éclat, ils brilleraient sans doute de plaisir. Sam préférait ne pas demander à l’enfant de quelle époque elle venait, de peur de lui rappeler de mauvais souvenirs ou de la blesser, en lui faisant prendre un coup de vieux.

     En tout cas, pendant qu’il descendait les marches de l’escalier pour rejoindre son père, Sam se jura d’essayer d’être quelqu’un de bon pour ne jamais blesser Charlotte.

     Justus leva les yeux au ciel quand il aperçut son fils qui arrivait dans le hall d’entrée.

—    Non mais franchement, tu n’avais rien de mieux à te mettre ?

     Sam ne voyait pas ce qu’il y avait de si terrible. Il s’était vêtu d’un jean simple et d’un pull noir, sa veste et son écharpe assortis de la même couleur. Il aurait compris que son père puisse s’affoler s’il avait mis un de ces affreux jeans moulants usés d’office avec un tee-shirt rose fluo et une veste noire avec de grosses étoiles jaune fluo, mais là, il était correct tout de même !

—    Maman a dit que ça allait, se défendit-il alors.

—    Heureusement la robe de cérémonie couvrira ça… grommela Justus en faisant signe à son fils de le suivre vers la porte.

     Sam le suivit alors en silence. Il avait peur, et attendait que son père prenne la parole pour lui expliquer ce qui l’attendait. Mais aucun mot ne vint briser le silence qui s’installait entre eux.

     Décidément, c’était une bien mauvaise habitude qu’ils avaient, tous les deux, de ne pas arriver à se parler simplement. Ils montèrent dans la voiture et partirent, suivant une direction que l’adolescent ne connaissait pas. Son père sortit sa tablette professionnelle et se mit à travailler sur ses dossiers, pendant que José, un lointain cousin de la famille, conduisait de l’autre côté de la vitre à isolation phonique. Ils traversèrent tout d’abord les routes très éclairées de la ville, avant de sortir progressivement de l’agglomération pour se diriger vers des routes moins lumineuses. On distinguait de moins en moins de choses dehors, hormis une alternance de garrigues et de forêts, quelques taureaux ensommeillés dans l’enclos de leurs manades, et les ténèbres de la nuit qui avalaient toute âme qui vivait à l’extérieur du véhicule. Dans l’habitacle, l’air se faisait de plus en lourd. Sam avait besoin de réponses. Il se décida alors à percer le silence, déterminé à savoir ce qui l’attendait.

—    Papa, qu’est-ce qui va se passer, ce soir, exactement ?

—    Ta cérémonie, articula minutieusement son père, la tête penchée sur les dossiers de sa tablette.

—    Oui, reprit le jeune homme, Mais qu’est-ce qu’il va arriver durant cette cérémonie ?

—    Cela va être simple, tu verras, dit le père qui restait plutôt évasif.

—    Qu’est-ce que je vais devoir faire, concrètement, papa ? insista Sam qui était de plus en plus intrigué par son père.

—    Oh, soupira Justus en cherchant correctement ses mots, il… va juste falloir que tu renouvelles le pacte de la famille et que tu montres tes talents, simplement.

—    Tu veux dire… ressusciter un mort ? Devant tout le monde ?

     Sam était particulièrement choqué. Non seulement l’idée de la Nécromancie lui levait le cœur, et il n’avait certainement pas envie de renouveler l’expérience dans l’immédiat, mais son père lui avait expliqué le matin même qu’il ne fallait pas utiliser ce don à tort et à travers !

     Justus hocha la tête en signe d’affirmation, ce qui lui glaça le sang. N’y avait-il donc pas d’autres moyens ?

—    On ne pouvait pas juste montrer Charlotte ? questionna l’adolescent dépité.

—    Non, trancha Justus. Évite de parler de Charlotte, d’ailleurs.

—    Pourquoi ?

—    Qu’importe. Tu tais son existence, dit le père d’un ton radical.

     La voix de son père était sans appel. Et le fils comprenait que si Justus appuyait tellement sur le fait de cacher Charlotte au reste de la famille, c’était que ce devait être important. Après tout, l’héritage des Millenium était particulièrement sombre. Ce ne devait sans doute pas être sans risque, bien qu’il ne sût toujours pas à quoi pouvait servir la Nécromancie aujourd’hui.

—    Mais dis-moi, reprit-il, Ce n’est pas un peu incorrect de lever un mort juste pour montrer que je sais le faire ? On les lève sans raison du coup… c’est vraiment compatible avec le pacte, ça ?

—    L’exception qui confirme la règle, en quelque sorte. Après cette cérémonie tu ne devras jamais plus déranger un mort sans raison.

     Sam s’enfonça dans son siège, l’air morose. Son regard se perdait sur la route toujours plus ténébreuse. Le vent froid sifflait contre les vitres. Les nuages noirs et bas cachaient toutes les étoiles, et même la lune. Un orage s’annonçait. 

     Le genre de nuit parfaite pour ressusciter un mort. 

*****

     Enfin, la voiture s’arrêta. Relevant les yeux, Sam se rendit alors compte que José s’était arrêté au bord d’une route de campagne qui n’était pas du tout éclairé, autour de terres non cultivées où les herbes folles jaunissantes mourraient irrémédiablement à l’annonce de l’hiver. Mais pour l’instant, la végétation ondulait sous le vent qui annonçait une pluie proche.

     Le moteur coupé, le père et le fils sortirent de la voiture. L’adolescent réalisa qu’ils n’étaient pas seuls. Il arrivait à saisir assez difficilement des silhouettes sombres. Justus se mit à se diriger vers elles, maugréant qu’ils étaient en retard.

     Sam se rendit compte qu’effectivement, il y avait du monde. La quasi-totalité de la famille qu’il connaissait, en fait. L’air hébété, il dévisageait ses oncles, tantes, grands-parents, cousins et autres proches plus ou moins éloignés de chez eux. Lui-même n’était pas forcément proche de toutes ces personnes de sa famille. Ce qui intimida le jeune homme en sachant qu’ils s’étaient tous déplacés au dernier moment rien que pour lui.

     Ayant le même âge, son cousin Sirius, un grand blond aux yeux bleu océan qui avait plus l’air d’un surfeur égaré dans les terres que d’un quelconque nécromancien, s’approcha de l’adolescent qui ne savait pas vraiment ce qu’il devait faire. D’un sourire chaleureux, Sirius le détendit.

—    Et ben, il était temps que tu te réveilles un peu, on avait tous fini par croire que tu n’étais pas Nécro ! Ce qui aurait été dommage…

—    J’ignorais absolument tout de…ça, bredouilla Sam.

     Les regards se détournaient enfin de lui. Les autres membres de la famille préféraient aller à la rencontre de son père, le saluant avec respect. Justus était soudain plus ouvert et détendu. Samirelius ne savait plus que penser de son père.

     Son regard se détacha du chef de famille pour reprendre la discussion avec son cousin.

—    Tu l’as su quand, toi ?

—    Mon père m’a testé pendant ma dixième année, tout simplement, répondit Sirius.

—    Quoi ?! Depuis si longtemps ? s’exclama l’adolescent choqué, Mais tu étais tout petit encore !

—    On s’y fait, tu sais, soupirait-il en haussant les épaules, Mais j’aurais préféré avoir un camarade pour en parler… heureusement que ton don est apparu !

     Sam était complètement perdu. Sirius semblait parfaitement à l’aise avec la Nécromancie, là où lui-même avait beaucoup de mal à l’accepter. De plus, il avait été au courant bien plus jeune. Néanmoins, l’adolescent blond comme les blés lui souriait. Cela réconforta le jeune homme. A l’inverse de Sirius, il pourrait en bavarder avec quelqu’un, et ça, c’était déjà pas mal.

     Justus et Bernie réclamèrent le silence. Le ciel noir d’orage grondait au loin, et le tonnerre menaçant se faisait de plus en plus proche. Les membres initiés de la famille Millenium pénétrèrent un peu plus loin dans les herbes folles puis, spontanément, se regroupèrent en un immense cercle. Sans un mot échangé, Sam se retrouva à suivre cet étrange cortège, pris entre Sirius et son père pour le guider. Les uns comme les autres se mirent à prendre les mains de leurs voisins, les doigts s’entrelaçant naturellement, comme si ce geste avait été répété des milliers de fois.  Dans le même temps que Sam se demandait ce qu’il se passait, il réalisa que c’était le cas : des milliers de fois, des membres de la famille Millenium avaient dû se réunir dans cet endroit perdu au milieu de tout, à procéder à ce rituel encore et encore, jusqu’à ce que son tour vienne, ce soir. Cela avait quelque chose d’impressionnant.

     La même sensation glacée qui avait parcouru son corps le soir de la résurrection de Charlotte le saisit à nouveau, courant le long de ses veines à toute allure. Il percevait nettement une grande différence, cependant. Là où son pouvoir s’était emparé de lui comme les vagues d’un tsunami qui envahit les côtes, il discernait ici une maîtrise totale, partagée entre chaque membre de la famille. Ce n’était pas une submersion, mais une unification. Cette force incroyable était le pouvoir émis par sa famille, sans qu’il n’y ait rien eu à faire, simplement parce qu’ils étaient réunis.

     Quelques mots résonnèrent soudain dans l’air, éparpillés par le vent. Justus psalmodiait d’étranges paroles. Sam identifia avec hésitation ce langage comme du latin, mais il ne connaissait pas la signification de ces mots. À chaque phrase prononcée, l’énergie glacée qui se mouvait, ondulait et s’apaisait, puis qui semblait vouloir déborder comme la mer au-delà des terres. Sam, qui découvrait chacune de ces sensations, était galvanisé. Jetant un coup d’œil discret, Sirius constatait que son cousin arborait un sourire électrisé, sans même s’en rendre compte. Des étincelles bleutées crépitaient dans l’air tout autour d’eux, s’agitant comme des lucioles complètement folles avant de se diriger vers le sol.

     Sous les pieds de la famille entière, la terre se mit à vibrer, les scellant fermement à elle. Au centre du cercle, le pouvoir de chacun des membres de la famille Millenium convergeait. Une tempête d’éclairs d’un bleu rare apparut, un grand froid glacial happant le peu de chaleur qui s’échappait des extrémités des corps de chacun. Là où toute l’énergie s’amoncelait, le sol s’éventra dans une explosion soudaine de lumière et de glace. Les éclats cristallins formèrent une entrée qui s’enfonçait profondément dans la terre. On distinguait à peine des escaliers qui se créaient, de terre de graviers et d’éclats de givre, mais Sam ne pouvait pas voir plus loin de là où il était.

     Le chef de famille cessa alors de parler, et tout s’arrêta. Plus de tremblement de terre. Plus de tempête d’éclairs bleus ni de lucioles folles. Après une telle démonstration, ce retour au calme avait quelque chose de désarçonnant. Les mains se démêlèrent, et Sam, encore sous le coup de l’émerveillement, sentit tout son corps se détendre. Se servir de ce don n’était guère agréable, mais il était en même temps tellement fascinant ! La naissance de cette porte incroyable resterait à jamais dans sa mémoire.

     Justus sortit du cercle humain pour venir se positionner devant son fils. Levant un bras en direction de la porte de terre et de glace, il prit un ton solennel.

—    Bienvenue dans l’Antre des Millenium, Samirelius.

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