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Seocha
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15. Que coule l'encre

—    Tu comptes faire la tête encore longtemps ?

Derrière la porte de son adolescent de fils, Justus tentait de communiquer, mais c’était la première fois qu’il se trouvait face à une porte verrouillée dans sa propre maison. Il toquait, parlait en espérant que Sam écoute, mais aucune réaction ne lui donnait le moindre indice sur son état. Sandra avait beau l’avoir prévenu qu’il fallait attendre que ce soit leur enfant qui vienne leur parler, et non l’inverse, le père de famille fulminait de l’intérieur.

Depuis plusieurs heures, le jeune homme s’était coupé du monde. Son casque de musique vissé sur ses oreilles, il faisait défiler une playlist avec Black Stone Cherry, Rhapsody on Fire ou encore Offspring, passant sans ménagement tous les airs trop calmes pour qu’ils soient remplacé par des batteries furieuses et des guitares électriques endiablées, ne voulant plus rien entendre. Cependant, il commençait à en avoir marre de rester dans sa chambre. Il avait l’impression que son lit se transformait en aimant pour l’empêcher de se lever et vivre. Si seulement son père n’était pas à l’affût de l’autre côté de cette fichue porte, il pourrait s’échapper sans avoir à écouter un sempiternelle sermon de « c’est pour ton bien, fais ce qu’on te demande ». Vraiment, s’il devait subir ça, il finirait pas exploser, et il n’avait pas vraiment envie de s’en prendre à son père.

Bon sang, pourquoi la vie ne pouvait être un peu plus simple ? Il n’y a pas si longtemps que ça, la seule chose difficile à faire, c’était d’achever tous ses devoirs sans avoir de retard, et maintenant, il devait gérer une fille complètement dingue qui faisait tout pour le coller !

—    Maître, fit une petite voix claire, je ne crois pas que vous preniez les choses correctement. J’entends bien que la situation vous est difficilement tolérable, mais la présence et l’insistance d’une Chuchoteuse pour vous soutenir démontre l’importance du rôle que vous devez jouer. Il en va de votre destinée. Ce n’est guère un sujet à ignorer, vous savez.

Sam ôta son casque, le glissant dans son cou, observant Charlotte qui soutenait son regard, d’un air sérieux. Assise sur la chaise, près de la fenêtre, un grand livre d’images posé sur ses genoux, elle ressemblait à s’y méprendre à une poupée. Et pour cause : elle avait retiré ses lunettes, et elle ne bougeait pas d’un cil. Elle ne faisait même pas semblant de respirer, comme elle en avait pris l’habitude dès qu’elle était dehors.

A l’extérieur de la pièce, le jeune homme constata que les coups à la porte et la voix de son père avait cessé. Entendant des pas s’éloigner, il comprit que son père avait enfin lâché l’affaire pour le moment. Pourtant, au vu de l’attitude de Charlotte, il savait qu’il allait l’avoir quand même, son sermon, ce soir. Alors, autant sortir ce qu’il avait sur le cœur.

—    Est-ce que tu te rends compte que c’est une furie qui veut me servir de professeur ? lâcha-t-il avec amertume.

La petite fille haussa le sourcil, penchant légèrement la tête sur le côté.

—    Pensez-vous réellement que mademoiselle Cruz soit la pire chose que vous ayez à affronter ?

—    Non, grommela-t-il en guise de réponse.

Sur son bureau, il repéra quelques livres qu’il devait ramener à la médiathèque. Il avait du retard pour les rendre mais c’était quelques chose de plutôt acceptable, vu tout ce qui lui arrivait dernièrement. Il n’était pas trop tard encore, elle fermait dans une heure. Il pouvait aller rapidement déposer tout ça, et prendre l’air en passant. Il attrapa son sac et commença à y enfourner les ouvrages à rendre.

Sans mot dire, Charlotte le regardait faire, et son immobilité faisait frissonner le jeune homme. C’était la première fois qu’elle le confrontait ainsi. Le silence en devenait inconfortable.

—    Je ne sais pas comment l’expliquer… je ne la sens vraiment pas, cette fille, avoua-t-il à demi-mot.

—    Vous n’avez même pas essayé de vous entendre avec elle, Maître, répondit-elle avait un regard dur. Elle ne vous a absolument rien fait de mal. Elle désire vous apprendre le savoir qui vous fait cruellement défaut, et je trouve que c’est une requête très raisonnable, au vu des circonstances.

Le jeune homme roula des yeux, agacé.

—    Comme s’il y avait plus qu’elle pouvait exiger, soupira-t-il.

—    Il y a toujours plus. Sachez, par exemple, que les mariages entre Chuchoteurs et Nécromanciens sont plutôt courants, notamment quand on souhaite donner naissance à des éléments puissants dans l’une ou l’autre branche.

Sam se figea, manquant de s’étrangler avec sa propre salive, en entendant les propos de l’enfant. Il se tourna vers elle, et constata avec désarroi qu’elle était très sérieuse sur le sujet.

—    Tu n’es quand même pas en train de dire qu’on pourrait me forcer à…, mais il n’arrivait pas à finir cette phrase qui pouvait nommer l’inenvisageable.

—    C’est possible, tout à fait. Après, tout dépend de ses talents, ou de son rang. Je n’en sais guère plus. Alors, si je puis vous faire une recommandation, Maître, acceptez sans rechigner qu’elle vous dispense ses leçons, avant qu’elle n’ait recours à des moyens drastiques dont vous désapprouveriez l’usage.

—    Mais je n’ai pas envie d’avoir quoi ce soit à faire avec elle ! s’écria-t-il avec désespoir.

—    J’ignorais que vous étiez un tel enfant gâté, Maître.

Le ton était aussi glacial que le regard de la petite fille aux lèvres pincées, ce qui surprit tellement Sam qu’il en baissa la tête, tout penaud. Il pouvait deviner la déception qu’éprouvait Charlotte face à son comportement. Elle était bien plus âgée que lui, il l’avait complètement oublié. Et c’était la toute première fois que cette vérité le frappait. Il se sentit d’un coup très puéril.

Il ferma son sac, puis hésita un instant avant de finir par s’adresser avec elle avec un peu de maladresse, mais avec bonne intention.

—    Je dois me rendre à la médiathèque pour rendre ces livres. Comme il reste un peu de temps avant la fermeture, tu pourras choisir un livre avant de rentrer, si tu veux. Est-ce que ça te plairait ?

La petite fille desserra ses lèvres pour faire place à son joli sourire lumineux. Elle faisait des progrès fulgurants en lecture, et Sam se doutait que voir un endroit rempli de livres la mettrait en joie. En fait, il était sûr qu’elle aurait un effet « Belle » au moment où elle découvrait la bibliothèque de la Bête, et il avait hâte de lui montrer ça. Et espérait que cela lui ferait aussi oublier cet échange dont il n’était pas très fier.

Charlotte referma son livre d’image et bondit de son siège pour mettre ses lunettes.

—    J’adorerais voir un lieu plein de livres ! De toute façon, il est hors de question que vous sortiez tard sans que je sois à vos côtés !

Ils enfilèrent rapidement leurs vestes et se faufilèrent discrètement en bas des escaliers avant de sortir en vitesse. L’adolescent lâcha juste un « On va poser des livres à la médiathèque et on revient ! » avant de claquer la porte d’entrée et de courir avec Charlotte. Ils firent la course jusqu’à l’arrêt de tramway. La fillette se figea alors, mitigée. Elle trouvait l’invention fascinante, mais l’incident de sa première fois dans la rame de tram ne la mettait pas en confiance pour y retourner.

La cloche sonna l’arrivée du serpent de fer, et Sam prit la main de Charlotte avec bienveillance.

—    J’ai beau m’habituer aux catastrophes, la probabilité que ça arrive deux fois reste mince. Et je veux te montrer un de mes endroits préférés.

—    Ne pouvons-nous pas marcher ? proposa-t-elle intimidée.

—    Oui, mais alors nous n’aurons pas le temps de choisir un livre pour toi. Sur le retour, on marchera, d’accord ?

Charlotte resserra sa menotte dans celle de Sam, et ils montèrent ensemble dans la rame. Le jeune homme avait beau se montrer confiant, il craignait malgré tout qu’il arrive quelque chose. Il se souvenait bien de l’accident, et de cette histoire d’Hérétique. Il avait presque oublié la raison pour laquelle la terre avait tremblé, mais il repoussa toutes ces angoisses au loin : il venait de réussir à rassurer Charlotte, ce n’était pas pour paniquer à son tour !

Lorsqu’ils descendirent de la ligne de tram, Charlotte se tordit le cou pour observer le bâtiment aux grandes baies vitrées. Elle voyait à peine la grande statue blanche juste au-devant, voyant, grâce aux lumières, les étagères remplis, les bureaux à écrans et les gens qui circulaient à l’intérieur, comme un aquarium géant. Sam lui fit monter les quelques marches avant de passer la porte de verre, et se dirigea rapidement vers un ordinateur qui enregistrait les retours quand on y déposait les documents. La petite fille le regardait faire avec curiosité, ayant hâte qu’il en finisse pour voir la suite de la médiathèque, car, pour l’instant, elle ne voyait que des fauteuils presque vides et des journaux bien trop grands pour elle.

Une fois qu’il eût fini, Sam l’emmena vers l’ascenseur, qui impressionnait Charlotte, qui se demandait par quelle magie une boite de verre et de métal pouvait soulever ainsi les gens. Arrivés au deuxième étage, elle vit des poufs colorés, des coussins aux drôles de forme, et, de partout dans les grandes boîtes et les étagères, des centaines de livres pour enfant.

Les yeux de Charlotte pétillaient de joie, sa mâchoire se décrochant alors qu’elle n’avait qu’une envie, courir explorer les lieux sous ses yeux. Sam hocha la tête en signe d’accord, et la voilà qui courait, assoiffée de découvertes en fouillant un par un chaque recoin de la pièce. Il choisit un fauteuil coloré et la laissa faire, étant la dernière enfant présente. La médiathèque fermait dans une bonne demi-heure, et il lui rappela simplement qu’elle ne devait pas trop tarder à choisir un livre, puis il consulta ses réseaux sociaux de son côté, faisant légèrement craquer son cou, un peu raide.

Charlotte devenait presque folle avec autant de choix, et en voulait presque à Sam : comment se faisait-il qu’il ne l’avait pas emmené dans cet endroit enchanteur plus tôt ? Sans nul doute, elle le ferait revenir ici souvent, car elle avait envie de tout voir ! Il était rare, quand elle était en vie, de voir un livre en dehors de la Bible lors de la messe. Et elle n’avait jamais vu de bibliothèque si grande de son vivant. Le fait d’être ici la submergeait de joie, lui faisant oublier toutes ses obligations pour le simple plaisir de pouvoir enfin lire.

—    Est-ce que je peux t’aider ?

Dans ses rêveries, elle n’avait pas vu une dame aux cheveux cuivrés qui s’était approché d’elle, ses yeux bleu-gris reflétant la bienveillance et aussi la fatigue de la fin de journée. Elle finissait de ranger les quelques livres qu’elle avait en main, et l’enfant aperçut un badge au nom d’Héloïse épinglé à son pull.

—    Je ne voudrais pas vous déranger, mademoiselle Héloïse, dit-elle timidement.

La jeune bibliothécaire se pencha un peu vers elle et lui sourit.

—    Tu ne me déranges pas du tout, je suis là pour ça, tu sais ! Est-ce que tu recherches un livre particulier ? Avec beaucoup d’images ou pas du tout ?

—    Je… je ne sais pas lire depuis très longtemps, avoua-la petite fille en baissant la tête, alors, peut-être des histoires qui ne sont pas trop longues, pour commencer…

—    Nous avons tout ce qu’il te faut, je vais te proposer quelques histoires, et on va arriver à choisir quelque chose qui va te plaire.

Charlotte était enchantée et se laissa entraîner par la gentillesse d’Héloïse, qui prenait le temps de lui proposer des petits romans pour enfants comme des recueils de contes. Sam les observait du coin de l’œil, puis il rangea son téléphone. Un frisson lui parcourait l’échine depuis qu’ils étaient rentrés dans la médiathèque, mais le chauffage n’arrivait pas à le faire passer. Il mit sa main au front, histoire de vérifier qu’il n’avait pas de fièvre, mais tout semblait normal. Il avait besoin de marcher. En se levant, les courbatures le surprirent. Était-ce parce qu’il avait repris le sport que ses muscles se crispaient ainsi ? Il s’éloigna pour chercher la fenêtre qui déversait les derniers rayons du soleil de la journée pour tenter de se réchauffer. Le crépuscule partageait ses plus chaudes couleurs avant de s’éteindre derrière les autres bâtiments du centre-ville.

Ses doigts se refroidissaient, et alors qu’ils les approchaient de sa bouche pour les réchauffer de son souffle, il observa ses doigts, bleutés. De cette même lueur bleue, le jour où il avait réanimé Charlotte. Son cœur manqua un battement, sentant qu’il n’avait pas froid : c’était son pouvoir qui se manifestait. La terreur s’empara de lui. Il fallait partir, avant qu’il y ait un débordement, où quoi que ce soit qui puisse arriver à cause de son pouvoir.

Sans avoir à l’appeler ou la chercher, Charlotte émergea des étagères en courant, avant de se cramponner à lui, morte de peur. Sam n’osa pas la toucher ni la prendre dans ses bras, craignant de lui faire du mal dans son état.

—    Maître, il faut aller aider mademoiselle Héloïse, vite ! s’écria-t-elle.

—    Qu’est-ce qu’il se passe ? s’inquiétait-il alors qu’il tentait de dissimuler ses mains.

—    Un résidu ! paniquait-elle. Un résidu a pris possession des lieux et veut tout engloutir ! Il a attrapé mademoiselle Héloïse !

—    Un résidu ? Qu’est-ce que c’est, encore ?

Le sang battait dans ses tempes, à la fois bouillonnant et gelé. Il ne savait pas ce qu’il y avait, mais son pouvoir y réagissait de façon viscérale. Ce qu’il savait, par contre, c’était qu’il ne voulait pas d’une nouvelle catastrophe. Le simple fait que son corps réagisse malgré lui le terrifiait, mais il ne savait pas ce qu’il devait faire.

—    Quand un Démon passe le Voile, il est immatériel, et ce qu’il touche peut être contaminé par les résidus du nouveau corps matériel qu’il se crée. Une sorte de poussière qui a dû contaminer un livre. Il faut sauver mademoiselle Héloïse !

Sam était pétrifié. Il ne savait pas se battre. Il ne savait pas utiliser ses pouvoirs. En fait, il ne savait rien du tout. Qu’est-ce qu’il était censé faire ?

—    Je…il faut… Papa, il faut appeler mon père ! bafouilla-t-il.

La petite fille se recula pour soulever son regard. Encore une fois, c’était trop pour son Maître. Il n’y arriverait pas. Si seulement quelqu’un pouvait lui avait appris à se défendre plus tôt.

—    Le temps qu’il arrive, ce sera trop tard. Il faut y aller ! Vous pouvez le faire, Maître !

Déterminée, Charlotte saisit les mains bleutées de Sam, et les yeux de l’enfant devinrent d’un bleu électrique, sa peau pâle devenant lumineuse à son tour.

—    Je le ferai pour vous.

Elle lâcha le jeune homme, complètement pris au dépourvu, avant de courir vers le danger. Incapable de réfléchir, son esprit refusait que la petite fille puisse courir le moindre péril. Ses pieds, jusque-là incapable de bouger, coururent à sa suite. Elle n’avait pas à faire ce que lui devait réussir. Il était faible, il avait peur. Mais il n’était pas lâche à ce point !

Au-delà des rayons, tout avait changé. L’encre suintait des livres, coulant le long des étagères, noyant la pièce sous des cascades sombres qui avalaient tout sur leur passage, effaçant toutes les couleurs joyeuses qu’il y avait quelques instants auparavant. Comment tout pouvait être ravagé à ce point en quelques secondes seulement ?

Il chercha par où était partie Charlotte, l’appelant, mais aucune réponse lui parvint. En fait, aucun son ne lui parvenait tout court. Où était Charlotte ? Et la bibliothécaire ? Le seul bruit était les gargouillis de l’encre qui se déversaient sans cesse dans les allées.

Une caresse le long de sa joue le fit frémir. Il n’y avait rien qui aurait pu le frôler, mais il sentait l’air profondément malsain qui envahissait l’air et tentait de pénétrer ses poumons. Ce qui vibrait, invisible, autour de lui, faisait réagir son pouvoir dans chacune de ses veines, devinant sa peau bleu le long de ses bras sans peine, les poils hérissés de l’horreur qu’il ressentait. 

Une voix émergea de nulle part, s’insinuant tel un serpent dans l’esprit de Sam, terrifié.

Des histoires, des histoires, toujours plein de ces histoires….

Ces pages gribouillées… je les ai en horreur…

C’est laid, difforme…

Ce monde est laid…

J’ai envie qu’il disparaisse…

Il faut détruire…

Que tout rentre dans les livres...

Et que les livres se noient dans leur encre…

Tous les sens de Sam hurlaient au danger, et il n’avait qu’une seule idée en tête : fuir à toute jambes loin de ce nouveau cauchemar. Il sentait la volonté de cette créature…car oui, ce ne pouvait être qu’une créature, pas un résidu, avec une telle volonté de tout engloutir. Il le ressentait de tout son être, comme si cette chose désirait qu’il partage son désir de tout détruire. Seulement, la terreur en lui était plus forte que tout le reste. Il n’était qu’un Nécromancien sans aucune éducation, sans aucune défense. Se ferait-il bêtement engloutir, sans pouvoir répliquer ?

L’encre qui éclaboussait ses pieds remontaient sur lui, se glissant dans les plis de ses vêtements tel un voile noir d’encre qui le recouvrait, l’enlaçait, presque.

Un battement de cœur.

Charlotte.

Il cria son nom, se débattant afin de sortir de sa torpeur et de l’étreinte noire qui le maintenait.

Il devait la retrouver.

Les Ténèbres se déchirèrent sous le dernier éclat de soleil rougeoyant, alors que les petites mains pâles de Charlotte déchiraient les coulures d’encre comme du vulgaire papier. Sam était ébaubi à son apparition, car il peinait à la reconnaître : bien que salie d’encre des pieds à la tête, un halo sombre et cuivré l’enrobait, et ses yeux bleus avaient virés au rouge incandescent. Elle était dangereuse. C’était la première fois qu’il la voyait ainsi.

Et il détestait ça.

Il avait peur pour elle. Que lui arrivait-il ?

Impossible de chercher des réponses, cependant. Sans mot dire, elle attrapa vivement les poignets de son Maître, et la lumière d’un bleu glacial rayonna le jeune homme de tout son corps, lui arrachant un cri de douleur en irradiant ses veines. Sous l’incompréhension de Sam, elle plongea son ménagement les mains dans les mares d’encre à leurs pieds, jusqu’aux coudes. La peur l’empêchait de réfléchir, mais son instinct prit le dessus, et il propulsa tout le pouvoir qui lui brûlait la chair dans les pigments noirs, créant une onde de choc sur tout l’étage et brisant les fenêtres, arrachant des cris depuis l’extérieur, alors que les lumières du bâtiment s’éteignaient.

L’encre reflua et s’aggloméra dans des bruits écœurants, comme des gémissements, alors que le résidu tentait de prendre une forme humanoïde.

—    Abattez le résidu. Maintenant !

Les prunelles de feu de Charlotte fixaient son Maître d’un air impitoyable. Il n’arrivait pas à la reconnaître. Elle n’avait rien à voir avec la petite fille qui veillait sur lui. Malheureusement, en cet instant, il n’arrivait pas à avoir la moindre pensée logique.

—    Je… je ne peux pas… je ne sais pas…

Les mots sortaient de sa bouche malgré lui, complètement perdu sur ce qu’il devait faire. Le ton dur de l’enfant était sans appel.

—    Resserrez votre emprise sur lui. Détruisez-le. Ou je le ferais.

 Il aurait obéi, s’il avait su comment faire. Si cela pouvait lui ramener sa Charlotte et arrêter toute cette folie. Mais il ne savait rien. Il ne savait pas quoi faire, ni ce qu’elle avait fait. Elle avait déclenché ses pouvoirs, et il n’avait rien pu faire. Il était aussi inutile qu’au premier jour. Sa terreur lui faisait oublier à quel point son pouvoir lui faisait mal, ainsi actif le long de ses bras. Il regarda ses mains lumineuses, complètement désarçonné.

Sans ménagement, la petite fille saisit de nouveau les mains de son Maître pour le précipiter vers la silhouette sombre qui agonisait. Au contact de ses doigts, celle-ci hurla, et Charlotte déchira alors de ses mains la créature, tel un démon affamé de chair, libérant soudain une poussière noire comme du charbon. Elle s’en saisit vivement, l’écrasant dans sa menotte blanche, avant d’écarter de nouveau les doigts : il n’y avait plus rien.

Autour d’eux, l’encre avait disparu, et Sam aperçut la bibliothécaire inconsciente au bout du rayon. Il reporta son regard vers Charlotte : est-ce que tout était terminé ? Est-ce qu’elle allait bien ?

La petite fille soutenait son regard, alors qu’autour d’elle, son halo s’éteignait. Elle dodelina de la tête, et ses yeux reprirent leur couleur bleu pacifique habituelle.

—    Charlotte ?

La voix de Sam était chevrotante, fou d’inquiétude pour elle. Son expression dégageait une telle détresse qu’il voyait sans peine les larmes qu’elle ne pouvaient faire couler le long de ses joues pâles.

Elle s’écroula d’un coup, évanouie.

Le garçon se jeta sur elle, fou d’inquiétude, et la prit dans ses bras qui retrouvaient leur couleur normale, sans cesser de l’appeler, encore et encore. Était-elle morte à nouveau ? Était-ce sa faute ? Il ne fallait pas qu’elle meure… elle découvrait à peine la vie ! Elle savait enfin lire, elle avait tellement de choses à découvrir ! Il voulait la protéger, et il n’avait rien pu faire ! Comment pouvait-il faire pour savoir si elle était encore en vie ? Si son pouvoir la gardait encore avec lui ? Elle n’avait jamais eu de pouls ou de cœur battant…

Encore une fois, il ne servait à rien.

Les larmes lui coulaient le long des joues, alors qu’il cherchait le moindre indice sur l’état de Charlotte.

Des pas s’approchèrent derrière eux, et le cœur du jeune homme s’emballa de nouveau. Comment il allait pouvoir expliquer ce qu’il s’était passé ici ? Toutes les vitres avaient disparues, et ils étaient dans le noir complet, en dehors des luminaires extérieurs, maintenant que la nuit était tombée.

—    Tout va bien Sam. Tu es en sécurité, maintenant.

Son père était là, et il n’était pas seul. Après le départ de son fils de la maison, Sandra l’avait poussé à le suivre pour tenter de lui parler dans un endroit un peu plus neutre que chez eux. Il discernait son oncle Bernie et son cousin, Sirius, avec lui. Sirius sortait de sa séance de natation dans la piscine olympique qui se trouvait juste à côté, et son père était venu le chercher. C’était ainsi qu’ensemble, ils avaient découvert ce qu’il venait de se passer.

Justus s’agenouilla près de son garçon en douceur.

—    Charlotte… je ne sais pas… je ne sais pas…sanglotait-il.

—    Elle va bien. Elle a juste utilisé trop d’énergie toute seule. Tu ne le sens pas ?

—    Comment ? Comment je peux la sentir en vie ?

—    Je vais te montrer. Ton corps se souviendra et tu pourras y arriver seul, après. D’accord ?

Il posa délicatement ses doigts contre les temps de son fils, et impulsa un petit courant électrique bleuté. Leurs yeux prirent la couleur bleu de leur pouvoir, et Sam put enfin voir. Charlotte était parcourue de cette énergie bleue qui venait de lui. Il voyait le flux qui la parcourait, tandis qu’avec cette vision, ses propres membres lui étaient aveuglants.

Sam sourit enfin, toujours secoué de sanglots.

—    Elle va bien, répétait-il incrédule.

Justus ôta ses doigts, rompant le contact et leur vision revint à la normale. Il posa alors une main dans le dos de son fils pour l’apaiser.

—    Tu vois, il lui faut du repos. Et toi aussi. Je vais la porter jusqu’à la maison, d’accord ?

Le jeune homme s’essuya les yeux d’un revers de manches, repoussant son père qui voulait prendre Charlotte.

—    C’est moi qui suis responsable d’elle.

Il se releva avec la petite fille dans ses bras. Il vit alors que Bernie et Sirius les avait les laissé pour aller voir comment allait la bibliothécaire en confirmant qu’elle était juste évanouie. Les dégâts, comparé aux dernières catastrophes qui lui étaient tombé dessus, étaient moindres, finalement. Il ne s’était pas servi de ses pouvoirs, mais Charlotte, en le faisant à sa place, avait empêché le pire.

Ce soir, c’était la dernière fois qu’il était inutile et incapable.

—    Papa.

Justus, tout près de son fils, était à l’écoute, peinant à comprendre comment allait réagir son fils face à cette nouvelle épreuve. Il le voyait trembler, les mâchoires crispées.

—    J’apprendrais ta fichue nécromancie, même si c’est avec cette foutue Mye !

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